Le grand dictionnaire de cuisine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Huîtres


L'huître est un des mollusques les plus déshérités de la nature.
Etant acéphale, c'est-à-dire n'ayant pas de tête, elle n'a ni l'organe de la vue, ni l'organe de l'ouïe, ni l'organe de l'odorat ; son sang est incolore ; son corps adhère aux deux valves de sa coquille par un muscle puissant, à l'aide duquel elle l'ouvre et la ferme.
Elle n'a pas non plus d'organe de locomotion ; son seul exercice est de dormir, et son seul plaisir est de manger ; comme l'huître ne peut aller chercher sa nourriture, sa nourriture vient elle-même la trouver, ou lui est apportée par le mouvement des eaux ; elle se compose de matières animales en suspension dans l'eau. En 1816, M. Bedan a prouvé qu'on pouvait amener graduellement les huîtres à vivre dans l'eau des fleuves.
Les Grecs recherchaient celles de Sestos ; j'en ai mangé en traversant le Bosphore et ne leur ai rien trouvé de particulier.
On a dit : les dieux s'en vont, et l'on a admiré cette éloquente exclamation. Mais voilà que dernièrement un cri s'est fait entendre : Les huîtres s'en vont ! Il n'y a certes aucun rapport entre le mollusque hermaphrodite qui vit au fond de la mer, dans son écaille, attaché pour l'éternité à son rocher, et les habitants de l'Olympe vénérable. Eh bien, le fameux cri de Bossuet, ce fameux cri d'éloquence : Madame se meurt ! Madame est morte ! n'a pas produit une impression si terrible que cette voix gastronomique en détresse, qui s'est écriée : Les huîtres s'en vont ! Et de 60 centimes la douzaine, le premier effet de ce cri a été de les faire monter à 1 franc 30 centimes.
La sensation a été profonde ; l'huître, ce trésor des gourmands, a été sur le point de leur échapper ; l'huître qui, dit le docteur Reveillé-Paris, est la seule substance alimentaire qui ne donne pas d'indigestion.
Aussi l'huître est-elle un mets de tous les temps et cherche-t-on inutilement l'époque à laquelle il a été introduit sur la table des Indous, ces aïeux, et des Egyptiens, ces grands-pères de la civilisation. Nous n'en trouvons trace que chez les Grecs et la première fois, je crois, à propos de la proscription d'Aristide.
« Je m'ennuie de l'entendre appeler le Juste », disait un prud'homme athénien ; et Aristide fut proscrit à la majorité des huîtres, chaque écaille portant une sentence et représentant un bulletin de vote.
Les Grecs les faisaient venir de l'Hellespont ; on les pêchait à la hauteur de Sestos, endroit où Léandre se jetait à la mer pour aller faire sa visite nocturne à Héro.
L'endroit s'appelle aujourd'hui Boralli-Calessi.
Les Romains, bien autrement gourmands que les Grecs, rendirent presque des honneurs divins à l'huître. Il n'y avait pas de bon dîner sans huîtres crues frappées de glace, ou sans huîtres cuites assaisonnées au garum, espèce de saumure dont Pline nous a conservé la recette.
Les huîtres avaient chez les Romains leurs numéros d'excellence. Les premières étaient celles du lac Lucrin, ensuite celles de Tarente, ensuite celles de Circeï.
Plus tard, ils préférèrent les huîtres des côtes de la Grande-Bretagne.
Apicius, ce gourmand célèbre, qui se coupa le cou parce qu'il ne lui restait plus que six à huit millions de sesterces, c'est-à-dire quinze cent mille francs ou deux millions de notre monnaie, avait trouvé un moyen de conserver les huîtres. De nos jours, il eût pris un brevet et eût vécu de son brevet.
L'huître se pêche chez nous à la drague, et les pêcheurs avaient l'habitude, afin de ne pas épuiser les bancs, de les diviser en plusieurs zones qui étaient livrées successivement à la pêche. Pendant que l'une de ces zones était en exploitation, l'autre, c'est-à-dire la partie réservée, se multipliait et atteignait la taille marchande.
