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L’actuel département de Seine-Maritime est l’alpha et l’oméga d’Alexandre Dumas, son commencement et sa fin, puisqu’il rassemble à la fois le berceau de ses ancêtres, les Davy de La Pailleterie, et le lieu de sa mort.


Château de Bielleville

À une dizaine de kilomètres au nord de Bolbec, sur la commune de Rouville, s’élève le petit château de Bielleville, construit en l’an de grâce 1602, par Anne de Pardieu, veuve de Pierre Davy de la Pailleterie. C’est ici que doit débuter tout pèlerinage dumasien, car c’est ici que sont nés et ont vécu successivement Charles (1608-1691), François (1634-1708), Alexandre (1674-1738) et, enfin, Alexandre-Antoine (1714-1786), grand-père d’Alexandre Dumas, qui abandonna le bercail familial pour rejoindre en 1738 son frère Charles à Saint-Domingue. Là, cet assez mauvais sujet accrut la lignée des Davy de La Pailleterie de quelques enfants naturels métis que lui donna son esclave Marie Cessette Dumas. Parmi ceux-ci, Thomas-Alexandre, né en 1762, le futur Horatius Coclès des armées révolutionnaires et père de l’écrivain.

À l’annonce de la mort de ses frères, Alexandre-Antoine regagna la France pour s’emparer au plus vite de son héritage, se défaisant de l’intégralité des immeubles, dont le château paternel qu’il vendit au sieur de Bailleul pour la somme de soixante-sept mille livres et une rente viagère de près de dix mille livres (1777).

À une soixantaine de kilomètres de Bielleville, au sortir de Dieppe, à Puys, Alexandre Dumas fils accueillit le 12 septembre 1870 dans sa villa au bord de la mer, son vieux père, revenu d’Espagne dans un état qui ne laissait aucun espoir :

« Mon père est plus et moins malade qu’on ne le dit, écrit-il quelques jours plus tard à Mélanie Waldor, l’une des premières maîtresses parisiennes du père, le corps va mieux que jamais ; l’esprit est frappé de ténèbres intermittentes. Il passe à chaque moment des nuages sur cet astre jadis si rayonnant. La vie n’est plus pour lui maintenant qu’une fonction machinale ; il ne souffre pas. Lui seul ne se rend pas compte de son état ; il est doux et gai. Tout l’amuse, rien ne l’intéresse. Il reconnaît les gens, mais il les oublie tout de suite. Rien ne se pose plus d’une manière durable dans ce cerveau flottant. Là où il y avait du granit, il n’y a plus que du sable. Le visage est toujours souriant, vert, toujours clair et fin ; l’air est toujours noble et fier. »


Chambre dans la villa d'Alexandre Dumas fils à Puys près de Dieppe, dans laquelle Dumas père mourut en 1870.
Gravure sur bois d'après dessin de G.Bordese. Collection de la Société des Amis d'Alexandre Dumas.
© Gilles Mermet / AKG Paris

Il meurt, à dix heures moins sept le 5 décembre, au soir du jour où les Prussiens entrent à Rouen, et son corps est inhumé provisoirement dans le cimetière qui entoure la petite église de Neuville-lès-Dieppe, le 8 décembre, première halte dans les voyages post mortem de Dumas qui conduiront son corps d’abord dans son Villers-Cotterêts natal (1872), puis au Panthéon (2002).

Neuville et Puys, où le pèlerin chercherait en vain une plaque à l’emplacement de la villa mortuaire, qui, occupée pendant la seconde guerre mondiale, a ensuite été abattue, constituent la fin du pèlerinage.

Entre Bielleville et Puys, le début et la fin, l’éternel voyageur qu’était Dumas a souvent sillonné le pays de Caux, entraînant quelquefois ses héros dans son sillage.

C’est au Havre, où son père pour la première fois avait foulé le sol français, qu’à la fin de juillet 1829 il découvre pour la première fois la mer :

« À cette époque, on mettait vingt grandes heures pour aller de Paris au Havre ; c'était bien mon affaire [il projettait de refondre son drame Christine de Suède]. [...] Quand j'arrivai au Havre, ma pièce était refaite [...] Peu s'en fallut que je ne repartisse pour Paris, sans voir la mer, tant j'avais hâte de me mettre à la besogne. Je restai au Havre juste le temps de manger des huîtres, de faire une promenade en mer, d'acheter deux vases de porcelaine plus cher qu'à Paris, et je remontai en diligence (1) »

