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Calape


Ragoût que quelques praticiens confondent avec canapé ; calape est un mot américain qui désigne un ragoût composé de la partie d'une tortue qu'on fait griller dans son écaille ; ce ragoût, qui faisait les délices de mon équipage quand nous voguions entre la Sicile et l'Afrique, ne m'a jamais paru digne de paraître sur une table qui se respecte ; voici comment on prenait les tortues, et comment on les préparait.
Lorsqu'arrivaient les mois de juin et de juillet, mois de calme, on mettait un homme en vigie, sur la flèche de la grande voile, qui, dès qu'il apercevait une tortue dormant sur l'eau, criait : Tortue, tortue !
Aussitôt on mettait le you-you à la mer, on approchait sans bruit, le plus près possible, de la tortue qui surnageait, quoiqu'elle pesât parfois soixante ou quatre-vingts livres. Alors notre pilote Podimata, c'était lui qui d'habitude était chargé de cette expédition, se laissait glisser à la mer et nageait dans le sillage de la tortue ; il s'approchait d'elle sans qu'elle s'aperçut de son voisinage, puis il la prenait par les deux pattes de derrière et la retournait sur le dos ; dans cet état, quelques efforts qu'elle fît, elle ne pouvait ni plonger ni se retourner. Seulement, comme elle agitait sa tête qui sortait de l'écaille, il lui passait une corde au cou, remontait à bord, reprenait un des deux avirons et revenait le plus vite possible. Arrivée à bord, on la suspendait par les pattes de derrière à un des étais, on tirait la corde qui lui tenait le cou, et on le lui coupait d'un coup de sabre, elle dégorgeait alors une grande quantité de sang ; nous la laissions pendue douze heures, puis une seconde fois on la renversait sur le dos, on introduisait un fort couteau entre l'écaille du ventre et l'écaille dorsale en faisant attention de ne pas abîmer les intestins et de ne pas crever le fiel, ce qui arriverait si vous introduisiez votre couteau trop avant ; enlevez le côté plat de la carapace, videz-la comme nous faisions, gardez le foie seulement ; l'aliment transparent que l'on trouve dedans n'est bon à rien. Vous trouverez à l'intérieur deux lobes de chair que l'on peut comparer à deux noix de veau, tant pour le goût que pour la blancheur. Parfois nous leur trouvions dans le ventre dix ou douze oeufs sans coquille, comme ceux que l'on trouve dans le ventre des poules, et qui doivent venir successivement à leur tour.
Alors nous coupions par morceaux de la grosseur d'une noix une quantité suffisante de chairs de tortue, nous les mettions, après les avoir fait dégorger, dans du bon consomnné avec poivre, girofle, sel, thym, carottes et laurier ; nous faisions cuire le tout pendant trois ou quatre heures sur un feu doux ; préparez pendant ce temps des quenelles de volaille que vous assaisonnerez de sel, persil, ciboule et d'anchois ; faites pocher ces quenelles dans du consommé, égouttez-les, versez sur votre tortue votre consommé, dans lequel vous aurez mis quelques instants auparavant trois ou quatre verres de vin de Madère sec. Puis, au lieu de faire un plat séparé, vous le versez dans l'écaille et vous le servez à cinquante convives, et il y aura à coup sûr à dîner pour les cinquante personnes.
Quant à nous, tout notre équipage s'en régalait, à l'exception de deux Grecs à qui j'avais donné l'hospitalité du passage, et qui allaient à Chypre pour retrouver un trésor.

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