Titre
Roméo et Juliette
Année de publication
1976 (rédigé vers 1864)
Genre
Théâtre (drame en cinq actes et en vers, d'après Shakespeare)
Collaborateur(s)
Paul Meurice (?)
Epoque du récit
Renaissance italienne
Résumé
Pendant qu'une nouvelle querelle éclate entre Capulet et Montaigu,
Roméo confie à Benvolio son mal d'amour ; pour le distraire,
celui-ci et Mercutio décident de l'entraîner, le soir, au
bal des Capulet. Pendant ce temps, la mère de Juliette annonce
à sa fille son désir de la marier au Comte Pâris.
Le soir, déguisé en pèlerin, Roméo tombe sous
le charme de Juliette (Acte I). Roméo et Mercutio s'introduisent
de nuit dans le jardin des Capulet : deuxième rencontre avec Juliette
et échange de promesses d'amour. Roméo demande au frère
Laurence de les unir, ce qui se fait le lendemain (Acte II). Mais une
querelle éclate à nouveau, au cours de laquelle Tybalt tue
Mercutio, puis meurt à son tour sous les coups de Roméo.
Celui-ci est alors banni de Vérone. Partagée entre la douleur
causée par la mort de son cousin et son amour pour Roméo,
Juliette passe la nuit avec le jeune homme (Acte III)
qui, au matin,
s'en va sur le chemin de l'exil. Suit une scène violente entre
Juliette et sa mère qui insiste à nouveau au sujet de Pâris.
Obtenant de rester seule un moment, Juliette rencontre le frère
Laurence qui lui propose d'user d'un subterfuge : ayant absorbé
un puissant narcotique, elle tombe comme morte (Acte IV). Mais le message
envoyé par Laurence à Roméo, qui devait retrouver
Juliette en train de s'éveiller dans le caveau des Capulet et fuir
avec elle, arrive trop tard. Croyant Juliette morte, il s'empoisonne à
ses côtés. Reprenant conscience, la jeune fille se poignarde
et le rejoint dans la mort (Acte V).
Analyse
Quatrième grand inédit du théâtre, après
la version Dumas de Léo
Burckart publiée en 1957 par Jean Richer, Ivanhoë
et Fiesque de Lavagna
révélés respectivement en 1974 et 1976 par Fernande
Bassan, Roméo et Juliette a fait
l'objet d'une édition confidentielle (à partir d'un stencil,
et donc d'un texte ronéotypé) aux éditions de l'Académie
tchécoslovaque des sciences en 1976. Dumas à Prague ? Il
n'y passa qu'une journée, le 4 janvier 1866, en route pour Dresde,
mais son souvenir y demeure très vivant. C'est toute l'histoire
que raconte Maria Ullrichová dans sa passionnante thèse
de doctorat soutenue en français et éditée à
Prague (Academia), intitulée En suivant
les traces d'Alexandre Dumas en Bohême. Par hasard, en 1949,
elle avait découvert au château de Kynvart, ancienne
propriété du prince Metternich, qui avait été
ambassadeur d'Autriche à Paris, tout un ensemble d'objets dumasiens,
canne, bureau, photos, mais aussi tableaux et romans de Marie-Alexandre,
la fille de Dumas et de Belle Kreilssamner. Elle fut attirée en
particulier par une énorme caisse de la "Chicorée des
dames", regorgeant de manuscrits, et en particulier d'à peu
près la moitié de Roméo
et Juliette (vers 1-1171). Nous étions après le "coup
de Prague", la Tchécoslovaquie était de l'autre coté
du rideau de fer, et il devenait très difficile à un chercheur
de se déplacer. Un réseau d'amitié mit à sa
disposition le Catalogue général de la Bibliothèque
nationale de Paris et les 301 volumes de la collection Michel Lévy
qu'elle compulsa pendant 15 ans, comparant ses 345 fragments avec les
textes publiés, traquant les inédits. En 1964, enfin, elle
