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Madeleine


Nom d'une sorte de poire estivale.
On donne aussi ce nom à une excellente espèce de pêche autrement nommée paysanne et double de Troyes. Deux particularités la distinguent, elle est sujette à devenir jumelle, et les fourmis en sont très friandes.

Madeleine.
Quant à l'excellent gâteau qu'on appelle aussi madeleine et qui mérite bien la grande réputation dont il jouit, il est arrivé à un de nos amis une petite aventure que nous allons raconter.
Il y a quelques années, un de nos amis se rendait à Strasbourg, et comme il voyageait en touriste, il s'arrêtait volontiers dans les villes et les villages qu'il traversait pour s'y reposer d'abord, ensuite pour observer les différentes moeurs et coutumes des habitants.
Un jour il s'était remis en route un peu tard, croyant gagner avant la nuit la prochaine ville où il devait se reposer, mais il avait beau se hâter, il n'apercevait aucune trace indiquant une habitation quelconque ; enfin, vers onze heures, il aperçut au clair de la lune la flèche sombre et élancée d'une église.
Tout était noir et silencieux, aucune lumière ne brillait plus, et notre voyageur était assez embarrassé de savoir où il trouverait une bonne table pour réconforter son estomac et un bon lit pour reposer ses membres engourdis par la fatigue.
Tout à coup il aperçut dans la nuit une lueur qui semblait sortir du sol, il s'approcha de ce rayon de lumière, le seul qu'il vît, qui représentait pour lui le salut. Il frappa à une porte qui se trouvait à côté de lui et sous laquelle glissait cette lueur qui lui avait fait battre le coeur ; un grognement lui répondit d'abord.
Il frappa une seconde fois, mais plus fort, et entendit alors une voix étrange et qui semblait souterraine demander.
- Qui est là et que voulez-vous ?
- Je suis un voyageur harassé de fatigue et mourant de faim, répondit le voyageur, ouvrez-moi au nom de Dieu, vous ne vous en repentirez pas.
Puis il entendit des pas s'approcher de la porte, on tira une énorme barre de fer, la porte s'ouvrit et il vit apparaître un homme à figure farouche et toute barbouillée de farine et dont les cheveux et la barbe hérissés contribuaient encore à rendre l'aspect effrayant ; cet homme était nu jusqu'à la ceinture.
- Allons, entrez et dépêchez-vous, dit-il au voyageur de sa même voix caverneuse.
Notre ami ne se sentait pas du tout rassuré, et un moment il eut l'envie de retourner en arrière et d'aller frapper à une autre porte, mais l'homme avait remis la barre de fer, il n'y avait pas moyen de reculer, il en prit donc bravement son parti et entra dans une grande chambre où se trouvait un immense four allumé qui suffisait à l'éclairer tout entière.
- Pardon, monsieur, dit le voyageur très poliment, je viens de faire seize ou dix-huit lieues, à peu près sans manger, pouvez-vous me procurer, moyennant de l'argent bien entendu, de quoi apaiser ma faim et reposer mon corps ?
- Je n'ai que mon lit, répondit l'homme de sa voix rude ; quant à manger, nous n'en manquons pas ici, reste à savoir si ça vous plaira.
- Tout me plaira pourvu que je mange ; voyons, qu'avez-vous à me donner ?
L'homme alla vers une armoire, l'ouvrit et en tira une petite corbeille où se trouvait environ une douzaine de gâteaux de forme ovale et d'une belle couleur dorée.
- Tenez, dit-il au voyageur, goûtez-moi ça et vous m'en direz des nouvelles.
Il mit la corbeille sur une table près du voyageur, et posant ses mains sur ses hanches il le regarda.
Notre ami prit un gâteau et mordit à pleines dents ; en une seconde il l'eut avalé tout entier ; il en prit un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième et à chaque gâteau qu'il avalait ainsi, l'homme qui le regardait toujours souriait avec satisfaction.
Enfin, quand il n'en resta plus dans la corbeille, il lui dit :
- Eh bien, que dites-vous de mes madeleines ?
- A boire d'abord, fit le voyageur d'une voix étranglée.
L'homme se dirigea de nouveau vers son armoire et en tira une bouteille couverte d'une vénérable couche de poussière, il la déboucha, puis, prenant deux verres, il les remplit, en tendit un à l'étranger.
- Buvez, lui dit-il, je ne voudrais pas vous voir étrangler par mes amours de gâteaux.
L'étranger but d'un seul trait, c'était de l'excellent vin de Bordeaux, puis tendant une seconde fois son verre :
- A votre santé, mon brave vous venez de me faire faire un des plus délicieux repas que j'aie faits de ma vie. Mais, dites-moi, comment appelez vous ces succulents gâteaux ?
- Comment, vous ne connaissez pas les madeleines de Commercy ?
- Je suis donc à Commercy ?
- Oui, et vous venez, sans vous en douter, de manger les meilleurs gâteaux du monde.
Sans partager entièrement l'enthousiasme du brave homme pour ses gâteaux, le voyageur fut forcé d'avouer qu'ils étaient excellents, et que, le besoin aidant, il avait fort bien soupé.
L'homme lui offrit alors son propre lit en disant que lui se contenterait d'un matelas ; le voyageur fit bien quelques difficultés, mais enfin il accepta ; il alla donc se coucher, dormit d'une seule traite, et fit le lendemain en se réveillant un déjeuner plus solide que son souper de la veille, ce qui ne l'empêcha pas de se munir en partant d'une certaine quantité de madeleines que le bonhomme le força d'accepter en souvenir de la peur qu'il lui avait d'abord faite et de la mauvaise nuit qu'il avait passée.
Les madeleines de Commercy ont en effet une grande renommée. On croit que leur réputation fut faite par le roi Stanislas Leczinski lorsqu'il vint en France.
Voici maintenant une recette qui vient de Madeleine Paumier, pensionnaire et ancienne cuisinière de Mme Perrotin de Barmond.
Râpez sur un morceau de sucre le zeste de deux petits cédrats ou de deux citrons ou bigarades, écrasez ce sucre très fin, mêlez-le avec du sucre en poudre, pesez-en neuf onces que vous mettez dans une casserole, avec huit onces de farine tamisée, quatre jaunes et six oeufs entiers ; deux cuillerées d'eau-de-vie d'Andaye et un peu de sel ; remuez ce mélange avec une spatule. Lorsque la pâte est liée, vous la travaillez encore une minute seulement. Cette observation est de rigueur, si l'on veut avoir de belles madeleines ; autrement, le mélange étant plus travaillé, il fait beaucoup trop d'effet à la cuisson, et cela dispose les madeleines à être compactes, à s'attacher aux moules, à être pelucheuses ou à se ratatiner, ce qui rendrait cet entremets de bien pauvre mine.
Faites ensuite clarifier dans une petite casserole dix onces de beurre d'Isigny ; au fur et à mesure que le lait monte dessus, vous avez le soin de l'écumer ; lorsqu'il ne pétille plus, cela indique qu'il est clarifié ; alors vous le tirez à clair dans une autre casserole, lorsqu'il est un peu refroidi, vous en remplissez un moule à madeleines ; vous verserez ce beurre dans un autre moule et ainsi de suite jusqu'au nombre de huit ; après quoi vous reverserez le beurre dans la casserole ; vous garnissez ensuite de nouveau un moule de beurre chaud et le versez tour à tour dans huit autres moules ; enfin vous recommencerez deux fois cette opération, ce qui vous donnera trente-deux moules beurrés.
Il ne faut pas renverser les moules après les avoir beurrés attendu qu'ils doivent conserver le peu de beurre qui s'égoutte au fond de chacun d'eux.
Après vous mêlez le reste du beurre dans le mélange et puis vous les placez sur un fourneau très doux, vous remuez légèrement ce mélange afin qu'il ne s'attache pas à la casserole, et aussitôt qu'il commence à devenir liquide, vous la retirez de dessus le feu pour qu'elle n'ait pas le temps de tiédir, ensuite vous garnissez les moules avec une cuillerée de cet appareil et vous les mettez au four, à une chaleur modérée.

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