Pendant les mois de mai, juin, juillet et août, la pêche était interdite ; les gourmands disent qu'il ne faut pas manger d'huîtres dans les mois où il n'y a pas d'R.
Comme compensation, ce sont les mois où les moules sont parfaites.
Les huîtres ne se mangent point en sortant de la mer.
Du moins un disciple de Lucullus et un apôtre de Brillat-Savarin ne commettraient pas une pareille hérésie. Il faut d'abord qu'elles soient parquées à un mètre de profondeur sur du sable ou des galets.
Ce fut un Romain, nommé Sergius Orata, lequel vivait deux cent cinquante ans avant Jésus-Christ, qui eut le premier l'idée de mettre, pour les engraisser, les huîtres dans le lac Lucrin. Il fit un commerce de ce mollusque perfectionné par ses soins et s'enrichit.
Ce Sergius Orata était le grand-père de Sergius Catilina.
L'huître que nous mangeons est l'huître idule. L'huître d'Ostende, l'huître verte, l'huître de Marennes, ne sont que des variétés.
Nous avions des parcs aux huîtres à Marennes, à Tréport, à Etretat, à Fécamp, à Dunkerque, au Havre et à Dieppe. Nous arriverons tout à l'heure à celui de Régneville.
L'oncle de Mirabeau a dit en parlant de la mer :
« Cette plaine qui se laboure toute seule. »
Mais il n'a pas dit :
« La mer, cette plaine qui s'ensemence toute seule. »
On a cru longtemps la mer inépuisable, mais à commencer par la baleine, on s'aperçoit qu'elle se dépeuple. Voici les baleines qui disparaissent ; voici les maquereaux qui faiblissent ; voici les huîtres qui manquent.
Eugène Nol a dit :
« On peut faire de l'Océan une fabrique immense de vivres, un laboratoire de subsistances plus productif que la terre ; fertiliser tout, mers, fleuves, rivières, étangs ; on ne cultivait que la terre, voici l'art de cultiver les eaux ; entendez vous, nations ? »
Et en effet, le poisson, celui qu'on mange surtout, est entre tous les êtres susceptibles de prendre avec très peu de nourriture le plus grand accroissement.
De temps immémorial, la pisciculture est pratiquée en Chine. Là, où il faut que vive une agglomération de quatre cents millions d'hommes, on ne pouvait pas se fier à la terre visitée par un hôte plein de caprices, le vent ; par un hôte plein de colère, la tempête ; la moisson de la mer, au contraire, grandit sous le vent, multiplie sous la tempête.
Aussi au mois de mai, se tient sur le grand fleuve le marché du frai. On vient, de tous les coins de la Chine, acheter du frai en gros pour le revendre en détail. Chacun a son poisson dans son vivier, on y jette les débris du ménage et tout ce peuple sous-marin vit et engraisse.
Les Romains étaient, sous ce rapport, les maîtres des Chinois eux-mêmes ; ils faisaient éclore dans l'eau douce des poissons de mer.
C'est Jacobi, en Allemagne, qui a trouvé la fécondation artificielle pratiquée en Angleterre, puis en France, par un pêcheur de la Bresse, nommé Rémy.
Coste et Pouchet en ont fait une science.
Ce furent toutes ces expériences, ce fut cette première science mise à la portée de tout le monde, qui déterminèrent M. de Chaillé et Mme Sarah-Félix à faire leur établissement d'ostréiculture de Régneville.
Ils demandèrent et obtinrent dix hectares de côtes.
Dix hectares de côtes, c'est beaucoup à Paris sur la place de la Concorde ou dans la rue Richelieu. En face de l'Océan, c'est un point dans l'immensité.
Les deux concessionnaires commencèrent par fermer de trois côtés leur concession par une digue insubmersible. Le quatrième côté fut la plage ; une grande vanne y introduisit l'eau de la mer, puis on y jeta des milliers d'huîtres, et on y déposa doucement des tuiles afin que les huîtres s'y attachassent.
