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Chapitre LXXIV
Evasion.

Don Pedro reçut Aïssa sur la plate-forme au milieu des témoins qu'elle avait désirés.
Son amour s'exprima sans emphase, ses désirs étaient bien refroidis par la préoccupation de l'évasion prochaine.
Aïssa n'eut donc rien à reprocher à Mothril en cette circonstance ; et d'ailleurs, elle ne cessa de regarder pendant toute la conférence cette bienheureuse bannière de Mauléon, qui flottait resplendissante au soleil à l'extrémité des retranchements.
Aïssa voyait sous cette bannière un homme d'armes que de loin elle pouvait prendre pour Agénor ; ainsi l'avait calculé notre chevalier.
Trouvant ainsi moyen de rassurer Aïssa en lui décelant sa présence, et Mothril en éloignant ses soupçons de toute entreprise cachée, don Pedro avait décidé que trois de ses amis les plus dévoués se tiendraient prêts à aller reconnaître la nuit les remparts de terre.
Il y avait bien un point du rempart plus négligemment gardé que les autres, c'était le côté du rocher qui descend à pic dans un ravin. Plusieurs avis conseillaient au roi de fuir par là le long d'un câble qu'on attacherait aux fenêtres d'Aïssa, mais une fois en bas, le roi n'aurait pas de cheval pour s'éloigner rapidement.
On se résolut donc à sonder ces remparts à l'endroit le plus faible et à se frayer là un chemin par où, les sentinelles écartées ou poignardées, le roi fuirait monté sur un bon cheval.
Mais le soleil du jour promettait une nuit claire, ce qui nuisait à l'exécution du projet.
Tout à coup, comme si la fortune se fût décidée à favoriser chaque désir de don Pedro, un vent d'ouest souleva les brûlants tourbillons de sable de la plaine, et des nuages cuivrés, allongés en grandes banderoles, parurent du fond de l'horizon comme l'avant-garde d'une armée terrible.
A mesure que le soleil s'éteignait derrière les tours de Tolède, ces nuages épaissis noircissaient et enveloppaient le ciel comme dans un sombre manteau.
Une pluie abondante tomba vers les neuf heures du soir.
Agénor et Musaron étaient venus, aussitôt après le coucher du soleil, s'ensevelir côte à côte dans leur cachette de la source.
Les hommes choisis du Bègue de Vilaine s'étaient creusés sous la paroi extérieure du rempart un abri dans la terre desséchée par le soleil du jour, en sorte qu'il y avait autour de Montiel un cordon non interrompu de ces hommes cachés.
En apparence, et d'après l'ordre d'Agénor qui avait pris l'initiative en tout depuis le départ du connétable, des sentinelles debout de loin en loin gardaient ou semblaient garder la ligne de circonvallation.
La pluie avait forcé les sentinelles à s'envelopper de manteaux ; quelques unes s'étaient couchées dans ces manteaux.
A dix heures, Agénor et Musaron entendirent le roc tressaillir sous des pas d'hommes.
Ils écoutèrent plus attentivement, et finirent par voir passer trois officiers de don Pedro qui, avec mille précautions, et plutôt rampant que marchant, exploraient le rempart à un endroit désigné d'avance.
On avait à dessein éloigné de cet endroit la sentinelle. Il n'y avait que l'officier caché sous le revêtement de terre à l'extérieur.
Les officiers virent que ce côté n'était pas gardé. Ils se communiquèrent avec joie cette découverte, et Agénor les entendit s'applaudir en remontant l'escalier rapide.
L'un deux dit à demi-voix :
- Il fait glissant, et les chevaux auront peine à tenir pied en descendant.
- Oui, mais ils courront mieux en plaine, répondit un autre.
Ces mots emplirent de joie le coeur d'Agénor.
Il envoya Musaron aux retranchements annoncer au plus voisin officier breton qu'il allait se passer quelque chose de nouveau.
L'officier couché, communiqua la nouvelle à son voisin, lequel en fit autant, et tout autour de Montiel courut le renseignement donné par Agénor.
Une demi-heure ne s'était pas écoulée qu'Agénor entendit au sommet de la plate-forme le sabot d'un cheval heurter le roc.
Il lui sembla que ce bruit égratignait son coeur, tant l'impression fut vive et douloureuse.
Le bruit s'approchait ; d'autres pas de chevaux se faisaient entendre, mais perceptibles pour Agénor et Musaron seuls.
En effet, le roi avait donné ordre qu'on enveloppât d'étoupes la corne des chevaux pour qu'elle résonnât moins fort.
Le roi venait le dernier ; une petite toux sèche, qu'il ne put retenir, trahit sa présence.
Il marchait à grand-peine, soutenant par la bride son cheval qui glissait des pieds de derrière dans la rapide descente.
A mesure que les fugitifs passaient devant la grotte, Musaron et Agénor les reconnaissaient. Quand ce fut au tour de don Pedro, ils virent parfaitement son visage pâle, mais assuré.
Arrivés au retranchement, les deux premiers fugitifs montèrent à cheval et franchirent le parapet, mais ils avaient à peine fait dix pas qu'ils tombaient dans une fosse préparée, où vingt hommes d'armes les bâillonnant les enlevèrent sans bruit.
Don Pedro, qui ne se doutait de rien, sauta en selle à son tour ; tout à coup il fut saisi par Agénor qui l'étreignit de deux bras nerveux, tandis que Musaron lui serrait la bouche avec une ceinture.
Cela fait, Musaron pique d'un coup de dague le cheval qui bondit par dessus le retranchement et s'enfuit, en faisant entendre un galop rapide sur le terrain rocailleux.
Don Pedro se débattait avec la vigueur du désespoir.
- Prenez garde, lui dit Agénor à l'oreille, je vais être forcé de vous tuer si vous faites du bruit.
Don Pedro réussit à faire entendre ces mots étranglés :
- Je suis le roi ! traite-moi en chevalier !
- Je sais bien que vous êtes le roi, dit Agénor, et je vous attendais ici. Foi de chevalier ! vous ne serez pas maltraité.
Il prit le prince sur ses robustes épaules, et traversa ainsi la ligne de retranchements, au milieu des officiers qui bondissaient de joie.
- Silence ! silence ! dit Agénor, pas d'éclat, messieurs, pas de cris ! J'ai fait les affaires du connétable, ne faites pas manquer les miennes.
Il porta son prisonnier dans la tente de Le Bègue de Vilaine, qui lui sauta au cou et l'embrassa tendrement.
- Vite ! vite ! s'écria ce capitaine, des courriers au roi, qui est devant Tolède ; des courriers au connétable, qui tient la campagne, pour lui apprendre que la guerre est finie.

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