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Turbot


Juvénal a d'un seul coup et dans la même satire illustré l'empereur Domitien et le turbot pour lequel il convoquait le Sénat ; une grande séance eut lieu, mais la chose était si importante que les Pères conscrits se séparèrent sans décider à quelle sauce serait mis le monstrueux animal. A défaut de la décision du Sénat romain, nous avons celle de Vincent de la Chapelle, vénérable Père conscrit de la cuisine française, et d'après ce que nous savons de la cuisine antique, nous n'aurons pas trop à regretter que, cette fois comme tant d'autres, l'honorable assemblée ait fait buisson creux. A la place du turbot de Domitien, qui ne se trouve pas tous les jours, s'il faut en croire la description de Juvénal, prenez le plus beau et le plus grand turbot sans tache que vous puissiez trouver, surtout qu'il soit très épais, très blanc et très frais ; fendez-le jusqu'au milieu du dos, plus près de la tête que de la queue, et de la longueur de trois à quatre pouces, mais plus ou moins, selon sa grandeur ; relevez-en les chairs des deux côtés ; coupez-en les arêtes, de la longueur de l'ouverture ; supprimez-en trois ou quatre noeuds ; arrêtez la tête avec une aiguille à brider et de la ficelle passée entre l'arête et l'os de la première nageoire ; frottez votre turbot avec du jus de citron ; mettez-le dans une turbotière où vous le mouillerez avec une bonne eau de sel et une ou deux pintes de lait ; joignez à cela deux ou trois écorces de citrons en tranches, desquels vous aurez ôté la chair et les pépins ; faites-le partir sur un feu assez vif, si vous êtes en été, car le menant alors à un feu trop doux, vous risqueriez de le voir se dissoudre en morceaux. Dès que votre assaisonnement commencera à frémir, couvrez le feu et laissez cuire votre turbot sans le faire bouillir ; couvrez-le d'un papier beurré et laissez-le dans son assaisonnement jusqu'au moment de le servir : un demi-quart d'heure avant, égouttez-le ; arrangez une serviette sur le plat, garnissez-la en dessous avec des bottes de persil, afin que votre turbot soit posé droit et que le milieu rebondisse sur le plat ; faites-le glisser dessus ; coupez très également avec de gros ciseaux celles de ses barbes qui pourraient être décharnées, ainsi que le bout de la queue ; mettez autour de votre turbot du persil en branche, et s'il avait quelques déchirures, masquez-les avec du persil ; servez à côté d'une saucière garnie d'une sauce blanche, avec des câpres, et d'une saucière garnie d'une sauce piquante ou au coulis gras, ou au jus de poisson, ou une bonne hollandaise.
On doit ajouter ce qui suit à cette bonne prescription de Vincent de la Chapelle : servez, avec un relevé de turbot, une sauce hollandaise ou bien une sauce aux huîtres, une sauce aux tomates au gras, une sauce blanche au raifort épicé, et de préférence à toutes les autres, une sauce au beurre de homard et au hachis de ce poisson.


Turbot à l'anglaise.
Les Anglais, naturellement grands mangeurs de poisson, ont pour chaque espèce des sauces arrêtées d'avance avec lesquelles ils le servent invariablement.
Ainsi, avec le turbot, on mange généralement une sauce homard ou une sauce crevette ; avec le saumon bouilli, une sauce au persil, souvent accompagnée d'une salade de concombres ; avec le cabillaud, une sauce aux huîtres : cette sauce est rigoureusement exigée par les gourmets ; avec le merlan, une sauce aux oeufs ; avec les maquereaux bouillis, une sauce au persil ou une sauce aux groseilles à maquereau ; avec les poissons frits, merlans, truites, éperlans, soles, une sauce au beurre d'anchois.
Choisir un turbot frais, blanc, épais, le vider et l'ébarber tout autour et le fendre sur le côté noir, tout le long de l'arête principale ; le déposer alors dans un grand vase d'eau froide pour le faire dégorger pendant une heure, l'égoutter, lui brider la tête, le poser sur la grille d'une turbotière en l'appuyant sur le côté noir, le saupoudrer avec une poignée de sel et le mouiller à couvert avec de l'eau froide ; poser la turbotière sur le feu vif, pour faire bouillir le liquide ; au premier bouillon le retirer sur le côté et le tenir ainsi pendant quarante à cinquante minutes au même degré, sans cependant le faire bouillir.
D'autre part, cuire un homard à l'eau salée, le laisser refroidir, en retirer les chairs de la queue entière, sans endommager la coquille, couper ces chairs en tranches, les déposer dans une petite casserole, couper les parures, ainsi que les chairs des pattes en petits dés, et les tenir également à couvert : préparez une sauce au beurre bien lisse ; quand elle est finie, lui adjoindre le salpicon de homard et la tenir au bain-marie. Au moment de le servir, égoutter le turbot, le débrider et le glisser sur un large plat dont le fond est couvert avec une planche de forme ovale ; percez deux trous et masquez avec une serviette.
Il n'est presque pas nécessaire de dire que la surface blanche du turbot doit se trouver en dessus. Posez le homard cuit sur le centre du turbot, dressez aussitôt sur la coquille du homard les chairs de la queue découpées en tranches, et traversez l'épaisseur de la coquille avec un hâtelet garni de deux écrevisses et une truffe ; entourez le turbot avec des feuilles de persil, envoyez la sauce séparément.

