Dumas à Saint-Germain-en-Laye et Port-Marly Vous êtes ici : Accueil > Vie > Lieux dumasiens
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Alexandre Dumas à Saint-Germain-en-Laye, c'est la conjonction d’un écrivain à la vapeur et du chemin de fer.

A la fin du printemps de 1844, alors qu’il achève Les Trois Mousquetaires , l’écrivain se refugie dans la ville royale, à deux pas du château et de la terrasse, au pavillon Henri IV, chez le restaurateur Collinet, son compère en art culinaire, "propagateur, sinon inventeur, des côtelettes à la béarnaise". Il fuit Paris et son tourbillon auquel il ne sait pas résister, comme, quatre ans plus tôt, il avait choisi de s’exiler à Florence.

Pourquoi Saint-Germain ? Parce que Saint-Germain n’est depuis l’inauguration du chemin de fer (27 juillet 1837) qu’un faubourg provincial de Paris. Assez loin pour prendre du champ sur les fâcheux et les fâcheuses : l’épouse légitime, Ida Ferrier, en passe d’être répudiée ; les jeunes ou moins jeunes littérateurs, qui déposent chez lui, 45, rue du Mont-Blanc, des monceaux de manuscrits, drames, comédies, romans, aussi impubliés qu’impubliables et qui supplient voire exigent que l’illustre écrivain y prête la main ou en endosse la paternité ; les actrices, plus ou moins jolies, qui, pour obtenir un petit rôle, sont prêtes à tout, même à sacrifier une vertu déjà passablement sacrifiée, que Dumas pourtant hésite à refuser ; les tapeurs et traîne-misère de tout poil et de tout sexe qui s’attachent à sa tonitruante célébrité. Saint-Germain est en même temps assez près pour que ne se rompe pas la chaîne vitale des relations avec les éditeurs, les directeurs de journaux et de théâtres approvisionnant une caisse qui, quelque pactole qui s’y jette, reste toujours à l’étiage. "Je suis un panier percé, dit-il, mais ce n’est pas moi qui y ai fait les trous".

Mais c’est peut-être aussi un retour au pays natal que Saint-Germain lui offre, une image ressemblante de son Villers-Cotterêts : même calme vie provinciale, même château royal entouré d’une vaste forêt où le sauvageon, grand braconnier et chasseur devant l’éternel qu’il a été, aime encore à rêver.


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Un soir de cette fin de printemps, le 16 juin, de retour à pied de Versailles, où, sous prétexte de voir jouer les grandes eaux, il a fui la curiosité des boutiquiers de la rue Saint-Denis venus en nombre sur la terrasse de Saint-Germain dans l’espoir d’apercevoir le grand homme, il découvre, au soleil couchant, un coin de terre dominant une boucle de la Seine : ce lieu-dit de la commune de Port-Marly s’appelle les Montferrands. Aussitôt ébloui, aussitôt décidé : c’est là qu’il posera sa demeure. Tandis qu’il se lance dans une longue campagne d’acquisition des mille et une parcelles qui formeront son domaine, il convoque l’architecte Hippolyte Durand :

"- Mais M. Dumas, le sol est un fond de glaise, sur quoi bâtirons-nous le château?

- Vous creuserez jusqu’au tuf où vous construirez deux arcades de caves.

- Cela coûtera quelques centaines de mille francs.

- J’espère bien."

En attendant que s’élève, magnifique, le château rêvé, Dumas loue à Saint-Germain, rue du Boulingrin, la villa Médicis, à la lisière du parc :

"Je livrai à mes hôtes la maison depuis la cave jusqu’au grenier, l’écurie avec les quatre chevaux, la remise avec les trois voitures, le jardin avec son poulailler, son palais des singes, sa volière, sa serre, son jeu de tonneau et ses fleurs. Je ne me réservai qu’un petit pavillon à verres de couleur, à la muraille duquel j’avais fait adapter une table, et qui, l’été, me servait de cabinet de travail." (1)

