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Chapitre LXII
La politique de Musaron.

Cependant Agénor, poussé par l'inextinguible anxiété de l'amant qui n'a pas de nouvelles, Agénor s'avançait à pas rapides vers les Etats de don Pedro.
En chemin, il s'était rallié, grâce à une certaine réputation que lui avait acquis son voyage en France, les Bretons, qui, après la rançon faite, venaient chercher Duguesclin et combattre avec lui.
Il rencontra aussi bon nombre de chevaliers espagnols, qui allaient au rendez-vous fixé par Henri de Transtamare, lequel, disait-on, devait rentrer en Espagne, et commençait à nouer des intelligences avec le prince de Galles, mécontent de don Pedro.
Chaque fois qu'il couchait à une ville ou à un bourg de quelqu'importance, Agénor s'informait d'Hafiz, de Gildaz, et de Maria Padilla, demandant si l'on n'avait pas vu passer un courrier cherchant un Français, ou une jeune et belle Moresque suivie de deux serviteurs et gagnant la frontière de France.
Chaque fois aussi qu'une réponse négative venait frapper son oreille, le jeune homme enfonçait avec plus d'ardeur ses éperons dans le ventre de son cheval.
Alors, Musaron disait de son ton de philosophe gourmé :
- Monsieur, voilà une jeune femme qu'il vous faudra bien aimer, car elle nous coûte bien des peines.
A force de marcher, Agénor gagna du terrain ; à force de s'enquérir, il fut renseigné.
Vingt lieues encore le séparaient de la cour de Burgos.
Il savait qu'une armée très dévouée, très aguerrie, très fraîche, et par conséquent dangereuse pour don Pedro, n'attendait qu'un signal pour se rallier et opposer au vainqueur de Navarette une nouvelle tête d'hydre plus mordante, plus envenimée que jamais.
Agénor se demandait et demandait à Musaron s'il ne serait pas convenable, avant de continuer toute négociation politique, d'entamer les négociations amoureuses avec Maria de Padilla.
Musaron avouait que la diplomatie est bonne, mais il prétendait qu'en prenant don Pedro, Maria, Mothril et l'Espagne, on prendrait Burgos, dans laquelle Burgos on ne pouvait manquer de prendre Aïssa, si elle y était encore.
Cela consolait beaucoup Agénor, et il faisait quelques lieues de plus.
Voilà comment se resserra peu à peu le cercle destiné à étouffer don Pedro que la prospérité aveuglait, que les intrigues de ses favoris occupaient de futilités, alors qu'il s'agissait et une couronne.
Musaron, le plus entêté des hommes, surtout depuis qu'il se sentait riche, ne souffrit pas que son maître s'aventurât une seule fois à pousser vers Burgos, à s'y enfermer et à conférer avec dona Maria.
Il profita au contraire de son abattement et de ses négligences amoureuses pour le retenir au milieu des Bretons et des partisans de Transtamare, en sorte que le jeune chevalier fut bientôt chef d'un parti considérable, autant par le relief de sa mission en France, que par son assiduité à nourrir l'élément de la guerre.
Il accueillait les arrivants, tenant table ouverte, correspondait avec le connétable, avec son frère Olivier, qui se préparait à faire passer la frontière à cinq mille Bretons pour secourir son frère, et l'aider à gagner sa première bataille.
Musaron devenait tacticien : il passait des jours entiers à écrire des plans de bataille et à supputer le nombre des écus que Caverley pouvait avoir amassés depuis la dernière affaire, pour avoir la satisfaction de ne se pas tromper la première fois qu'on le battrait.
C'est au milieu de ces dispositions belliqueuses qu'une importante nouvelle arriva chez Agénor : malgré la vigilance de Musaron, un émissaire adroit venait d'annoncer à Agénor le départ de don Pedro pour le château de plaisance, et la disparition d'Aïssa, de Maria, coïncidant avec le voyage du roi.
Le même courrier savait que Gildaz était mort en chemin, et que Hafiz seul avait reparu chez dona Maria.
Agénor, pour savoir tant de choses et de si bonnes, n'avait eu besoin que de donner trente écus à un homme du pays, qui s'était abouché avec la nourrice de Maria, mère du pauvre Gildaz.
Aussi, lorsque Agénor sut à quoi s'en tenir, malgré Musaron, malgré ses compagnons d'armes, malgré tout, se jeta-t-il sur le meilleur de ses chevaux, auquel il fit prendre la route de ce château que don Pedro avait choisi pour résidence.
Musaron pesta et maugréa ; mais il partit aussi pour ce château.

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