Il s'agissait de soustraire le frai de l'huître aux divers accidents qui en pleine mer le détruisent.
Pour que l'on comprenne l'entreprise de M. de Chaillé et de Mme Sarah-Félix, il est nécessaire de savoir comment l'huître se reproduit.
L'huître, nous l'avons dit, est hermaphrodite. Ses deux sexes s'épanouissent comme des fleurs au moment des amours. C'est alors qu'elle se remplit d'une eau blanche qui fait dire que les huîtres ne sont pas bonnes à manger parce qu'elles sont laiteuses. Cette eau blanche est le frai. M. Davaine a trouvé jusqu'à 1 200 000 oeufs dans une huître pied de cheval ; et, comme elles font deux et même trois pontes, on peut, en moyenne, évaluer à deux millions la quantité d'oeufs que chaque huître livre aux caprices de la mer.
Ces oeufs sont invisibles ou à peu près. Leuwenhoeck a calculé qu'il en faudrait environ un million pour former le volume d'une bille d'enfant. Les petites huîtres, lorsqu'elles sortent de la coquille de la mère, ont la faculté de se mouvoir. Cette faculté est donnée par la nature à toutes les larves d'animaux fixes et leur permet de se fixer où ils veulent ; seulement, qu'ils choisissent bien leur gîte : une fois fixés, ils en ont pour toute la vie.
Dans le parc de Régneville, ils eurent d'abord des tuiles ordinaires et des fagots de bois ; le choix entre le fond de la mer et la suspension entre deux eaux.
Nos pisciculteurs s'aperçurent bien vite qu'ils avaient fait une double erreur ; les branches du fagot s'enduisaient d'un mucus qui ne permettait plus à la petite huître de se fixer. Quant à la tuile, elle permettait au contraire à l'huître de s'y fixer trop solidement ; l'huître trouvait commode de faire de la tuile une de ses coquilles, et quand on l'enlevait de sa tuile bien-aimée, ou sa coquille était trouée, ou elle restait sur sa tuile. Sa devise devenait celle du lierre : « Je meurs où je m'attache. »
Nos ostréiculteurs collèrent sur leurs tuiles de vieux journaux adhérant à la tuile par les seules extrémités ; l'huître est collée au papier, c'est vrai, mais le papier n'est collé à rien.
Maintenant, tous les journaux, à notre avis, ne sont pas bons à cet emploi, j'en connais qui pourraient donner à ces innocents mollusques les qualités toxicologiques que contractent les huîtres de Venise en s'attachant aux cuivres des vaisseaux.
Quelle est la durée de la vie des huîtres ?
C'est encore un mystère ! D'abord peu d'huîtres meurent de vieillesse.
Et celles-là meurent inconnues.
Dans un excellent livre de M. Victor Meunier, intitulé : les Grandes Pêches, je vois que les huîtres vivent une dizaine d'années. C'est bien assez pour un animal qui n'a ni yeux, ni nez, ni oreilles ; quant à leur développement, les pêcheurs disent qu'elles ont au bout de trois jours trois lignes de diamètre, à trois mois la circonférence d'une pièce de trente sous, à six mois la dimension d'un écu de trois livres, à un an celle d'un écu de six.
L'huître se mange habituellement de la façon la plus simple du monde ; elle s'ouvre, on la détache, on exprime sur elle quelques gouttes de citron et on la gobe.
Des gourmands les plus raffinés préparent une espèce de sauce avec du vinaigre, du poivre et de l'échalote ; on les détache, on les trempe dans cette sauce et on les avale ; d'autres, et ce sont les vrais amateurs, n'ajoutent rien à l'huître et la mangent crue sans vinaigre, sans citron, sans poivre.
Maintenant accordons la lyre d'un cuisinier-poète, et chantons sur le mode ionien.

