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Chapitre IX
Les colonnes d'Hercule

Nous arrivâmes à bord du Véloce vers les dix heures et demie du soir, c'est-à-dire pendant le premier quart.
Vous ne savez pas ce que c'est qu'un quart, Madame ? Permettez-moi de vous l'expliquer. Nous allons vivre de la vie maritime, il faut donc vous initier à cette vie.
à bord des bâtiments, le temps est divisé en quarts de jour et en quarts de nuit. Le premier quart de la nuit commence à huit heures du soir, et dure jusqu'à minuit ; il est toujours commandé, en rade, par le plus jeune officier, en mer, par le plus vieux. Le second quart prend de minuit à quatre heures du matin ; il est toujours commandé par le second du bâtiment. C'est pendant ce quart qu'on nettoie le navire ; aussi, s'appelle-t-il le quart de la femme de ménage. Alors commence le premier quart du jour, qui dure jusqu'à huit heures du matin. Puis la même division se prolonge, quatre heures par quatre heures, jusqu'au premier quart de la nuit, qui recommence à huit heures du soir. Pendant la nuit, la moitié de l'équipage veille tandis que l'autre dort. Cela s'appelle faire la bordée. La première bordée veille de sept heures à minuit. à minuit, la seconde bordée la relève et veille jusqu'à quatre heures du matin. à quatre heures du matin, elle est relevée à son tour et va dormir jusqu'à six heures, heure à laquelle tout le monde quitte son hamac.
Nous arrivâmes donc pendant le premier quart de la nuit. Le souper nous attendait. Nous restâmes à table jusqu'à minuit, et sur le pont jusqu'à une heure du matin. Nous ne pouvions nous décider à perdre complètement de vue cette ville féerique qui nous était, comme pour nous faire fête, apparue sous un si curieux aspect.
à deux heures, la machine chauffait ; à quatre, nous devions partir. Je recommandai qu'on me réveillât, je ne voulais perdre aucun détail de ce passage de Gibraltar, à qui tout le matérialisme moderne n'a pu enlever encore le prestige répandu sur lui par la poétique Antiquité. Ma recommandation était inutile : à quatre heures, je fus éveillé par les premiers mouvements de la corvette ; à cinq, je remontai sur le pont.
Il faisait nuit encore, quoique l'on sentît l'approche du jour. à droite, c'est-à-dire du côté de l'Afrique, la montagne des Singes se détachait en outremer sur l'azur plus pâle du ciel, attiédi déjà par les premiers rayons du soleil. à gauche, sans être éclairée encore, la côte était un peu moins sombre, et, au milieu de cette côte, on voyait briller le phare de Tarifa.
Nous naviguions pour gagner le milieu du détroit, et, dans l'ombre où nous étions encore, le battement de nos roues dégageait de la mer des globes de flammes phosphorescentes qui, après avoir de chaque côté suivi les flancs de la corvette, allaient derrière elle se réunir et se perdre dans son sillage.
Le ciel s'éclaircissait peu à peu, tout en gardant sa couleur d'outremer, le mont des Signes se découpait sur une teinte orangée. Nous commencions à distinguer la côte jusqu'à Ceuta. La montagne semblait un chameau gigantesque couché le long du rivage et s'abreuvant à la mer ; Ceuta formait sa tête, et au-dessus de cette tête, on distinguait comme une crête la dentelure des remparts.
De son côté, la côte d'Espagne commençait à recevoir la lumière. On distinguait parfaitement ses villes, ses villages, ses maisons isolées, et cette foule de vallées et de montagnes qui toutes aboutissent transversalement à la mer. Sur le rivage opposé, c'est-à-dire sur celui que nous quittions, pas une ville, pas un douar, pas un gourbi.
Au moment où nous atteignions la côte d'Afrique, le soleil, pareil à un globe d'or, montait en avant de Ceuta ; à sa flamme, nous aperçûmes distinctement alors Gibraltar, ses fortins blanchissant dans la lumière et son port encore perdu dans la brume, que perçaient, comme des lances gigantesques, les mâts banderolés de ses vaisseaux.
