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Chapitre XXXIX
Que voulez-vous qu'il fit contre trois !

Cinq minutes après, Trichter entrait chez Muhldorf, le chapeau de travers, superbe, querelleur et courroucé d'avance de la réception que le tailleur allait lui faire. Muhldorf le reçut avec un sourire gracieux.
- Prenez donc la peine de vous asseoir, mon cher monsieur Trichter, dit-il, je suis enchanté de vous voir.
- Bah ! dit Trichter. Mais savez-vous ce qui m'amène ?
- Je m'en doute, répondit le tailleur en se frottant les mains.
- Je viens vous commander un habit complet.
- à merveille. Pour quand vous faut-il cela ?
- Tout de suite, dit Trichter, ne revenant pas de l'aménité du tailleur. Dépêchez-vous de me prendre mesure.
Le tailleur obéit avec empressement. Quand il eut fini :
- Ce sera fait samedi, dit-il.
- Bien. Vous me l'enverrez, dit Trichter qui fit un pas pour sortir.
- Vous vous en allez ? dit Muhldorf.
- Pourquoi resterais-je ?
- Je ne demande pas que vous restiez, mais j'espère que vous allez me laisser quelque chose.
- Quoi donc ?
- Une centaine de florins, un simple à-compte.
- Mon bon Muhldorf, répliqua Trichter, vous avez été trop gentil pour moi aujourd'hui et vous m'avez trop amicalement pris mesure pour que je vous réponde comme un honnête étudiant doit répondre à une vulgaire demande d'argent. Le mémoire des habits que vous m'avez livrés pendant sept ans et l'espérance de celui que vous me livrerez samedi me poussent à ne pas m'offenser de votre appel de fonds. Je vous pardonne.
- Pardonnez – et donnez, dit Muhldorf en tendant la main.
Trichter serra la main du tailleur.
- Une poignée de main si vous voulez, dit-il ; mais je n'ai pas le sou.
Et il se dirigea vers la porte. Muhldorf lui barra le passage.
- Pas le sou ! s'écria-t-il, et les cinq cents florins que madame votre mère vous a envoyés ?
- Cinq cents florins ? ma mère ? répéta Trichter. Ah ! l'aimable folie ! Muhldorf, vous devenez spirituel.
- C'est-à-dire, s'écria Muhldorf avec une colère qui tâchait de se contenir, que, non content de ne pas payer les anciens habits, vous êtes venu me railler chez moi en m'en commandant de nouveaux ?
- C'est-à-dire, répliqua Trichter déjà un peu allumé aussi, que c'est pour vous moquer de moi que vous m'avez reçu avec cette obséquiosité et que vous m'avez si servilement pris mesure ?
- Donc, glapit Muhldorf, prenant sur son comptoir la lettre de Samuel et la levant furieux sous le nez de Trichter, cette lettre est une mystification ?
- Donc, hurla Trichter en jetant un regard irrité sur la lettre, quand vous me promettiez pour samedi un habillement complet, c'était pour l'argent dont vous me croyiez les poches lâchement pleines, et non pour l'inestimable honneur de m'habiller ?
Et il brandit sa canne ferrée. Mais Muhldorf sauta sur son aune.
- Il ne s'agit pas des habits que j'allais vous faire, cria le créancier exaspéré, mais de ceux que je vous ai faits et que vous allez me payer ou me rendre.
Il s'avança sur Trichter, l'aune levée.
L'aune de Muhldorf n'était pas levée sur Trichter que la canne de Trichter était tombée sur Muhldorf.
Muhldorf poussa un cri, recula brusquement en arrière, creva deux vitres de sa devanture, et revint sur Trichter, dont la canne tourbillonnait.
Au cri du tailleur, deux voisins, un charcutier et un cordonnier, accourent. Le noble Trichter éborgna le cordonnier et ne s'effraya pas du nombre. Mais tout à coup il sentit au mollet gauche une atteinte qu'il n'avait pas parée ni prévue. C'était le chien du charcutier qui venait au secours de son maître.
Trichter baissa la tête instinctivement pour voir ce que c'était. Les trois adversaires abusèrent de ce mouvement pour se ruer sur lui et pour le lancer net à la porte. L'impulsion fut telle que le valeureux Trichter alla rouler dans le ruisseau de la rue, pêle-mêle avec le chien qui eut l'honorable persistance de ne pas lâcher le mollet.
Trichter n'avait pu, au préalable, que tourner, en passant, sa canne de façon à la cogner en plein dans la devanture et à pulvériser le reste du vitrage. Mais, en tombant, il aperçut deux renards qui passaient à l'extrémité de la rue.
- à moi ! les compagnons ! cria-t-il de toute sa force.


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