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Titre Les Blancs et les Bleus

Année de publication 1874 (Michel Lévy)

Genre Théâtre (drame en cinq actes et onze tableaux - Châtelet, 10 mars 1869)

Collaborateur(s) -

Epoque du récit 1793

Résumé Décembre 1793 : l'ennemi est aux frontières. Venu étudier à Strasbourg, le jeune Charles Nodier est arrêté dans une auberge dont vient de s'enfuir le général Perrin décrété d'accusation : l'adolescent s'était coiffé du chapeau du général et amusé avec son sabre. Lors d'une échauffourée, des soldats républicains poursuivis par les Prussiens viennent se restaurer à l'auberge. Saint-Just qui y séjournait incognito les stigmatise (Acte I). Envoyé par la Convention pour rétablir l'ordre dans la ville et faire respecter le droit, le représentant du peuple enquête sur les agissements du responsable de la propagande, Tétrel, et de l'accusateur public Euloge Schneider ; il gracie un vieillard injustement condamné, et fait libérer Charles. Schneider, que les rumeurs qui courent à son sujet, ont décidé à se ranger, veut contraindre Clotilde Brumpt, la fille d'un émigré condamné à mort, à l'épouser (Acte II). Charles vient demander au général Pichegru de l'engager ; le jugeant trop jeune, Pichegru le prend pour secrétaire. Hoche, nommé général en chef des armées du Rhin, vient se mettre aux ordres de Pichegru, son aîné, qu'il vénère (Acte III). Clotilde prépare l'évasion de son père, mais Schneider la devance en exigeant qu'elle l'épouse sous peine d'une exécution immédiate. Dans la neige, Saint-Just rejoint l'armée du Rhin. Le fiancé de Clotilde, Raoul, se livre au représentant du peuple et lui révèle la forfaiture de Schneider (Acte IV). Les combats font rage sur le front du Rhin. Tout en menant avec Pichegru et Hoche les troupes françaises à la victoire, Saint-Just réunit les amants, sauve le père Brumpt du supplice et châtie l'infâme Schneider (Acte V).

Analyse Créée au Châtelet le 10 mars 1869, la toute dernière pièce de Dumas adapte à la scène une partie du roman du même titre publié deux auparavant. En 1857 il avait fait jouer, sous le seul nom de Charles Gabet, un drame en cinq actes tiré des Compagnons de Jéhu, peu de temps après la sortie du livre. Ainsi le début de la saga des Sainte-Hermine fut-il conçu longtemps après la première partie, à un moment où Dumas avait en tête ce qui restera son dernier livre, l'ultime épisode révélé par Claude Schopp récemment, Le Chevalier de Sainte-Hermine. Ce temps de latence, Dumas en rend compte dans l'avant-propos du roman : il avait emprunté l'idée des Compagnons de Jéhu à Nodier ; c'est aussi à Nodier, et en particulier à ses Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la révolution et de l'empire (1ère éd. 1831, revue en 1850) qu'il emprunte son nouveau sujet - mais il met aussi en scène dans cette histoire Charles adolescent. Ses scrupules, ses hésitations d'alors sont balayés par une émouvante lettre de Marie Ménessier-Nodier, la fille de son vieil ami. Le livre est dédié à titre posthume à Charles, qu'il appelle son "collaborateur" (il lui doit en particulier tout l'épisode des noces d'Euloge Schneider). Si Dumas écrit seul l'adaptation, l'ombre de l'ami disparu l'a accompagné dans son écriture. Comme le Chérubin de Beaumarchais, le jeune Charles, interprété au théâtre par Mme G. Gauthier, présent dans beaucoup de scènes de ce drame épique un peu décousu, lui donne une unité qu'il n'a peut-être pas à première vue ; par sa franchise un peu naïve et sa beauté il séduit tout le monde y compris l'impassible Saint-Just ; c'est à lui que le représentant du peuple au début donne une belle leçon de morale républicaine. Saint-Just est l'autre figure importante de ce drame patriotique dont le rideau final tombe sur les premières mesures de la Marseillaise. À propos de la prise de Toulon, qu'on annonce au moment où les troupes françaises passent la frontière prussienne, le nom de Bonaparte n'est pas cité dans la pièce - alors qu'il l'est dans le roman, mais le spectateur ne pouvait sans doute s'empêcher de rapprocher les deux jeunes chefs que tout opposait sans doute par ailleurs mais que Dumas, qui vient d'écrire La Terreur prussienne, convoque dans une sorte d'appel à l'unité nationale au moment d'une nouvelle montée des périls. Cependant, c'est un Saint-Just pétri de sensibilité rousseauiste, qui gracie deux émigrés et son ami Prosper surpris sans uniforme dans une ville en état de siège, un Saint-Just en tout point conforme à sa légende dorée d'archange de la révolution, au-dessus des bassesses, concussions et autres trahisons, Eisemberg, le lâche, Schneider, le fourbe, Pichegru enfin qui passera bientôt à l'ennemi. Mais Dumas voit plus loin, la grandeur de la France importe avant tout, et l'élan de l'histoire : il y a quelque chose de la mort des Girondins dans le convoi d'Eisemberg passant sous la fenêtre de Pichegru, Eisemberg qui prophétise comme les mourants dans Shakespeare, et Pichegru demeure malgré tout un personnage positif auquel Hoche vient faire sa soumission. Par-dessus tout l'ombre de l'échafaud hante le drame : Dumas l'abolitionniste reprend presque textuellement en une longue didascalie métaphorique le passage du roman où l'exécuteur des basses et hautes œuvres de Schneider décapite d'un coup de couteau le champagne des "noces" de son maître ; buvant à même le goulot ébréché, Schneider se blesse à la lèvre, le vin se mêle de sang, le verre de Charles Nodier reste vide. Jouée à la fin du second Empire, cette pièce aurait pu, comme La Barrière Clichy dix-huit ans plus tôt - une pièce dans laquelle il fait une double profession de foi, républicaine et bonapartiste - être qualifiée de "drame militaire" : les scènes de combat y abondent, surtout dans le dernier acte qui compte à lui seul 5 tableaux sur les 11 de la pièce, et déséquilibrent un peu l'ensemble. C'est sans doute la dernière pièce de ce "théâtre républicain" que Dumas évoque si souvent, et dont font partie Richard Darlington, Les Girondins, Catilina, et Léo Burckart. Et son testament politique. Le texte ne fut publiée qu'en 1874, chez Michel Lévy, et intégra la même année, le tome XXV et dernier du Théâtre complet.

François Rahier

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