C'était du point où nous étions qu'apparaissaient dans leur plus grand développement ces deux montagnes que les anciens avaient appelées les colonnes d'Hercule, et au-delà desquelles ils crurent longtemps que rien n'existait que la nuit.
Vous savez, Madame, comment Hercule avait fait, en venant d'Orient en Occident, ce même voyage que nous faisions à cette heure, en allant d'Occident en Orient.
Vous savez comment Hercule naquit, Madame ; vous vous rappelez avoir vu représenter et avoir applaudi cette admirable comédie d'Amphitryon. Le roi des dieux, amoureux d'Alcmène, avait pris la figure de son époux ; et peut-être la nouvelle mariée eût-elle été complètement trompée à la ressemblance, si l'heureux amant, en vertu de ses pouvoirs divins, n'eût allongé sa nuit de vingt-quatre heures. La belle Alcmène comprit alors qu'elle n'avait point affaire à un simple mortel ; mais il eût été par trop ingrat à elle de se plaindre : elle ne se plaignit donc pas.
Amphitryon arriva le lendemain de cette fameuse nuit qui l'avait arrêté en route, et qu'il avait trouvée fort longue. En entrant chez lui, il apprit qu'il venait d'en sortir, ce qui l'étonna fort ; mais, comme ces trente-six heures d'obscurité ne pouvaient être attribuées qu'à quelque fantaisie divine, qu'il connaissait Jupiter pour un dieu plein d'imagination à l'endroit des jeunes mariés, il se douta qu'il avait l'honneur d'être le rival du maître de l'Olympe, et, sans rien dire à Alcmène, il fit de son mieux pour qu'elle ne trouvât point une trop grande différence entre la première nuit de ses noces et la seconde.
Malheureusement il y avait une quatrième personne qui se trouvait être dans le secret, c'était Junon, Junon ce merveilleux type de la femme acariâtre qui se croit le droit d'être jalouse de son époux, non point parce qu'elle aime son époux, mais parce qu'elle n'aime personne ; non point parce qu'elle est vertueuse, mais parce qu'elle est prude. Or, comme, en sa qualité de déesse, Junon savait tout, Junon savait que la femme d'Amphitryon était enceinte de deux fils : l'un qui se nommerait Hercule, et qui était fils de Jupiter ; l'autre qui se nommerait Iphicle, et qui était fils d'Amphitryon. Elle savait encore une chose, c'est qu'Amphitryon avait donné sa seconde nuit à une autre de ses femmes nommée Sthénèle, et que cette seconde femme était enceinte aussi d'un fils qui se nommerait Eurysthée.
Vous voyez, Madame, que les trois nuits dont nous venons de parler n'avaient pas été mal employées, et que dieux et mortels n'y avaient pas perdu de temps. Maintenant, Madame, vous avez trop entendu parler de Junon et vous la connaissez trop bien de réputation pour ne pas soupçonner qu'elle ménagerait quelque mauvais tour au pauvre Hercule. En effet, Madame, elle avait eu cette heureuse idée qu'en le faisant naître après Eurysthée au lieu de le laisser naître avant lui, comme c'était la marche ordinaire des choses, elle en ferait un cadet au lieu d'en faire un aîné, ce qui ne signifie pas grand'chose aujourd'hui, mais ce qui, quinze cents ans avant Jésus-Christ, et quinze cents ans après, signifiait beaucoup.
Voilà donc ce que fit Junon pour retarder la naissance d'Hercule : elle prit la figure d'une vieille femme, et, aux premières douleurs qu'éprouva Alcmène, elle alla s'asseoir sur le seuil de sa porte, et demeura là, silencieuse, immobile et les doigts d'une main fortement enlacés dans ceux de l'autre. Le charme était établi de façon que, tant qu'elle demeurerait ainsi, Alcmène ne pourrait être délivrée. Alcmène souffrait depuis vingt-quatre heures ; mais depuis vingt-quatre heures ses souffrances étaient inutiles.
Heureusement, Alcmène avait une femme de chambre nommée Cléanthis, laquelle se donnait beaucoup de mouvement pour soulager sa maîtresse, allant et venant, courant demander aide et secours de tous côtés. En entrant, en sortant, en rentrant encore, elle vit une vieille femme silencieuse, immobile, et les doigts enchevêtrés les uns dans les autres. Elle devina que là gisait le maléfice, et, sans faire part à personne de ses observations, elle sortit une dixième ou douzième fois, le visage radieux, les mains levées au ciel, et s'écriant : « Ah ! grâce à Lucine, ma maîtresse est accouchée. »
Cette nouvelle inattendue stupéfia tellement la vieille que, sans se donner le temps de regarder à travers les murailles pour voir avec ses yeux divins si la chose était vraie, elle se leva, poussa une exclamation, et disjoignit les mains. Au même instant, le charme était rompu, et Alcmène accouchait.
Junon était fort mécontente, vous le comprendrez facilement : son temps et sa peine étaient perdus, et comme on le dit dans notre langue expressive et colorée, elle avait été mise dedans par une simple mortelle. Aussi se vengea-t-elle incontinent. Elle prononça quelques paroles dans une langue inconnue, et jeta un peu de poussière à la face de la pauvre Cléanthis, qui, changée en belette, ne songea pas même à rentrer dans le palais, et s'enfonça dans le premier trou qu'elle rencontra sur son chemin.
Cependant, la ruse de Cléanthis était arrivée un quart d'heure trop tard : lorsque la pauvre femme de chambre jetait cette ingénieuse exclamation qui devait délivrer sa maîtresse, Sthénèle était déjà accouchée depuis un quart d'heure.
Junon en était donc arrivée à ses fins : Hercule, quoique fils de dieu en vertu de cet axiome : Pater est is quem nuptiæ demonstrant, Hercule n'était plus qu'un cadet de famille.
Cependant c'était encore trop pour elle ; ce qu'avait voulu la jalouse déesse, ce n'était point qu'Hercule naquît le second, c'était qu'il ne naquît pas du tout. Or, elle avisa qu'en le faisant mourir, ce serait absolument la même chose que s'il n'était pas né. Elle ordonna en conséquence à deux serpents qu'elle rencontra sur son chemin de prendre la route de Thèbes et d'aller, toute autre affaire cessante, dévorer Hercule dans son berceau. Les serpents obéirent, mais Hercule les prit par le cou comme il eût fait de deux anguilles, et les étouffa.
La nouvelle en arriva jusqu'au fameux Tirésias, vous savez, Madame, cet heureux devin qui fut tour à tour homme et femme, et qui fit cette indiscrétion de déclarer que, sous tous les rapports, la femme était un être privilégié du ciel. Tirésias prophétisa donc que le jeune Hercule triompherait de ses ennemis, et les étoufferait tous comme il avait fait des deux serpents.
Junon pensa dès lors, toute immortelle, toute déesse, toute reine des dieux qu'elle était, que mieux valait être l'amie que l'ennemie d'Hercule. Elle prit la figure de sa nourrice, et se présenta chez Alcmène ; elle pensait qu'une fois que l'enfant aurait sucé de son lait, il lui demeurerait attaché par la force du sang.
Mais Hercule, par une faveur particulière de sa naissance, était venu au monde avec des dents. Il n'eut pas plutôt le sein de sa nourrice divine dans la bouche, que, instinctivement sans doute, il le mordit de toutes ses forces. Junon poussa un cri, jeta l'enfant loin d'elle, et, en remontant dans l'Olympe, laissa au ciel cette longue traînée blanche qu'on appelle encore aujourd'hui la voie lactée.
Dès lors il n'y eut plus de rapprochement possible entre les deux ennemis : Junon jura la perte de l'enfant prédestiné, tandis que, de son côté, Amphitryon faisait tout ce qui était en son pouvoir pour le rendre digne du destin promis.
Voulez-vous savoir, Madame, comment, il y a trois mille cinq cents ans, on élevait un fils de dieu ? Je vais vous dire les maîtres que l'on donna au jeune Hercule. Harpaticus lui apprit l'art de la lutte ; Tentare, à tirer de l'arc ; Eupralphe, à jouer de la lyre ; Einus, les sciences ; Castor et Pollux, les exercices gymnastiques ; Chiron, la médecine ; et Rhadamante la justice. Vous voyez que l'éducation était complète.
Aussi, un jour qu'Hercule gardait le troupeaux d'Amphitryon, la Volupté et la Vertu lui étant apparues et lui ayant dit de choisir entre elles deux, Hercule n'hésita-t-il pas un instant, et choisit-il la Vertu.
Ce fut à partir de ce moment qu'Hercule se mit en quête des monstres qui ravageaient l'univers, et jura de les exterminer tous jusqu'au dernier, en commençant par le lion de Némée. Cette victoire lui valut : 1o cette fameuse peau de lion qui est devenue la partie la plus importante de sa garde-robe ; sans cette peau de lion Hercule n'est plus Hercule ; 2o une bonne fortune qui n'était pas à dédaigner.
Le monstre exerçait particulièrement ses ravages dans le pays des Thespiens, dont le roi possédait cinquante-deux filles. Le digne souverain fut si charmé d'être débarrassé du monstre, qu'il offrit, en récompense de ce service, ses cinquante-deux filles au vainqueur, lequel, vous le pensez bien, Madame, n'eut garde de refuser, d'autant mieux que, dit la fable – la fable, entendez-vous bien ? pas l'histoire – d'autant mieux qu'elles étaient toutes vierges. Une nuit lui suffit pour laisser cinquante-deux petits-fils au roi Thespius, qu'il quitta complètement rassuré sur l'avenir de sa postérité.
Ce fut alors que, ainsi que l'avait prévu Junon, Eurysthée, craignant ce frère qui tuait les lions et qui épousait les vierges avec une si grande facilité, lui imposa, en vertu de son droit d'aînesse, ces douze travaux que vous connaissez et dont nous avons vu la représentation sculptée avec tant de bonheur sur la place publique d'Aranjuez.
Les douze travaux accomplis, Hercule résolut de se donner un peu de bon temps en voyageant pour son plaisir. Ce voyage qu'il désirait accomplir, c'était le périple de la Méditerranée, le tour du monde connu. Il quitta donc la Grèce, théâtre ordinaire de ses exploits, et passa en égypte. En égypte, Busiris le surprit et le fit charger de chaînes ; Hercule brisa ses fers comme il eût fait de fils de soie, et tua Busiris d'un coup de massue.
Hercule continue sa course, mais, à la limite de la Terre, il rencontre Antée, fils de la Terre, qui reprend de nouvelles forces toutes les fois qu'il touche sa mère, ne fût-ce que de la pointe du pied. Hercule l'enlève entre ses bras et l'étouffe contre sa poitrine.
Hercule s'enfonce dans le désert, mais il s'égare dans les sables brûlants. Ce n'est plus contre le lion de Némée, l'hydre de Lerne, le sanglier d'Erymanthe ou les oiseaux du lac Stymphale qu'il lui faut combattre ; c'est contre un ennemi bien autrement dangereux, bien autrement obstiné, bien autrement invincible, c'est contre la soif. Le héros va mourir, étranglé, dévoré, calciné par ce soleil ardent, par ce sable ardent, par cette atmosphère ardente, quand Jupiter lui apparaît sous la forme d'un bélier, et, d'un coup de pied, fait jaillir la source autour de laquelle verdit aujourd'hui encore l'oasis d'Ammon.
Hercule continue sa route. De loin, il aperçoit Atlas, ce vieux Titan rebelle à qui Jupiter a imposé la punition de porter le ciel sur ses épaules. C'était lui que cherchait Hercule. Hercule a décidé que, pour désarmer son frère incessamment irrité contre lui, il rapporterait à Eurysthée trois pommes d'or du jardin des Hespérides, qui doit être situé à quelque vingt-cinq ou trente lieues aux environs. Or, qui peut mieux lui indiquer son chemin qu'Atlas, dont la tête domine tous les alentours ?
Hercule trouve dans Atlas le géant le plus complaisant du monde. Atlas ne se contentera point de lui indiquer son chemin ; comme ce chemin est très difficile, il ira chercher les pommes d'or lui-même ; il ne s'agit pour cela que d'une chose, c'est qu'Hercule prenne un jour ou deux sa place, et porte le ciel par intérim. Hercule n'a rien à refuser à un roi qui met envers lui cette complaisance. Il s'accroupit à côté du Titan, fait glisser avec précaution la charge des épaules d'Atlas sur les siennes, et se substitue tout doucement au vieux porte-ciel sans que le ciel s'aperçoive un seul instant qu'il est moins bien porté depuis que c'est Hercule qui le porte. Voilà donc Atlas momentanément à son aise ; il étire ses bras, il allonge ses jambes, et se met en route pour accomplir sa promesse.
Deux jours après son départ, Atlas revint comme il l'avait promis, rapportant les trois pommes d'or demandées. Mais Atlas avait pris goût à la liberté, et, au lieu de donner les trois pommes d'or à Hercule, il lui déclare qu'il les irait porter lui-même à Eurysthée, tandis qu'Hercule, prisonnier forcé de son fardeau, continuerait de porter l'Olympe.
Vous dire que cette nouvelle disposition d'Atlas ne surprit pas un peu Hercule, et que les dieux ne sentirent pas, pendant la minute qui suivit la proposition du géant, un léger tremblement de ciel, c'est ce que nous n'osons affirmer ; mais ce qui est de notoriété antique, c'est que le visage d'Hercule continua d'exprimer la plus bienveillante sérénité et qu'il consentit à tout à une seule condition, c'est qu'Atlas lui donnerait le temps de faire un bourrelet pour poser sur ses épaules, certaines aspérités du ciel lui meurtrissant l'omoplate.
Atlas, qui ne s'attendait point à tant de facilité de la part d'Hercule, consentit à ce que celui-ci fît à sa guise, à la condition qu'il ne prendrait que le temps strictement nécessaire à la confection de son bourrelet. Hercule promit tout ce qu'on voulut, et fit, à son tour, glisser sa charge sur les épaules d'Atlas, comme Atlas l'avait fait glisser sur les siennes. Mais quand le crédule géant en fut là, Hercule, au lieu de s'occuper de son bourrelet, souhaita à Atlas bien du plaisir dans son poste de cariatide céleste, prit les trois pommes d'or, et continua son chemin.
Depuis ce temps, Madame, Atlas n'a point bougé, et nous le retrouverons à la même place où l'a laissé Hercule.
Enfin, Madame, Hercule arriva où nous en sommes maintenant. Seulement, permettez-moi de vous dire qu'autrefois le monde n'était pas exactement fait comme il est aujourd'hui. La Méditerranée formait un grand bassin qui n'avait aucune communication avec l'Océan ; de son côté, la Sicile tenait à la Calabre. De plus, une grande chaîne de montagnes dont la tradition se conserve dans le monde antique sous le nom d'Atlantide s'étendait de la pointe occidentale d'Afrique à la côte méridionale d'Amérique, comme un pont jeté sur l'Océan.
Hercule trouva la chose mal faite ainsi, et résolut d'ouvrir un passage par lequel communiqueraient la Méditerranée et l'Océan. Une montagne avait deux crêtes, c'était un point d'appui qui lui donnait des facilités ; il appuya ses reins à l'une des deux cimes, ses pieds à l'autre, et poussa. Sous ce puissant effort, la chaîne granitique se fendit, la mer se précipita en bouillonnant dans le passage, et, du même coup, ou plutôt du contre-coup, Messine ébranlée se détacha de la Calabre.
Hercule donna aux deux montagnes qu'il venait de faire avec une seule, et qui, aujourd'hui, semblent encore prêtes à se rejoindre, les noms de Calpé et d'Abyla.
Alors il continua sa route, traversa l'Espagne, franchit les Pyrénées, passa le Rhône, enjamba les Alpes, longea la Ligurie, et rentra en Grèce après avoir donné, sur sa route, naissance à deux peuples, les Basques et les Galates.
Tout cela est pour vous dire, Madame, que, si Hercule était né vingt minutes plus tôt au lieu d'un quart d'heure plus tard, il se fût trouvé le frère aîné d'Eurysthée au lieu de se trouver son frère cadet, et se fût occupé de régner tranquillement à Thèbes, et non de courir le monde comme un chevalier errant, ce qui fait que Calpé et Abyla ne formeraient encore qu'une seule chaîne, et que je vous écrirais du haut d'une montagne, au lieu de vous écrire du milieu d'un détroit.

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1998-2010
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