Le fils de la nuit Vous êtes ici : Accueil > Œuvre > Dictionnaire des œuvres
Page précédente | Imprimer

Titre Le fils de la nuit ou Le pirate

Année de publication 1856

Genre Théâtre - drame en trois journées et un prologue (Porte-Saint-Martin, 11 juillet 1856)

Collaborateur(s) Gérard de Nerval, Bernard Lopez, Victor Séjour

Epoque du récit 1502 (prologue) puis 1522 (drame)

Résumé L'histoire se déroule pendant les guerres d'Italie, au moment où des luttes intestines ravagent les Deux-Siciles; partisans et adversaires de l'Aragon, qui occupent le pays depuis deux siècles, s'opposent, et la France et l'Espagne interviennent.

Avec la complicité de sa maîtresse Ghébel, le comte d'Orbani substitue à l'enfant du patriote Scylla, dont elle est la nourrice, leur propre fils, Donato. Quand Scylla est tué, sa veuve, Julia, recueille le bébé, qui sera élevé comme un prince, tandis que le fils de Scylla est abandonné à des pirates levantins qui le recueillent et le baptisent Ben-Leïl, «le fils de la nuit» (Prologue).

Vingt ans après, Donato, corrompu, débauché, assassin, s'apprête à régner sur Naples; il ne lui manque plus que l'affirmation officielle de son allégeance à l'occupant, et la main de Myrtha, fille du comte de Montefiore allié aux Espagnols. A cette occasion, Julia s'oppose à celui qu'elle croit son fils. Pendant ce temps, Ben-Leïl et ses pirates écument la péninsule. Le jeune homme s'éprend aussi follement de Myrtha; il l'enlève (1ère journée).

Il l'emmène dans son repaire. La jeune fille hésite encore, partagée entre son devoir filial et la fascination qu'elle éprouve pour le pirate. Assiégés dans leur île, rattrapés en pleine mer par Donato et ses hommes, la plupart des pirates sont tués, et Ben-Leïl tombe aux mains de son pire ennemi (2ème journée).

Alertée par une suivante qui croit reconnaître en lui le véritable fils de Scylla, Julia rencontre Ben-Leïl dans la cellule où il attend la mort. Tout l'attire en ce jeune homme, et tout en elle se refuse à voir en Donato son véritable fils. Elle intrigue pour qu'on le libère, et cherche à faire avouer à la vieille nourrice sa forfaiture. Au moment où Donato va publiquement s'incliner devant le vice-roi d'Espagne, Ben-Leïl surgit comme le fantôme de son père et démasque l'imposteur. Donato boit le poison que Ghébel avait préparé pour Julia. Le vice-roi fait grâce au Fils de la Nuit (3ème journée).

Analyse C'est l'une des dernières œuvres du duo Nerval-Dumas, à qui l'on doit L'alchimiste et surtout Léo Burckart. Encore s'agit-il d'une collaboration posthume.

Après le projet d'un Faust avec Liszt et Dumas, Nerval entreprend en collaboration avec Bernard Lopez ce drame, d'abord intitulé Le pirate. Mais il se suicide le 26 janvier 1855. Quelques mois plus tard est créée sa dernière pièce, Misanthropie et repentir, d'après Kotzebue.

Entre temps, la Porte-Saint-Martin accepte la pièce, et demande un prologue. Lopez fait appel à Dumas, parce qu'il a déjà travaillé avec Nerval. Très vite cependant, Dumas rend son tablier. Et c'est Victor Séjour qui reprend ce drame avorté, le «corrige», en change le titre et le fait jouer sous son nom.

On sait que Lopez n'avait pas apprécié les modifications apportées par son successeur. On ignore la part exacte prise par Dumas; surchargé de travail sans doute, mais aussi harcelé par ses créanciers, il ne signait pas toujours des œuvres pour lesquelles sa paternité est maintenant établie. Mais la dédicace de Séjour à Dumas est parlante: «Si l'œuvre est indigne de vous, la pensée qui me l'a inspirée ne vous est pas étrangère», écrit-il.

Bernard Lopez a déjà travaillé avec Nerval; ils ont cosigné un avatar de Faust, L'Imagier de Harlem ou la Découverte de l'imprimerie, «drame-légende» joué en 1852. On retrouvera son nom pour La veillée allemande, drame en un acte, d'après Kotzebue, joué au Théâtre de Belleville le 21 novembre 1863, que Dumas ne signera pas pour les raisons que l'on vient d'évoquer.

Seul auteur crédité, Juan Victor Séjour Marcou et Ferrand (1817-1874), a déjà fait jouer plusieurs pièces, comme Le Juif de Séville ou Richard III. On ne lui connaît pas d'autre collaboration avec Dumas. Mais sa personnalité est extrêmement intéressante. Qu'on en juge: né à La Nouvelle-Orléans d'un père haïtien et d'une mère métisse, il publia à Paris, à vingt ans, Le mulâtre, un réquisitoire contre l'esclavage que l'on considère comme la première œuvre connue écrite par un afro-américain.

La proximité de leurs origines – le général Dumas était né à Saint-Domingue devenu depuis Haïti, et avait connu la condition d'esclave –, leur sensibilité commune aux questions de l'esclavage et du sang mêlé, a fait sans doute que leur rencontre ne relève pas du pur hasard. Conjuguant leur singularité, les deux écrivains ont mis beaucoup du leur dans la figure de Ben-Leïl, dont le portrait est empreint d'une forte sensibilité romantique.

Ben-Leïl, en effet, est un frère de Yacoub ou d'Antony, un bâtard magnifique comme Dumas en met souvent en scène. C'est en même temps un «déshérité» façon Nerval, portant haut «le soleil noir de la mélancolie» (cf. El desdichado publié dans Le Mousquetaire en 1853: «Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé...»).

C'est aussi, du moins le croit-il, un «levantin», comme tel victime du racisme des napolitains qu'il voue aux gémonies. La figure de Ben-Leïl est le meilleur de ce qui reste tout de même une pièce ratée. Composée en trois «journées», une coquetterie dramatique empruntée à la «comedia» espagnole du siècle d'or que Hugo avait exhumée dans les années 1833-1835 pour Marie Tudor et Angelo, tyran de Padoue, précédée d'un prologue aussi long que la première journée, l'œuvre est déséquilibrée. Les 2ème et 3ème journées, très courtes, occupent le tiers restant, accumulent les péripéties au détriment de l'intensité dramatique, sans grande vraisemblance. L'œuvre, composite, se ressent beaucoup de son ascendance compliquée. A la fin, cependant, le retour du ténébreux Ben-Leïl rachète l'ensemble.

Sur le plan historique, le drame évoque avec quelques à peu près la situation des Deux-Siciles (la Sicile péninsulaire, c'est-à-dire le royaume de Naples, et la Sicile insulaire) au moment des guerres d'Italie. S'il y a bien eu un Frédéric II qui régna sur la Sicile péninsulaire, de 1496 à 1504, et se trouvait l'héritier de la vieille dynastie angevine, c'était Ferdinand II, et non Ferdinand V, qui régnait alors sur la Sicile insulaire. Les Scylla ont donné des princes à la Sicile, quelquefois cités par Dumas dans d'autres œuvres. Mais Scylla est aussi bien sûr dans la mythologie le nom de cet écueil situé sur le littoral calabrais qui fait face de l'autre côté du détroit de Messine au gouffre de Charybde.

Ben-Leïl, qui signifie bien «le fils de la nuit» en arabe, est aussi le titre d'un opéra d'Anton Berlijn (pseudonyme d'Aron Wolf, 1817-1870), peut-être une adaptation.

Il existe enfin une lettre autographe de Victor Séjour à Dumas, datée du 3 juillet 1856 et conservée dans le Fonds Glinel au château de Monte-Cristo (côte *114 LAS).

François Rahier
(2007 - màj 2011)

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente