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Chapitre XVIII


La marquise ferma la porte derrière eux, fit quelques pas dans la chambre, et alla, sans regarder Paul, s'appuyer sur le fauteuil où, la veille, s'était assis le marquis pour signer le contrat. Là elle resta debout et les yeux baissés vers la terre. Paul eut un instant le désir d'aller s'agenouiller à son tour devant elle ; mais il y avait sur le visage de cette femme une telle sévérité, qu'il réprima l'élan de son cœur, et demeura immobile et attendant. Au bout d'un instant de silence glacé, la marquise prit la première la parole.

– Vous avez désiré me voir, monsieur, et je suis venue ; vous avez désiré me parler, j'écoute.

Ces mots sortirent de la bouche de la marquise sans qu'elle fît un mouvement. Ses lèvres seules tremblèrent plutôt qu'elles ne s'ouvrirent : on eût dit d'une statue de marbre qui parlait.

– Oui, madame, répondit Paul avec un accent plein de larmes ; oui, oui, j'ai désiré vous parler ; il y a bien longtemps que ce désir m'est venu pour la première fois et ne m'est plus sorti du cœur. J'avais des souvenirs d'enfant qui tourmentaient l'homme. Je me rappelais une femme que j'avais vue jadis se glisser jusqu'à mon berceau, et que, dans mes rêves juvéniles, je prenais pour l'ange gardien de mes jeunes années. Depuis cette époque, si vivante encore quoique si éloignée, plus d'une fois, madame, croyez-moi, je me suis réveillé en tressaillant, comme si je venais de sentir à mon front l'impression d'un baiser maternel ; puis ne voyant personne près de moi, je l'appelais, cette femme, croyant qu'elle s'était éloignée et qu'à ma voix elle reviendrait peut-être. Voilà vingt ans que je l'appelle ainsi, madame, et voilà la première fois qu'elle me répond. Serait-il vrai, comme j'en ai souvent frissonné, que vous eussiez tremblé de me voir ? Serait-il vrai, comme je le crains en ce moment, que vous n'eussiez rien à me dire ?

– Et si j'avais craint votre retour, dit la marquise d'une voix sourde, aurais-je eu tort ? Vous m'êtes apparu hier seulement, monsieur, et voilà que le mystère terrible qui, à cette heure, ne devait être su que de Dieu et de moi, est connu de mes deux enfants !

– Est-ce donc ma faute, s'écria Paul, si Dieu s'est chargé de le leur révéler ? Est-ce moi qui ai conduit Marguerite, éplorée et tremblante, près de son père mourant, dont elle allait demander l'appui et dont elle a entendu la confession ? Est-ce moi qui l'ai ramenée chez Achard, et n'est-ce pas vous qui l'y avez suivie ? Quant à Emmanuel, le coup que vous avez entendu et cette glace brisée font foi que j'aimais mieux mourir que de sauver ma vie aux dépens de votre secret. Non, non, croyez-moi, madame, je suis l'instrument et non le bras, l'effet et non la volonté. Non, madame, c'est Dieu qui a tout conduit dans sa providence infinie pour que vous ayez à vos pieds, comme vous venez de les y voir, les deux enfants que vous avez écartés si longtemps de vos bras !

– Mais il en est un troisième, dit la marquise d'une voix où commençait enfin à percer quelque émotion, et je ne sais ce que je dois attendre de celui-là...

– Laissez-lui accomplir un dernier devoir, madame ; et, ce devoir accompli, il demandera vos ordres à genoux.

– Et quel est ce devoir ? répondit la marquise.

– C'est de rendre à son frère le rang auquel il a droit, à sa sœur le bonheur qu'elle a perdu, à sa mère la tranquillité qu'elle implore et qu'elle ne peut trouver.

– Et cependant, reprit la marquise étonnée, grâce à vous, monsieur de Maurepas a refusé à monsieur de Lectoure le régiment qu'il lui demandait pour mon fils.

– Parce que, dit Paul, tirant le brevet de sa poche et le déposant sur la table, parce que le roi venait de me l'accorder pour mon frère.

La marquise y jeta les yeux et vit effectivement le nom d'Emmanuel.

– Et cependant, continua-t-elle, vous voulez donner Marguerite à un homme sans nom, sans fortune... et, qui plus est, proscrit ?

– Vous vous trompez, madame ; je veux donner Marguerite à celui qu'elle aime ; je veux donner Marguerite, non pas à Lusignan le proscrit, mais à monsieur le baron Anatole de Lusignan, gouverneur pour Sa Majesté de l'île de la Guadeloupe. Voilà sa commission.

La marquise laissa tomber un second regard sur le parchemin, et vit que, cette fois comme l'autre, Paul lui avait dit la vérité.

– Oui, j'en conviens, dit-elle, voilà pour l'ambition d'Emmanuel et le bonheur de Marguerite.

– Et en même temps pour votre tranquillité, à vous, madame, car Emmanuel rejoint son régiment, Marguerite suit son époux, et vous restez seule, hélas ! comme vous l'avez désiré tant de fois.

La marquise soupira. N'est-ce point cela, madame, et me serais-je trompé ? continua Paul.

– Mais, murmura la marquise, comment me dégager avec le baron de Lectoure ?

– Le marquis est mort, madame. N'est-ce point une cause suffisante à l'ajournement d'un mariage, que la mort d'un mari et d'un père ?...

La marquise, pour toute réponse, s'assit dans le fauteuil, prit une plume et du papier, écrivit quelques lignes, plia la lettre, et mettant sur l'adresse le nom du baron de Lectoure, elle sonna un domestique.

Après quelques secondes d'attente, pendant lesquelles Paul et elle gardèrent le silence, un domestique parut.

– Remettez, dans deux heures, cette lettre au baron de Lectoure, dit elle.

Le domestique prit la lettre et sortit.

– Maintenant, continua la marquise en regardant Paul, maintenant, monsieur, que vous avez rendu justice aux innocents, faites grâce à la coupable. Vous avez des papiers qui constatent votre naissance ; vous êtes l'aîné ; selon la loi du moins, vous avez droit au nom et à la fortune d'Emmanuel et de Marguerite. Que voulez-vous en échange de ces papiers ?

Paul les tira de sa poche et les tint au-dessus de la flamme du foyer.

– Permettez-moi de vous appeler une seule fois ma mère, et appelez moi une seule fois votre fils.

– Est-il possible ! s'écria la marquise en se levant.

– Vous parlez de rang, de nom, de fortune ! continua Paul en secouant la tête avec une expression de profonde mélancolie ; eh ! qu'ai-je besoin de tout cela ? Je me suis fait un rang auquel peu d'hommes de mon âge sont montés ; j'ai acquis un nom qui est la bénédiction d'un peuple et la terreur d'un autre : j'amasserais, si je le voulais, une fortune à léguer à un roi. Que me font donc votre nom, votre rang, votre fortune, à moi, si vous n'avez pas autre chose à m'offrir, si vous ne me donnez pas ce qui m'a manqué toujours et partout, ce que je ne puis me créer, ce que Dieu m'avait accordé, ce que le malheur m'a repris... ce que vous seule pouvez me rendre... une mère !

– Mon fils ! s'écria la marquise, vaincue à cet accent et à ces larmes ; mon fils !... mon fils !... mon fils !

– Ah ! s'écria Paul laissant tomber les papiers dans la flamme, qui les anéantit aussitôt ; ah ! le voilà donc enfin sorti de votre cœur, ce cri que j'attendais, que je demandais, que j'implorais ! Merci, mon Dieu, merci !

La marquise était retombée assise, et Paul était à genoux devant elle, la tête cachée dans sa poitrine. Enfin la marquise lui releva le front.

– Regarde-moi, lui dit-elle. Depuis vingt ans, voilà les premières larmes qui coulent de mes yeux ! Donne-moi ta main. Elle la posa sur sa poitrine. Depuis vingt ans voilà le premier sentiment de joie qui fait battre mon cœur !... Viens dans mes bras !... Depuis vingt ans voilà la première caresse que je donne et que je reçois !... Ces vingt ans, c'est mon expiation sans doute, puisque voilà que Dieu me donne, puisque voilà qu'il me rend les larmes, la joie, les caresses !... Merci, mon Dieu !... merci, mon fils !...

– Ma mère ! dit Paul.

– Et je tremblais de le voir ! je tremblais en le revoyant ! Je ne savais pas, moi... j'ignorais quels sentiments dormaient dans mon propre cœur ! Oh ! je te bénis ! Je te bénis !...

En ce moment la cloche de la chapelle se fit entendre. La marquise tressaillit. L'heure des funérailles était arrivée. Le corps du noble marquis d'Auray, et celui du pauvre Achard allaient être rendus ensemble à la terre. La marquise se leva.

– Cette heure doit être consacrée à la prière, dit-elle. Je me retire.

– Je pars demain, ma mère, lui dit Paul. Ne vous reverrai-je pas ?...

– Oh ! si ! si ! s'écria la marquise. Oh ! je veux te revoir !

– Eh bien ! ma mère, je serai ce soir à l'entrée du parc.

Il est un endroit qui m'est sacré, et auquel j'ai une dernière visite à rendre : je vous y attendrai. C'est là, ma mère, que nous devons nous dire adieu !

– J'irai, dit la marquise.

– Tenez, dit Paul, tenez, ma mère, prenez ce brevet et cette commission ; l'un est pour Emmanuel, l'autre est pour le mari de Marguerite. Que le bonheur de vos enfants leur vienne de vous ! Croyez-moi, ma mère, c'est à moi que vous avez le plus donné !

La marquise alla s'enfermer dans son oratoire ; Paul sortit du château et s'achemina vers la cabane de pêcheur, où nous l'avons déjà vu se rendre une fois, et près de laquelle était fixé son rendez-vous avec Lectoure. Il y trouva Lusignan et Walter.

à l'heure convenue pour la rencontre, Lectoure parut à cheval, s'orientant de son mieux pour arriver au rendez-vous, car il était sans guide, le piqueur qui l'accompagnait étant étranger comme lui aux localités. à sa vue, les jeunes gens sortirent de la cabane.

Le baron les aperçut et piqua droit à eux. Aussitôt qu'il fut à une distance convenable, il mit pied à terre et jeta la bride de sa monture au bras de son domestique.

– Pardon, messieurs, dit-il en s'approchant de ceux qui l'attendaient, pardon de ce que je vous arrive ainsi seul et comme un enfant perdu ; mais l'heure choisie par monsieur, il s'inclina devant Paul, qui lui rendit son salut, était justement celle fixée pour les funérailles du marquis : j'ai donc laissé Emmanuel remplir ses devoirs de fils, et je suis venu sans témoin, espérant avoir affaire à un adversaire assez généreux pour me prêter l'un des siens.

– Nous sommes à votre dévotion, monsieur le baron, répondit Paul ; voici mes deux seconds. Choisissez, et celui que vous honorerez de votre choix deviendra à l'instant le votre.

– Je n'ai aucune préférence, je vous jure, répondit Lectoure ; désignez donc vous-même celui de ces deux messieurs que vous destinez à me rendre ce service.

– Walter, dit Paul, passez du côté de monsieur le baron.

Le lieutenant obéit, les deux adversaires se saluèrent une seconde fois.

– Maintenant, monsieur, continua Paul, permettez que, devant nos témoins respectifs, je vous adresse quelques mots, non pas d'excuses, mais d'explication.

– Faites, monsieur, dit Lectoure.

– Lorsque je vous dis les paroles qui nous amènent ici, les événements qui sont arrivés depuis hier étaient encore cachés dans l'avenir : cet avenir était incertain, monsieur, et pouvait amener avec lui le malheur de toute une famille.

Vous aviez pour vous madame d'Auray, Emmanuel, le marquis ; Marguerite n'avait pour elle que moi seul. Toutes les chances étaient donc pour vous. Voilà pourquoi je m'adressai directement à vous ; car, si je tombais sous vos coups, par des circonstances qui vous demeureront éternellement inconnues, Marguerite ne pouvait pas vous épouser ; si je vous tuais, la chose se simplifiait encore, et n'a pas besoin de commentaire.

– Voilà un exorde on ne peut plus logique, monsieur, répondit le baron en souriant et en fouettant sa botte avec sa cravache ; passons, s'il vous plaît, au corps du discours.

– Maintenant, reprit Paul en s'inclinant légèrement en signe d'adhésion, tout est changé : le marquis est mort, Emmanuel a sa commission de lieutenant, la marquise renonce à votre alliance, quelque honorable qu'elle soit, et Marguerite épouse monsieur le baron Anatole de Lusignan, que, pour cette raison, je ne vous ai pas donné pour témoin.

– Ah ! ah ! fit Lectoure, voilà donc ce que signifiait le billet qu'un domestique m'a remis au moment où je quittais le château. J'avais eu la niaiserie de le prendre pour un ajournement ! Il paraît que c'était un congé en bonne forme. C'est bien, monsieur ; j'attends la péroraison.

– Elle est simple et franche comme l'explication, monsieur. Je ne vous connais pas, je ne désirais pas vous connaître ; le hasard nous a conduits en face l'un de l'autre avec des intérêts divers, et nous nous sommes heurtés. Alors, comme je vous l'ai dit, défiant du destin, je voulais venir quelque peu à son aide. Aujourd'hui, tout est arrivé à ce point que ma mort ou la vôtre serait parfaitement inutile et n'ajouterait qu'un peu de sang au dénouement de ce drame. Franchement, monsieur, croyez-vous que ce soit la peine de le verser ?

– Je serais peut-être de votre avis, monsieur, répondit Lectoure, si je n'avais pas fait une si longue route. N'ayant pas l'honneur d'épouser mademoiselle Marguerite d'Auray, je veux au moins avoir le plaisir de croiser le fer avec vous. Il ne sera pas dit que je serai venu pour rien en Bretagne. Quand vous voudrez, monsieur, continua Lectoure, tirant son épée et saluant son adversaire.

– à vos ordres, monsieur le baron. répondit Paul avec la même politesse et en l'imitant en tout point.

Les deux jeunes gens firent un pas à la rencontre l'un de l'autre. Les lames se touchèrent ; à la troisième passe, l'arme de Lectoure sauta à vingt pas de lui.

– Avant de mettre l'épée à la main, dit Paul au baron, je vous avais offert une explication ; maintenant, monsieur, je serais heureux que vous voulussiez bien agréer mes excuses.

– Et cette fois je les accepte, monsieur, répondit Lectoure avec le même laisser-aller que si rien ne s'était passé. Ramassez mon épée, Dick. Il prit l'arme des mains de son domestique et la remit dans le fourreau. Maintenant, messieurs, continua-t-il, si quelqu'un de vous a des commissions pour Paris, j'y retourne de ce pas.

– Dites au roi, monsieur, répondit Paul en s'inclinant et en remettant à son tour son arme dans le fourreau, que je suis heureux que l'épée qu'il m'a donnée pour combattre les Anglais soit restée pure du sang de l'un de mes compatriotes.

à ces mots les deux jeunes gens se saluèrent ; Lectoure remonta à cheval ; puis, à cent pas de la plage, il prit directement la route de Vannes, tandis que son domestique allait chercher au château sa voiture de voyage.

– Et maintenant, monsieur Walter, dit Paul, envoyez une barque dans la crique la plus proche du château d'Auray. Que tout soit prêt à bord de la frégate pour lever l'ancre cette nuit.

Le lieutenant reprit la route de Port-Louis, et les deux amis rentrèrent dans la cabane.


Pendant ce temps, Emmanuel et Marguerite avaient accompli le funèbre devoir auquel les avait conviés la cloche des funérailles. Le marquis avait été déposé dans le sépulcre armorié de sa famille, et Achard dans l'humble cimetière qui attenait à la chapelle.

