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Alexandre Dumas m'oblige à un certain nombre d'aveux : je l'aime, je l'admire, je l'envie.

Comme sans doute tous ceux qui le lisent, je l'ai découvert dans Les Trois Mousquetaires, à un âge privilégié : j'avais alors dix ans, âge où tout est terriblement sérieux et, notamment, les bons sentiments. Quand j'ouvre aujourd'hui un roman de Dumas, ce n'est pas que je veuille retrouver un enthousiasme qui appartient au passé, mais les mouvements qui m'agitaient alors, même à travers la forme que ma vie et la vie leur ont donnée, je les retrouve. Il me semble que, par Alexandre Dumas, certaines valeurs humaines ont été pour moi nommées, éclairées, exaltées. Et l'ensemble de ces valeurs m'apparaît toujours comme essentiel. Il appartiendrait à un moraliste de les définir. Quant à moi, elles sont chaleur et force et joie, qu'il s'agisse de l'amitié, d'un certain sens du courage, du goût de l'aventure (et qu'elle soit empanachée ne gâte rien), de la vertu de la parole donnée, de la générosité enfin, de celle du coeur qui ouvre la porte à toutes les autres.

Ma seconde rencontre avec Dumas eut lieu quelques années plus tard : je venais de faire en 1915 une entrée modeste au Journal des Débats. La curiosité et l'orgueil me poussaient à connaître les noms de mes prédécesseurs illustres : ce fut à cette époque que je trouvai Le Comte de Monte-Cristo, publié en feuilleton quelques décades auparavant. Mais comme cela me semblait proche ! Et depuis lors, combien de fois ne m'est-il pas arrivé de me laisser reprendre par ce roman ou par d'autres du même enchanteur. Et toujours malgré moi. Je feuilletais un volume... «Seulement une page ou deux», me disais-je... Et allais jusqu'au bout. Aujourd'hui encore le jeu m'entraîne, tellement il est bien mené. Et savoir par avance tout de l'histoire m'importe peu ; le mouvement demeure irrésistible.

Si l'œuvre de Dumas reste toujours aussi présente (on trouve toujours de ses livres dans quelque librairie que ce soit, et pas seulement en France), sa technique et sa virtuosité y sont assurément pour beaucoup, mais son pouvoir essentiel vient de ce qu'il éprouvait avec force les sentiments qu'il a décrits, et cette force, ce bonheur de vivre l'ont gardé du temps.

*

A son terme, la vie d'un homme paraît avoir été faite de mille rencontres, de mille hasards, heureux ou malheureux. Mais, en vérité, le hasard ne joue pas de la même façon pour tous les êtres. De la rencontre d'un tempérament et d'une époque, par une alchimie dont tant d'éléments nous échappent, sort parfois le miracle. Il y a un miracle Dumas.

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(...)

L'Académie française ne voulut point d'Alexandre Dumas. Ce fut l'un des rares échecs de sa vie. Mais on craignait trop le scandale, et la vie privée de Dumas était à l'image de son oeuvre, débridée, débordante.

Scandaleux au dix-neuvième siècle, Alexandre Dumas, sans doute, le serait davantage encore au vingtième. Mais pour d'autres raisons : il n'est plus de place à notre époque pour des êtres aussi prodigieusement vivants. Aussi merveilleusement encombrants.

Joseph Kessel
Alexandre Dumas, in : Gloires de la France - Par les quarante membres de l'Académie française
Collection Académique - 1964)
© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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