Kadgiori de turbot.
Ce mets, d'origine indienne, se sert aujourd'hui communément en Angleterre, qui semble être devenue une dépendance indienne.
Lever les filets d'un petit turbot cru, les couper en gros dés, les faire revenir avec du beurre et à feu vif pendant deux minutes seulement, les assaisonner et retirer la casserole du feu ; hacher un oignon, le faire revenir avec du beurre sans prendre couleur, y mêler cinq cents grammes de riz lavé et égoutté pendant une heure sur un tamis ; quelques secondes après, le mouiller trois fois sa hauteur, avec du bouillon de poisson, le cuire à feu vif pendant dix à douze minutes, puis retirer la casserole et la tenir à la bouche du four jusqu'à ce que le riz soit à peu près sec, lui mêler alors les filets de turbot, les saupoudrer d'une pincée de Cayenne, verser sur eux quelques cuillerées à bouche de sauce, ainsi que trois oeufs durs hachés, et enfin un morceau de beurre divisé en petites parties ; le dresser aussitôt sur un plat creux, et l'arroser avec du beurre cuit à la noisette.

Pâté chaud de turbot à la danoise.
Prendre un petit turbot frais et cru, ou simplement une moitié, si une moitié suffit au nombre des convives ; détacher les chairs de l'arête et les couper transversalement en filets longs, ayant deux ou trois centimètres d'épaisseur, déposer ces filets dans une terrine, les assaisonner avec sel et épices, cuire cinq à six oeufs durs, les couper en quartiers, les assaisonner de sel et de poivre, les saupoudrer avec du persil et les tenir à couvert.
Tamiser quatre ou cinq cents grammes de grosse semoule, sans y laisser aucune partie de farine ; y mêler deux jaunes d'oeufs l'un après l'autre en la frottant entre les mains, l'étaler ensuite sur un plafond et la faire sécher à l'étuve, la frotter encore en brisant les grumeaux, et la cuire à l'eau salée en la tenant consistante et sèche ; hacher séparément deux oignons blancs, une poignée de persil vert, huit à dix champignons comestibles frais ; faire revenir l'oignon dans une casserole avec du beurre, mais sans prendre couleur, lui adjoindre les champignons, les faire revenir aussi jusqu'à ce qu'ils aient réduit leur humidité ; saupoudrer alors les fines herbes avec une cuillerée à bouche de farine, les mouiller avec un demi-verre de vin blanc, ajouter une feuille de laurier, et tourner la sauce jusqu'à l'ébullition pour la cuire pendant quelques minutes ; lui additionner ensuite le persil haché et les filets de turbot, couvrir la casserole, donner deux bouillons à la sauce, la retirer sur le côté du feu, la tenant ainsi pendant cinq minutes, laissant refroidir la sauce et le poisson tout ensemble.
Préparer une pâte feuilletée avec cinq cents grammes de bonne farine et deux cent cinquante grammes de beurre ou de graisse, lui donner six tours, la laisser reposer, en retirer le quart et abaisser le reste avec le rouleau dans la forme d'un carré long, en lui donnant de trente à trente-cinq centimètres de largeur et le double de longueur, enrouler la pâte autour pour l'étaler sur une plaque en la déroulant ; l'humecter tout autour, puis étaler sur son centre une couche un peu épaisse de semoule cuite et refroidie, en lui donnant aussi la forme d'un carre long mais beaucoup plus étroit que l'abaisse ; sur cette couche ranger les filets de poisson en les entremêlant avec les fines herbes, les oeufs durs, ainsi que deux douzaines d'huîtres blanchies ; masquez cet appareil en dessus et sur les côtés avec le restant de la semoule, donnez au corps du pâté une forme bombée et régulière ; relever aussitôt la pâte des côtés sur le haut pour le masquer, relever également la pâte sur les bouts pour les replier sur le pâté en les appuyant et en les soudant ; humecter le dessus de la pâte, abaisser le feuilletage tenu en réserve en forme de carré long, le poser sur le pâté de façon à l'envelopper presque entier, dorer la surface avec des oeufs battus, faire une cheminée sur le centre afin de donner du dégagement à la vapeur ; puis avec la pointe du couteau tracer un petit dessin sur la surface de l'abaisse, pousser le pâté au four modéré, le couvrir avec du papier en ficelant celui-ci, le cuire pendant une heure un quart.
Dans l'intervalle, faire blanchir deux douzaines d'huîtres avec un verre de vin blanc ; avec la tête, les arêtes de poisson, du vin et des légumes, préparer la valeur d'un litre de bouillon, et avec celui-ci, ainsi qu'avec la cuisson des huîtres, marquer une petite sauce blonde, la lier avec trois jaunes d'oeufs, la finir avec du beurre, persil haché et jus de citron, lui additionner les huîtres, et l'envoyer en même temps que le pâté.

