Château de Monte Cristo, Le Port-Marly, vendredi
29 novembre 2002, 11 heures.
Ces chers amis,
Vous venez d'entendre l'éloge de notre ami Didier Decoin. C'est
lui qui, il y a un peu plus d'un an, proposa au Président de la
République l'entrée d'Alexandre Dumas au Panthéon.
C'est
lui qui demanda audience à Jacques Chirac, sollicitant l'aide de
Victor Hugo pour plaider la cause de l'auteur des Trois
Mousquetaires.
C'est lui qui, au nom de tous tes amis, Alexandre Dumas, alla demander
réparation.
Cette voix amie, chargée d'émotion, tu viens de l'entendre.
Elle s'est fait l'interprète de ces innombrables lecteurs pour
lesquels tu as écrit sans jamais les connaître et cependant
en les aimant.
Ecoute maintenant la voix de ceux qui n'ont cessé de te rendre
l'hommage que nos manuels scolaires t'ont toujours injustement refusé
:
Ecoute Lamartine, écoute Michelet, écoute Bainville, Victor
Hugo et George Sand, écoute Charles Nodier et Sainte-Beuve, écoute
Apollinaire, écoute Jean Cocteau, écoute plus près
de nous Jean Dutourd :
« Vous avez créé l'étonnement perpétuel »
« Je vous aime et vous admire parce que vous êtes
une des forces de la nature »
« Dumas, ce colosse d'invention et de force »
« Aucune popularité en ce siècle n'a dépassé
celle d'Alexandre Dumas. Ses succès sont mieux que des succès,
ce sont des triomphes ; ils ont l'éclat de la fanfare »
« Le Père Dumas n'a dû l'abondance de ses
facultés qu'à la dépense qu'il en a faite »
« Certes après Cervantès et la Sultane Shéhérazade,
vous êtes le plus amusant conteur que je connaisse. Quelle facilité,
quelle désinvolture ! Et quel bon enfant vous êtes
! »
« Je suis assuré de ne jamais mourir dans la mémoire
des hommes parce que j'ai été l'ami de Dumas »
« Tout le monde connaît la verve prodigieuse de Monsieur
Dumas, son entrain facile, son bonheur de mise en scène, son
dialogue spirituel et toujours en mouvement, ce récit léger
qui court sans cesse et qui sait enlever l'obstacle et l'espace sans
jamais faiblir. Il couvre d'immenses toiles sans jamais fatiguer ni
son pinceau, ni son lecteur. »
Ecoute, Alexandre Dumas, le poète se souvenir de tes romans comme
on découvre l'énormité de la mer et s'exclamer :
« Merveilleux Dumas ! ».
Ecoute son frère devant ton œuvre pourtant échevelée
déclarer : « On n'a jamais mieux natté l'imagination
et l'histoire ».
Ecoute l'un de nos académiciens donner la parole à l'enfant
inconsolable que nous n'avons jamais cessé d'être : «
Un des grands chagrins de ma vie est la mort de Porthos dans Le
Vicomte de Bragelonne ».
Parmi les innombrables admirateurs qui prirent la relève de tes
contemporains imaginais-tu que certains d'entre eux seraient cinéastes
et enseigneraient à des milliers de jeunes spectateurs de par le
monde l'insolence et l'amitié ?
Toi qui racontas l'Histoire de France en la rêvant, imaginais-tu
qu'un jour tu reviendrais à Port-Marly et que son Maire, Philippe
Genin, serait là pour t'accueillir, entouré d'élus
et de personnalités sérieux et graves comme ils ne le furent
jamais quand ils te lisaient ?
Toi dont Victor Hugo apprit la mort par les gazettes allemandes, imaginais-tu
qu'un jour le Président de la République s'apprêterait
à te rendre l'hommage solennel de la France sur le parvis du Panthéon
?
Imaginais-tu qu'un jour, dans ta propriété de Monte Cristo,
les personnages que tu fis sculpter dans la pierre te veilleraient ?
Imaginais-tu que ton cabinet de travail, avec les quatre-vingt huit titres
que tu y fis graver, te serait une des plus belles stèles funéraires
dont un écrivain pût rêver ?
C'était la vie ici, tumultueuse et généreuse. Celle
dont Arthur Rimbaud n'eut sans doute jamais idée. Non pas la vraie
vie, désespérément absente, mais à coup sûr
la belle vie, la vie débordante.
Il ne reste plus que le murmure éternel des sources qui ruissellent
de la colline, ce murmure indifférent aux questions des hommes
et que tu écoutais les yeux fermés pour mieux l'entendre.
Ces yeux merveilleusement jeunes qui faisaient dire à ton fils
: « J'ai l'honneur de vous présenter Monsieur mon Père,
un grand enfant que j'ai eu quand j'étais tout petit ».
Ces yeux sont définitivement fermés depuis longtemps.
Que pouvions-nous faire, pauvres mortels ?
L'homme n'a aucun pouvoir contre la mort. Contre l'oubli en revanche il
a un devoir, un devoir sacré.
Menacée de destruction par une opération immobilière,
« cette folie à la campagne », comme tu l'appelais,
doit sa survie à la ténacité et à l'amour
de « La Société de tes Amis », à
la persévérance aussi des élus du Pecq, de Marly-le-Roi
et de Port-Marly qui, alertés par eux, créèrent un
syndicat intercommunal et rachetèrent la propriété.
Tu n'as, Alexandre Dumas, jamais fermé la porte à qui que
ce soit, ce sont les dettes et le temps qui s'en sont chargés.
Tous ensemble, nous l'avons rouverte, grande ouverte.
Toi qui t'es battu contre le racisme, contre la peine de mort, contre
ces fermetures à double tour de l'esprit et du coeur, toi qui as
lutté pour la liberté des peuples, nous voulions que, sur
le chemin de Villers-Cotterêts à Paris, tu prennes le temps
de ce détour par les Yvelines pour constater que nous avions tous
bien compris que cette porte ouverte avait chez toi, quotidiennement,
force de symbole.
Demain la Garde Républicaine t'escortera jusqu'à Paris.
Pour l'heure, accepte que tous ceux que tu as fait rêver et voyager
franchissent le seuil de Monte Cristo et déposent devant ton cercueil
l'hommage de leur infinie reconnaissance.
Alain Gournac
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