Puis les deux enfants étaient remontés auprès de leur mère, qui remit à Emmanuel le brevet tant désiré, et qui accorda à Marguerite le consentement si inattendu. Alors, pour ne pas renouveler des émotions d'autant plus poignantes que ceux qui les éprouvaient les concentraient en eux-mêmes, mère et enfants s'embrassèrent une dernière fois, et se séparèrent avec la conviction intime que c'était pour ne plus se revoir.

Le reste de la journée se passa à accomplir les préparatifs du départ.

Vers le soir, la marquise sortit pour se rendre au rendez-vous que lui avait donné Paul. En traversant la cour, elle aperçut d'un côté une voiture tout attelée, et de l'autre le jeune midshipman Arthur et deux matelots. Son cœur se serra à la vue de ce double apprêt.

Elle continua sa route et s'enfonça dans le parc, sans céder à cette émotion, tant cette longue réaction de l'orgueil contre la nature lui avait donné de force sur elle-même.

Cependant, arrivée à une éclaircie d'où l'on apercevait la maison d'Achard, elle s'arrêta en sentant ses genoux trembler sous elle, et s'adossa contre un arbre, en appuyant la main sur son cœur comme pour en comprimer les battements. C'est que, pareille à ces âmes que le danger présent n'a pu émouvoir, et qui tremblent au souvenir du danger passé, elle se rappelait à combien de craintes et d'émotions elle avait été en proie pendant le cours de ces vingt années, où chaque jour elle était venue à cette maison, fermée maintenant pour ne plus se rouvrir. Toutefois, elle eut bientôt surmonté cette faiblesse, et, reprenant son chemin, elle gagna la porte du parc.

Là elle s'arrêta de nouveau. Au-dessus de tous les arbres s'élevait la cime d'un chêne gigantesque dont on apercevait le feuillage de plusieurs endroits du parc. Bien souvent la marquise était restée des heures entières les yeux fixes sur son dôme de verdure ; mais jamais elle n'avait osé venir se reposer sous son ombre. C'était là cependant qu'elle avait promis de joindre Paul, et que Paul l'attendait. Enfin, elle fit un dernier effort sur elle-même, et entra dans la forêt.

De loin elle aperçut un homme agenouillé et priant : c'était Paul. Elle s'approcha lentement, et, s'agenouillant à son tour, elle pria avec lui.

Puis, la prière finie, ils se relevèrent tous deux, et, sans dire une parole, la marquise passa son bras autour du cou du jeune homme et appuya sa tête sur son épaule. Au bout de quelques instants de silence et d'immobilité, le bruit d'une voiture parvint jusqu'à eux.

La marquise tressaillit et fit signe à Paul d'écouter : c'était Emmanuel qui rejoignait son régiment. En même temps Paul étendit la main dans la direction opposée à celle d'où venait le bruit, et montra à la marquise une barque glissant, légère et silencieuse, sur la surface de la mer : c'était Marguerite se rendant au vaisseau.

La marquise écouta le bruit de la voiture tant qu'elle put l'entendre, et suivit des yeux la barque aussi longtemps qu'elle put la voir ; puis, lorsque l'un se fut éteint dans l'espace, lorsque l'autre eut disparu dans la nuit, elle se retourna vers Paul, levant les yeux au ciel et comprenant que l'heure était venue où celui sur lequel elle s'appuyait devait la quitter à son tour :

– Dieu bénisse, dit-elle, comme je le bénis, le fils pieux qui est resté le dernier auprès de sa mère !

Et, rappelant toutes ses forces, elle embrassa une dernière fois le jeune homme agenouillé devant elle ; puis, s'arrachant de ses bras, elle reprit seule le chemin du château.

Le lendemain, les habitants de Port-Louis cherchèrent vainement, à la place où ils l'avaient vue encore la veille, la frégate qui depuis quinze jours était en station dans le havre extérieur de Lorient. Comme la première fois, elle avait disparu, sans qu'ils pussent deviner ni la cause de son arrivée ni le motif de son départ.

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