          Fêtons ces « truffes de la mer, »
          Qu'en son siècle exaltait Horace,
          Par d'immortels vers pleins de grâce.–
          L'huître, à Rome, est un mets si cher,
          Qu'au dire de Pline et Macrobe,
          Aux seuls pontifes on en sert...
          – Notre bouche aussi bien les gobe,
          Ces huîtres qu'un moderne en us,
          Nommait « Oreilles de Vénus, »
          Pour leurs qualités excitantes... –
          On sait qu'un des Apicius
          Eut, par ses notions savantes,
          L'art d'en envoyer de vivantes
          A Trajan, vainqueur belliqueux
          Des Parthes... – Aux huîtres, chef-queux,
          Me dit-on, offre-nous des fraîches.
          C'est là le secret de leurs pêches :
          L'huître est un hasard, un éclair
          Qui passe avec les mois en R.

Huîtres à la poulette.
Ouvrez des huîtres, faites-les blanchir dans leur eau sans les laisser bouillir, puis passez-les dans du beurre, avec du persil, des échalotes et des champignons hachés ; une cuillerée d'huile, poivre et muscade râpée ; panez- les de mie huilée, faites prendre couleur avec une pelle rouge ; au moment de servir exprimez dessus le jus d'un citron.

Huîtres en hachis.
Faites-les blanchir sans les laisser bouillir, mettez-les dans l'eau fraîche et égouttez-les, séparez le milieu des bords, hachez ceux-ci finement avec de la chair de carpe ou de tout autre poisson cuit à l'eau ou au court-bouillon ; mêlez le tout ensemble, assaisonnez de poivre et de muscade râpée.
Mettez dans une casserole un bon morceau de beurre avec persil, ciboules, champignons hachés ; passez sur le feu ; mouillez avec moitié vin blanc, moitié bouillon gras ou maigre, ajoutez le hachis, faites-le chauffer sans bouillir, quand le hachis a bu presque toute la sauce, et liez avec des oeufs.
Huîtres frites pour hors-d'oeuvre.
Ouvrez les huîtres, mettez-les égoutter sur un tamis ; mettez-les ensuite dans un plat, avec du vinaigre, persil, ciboules, deux feuilles de laurier, un peu de basilic, un oignon coupé par tranches, une demi-douzaine de clous de girofle, et le jus de deux citrons ; saucez-les de temps en temps dans cette marinade, faites une pâte à frire légère, essuyez et trempez-y les huîtres ; faites-les frire, et servez-les avec du persil frit.

Potage d'huîtres.
Passez vos huîtres à la casserole avec du bon beurre, mettez en même temps des champignons coupés par morceaux et un peu de farine, faites cuire le tout avec purée claire, sel et poivre ; faites mitonner le pain avec du bon bouillon de poisson, versez dessus vos huîtres et vos champignons avec un jus de champignons.

Huîtres farcies.
Vous faites une farce avec un morceau d'anguille et une douzaine d'huîtres blanchies, un peu de persil, ciboules, quelques champignons ; assaisonnez. de sel, poivre, fines herbes, fines épices et bon beurre frais avec un peu de mie de pain trempée dans la crème et deux jaunes d'oeufs crus, le tout haché et pilé ensemble dans un mortier. Vous garnissez le fond de vos coquilles avec cette farce et y mettez une huître en ragoût ; couvrez votre coquille de la même farce, frottez-la d'un oeuf battu, jetez dessus un peu de beurre fondu, panez de mie de pain bien fine et mettez-les cuire au four jusqu'à belle couleur blonde et servez chaudement pour entremets ou garniture d'entrée.

Huîtres au parmesan.
Mettez égoutter vos huîtres sur un tamis, frottez le fond d'un plat avec du beurre frais, arrangez les huîtres dessus, poudrez-les de gros poivre et de persil haché, arrosez-les d'un demi-verre de vin de Champagne, couvrez-les avec du parmesan râpé, mettez le plat dans le four ou sous un couvercle de tourtière ; quand elles sont de belle couleur et bien glacées, retirez-les, dégraissez-les, nettoyez le bord du plat, et servez chaudement.

Huîtres à la daube.
Ouvrez des huîtres, assaisonnez-les de fines herbes hachées fort menu avec persil, ciboules, basilic, sel et poivre ; mettez-en très peu dans chaque huître, arrosez de vin blanc, recouvrez-les de leur couvercle et mettez-les cuire sur le gril, passez de temps en temps la pelle rouge dessus, dressez-les quand elles sont cuites, et servez-les découvertes.
Huîtres en hâtelets.
Blanchissez les huîtres dans deux eaux sans les faire bouillir, lavez-les bien et faites égoutter ; mettez dans une casserole, persil, ciboules, champignons hachés, une pointe d'ail avec un quarteron de beurre, ajoutez-y vos huîtres et faites-leur prendre deux ou trois tours sans bouillir, liez avec des jaunes d'oeufs, enfilez-les dans des hâtelets, panez-les, faites-les griller, et servez à sec.

Huîtres à la minute.
Mettez dans une casserole une cuillerée de coulis, un verre de vin de Champagne, un bouquet garni et faites bouillir ; faites ouvrir en même temps des huîtres que vous faites égoutter sur un tamis et dont vous ajoutez l'eau à votre sauce, faites-la réduire, mettez-y vos huîtres pour leur faire prendre quelques tours, et servez avec des croûtons frits pour garniture.

Recette précédente | Recette suivante

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente