Titre
Le Corricolo
Année de publication
1843
Genre
Récit de voyage
Collaborateur(s)
-
Epoque du récit
1835
Résumé
Succédant chronologiquement au Speronare
(Sicile) et au Capitaine
Aréna (Iles Eoliennes et Calabre), Le
Corricolo conclut les Impressions de
voyage dans le Royaume de Naples par la découverte de sa
capitale, à l'époque troisième ville d'Europe après
Londres et Paris. Le titre se réfère au véhicule
employé par Dumas et son compagnon, le peintre Jadin, dans cette
folle équipée : une fragile petite voiture charriant
une quinzaine de passagers parasites tirée par des chevaux en toute
fin de carrière. Le tableau du corricolo dressé dans l'introduction
est en soi une vraie promesse...
Fidèle au genre des Impressions de voyage,
mais démultiplié par la prodigieuse énergie vitale
de la ville de Naples, Le Corricolo est
un véritable festival d'anecdotes, d'historiettes, de portraits,
de bons mots et de promenades.
On y apprend ainsi qui était Domenica Barbaia, terrible et débonnaire
impresario du théâtre San Carlo, et de quel subterfuge il
usa pour forcer l'indolent Rossini à composer Othello.
On y découvre ce qu'est la "jettatura", le mauvais il
napolitain, illustrée par le Prince de ***, fameux jettatore, incroyable
porteur de poisse et causeur de cataclysmes... On y rencontre le roi Nasone,
plus tard longuement évoqué dans La
San Felice.
Saint Janvier, patron de la ville, a droit à son portrait en règle
et à la description - spectaculaire - de son célèbre
miracle (la liquéfaction de son sang deux fois par an, qui se perpétue
de nos jours). Dumas se fait aussi sociologue, en nous apprenant ce qu'est
le lazzarone : "comme il n'a pas de poches, on trouve éternellement
sa main dans les poches des autres". Et la galerie de portraits ne
s'arrête pas là : monsignori, moines, brigands, lazzaroni,
princesses... C'est tout un petit monde haut en couleur qui s'agite et
qui grouille dans la grande fourmilière napolitaine. Il n'y a pas
jusqu'à l'aubergiste de Dumas, Martin Zir, hôtelier et antiquaire,
qui ne donne droit à un portrait sur lequel on s'esclaffe.
Mais Le Corricolo donne lieu aussi à
quelques digressions historiques. Sur l'Antiquité évidemment
(les environs s'y prêtent), mais aussi sur des événements
plus récents, comme la révolte de Masaniello contre les
vices-rois espagnols en 1647. Les excursions se succèdent :
la visite de Pompéi et Herculanum s'impose, et elle est sous la
plume de Dumas très vivante et didactique (n'était la "réfutation
des dix systèmes sur la Grande Mosaïque", ennuyeuse au
possible). On découvre aussi le volcan de la Solfatare et les Champs
phlégréens, dont le bouillonnement tellurique n'est pas
sans effrayer Milord, le bouledogue de Jadin, lui aussi du voyage...
Mentionnons enfin La
Villa Giordani, une vraie nouvelle à l'intérieur du
récit, sur fond de passion, de jalousie et de lave vésuvienne,
dont la matière aurait probablement inspiré un Stendhal...
Analyse
Le Corricolo est d'abord un éclatant
pied de nez au régime bourbonien. Le républicain Dumas s'étant
vu en effet refuser son visa à l'ambassade napolitaine à
Rome, c'est sous un faux nom (celui de Guichard, peintre et pensionnaire
de la Villa Médicis), et donc dans la plus parfaite illégalité,
qu'il voyage dans les Deux-Siciles. Quand on sait que la transgression
est la seule règle qui vaille à Naples, on réalise
que Dumas est d'avance au diapason.
On ne tarde pas d'ailleurs à s'apercevoir combien il est chez lui
à Naples, qui lui tend comme le troublant miroir de sa personnalité.
Pas étonnant par conséquent que l'exploration de la cité
et la très pertinente observation de ses habitants et de leurs
murs donnent lieu à des morceaux on ne peut plus dumasiens.
Le mouvement, la vitesse et la mise en scène, si caractéristiques
de l'écrivain, trouvent un cadre exceptionnel dans cette ville
toujours mouvante, dans le labyrinthe de ses venelles comme dans ses profondeurs
magmatiques. L'extraordinaire bouillonnement de la tribu napolitaine est
saisi d'une manière remarquable et comme naturellement par Dumas.
En effet, comment rester insensible à la verve de notre voyageur
? La dérision, l'auto-dérision, le grotesque des situations,
la drôlerie des dialogues, tout cela est rendu avec un humour irrésistible.
Notons au passage que Dumas se plaît souvent à railler les
savants et les académies, avec quelques mots bien sentis qui ridiculisent
d'un seul trait le pédant.
La richesse du récit n'étant pas discutable (Dumas écrit
presque dix ans après le voyage et a eu le temps d'enrichir ses
sources), signalons tout de même deux manques. Le
Corricolo est un livre complètement baroque dans son esprit,
mais étrangement l'architecture baroque napolitaine en est absente.
Il est vrai que ce style n'était point en grâce chez les
Français à l'époque, et pour Dumas, "les églises
de Naples sont d'un goût fort médiocre"... De plus,
à propos d'opéra (Barbaia, le San Carlo, Rossini...), on
regrette de ne rien lire sur les castrats, phénomène majeur
de la musique napolitaine jusqu'à la fin du XVIIIème siècle,
qui aurait à coup sûr pu inspirer à Dumas de savoureuses
chroniques.
En définitive, entre Dumas et Naples, c'est bien d'un coup de foudre
qu'il s'agit, et qui fait du Corricolo
un des récits les plus riches, drôles et attachants de la
série des Impressions de voyage.
Malgré un départ précipité (Dumas est démasqué
par les autorités et expulsé après seulement trois
semaines de séjour), la passion reprendra, bien plus tard, en 1860,
pendant les quatre années que l'auteur passera sur place (voir
La San Felice).
Pour conclure, soulignons que Le Corricolo
reste assurément aujourd'hui la meilleure introduction qui existe
à un voyage à Naples.
Noël Lebeaupin
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