Et, comme « il y a un invincible attrait qui vous ramène vers les lieux qu'on a déjà visités », il remettra à maintes reprises ses pas dans ses pas : c’est du Havre, après avoir vu Jumièges, La Meilleraie, Tancarville, et « toute cette charmante côte de Villequier », « Harfleur avec son ravissant clocher », qu’il part en 1831 à la découverte de Trouville-sur-mer, c’est au Havre que, en 1858, il commande à l’armateur François Mazeline un « petit bateau à vapeur à hélice de la force de dix chevaux, tout en acier fondu » avec lequel il compte découvrir la Méditerranée ; c’est au Havre, en avril 1864, qu’il assiste à la démonstration, sur le bassin du Commerce, du canot de sauvetage insubmersible conçu par Mouë : « C’est au milieu d’une escorte triomphale que M. Alexandre Dumas a, par deux fois, traversé l’espace qui sépare l’hôtel de l’Europe du quai ouest du bassin du Commerce » note le Journal du Havre (2) ; c’est encore sur le Havre qui « a toujours été une des villes où j’ai éprouvé et rendu avec le plus d’extension et de bonheur l’échange de cette tendre et fraternelle affection » qu’en juin 1868, il met le cap. La ville est transformée par la grande Exposition maritime qui s’y tient et à laquelle il compte consacrer quelques articles ; il y effectue ses derniers tours ; il y est partout, à presque toutes les corridas de la cuadrilla des taureaux espagnols, aux courses de l’hippodrome d’Harfleur, au Grand Théâtre où se joue son drame de Madame de Chamblay ; il excursionne à Yport, à Étretat, dînant à Saint-Jouin chez la belle Ernestine.


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C’est aussi au Havre qu’il envoie Raoul de Bragelonne recevoir avec ses amis la belle Henriette d’Angleterre (3) ; qu’il embarque pour New York Gilbert et Philippe de Taverney, vicomte de Maison-Rouge à l’avant dernier chapitre de Joseph Balsamo ; qu’il débarque, venant de Philadelphie, le capitaine Pamphile, ramenant, après une heureuse navigation, un homme de moins et un ours de plus.

Autant « une réciprocité magnétique » lie Alexandre Dumas au Havre, autant lui est antipathique le chef-lieu du département, Rouen, qui pourtant « est une si belle ville à voir, avec sa cathédrale, son église Saint-Ouen, ses vieilles maisons de bois sculpté, son hôtel de ville, son hôtel Bourgtheroude, qu’on meurt d'envie de la revoir ».

« Rouen a sifflé toutes mes pièces. Je me vante d'avoir été sifflé par les Rouennais, raconte-t-il.

Cependant, un jour que j’avais un Rouennais pur-sang sous la main, je résolus de savoir pourquoi on me sifflait à Rouen. Le Rouennais me répondit :

- Nous vous sifflons, parce que nous vous en voulons.

Pourquoi pas ? Rouen en avait bien voulu à Jeanne d'Arc.

Cependant, ce ne pouvait pas être pour le même motif.

Je demandai au Rouennais pourquoi lui et ses compatriotes m'en voulaient : je n'avais jamais dit de mal du sucre de pomme ; j'avais respecté M. Barbet tout le temps qu'il avait été maire, et, délégué par la Société des gens de lettres à l'inauguration de la statue du grand Corneille [19 octobre 1834], j'étais le seul qui eût pensé à le saluer avant de prononcer son discours.

Il n'y avait rien dans tout cela qui dût raisonnablement me mériter la haine des Rouennais.

Aussi, à cette fière réponse : « Nous vous sifflons parce que nous vous en voulons, » fis-je humblement cette demande :

– Et pourquoi m'en voulez-vous, mon Dieu ?

– Oh ! vous le savez bien, répondit le Rouennais.

– Moi ? fis-je.

– Oui, vous.

– N'importe, faites comme si je ne le savais pas.

– Vous vous rappelez le dîner que vous a donné la ville, à propos de la statue de Corneille ?

– Parfaitement. M'en voudrait-elle de ne pas le lui avoir rendu ?

– Non, ce n'est pas cela.

– Qu'est-ce ?

– Eh bien, à ce dîner, on vous a dit : ah ! Monsieur Dumas, vous devriez bien faire une pièce pour la ville de Rouen, sur un sujet tiré de son histoire.

– Ce à quoi j'ai répondu : « Rien de plus facile ; je viendrai, à votre première sommation, passer quinze jours à Rouen. On me donnera un sujet, et, pendant ces quinze jours, je ferai la pièce, dont les droits d'auteur seront pour les pauvres.

– C'est vrai, vous avez dit cela.

– Je ne vois rien de si blessant là-dedans pour les Rouennais, que j'aie encouru leur haine.

– Oui ; mais l'on a ajouté : « La ferez-vous en prose ? » ce à quoi vous avez répondu... Vous rappelez-vous ce que vous avez répondu ?

– Ma foi, non.

– Vous avez répondu : « Je la ferai en vers, ce sera plus tôt fait. »

– J'en suis bien capable.

– Eh bien !

– Après ?

– Après, c'était une insulte pour Corneille, monsieur Dumas ; voilà pourquoi les Rouennais vous en veulent, et vous en voudront encore longtemps.

Textuel !

Ô dignes Rouennais ! j'espère bien que vous ne me ferez jamais le mauvais tour de me pardonner et de m'applaudir. »

Laissons le dernier mot à Moquet, le garde de chasse du général Dumas qui, nageant en Seine, au cours du voyage extraordinaire qui le mènera à la lune, s’écrie, arrivé à Rouen :

« - Et ils appellent cela la Seine inférieure, ils sont bons enfants ! » (4)

Claude Schopp

(1) Mes Mémoires, chapitre CXXV. Revenir au texte
(2) 28 avril 1864. Revenir au texte
(3) Le Vicomte de Bragelonne, chapitres LXXXIII-LXXXVII. Revenir au texte
(4) Un voyage à la lune. Revenir au texte

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