Sous les regards effarés du jardinier François Augustin Michel, braconnier, zoophile, détenteur de recettes surprenantes, et de sa femme Augustine qui officie à la cuisine, s’agite un monde mêlé parmi lequel on peut distinguer Rusconi, vaguement secrétaire, franchement parasite, Alfred Letellier, le bon à rien de neveu, Alexandre Dumas le jeune, qui tente à son tour de voguer sur la vague littéraire, et des amis ou prétendus tels, des maîtresses de quelques heures ou de quelques mois. Non loin de là, de Croissy ou de Bougival, Maquet, le fidèle collaborateur, envoie une première version des romans, écrite selon un plan dressé de conserve ; Dumas les sable de la poudre d’or de son écriture avant que Michel ou un autre ne soit chargé de déposer au chemin de fer les précieux manuscrits à destination de tous les directeurs de journaux de Paris. C’est de la villa Médicis qu’ont pris leur essor ces merveilleux romans-feuilletons qui essaimeront par le monde : La Guerre des femmes, Vingt ans après, Le Comte de Monte-Cristo, Le Chevalier de Maison-Rouge, La Dame de Monsoreau, Joseph Balsamo, Les Quarante-Cinq...

A l’évidence, le désir de retraite n’a pas duré. Aucune des maisons de Dumas n’a été une thébaïde, pour la bonne raison que Dumas déplace avec lui le tourbillon, quand il n’en est pas l’origine. Le lieu où il habite tient toujours de l’abbaye de Thélème et du phalanstère, plaisir et travail liés sans organiation précise.

Saint-Germain a reçu le branle :

"Les habitants de Saint-Germain eux-mêmes, ces respectables sujets de la Belle au bois dormant, ne se reconnaissaient plus : j'avais communiqué à la ville un entrain que ses habitants avaient pris d’abord pour une espèce de fièvre endémique et contagieuse dans le genre de celle que produit la piqûre de l’araignée napolitaine. J’avais acheté le théâtre (2), et les meilleurs artistes de Paris, en venant dîner chez moi, jouaient de temps en temps, avant de s’asseoir à table, afin de se mettre en appétit, soit Hamlet (3), soit Mademoiselle de Belle-Isle, soit Les Demoiselles de Saint-Cyr, au bénéfice des pauvres (4). Ravelet n’avait plus assez de chevaux ; Collinet n’avait plus assez de chambres, et le chemin de fer m’avoua, un jour, une augmentation de vingt mille francs de recettes par an depuis que j’étais à Saint-Germain.

Saint-Germain était donc ressuscité ou à peu près ; Saint-Germain courait sa forêt à cheval, Saint-Germain allait au spectacle, Saint-Germain tirait sur ma terrasse des feux d’artifice qu’on voyait de Paris (5)."

Tant et si bien qu’à Louis-Philippe qui lui demande le moyen de galvaniser Versailles, son ministre Montalivet propose :

"Eh bien, sire, Dumas a quinze jours de prison à faire comme garde national : ordonnez que Dumas fasse ses quinze jours de prison à Versailles."

Cest pourtant lui, ce même Dumas, qui, élu commandant de la garde nationale de Saint-Germain, fait martialement manœuvrer sa petite troupe bourgeoise sur la Terrasse.

Pendant que Saint-Germain au bois dormant se réveillait, sur la colline de Port-Marly, le rêve monumental de l’écrivain s’achevait.

"Je n’ai rien à comparer à ce précieux bijou, si ce n’est le château de la reine Blanche dans la forêt de Chantilly, et la maison de Jean Goujon. Il n’appartient à aucune époque précise, ni à l’art grec, ni à l’art moyen-âge. Il a pourtant un parfum de Renaissance qui lui prête un charme particulier. On y voit un travail de moulures comme on n’en voit qu’aux plafonds mauresque de l’Alhambra ; c’est un enchantement de traits en creux, dont l’ensemble produit l’effet et le mirage de la guipure. Je fus frappé d’admiration." (6)

Une folie du temps de Louis XV, mais exécutée en style Louis XIII et avec des ornements Renaissance, à en croire Balzac qui décrit avec envie cette royale bonbonnière (7).