put se rendre dans la capitale française, et découvrit,
à la BN, un autre manuscrit, presque complet cette fois, de l'adaptation
de Shakespeare, qu'elle put ainsi reconstituer scrupuleusement. Baptisé
poète par Talma "au nom de Shakespeare, de Corneille et de
Schiller", Dumas était fasciné par l'auteur anglais
depuis qu'il avait assisté en 1820 à une représentation
d'Hamlet dans la piètre traduction
de Ducis. Il traduisit à son tour Hamlet,
Prince de Danemark, avec Meurice, proposa à la Comédie-Française
un Macbeth refusé et perdu, et
fit jouer, en privé, à Saint-Germain-en-Laye, en 1846, un
Shakespeare et Dumas, inédit retrouvé
par Fernande Bassan. Selon Maria Ullrichová, Dumas tarda à
adapter Roméo car il n'avait pas
encore trouvé d'actrice susceptible d'incarner Juliette, jusqu'à
ce qu'il rencontre Adèle Anneste, à qui il proposa le rôle
(elle cite à ce propos le Neues Wiener
Tagblatt du 22 juillet 1874, annonçant la mort d'Adèle
et donnant des précisions sur le manuscrit de Roméo).
L'affaire ne se fit pas, Adèle conserva le manuscrit, qui passa
après sa mort en d'autres mains et se retrouva ensuite à
Prague dans des conditions restées obscures. Ce qu'on sait, c'est
qu'une grande partie de la collection Dumas du château de Kynvart
vient d'un don de Marie-Alexandre à Richard et Pauline Metternich
avec lesquels elle était liée d'une profonde amitié.
Mais il y eut d'autres manuscrits, tel celui dont Glinel prit une copie
chez Meurice, copie figurant aujourd'hui dans le fond Reed à Auckland.
Et Dumas, comme il le fit pour la Phèdre
perdue dont un extrait est repris dans Catilina,
s'amuse à citer ce Roméo
condamné à l'oubli, tout particulièrement à
l'acte I, 2ème tableau, scène 9 des Mohicans
de Paris, quand Rose-de-Noël déclame la tirade de Mercutio
sur la "Reine Mab", tirade qui figure - à une lettre
près - à l'Acte I, 1er tableau, du manuscrit autographe
déchiffré par la chercheuse tchèque (vers 361-403).
On retrouve d'autres extraits, parfois très longs, au chapitre
XLII de La San Felice.
Mais aussi dans les Souvenirs
d'une favorite, La Fille du marquis,
et jusque dans le Grand
dictionnaire de cuisine ! Comme pour Hamlet,
Dumas adapte davantage qu'il ne traduit, opte pour l'alexandrin, quand
Shakespeare mêle le vers et la prose, et surtout reconstruit l'architecture
scénique : aux 24 scènes de la tragédie originale,
auxquelles correspondent 24 décors, il substitue 12 tableaux, en
redistribuant les scènes. Il simplifie l'action également,
en particulier dans les deux derniers actes, supprimant aussi des comparses,
et renforçant l'intensité dramatique. Cette belle adaptation
aux accents romantiques a été reconstituée scrupuleusement
par Maria Ullrichová, qui va même jusqu'à comparer
les manuscrits qu'elle a retrouvés et la fameuse table de travail,
entreposée elle aussi à Kynvart, sur laquelle Dumas
avait écrit directement 161 vers de son adaptation de Shakespeare
! Bien sûr, il y a l'orthographe et la ponctuation très désinvoltes
de Dumas, quelques alexandrins boiteux, un vers impair et un de quatre
pieds... Mais cette édition, en l'état, est extrêmement
précieuse, tant il y a de manuscrits de Dumas encore inédits,
tout particulièrement en ce qui concerne le théâtre.
Le legs de Marie-Alexandre est toujours à Prague, mais il se trouve
maintenant... au Ministère de l'Agriculture.
François Rahier
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