Le discours de Didier Decoin, président de la Société des Amis d'Alexandre Dumas Vous êtes ici : Accueil > Panthéon
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Château de Monte-Cristo, Le Port-Marly, Vendredi 29 novembre 2002, 11 heures.

Il y a rarement des circonstances aussi exceptionnelles que celle qui nous réunit ce matin, et dont on peut se dire avec une absolue certitude que jamais, jamais elle ne se renouvellera.

Et il y a peu d'hommes qui furent aussi exceptionnels qu'Alexandre Dumas.

A ce caractère doublement exceptionnel de l'homme et de l'événement, j'aurais voulu offrir des paroles qui, elles aussi, eussent été exceptionnelles.

J'ai vainement cherché des mots dignes de lui et de cet instant - et je ne les ai pas trouvés.

Je m'en console un peu en songeant que Dumas ne m'aurait pas tenu trop grande rigueur de mon impuissance à le célébrer comme je l'aurais tant voulu : car, s'il faut en croire Charles Hugo, fils de Victor, ce bon géant de Dumas était, lui aussi, sensible au point d'être le seul homme de son temps à n'avoir jamais pu parler devant une tombe ; à n'avoir plus trouvé, devant le cercueil d'un ami, que la facilité des larmes.

Facilité des larmes que nous nous refuserons pourtant : malgré la présence - la rude réalité - d'un cercueil, l'heure n'est pas à la tristesse ni aux regrets.

Car ce qui vient d'arriver est tout sauf mélancolique. Et même s'il est naturel que l'émotion soit violente, même si cet instant ne peut échapper à une certaine gravité, à une certaine solennité, il faut qu'il soit aussi jubilatoire : après quelque chose comme un siècle et demi d'absence, voici qu'Alexandre Dumas est de retour chez lui.

Mordious ! la bonne nouvelle !

Imaginons qu'il nous soit revenu vivant.

Qu'il ait passé la grille de Monte-Cristo solidement campé sur ses bonnes jambes de voyageur infatigable - comment croyez-vous que nous l'aurions accueilli ?

Nous serions-nous précipités sur lui pour l'embrasser ? Vous peut-être. Moi pas : je suis bien trop timide pour ça.

L'aurions-nous pressé d'écrire au plus tôt de nouvelles Impressions de Voyage - au pays des Trépassés, cette fois-ci -, de nous concocter un grand roman sur un Au-delà peuplé de Mousquetaires avec des ailes d'anges sous leurs casaques et d'une Milady incorrigible, conspirant contre le Diable et fomentant des complots pour échapper à l'Enfer ?

Mais non ! A y bien réfléchir, je ne crois pas que nous lui parlerions littérature. Pas tout de suite, en tout cas.

C'est que, voyez-vous, si l'écrivain Dumas est grand, il n'est, cet écrivain, que l'émanation d'un homme peut-être plus grand encore que son œuvre.

Et c'est d'ailleurs au nom de cette grandeur-là, en vérité de cette grandeur d'âme, que le Président de la République, Jacques Chirac, l'a jugé digne de recevoir l'hommage suprême de toute la Nation.

Il est temps d'admirer - et d'imiter - non plus seulement le conteur enchanteur mais celui dont les idées, les engagements tant philosophiques que politiques, préfigurent les combats que mènent aujourd'hui les hommes de bonne volonté - combats contre le racisme, contre l'exclusion, contre l'injustice et l'esclavage sous toutes ses formes y compris les plus sournoises, combats pour la liberté des peuples, pour l'égalité des hommes, pour la fraternité sans compromis.

Je gage que notre monde n'étonnerait pas Dumas : mais ce sont peut-être les réponses que proposerait Dumas - Dumas l'humaniste - qui étonneraient le monde.

Voici quel homme nous accueillons aujourd'hui.

Chez lui.

Où, entouré de la foule de ses amis, il va passer encore un jour et encore une nuit.

Et vous remarquerez que je ne dis pas un dernier jour et une dernière nuit car, grâce aux trois communes du Pecq, de Port-Marly et de Marly-le-Roi, grâce à Alain Decaux, grâce à tous ceux et celles sans qui, aux cendres d'Alexandre, se mêlerait aujourd'hui la poussière des ruines de son château de rêve - grâce à vous tous, et à quelques-uns qui, déjà, l'ont rejoint de l'autre côté du miroir, Dumas continue de vivre à Monte-Cristo.

Il en est toujours l'inlassable, l'immortel amphitryon - au point que, ce matin, j'ai tendance à croire que c'est moins nous autres qui l'accueillons que lui qui nous reçoit dans cette maison qu'il a tellement voulue telle qu'elle est aujourd'hui : ouverte à tous ceux qui l'aiment.

L'entrée au Panthéon, demain, sera quelque chose d'immense.

Même lui, maître de tous les excès, docteur es-surenchères, dirait que c'est immense.

Mais le retour à Monte-Cristo, ça, c'est intense.

Pour nous, bien sûr - mais plus encore pour lui qui est bien trop malin pour n'être pas quelque part d'où il contemple, avec fierté mais surtout avec tendresse, cette petite foule venue lui dire : bonjour, Alexandre - et merci, Alexandre.

Il se passe ici et maintenant quelque chose de bouleversant.

Si je me penchais sur ce cercueil, sur ce cachot de bois plus étroit et plus hermétiquement clos que le cachot du château d'If, il me semble que j'entendrais, tout au fond, la voix d'Alexandre : « Vivez donc et soyez heureux, enfants chéris de mon cœur, et n'oubliez jamais que jusqu'au jour où Dieu daignera dévoiler l'avenir à l'homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : attendre et espérer. »

Ce sont là, vous les avez reconnus, les derniers mots qu'écrit le comte de Monte-Cristo au jeune Maximilien Morrel.

Le petit-fils de l'esclave noire Marie-Césette a subi des humiliations et connu des chagrins que n'eût pas reniés Edmond Dantès.

Il est aujourd'hui Monte-Cristo.

Non pas le justicier, mais le justifié.

Didier Decoin
© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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