Ce château est plus qu’un rêve, c’est le signe tangible de l’empire d’Alexandre sur les lettres. Sur les façades court une frise de médaillons : Homère, Eschyle, Sophocle, Virgile, Plaute, Térence, Shakespeare, Dante, Lope de Vega, Corneille, Racine, Molière, Goethe, Schiller, Walter Scott, Byron, Victor Hugo, portraits d’aïeux ou de frères en esprit qui fondent sa légitimité.

Au dessus de la porte d’entrée, ses armes et sa devise : "J’aime qui m’aime".

La vie brève du château de Monte-Cristo, où Dumas, sa camarilla et sa ménagerie emménagent en juin 1847, les plâtres à peine secs, laisse croire que ceux qui l’aiment sont innombrables. Aussi a-t-il fait bâtir dans le parc un pavillon gothique, dévoué au travail et défendu par un pont-levis. Sur les murs sont gravés les titres de ses œuvres. Dès le petit jour, il s’installe à sa table de bois, vêtu d’un pantalon de coutil et d’une simple chemise. Quand un visiteur survient, il lui tend sa main gauche, sans cesser d’écrire. Si l’autre insiste, il pose sa plume pour bavarder. Il déjeune à onze heures d’un déjeuner frugal posé sur un guéridon : il fait pivoter sa chaise, mange rapidement, boit de l’eau de seltz avant de se retourner vers la table de travail. Pendant ce temps-là, les invités de sa table ouverte, littérateurs ratés, peintres dans le besoin, éternels parasites, s’empiffrent à ses frais. Il sort parfois sur la plate-forme du pavillon d’où il les observe un instant.

"- Pourriez-vous me présenter à ce monsieur là-bas ? lui demande un jour un de ses hôtes.

- Impossible ! je ne lui ai pas été présenté moi-même !"

La Révolution de février 1848 au cours de laquelle, revêtu de son uniforme de commandant de la garde nationale, Dumas a harangué la garde pour l’inciter à marcher sur l’Hôtel des Capucines, vide les théâtres et chasse le feuilleton du rez-de-chaussée des journaux, entraînant la chute de la maison Dumas. L’écrivain endetté disperse sa ménagerie, les singes au Jardin des Plantes, le vautour Jugurtha à son ami Collinet ; le château de Monte-Cristo est saisi, et finalement vendu le 22 mars 1849 à Jacques Antoine Doyen pour la somme dérisoire de trente mille cent francs, le dixième de ce qu’il a coûté.

Plus tard, en 1884, comme un acte de pitié filial, Alexandre Dumas fils viendra vivre près du château de Monte-Cristo qui avait vu le zénith de la gloire de son père, à Champflour, dans le haut du village rural de Marly-le-Roi. La jolie maison, entourée d’un grand parc, pouvait passer pour un héritage du père, mort sans un sou. En effet, elle lui avait été léguée par Adolphe de Leuven, le plus ancien des amis d’Alexandre Dumas père, celui qui lui avait donné le désir et la force de quitter la ville natale de Villers-Cotterêts pour conquérir Paris...

Claude Schopp

(1) Histoire de mes bêtes. Revenir au texte
(2) En février 1846, Dumas, par l’entremise d’un homme de paille, Doyen, loue le théâtre par un bail empythéotique de soixante ans. Revenir au texte
(3) La première représentation de son drame Hamlet, prince de Danemark le 17 septembre 1846 attire à Saint-Germain tous les critiques dramatiques de Paris, Théophile Gautier, Jules Janin, Gérard de Nerval à leur tête. Revenir au texte
(4) Les Demoiselles de Saint-Cyr sont données au bénéfice de la caisse de secours pour l’extinction de la mendicité le 23 juin 1846. Revenir au texte
(5) Mes mémoires, ch. CCXXX. Revenir au texte
(6) Léon Gozlan, "Le château de Monte-Cristo", L’Almanach comique, 1848. Revenir au texte
(7) Lettre pour Mme Hanska du 2 août 1848. Revenir au texte

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