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Foie gras


On sait que le foie gras de Strasbourg est réputé fournir le roi des pâtés. L'opération par laquelle on obtient les foies gras consiste principalement à engraisser les oies de manière à produire chez eux une tuméfaction de cet organe. Le foie d'une oie soumise au traitement que leur font subir les engraisseurs de Strasbourg arrive à être jusqu'à dix ou douze fois plus gros que nature.
Pour en arriver là, on soumet ces animaux à des tourments inouïs, qui n'ont pas même été déployés sur les premiers chrétiens : on leur cloue les pattes sur des planches pour que l'agitation ne nuise pas à l'obésité ; on leur crève les yeux pour que la vue du monde extérieur ne vienne les distraire ; on les bourre avec des noix sans jamais leur donner à boire, quels que soient les cris de souffrance que leur arrache la soif.
Aussi le comte de Courchamps, auteur des Mémoires de Mme de Créquy, et l'un des gourmands les plus érudits du commencement de ce siècle ; faisant taire les appétences de son estomac sous les cris de sa conscience, présenta, au nom des oies de Strasbourg, une pétition à la chambre des pairs.
Voici textuellement cette pétition qui, si juste qu'elle pût être, ne fut, comme il en arrive d'habitude des pétitions justes, suivie d'aucun résultat :


« Nobles pairs,
« Au mépris des lois de la nature, adoptées par les deux chambres et garanties par le code de l'humanité, les Strasbourgeois s'appliquent à nous faire grossir monstrueusement un viscère composé de deux lobes inertes. C'est aux dépens du coeur, que nous avons sensible, de l'estomac, que l'injustice révolte, du poumon, qui nous est essentiel, de la rate, qui ne peut s'épanouir ; enfin, c'est au détriment de l'honneur national que la cruauté compromet.
Hélas ! qu'avons-nous fait, malheureux oiseaux ? on nous aveugle, on nous étouffe, on nous torture. Que diriez-vous, nobles pairs, si l'on vous mangeait, si l'on vous coupait ces ailes avec lesquelles vous vous envolez si haut, si l'on vous attachait sur les planches et qu'on vous y clouât les pattes ; enfin si l'on vous arrachait les yeux pour s'attaquer ensuite à votre foie, comme le vautour de Prométhée ?
« Ah Jupiter ! diriez-vous alors, quelle injustice ! Avons-nous donc, sans le savoir, dérobé le feu sacré ? Et parce qu'on ne le trouve nulle part, est-ce vraisemblable que ce soit nous qui l'ayons pris ? Nous sommes Françaises, nobles pairs, et nous vous conjurons de nous faire participer aux douceurs de l'orgueil national. Nous sommes la fable des oies britanniques, un sujet de risée pour les dindons de Lincoln ; il n'y a pas jusqu'à la volaille irlandaise qui ne prenne des airs de nous mépriser, et la moindre cane des Trois-Royaumes est plus fière qu'un aigle impérial. Nous sommes libres, disent-ils avec emphase, et jamais les oies n'ont eu besoin de recourir chez nous à la chambre des lords.
« Ah ! l'Angleterre ! s'écrie la moindre volaille qui a l'honneur d'appartenir à cette grande puissance, voilà le vrai pays de la liberté et de l'égalité. On y prend des hommes qui passent dans la rue, et, sans leur demander si c'est leur goût ou celui de leur famille, on en fait des marins et des soldats. Quand ces soldats ou ces marins ont manqué à leur devoir, on leur donne des coups de fouet comme à des chiens. Quand un paysan est pris le fusil à la main sur les terres d'un grand seigneur, on l'envoie aux galères. Un homme qui vole un pain est pendu. Mais les boeufs, mais les cochons, mais les veaux, mais tout animal qui se mange enfin, ou plutôt qui est mangé, a droit à une mort uniforme, légale, constitutionnelle. Le parlement a prescrit, en 1796, comment il fallait tuer les boeufs et les cochons : avec douceur et célérité. Par un bill postérieur, il est ordonné de transporter les veaux au marché sur un filet suspendu. Il est interdit de mettre plusieurs de ces animaux sur la même charrette. Il est enjoint d'observer que leur position n'y soit pas contrainte et qu'ils ne soient pas obligés d'avoir la tête pendante, ainsi qu'on a trop souvent occasion de le remarquer sur le continent.
« Une cuisinière anglaise qui tuerait un canard, une poule ou même un poulet, se croirait un objet d'opprobre pour l'humanité. Aussi l'on vous montre, à la porte des châteaux et dans la ruelle la plus obscure des villages, une espèce de bourreau, qui fait l'horrible métier d'étouffer les pigeons et d'égorger les agneaux. C'est un être infâme, abhorré, semblable aux chirurgiens de l'ancienne Egypte.
« Voila ce que les oies prennent la liberté d'affirmer à vos seigneuries.
« Nous vous supplions de proposer une loi qui défende aux Strasbourgeois de martyriser la volaille et de tourmenter les animaux, à qui, du reste, ils n'ont rien à reprocher. Qu'on leur prescrive de n'exercer leur industrie que sur la manière de plumer les pauvres oies, sans appliquer leur intelligence à déranger l'harmonie de leurs viscères. Qu'ils prennent exemple sur les fournisseurs et sur les usuriers, qui plument les poules sans les faire crier. Que si, par un abus de la force et par un texte mal interprété de la Genèse, ils nous ôtent la vie, ils ne puissent du moins nous ôter la vue, ce qui nous plonge dans une mélancolie funeste. Enfin, qu'ils nous plument et nous mangent, puisqu'ils sont pour nous des tyrans féodaux, des chefs saliques, et que dans les basses-cours il n'y a encore ni charte, ni constitution, ni lois d'habeas corpus. C'est un despotisme épouvantable ; la plus libre de nous est à la merci du dernier roquet, et dans toute l'Alsace il n'existe pas une chambre qui soit seulement comparable à celle des députés.
« Puissiez-vous étendre ce bienfait jusqu'aux extrémités de l'empire et jusque sur les canards de Toulouse, nos malheureux cousins. »
Jusqu'à l'invention des plumes de fer par l'Anglais Parry ce furent les oies qui eurent le privilège de fournir le précieux canal par lequel le chef-d'oeuvre de l'esprit humain passait du cerveau sur le papier. Beaucoup de nos grands hommes d'aujourd'hui ont refusé de subir la plume de fer et persistent à employer la plume d'oie. Victor Hugo, par exemple, et Chateaubriand se sont toujours refusés à l'emploi des plumes de métal qui ôtent à l'écriture son ampleur et toute la fierté de son caractère, pour la transformer soit en pattes de mouches, soit en bâtons de maître d'école ou de jeune miss.

Foie de raie.
Le foie de raie n'est pas précisément un plat, mais une simple sauce. Après l'avoir fait cuire en même temps et dans le même court-bouillon que la raie, on en fait avec ce court-bouillon une purée qui sert à masquer la raie, et qui porte le nom, dans les dispensaires, de sauce à la noisette ; la raie sauce noisette est donc tout simplement la raie préparée avec son propre foie.

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