Turbot à la crème gratinée.
Faire cuire à l'eau salée la moitié d'un turbot, l'égoutter de sa cuisson, lui enlever ses arêtes depuis la première jusqu'à la dernière et le côté noir de sa peau ; diviser les chairs en portions coupées d'avance, les ranger l'une à côté de l'autre sur un plat creux, les saupoudrer avec une pincée de champignons hachés et cuits, les masquer aussitôt avec quelques cuillerées à bouche de bonne béchamel, réduite et assaisonnée ; monter l'appareil en dôme, le masquer aussi en dessus avec la sauce, le saupoudrer avec de la mie de pain, l'arroser avec du beurre fondu, enfin le pousser au four vif pour lui faire prendre couleur pendant dix à douze minutes, et, en sortant le plat du four, le poser sur un autre plat. N'oubliez pas une bordure de purée de pommes de terre à l'oeuf.

Turbot à la Régence. ancienne formule du Palais-Royal.
Faites cuire dans une casserole deux ou trois livres de veau en tranches, bardées de lard avec sel et poivre, persil en bouquet, fines herbes, oignons piqués de clous de girofle et deux feuilles de laurier ; faites suer ; le tout étant attaché, mettez du beurre frais avec un peu de farine. Le roux fait, mouillez avec du bouillon, détachez le fond avec la cuiller, bardez le turbot, et faites-le cuire avec une bouteille de vin de Champagne ou autre vin, avec le jus de veau et le veau par-dessus ; étant cuit, laissez-le mitonner sur des cendres chaudes, dressez-le ; servez dessus un ragoût d'écrevisses et liez d'un coulis d'écrevisses.

Turbot matelote normande.
Fendez par le dos un jeune turbot, séparez les chairs de l'arête, mettez entre la chair et l'arête une bonne maître-d'hôtel crue ; coupez six gros oignons en petits dés, ayez un plat d'argent de la grandeur de votre turbot, mettez des oignons par-dessus avec un bon morceau de beurre assaisonné de sel, gros poivre, thym, laurier en poudre, persil haché et un peu de muscade râpée ; mettez votre turbotin sur vos oignons, poudrez-le de sel, ajoutez-y du citron et un peu de beurre fondu, mouillez d'une bouteille de bon cidre mousseux, mettez votre plat sur un petit fourneau couvert d'un four de campagne à feu très doux. Arrosez pendant la cuisson.

Turbot gratiné au fromage de Parme.
Votre turbot cuit au court-bouillon et refroidi, enlevez-lui les peaux et les arêtes, et mettez-en les chairs dans une béchamel maigre, faites chauffer le tout sans le faire bouillir dressez, sur un plat qui puisse aller au feu, saupoudrez-le de mie de pain mélangée de parmesan râpé, arrosez-le avec du beurre fondu, posez-le sur un feu doux, et faites-lui prendre couleur sous un four de campagne.

Turbotin sur le plat.
Videz, lavez, égouttez un, deux ou trois turbotins ; fendez-leur le dos, étendez du beurre dans le fond d'un plat, saupoudrez-le d'un peu de sel et de fines herbes hachées ; posez vos turbotins sur le plat, panez-le avec de la chapelure de pain et des fines herbes, un peu de sel en poudre et d'épices fines ; arrosez- les légèrement de beurre fondu ; mettez dessous du vin blanc en suffisante quantité ; faites-les partir sur un fourneau, mettez-les sous un four de campagne ou dans un grand four, si vous en avez la commodité ; assurez- vous de leur cuisson en posant le doigt dessus : ils seront cuits s'ils ne vous résistent point ; servez-les avec leur mouillement, ou égouttez-les et servez-les avec une italienne.

Mayonnaise ou salade de turbot.
Parez, coupez en rond les filets d'un turbot de desserte, mettez-les dans un vase, assaisonnez-les de sel, de gros poivre, de ravigote hachée, d'huile et de vinaigre à l'estragon, dressez vos filets en couronne sur votre plat avec une guirlande d'oeufs durs, décorez-les de filets d'anchois, de cornichons, de feuilles d'estragon, de truffes, de betteraves et de câpres ; mettez de jolis croûtons de gelée autour de votre plat et au milieu une mayonnaise ou, pour mieux faire, une sauce verte.

Filets de turbot à la bigarade.
Levez les filets d'un turbotin ; après les avoir coupés en aiguillettes, faites-les mitonner avec un jus de citron, sel, gros poivre, un peu d'ail ; au moment de servir égouttez sur un linge blanc, farinez-les, faites-les frire d'une belle couleur, dressez-les sur un plat, et servez-les sur une sauce au coulis de poisson et au jus d'oranges amères.

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