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Chapitre XLVI
Où maître Jacques tient le serment qu'il a fait à Aubin Courte-Joie

Effectivement, le bruit que le baron Michel et Petit-Pierre avaient entendu, du côté par où Courtin venait de disparaître, se changeait en un fracas tumultueux qui allait toujours se rapprochant ; et, deux minutes après, une douzaine de chasseurs, lancés au galop sur les traces ou plutôt sur le bruit que faisait en fuyant le cheval du marquis de Souday, – lequel accompagnait sa fuite de hennissements furieux, – passèrent comme une tempête à dix pas de Petit-Pierre et de son compagnon, qui se redressant au fur et à mesure que les cavaliers s'éloignaient, les suivirent de l'œil dans leur course enragée.

– Ils vont bien, dit Petit-Pierre ; mais, c'est égal, je doute qu'ils le rattrapent.

– D'autant plus, répondit le baron, qu'ils vont justement passer à l'endroit où nos amis nous attendent, et que le marquis me paraît tout à fait d'humeur à ralentir leur poursuite.

– Bataille, alors ! fit Petit-Pierre. Hier dans l'eau, aujourd'hui dans le feu ; j'aime mieux cela !

Et il essaya d'entraîner le baron Michel du côté où il comptait que la bataille allait avoir lieu.

– Oh ! non, non, dit Michel résistant ; non, je vous en prie, n'y allez pas !

– N'êtes-vous pas curieux de combattre sous les yeux de votre belle, baron ? Elle est là, cependant !

– Je le crois, dit tristement le jeune homme ; mais, vous le voyez, les soldats sillonnent la campagne dans toutes les directions ; si l'on tire quelques coups de fusil, ils accourront au feu ; nous pouvons tomber dans un de leurs partis, et, si j'accomplissais si malheureusement la mission dont je me suis chargé, je n'oserais plus jamais me présenter devant le marquis...

– Voyons, dites devant sa fille.

– Eh bien, oui.

– Alors, pour ne pas vous brouiller avec votre belle amie, je vous promets de vous obéir.

– Merci, merci, dit Michel saisissant vivement les mains de Petit-Pierre.

Puis, s'apercevant de l'inconvenance qu'il commettait :

– Oh ! pardon, pardon, dit-il en faisant vivement un pas en arrière.

– Bon ! dit Petit-Pierre, ne faites pas attention. Où le marquis de Souday m'avait-il ménagé un asile ?

– Chez moi, dans une métairie à moi.

– Pas dans celle de Courtin, j'espère ?

– Non, dans une autre, parfaitement isolée, perdue dans les bois, de l'autre côté de Légé... Vous savez le village où était la maison de Tinguy ?

– Oui ; mais connaissez-vous les chemins qui y conduisent ?

– Parfaitement.

– Je me défie un peu de cet adverbe-là en France ; mon pauvre Bonneville, lui aussi, connaissait parfaitement les chemins, et cependant il s'est égaré.

Petit-Pierre poussa un soupir et murmura :

– Pauvre Bonneville !... Hélas ! C'est peut-être cette erreur qui est la cause de sa mort.

Ce retour que faisait Petit-Pierre en arrière le ramenait naturellement aux pensées mélancoliques qui avaient déjà occupé son esprit lorsqu'il avait quitté la maison où s'était accomplie la catastrophe qui avait coûté la vie à son premier compagnon ; il redevint silencieux, et, après un signe de consentement, il se mit à suivre son nouveau guide, ne répondant que par des monosyllabes aux rares questions que lui adressait Michel.

Quant à celui-ci, il se tira de ses nouvelles fonctions avec infiniment plus d'adresse et de bonheur que l'on n'aurait pu s'y attendre. Il se jeta sur la gauche, et, traversant la plaine, il gagna un ruisseau qu'il connaissait pour y avoir maintes fois pêché des écrevisses dans son enfance ; ce ruisseau traverse d'un bout à l'autre le vallon de la Benaste, remonte vers le sud pour redescendre au nord et rejoindre la Boulogne auprès de Saint-Colombin.

Les deux rives, bordées de prairies, offraient un chemin à la fois sûr et commode. Michel le suivit quelque temps en portant Petit-Pierre sur ses épaules comme avait fait le pauvre Bonneville.

Puis, sortant du ruisseau après y avoir fait un kilomètre environ, il appuya de nouveau à gauche, gravit une colline et montra à Petit-Pierre les masses sombres de la forêt de Touvois, que, dans l'obscurité, on entrevoyait au pied de la colline sur laquelle ils étaient parvenus.

– Est-ce donc déjà votre métairie ? demanda Petit-Pierre.

– Non ; nous avons encore à traverser la forêt de Touvois ; mais, dans trois quarts d'heure, nous y serons arrivés.

– Et la forêt de Touvois est-elle sûre ?

– C'est probable : les soldats savent bien qu'il n'y a rien de bon, pour eux, à traverser nos forêts la nuit.

– Et vous ne craignez pas de vous y perdre ?

– Non ; car nous n'irons point à travers le fourré ; nous n'y entrerons même que quand nous aurons trouvé le chemin de Machecoul à Légé ; en suivant la lisière de l'est, nous devons nécessairement le rencontrer.

– Et alors ?

– Alors, nous n'aurons plus qu'à le suivre en remontant.

– Allons, allons, dit Petit-Pierre, je rendrai bon compte de vous, mon jeune guide, et, ma foi, il ne tiendra pas à Petit-Pierre que votre courageux dévouement n'obtienne la récompense qu'il ambitionne. Mais voici un chemin à peu près praticable ; ne serait-ce pas celui que nous cherchons ?

– C'est bien facile à reconnaître : il doit y avoir un poteau à droite... Et ! tenez, le voici ! C'est cela même. Et, maintenant, Petit-Pierre, j'ose vous promettre une bonne nuit.

– Tant mieux ! dit Petit-Pierre en soupirant ; car je ne puis pas vous cacher que les terribles émotions de la journée ont mal réparé les fatigues de l'autre nuit.

Petit-Pierre n'avait pas achevé ces mots, qu'une silhouette noire se dressa sur le revers du fossé, bondit sur la route, et qu'un homme le saisissant violemment au collet, lui cria d'une voix de tonnerre :

– Arrêtez, ou vous êtes mort !

Michel s'élança au secours de son jeune compagnon en assenant sur la tête de l'agresseur un vigoureux coup de la pomme de plomb de sa cravache.

Mais il faillit payer cher sa généreuse intervention.

L'homme, sans lâcher Petit-Pierre, qu'il contenait de la main gauche, tira un pistolet de dessous sa veste et fit feu sur le baron Michel.

Heureusement pour le pauvre jeune homme que, quelle que fût la faiblesse de Petit-Pierre, ce n'était point un gaillard à se tenir aussi parfaitement tranquille que l'eût souhaité l'homme au pistolet : il vit le geste, et, d'un geste plus rapide encore, il releva si à propos le bras qui ajustait l'arme meurtrière, que la balle, qui, sans ce mouvement, traversait infailliblement la poitrine du baron Michel, ne fit que lui labourer le haut de l'épaule.

Il revenait à la charge et l'assaillant sortait un second pistolet de sa ceinture, lorsque deux autres individus s'élancèrent hors des buissons et le saisirent par-derrière.

Alors, l'homme, le voyant hors d'état de nuire, se contenta de dire à ses deux coopérateurs :

– Fusillez-moi ce gaillard-là ! et, quand vous en aurez fini avec lui, vous me débarrasserez de celui-ci.

– Mais, se hasarda de dire Petit-Pierre, de quel droit nous arrêtez-vous de la sorte ?

– Du droit de ceci, répondit l'homme en montrant la carabine qu'il portait en sautoir sur son épaule. Pourquoi ? Vous le saurez tout à l'heure. Attachez solidement l'homme à la cravache ; quant à celui-ci, ajouta-t-il avec mépris en désignant Petit-Pierre, ce n'est pas la peine : je crois que nous n'aurons pas grande difficulté à nous en faire suivre.

– Mais, enfin, où nous conduisez-vous ? demanda Petit-Pierre.

– Oh ! vous êtes bien curieux, mon jeune ami, répondit l'homme.

– Mais encore ?...

– Eh ! pardieu ! marchez, si vous tenez tant à le savoir. Vous le verrez tout à l'heure par vos propres yeux.

Et l'homme, prenant le bras de Petit-Pierre sous le sien, l'entraîna dans le fourré, tandis que Michel, qui regimbait encore vigoureusement, poussé par les deux acolytes, y pénétrait à son tour.

Ils marchèrent ainsi pendant dix minutes, après lesquelles ils arrivèrent à la clairière que nous connaissons pour la demeure de Jacques, le maître des lapins ; car c'était lui qui, pour tenir saintement la promesse qu'il avait faite à Courte-Joie, avait arrêté les deux premiers voyageurs que le hasard avait envoyés sur la route et c'était son coup de pistolet qui avait mis en rumeur tout le camp des réfractaires, ainsi que nous l'avons vu à la fin d'un des chapitres précédents.

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