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Chapitre III
Chez la reine

Grâce à l'habileté du négociateur, doué de toute la finesse diplomatique que l'on prétend être un des apanages de la race florentine ou milanaise, grâce surtout à l'intérêt que les deux rois avaient à ce que le secret fût religieusement gardé, rien, à part ces bruits vagues qui accompagnent les grands événements, n'avait encore transpiré à la cour des grands projets que venait d'exposer au duc de Savoie Odoardo Maraviglia, et dont la réalisation coûtait si cher à la France.
Ce fut donc avec un grand étonnement que deux cavaliers, suivis chacun d'un écuyer et qui arrivaient chacun par une route opposée, se rencontrèrent quatre jours après l'entrevue que nous venons de racontrer, et se reconnurent l'un pour le connétable de Montmorency, que l'on croyait prisonnier à Anvers, l'autre pour le duc de Guise, que l'on croyait au camp de Compiègne.
Entre ces deux ennemis acharnés, les compliments ne furent pas longs. En sa qualité de prince impérial, le duc de Guise avait le pas sur toute la noblesse de France ; M. de Montmorency fit donc faire un pas de retraite à son cheval, M. de Guise fit faire un pas en avant au sien, de sorte que l'on eût pu croire que le connétable était quelque écuyer de quelque gentilhomme de la suite du prince, si en entrant dans la cour du Louvre, où le roi était en résidence d'hiver, l'un n'eût pas pris à droite et l'autre à gauche.
En effet, l'un, le duc de Guise, se rendait chez la reine Catherine de Médicis.
L'autre, le connétable, se rendait chez la favorite Diane de Poitiers.
Tous deux, par l'une et par l'autre, étaient attendus avec une égale impatience.
Que l'on nous permette d'accompagner le plus important de nos personnages chez la plus importante, en apparence du moins, des deux femmes que nous venons de nommer, c'est-à-dire le duc de Guise chez la reine.
Catherine de Médicis était Florentine, les Guise étaient Lorrains ; il n'y avait donc rien d'étonnant à la rigueur qu'au moment où la funeste nouvelle de la bataille de Saint-Quentin se répandit en France, Catherine et le cardinal de Lorraine, qui voyaient baisser leur crédit par l'influence que prenait naturellement le connétable comme chef de l'armée, n'eussent eu qu'une idée, non pas que la perte de cette bataille mettait la France à deux doigts de sa perte, mais qu'en faisant M. le connétable et l'un de ses fils prisonniers des Espagnols, elle ruinait le crédit des Montmorency.
Or, le crédit des Montmorency ne pouvait s'abaisser qu'en élevant, par un jeu naturel de bascule politique et militaire, le crédit des Guise.
Aussi, comme nous l'avons dit, toute l'administration civile du royaume avait-elle été remise aux mains du cardinal de Lorraine, tandis que le duc François de Guise, attendu d'Italie comme un sauveur, avait, à son arrivée, concentré tout le pouvoir militaire entre ses mains avec le titre de lieutenant général du royaume.
Nous avons vu, au reste, comment le duc de Guise avait usé de cette toute-puissance. L'armée réorganisée, Calais rendue à la France, Guines, Ham et Thionville prises d'assaut, Arlon surprise – tel avait été le résultat d'une seule campagne.
Le duc de Guise se berçait donc dans un immense rêve d'ambition prêt à s'accomplir, c'est-à-dire dans un des plus doux rêves que pouvait faire un Guise, lorsqu'une vague rumeur vint le réveiller.
Il était question du retour du connétable à Paris ; retour que l'on pourrait, s'il s'effectuait, regarder comme le préliminaire d'un traité de paix.
à cette simple rumeur, le duc de Guise était parti du camp de Compiègne, et à moitié chemin, c'est-à-dire à Louvres, il avait rencontré un exprès que lui envoyait le cardinal de Lorraine avec injonction d'arriver à Paris le plus tôt possible.
Le messager n'avait pas d'autre instruction ; mais, prévenu comme il l'était, le duc se doutait bien dans quel but il était mandé.
En rencontrant M. de Montmorency à la porte, ses soupçons se changeaient en certitude.
M. de Montmorency était libre, et la paix, selon toute probabilité, allait être la conséquence de cette liberté inattendue.
M. de Guise avait cru la captivité du connétable une captivité éternelle, comme celle du roi Jean.
Le désappointement était cruel.
M. de Montmorency avait tout perdu, M. de Guise avait tout sauvé, et cependant, selon toute probabilité, le vaincu allait reparaître à la cour sur le même pied que le victorieux.
Et qui sait encore si, grâce à la protection de Mme de Valentinois, ce n'était point au vaincu que la bonne part serait faite.
C'étaient toutes ces pensées qui faisaient soucieux le visage du duc de Guise au moment où il montait l'escalier qui le conduisait chez la reine Catherine, tandis qu'au contraire, le visage joyeux, le connétable montait de l'autre côté de la cour l'escalier qui conduisait chez madame Diane.
Le duc était évidemment attendu car, aussitôt que son nom eut été prononcé, il vit se soulever la portière de la chambre de la reine et il entendit la voix de Catherine qui, avec son rauque accent florentin, lui criait :
- Entrez, M. le duc, entrez.
La reine était seule. Le duc François jeta les yeux autour de lui comme s'il se fût attendu à trouver quelqu'un avec elle.
- Ah oui, dit la reine, vous cherchez votre frère.
- Votre Majesté sait-elle, répondit le duc de Guise, abrégeant tous les compliments d'usage comme il convenait à une si grande situation, que mon frère m'a envoyé un courrier avec invitation de me rendre à l'instant même à Paris.
- Oui, dit Catherine, mais comme le courrier est parti à une heure de l'après-midi seulement, nous ne vous attendions que ce soir, et même assez avant dans la nuit.
- C'est vrai, mais le courrier m'a rencontré à moitié chemin.
- Et qui vous ramenait à Paris ?
- Mon inquiétude.
- Duc, dit Catherine, négligeant cette fois de ruser, vous avez raison d'être inquiet ; car jamais inquiétude n'a eu un plus juste sujet.
En ce moment, on entendit le bruit d'une clef qui grinçait dans une première serrure, puis dans une seconde ; la porte d'une entrée particulière donnant sur les corridors de la reine s'ouvrit et le cardinal parut.
Sans prendre le temps de saluer son frère, et comme s'il fût entré chez une princesse de son rang, ou même d'un rang inférieur, il marcha droit à Catherine et à François et, avec une altération de voix qui indiquait l'importance qu'il attachait à cette nouvelle :
- Savez-vous qu'il vient d'arriver ? dit-il.
- Oui, répondit le duc François, devinant de qui parlait le cardinal, je l'ai rencontré à la porte du Louvre.
- Qui cela ? demanda Catherine.
- Le connétable, répondirent à la fois le duc et le cardinal de Guise.
- Ah ! fit Catherine, comme si elle eût reçu un coup de couteau en pleine poitrine ; mais peut-être, comme les autres fois, revient-il seulement avec un congé de quelques jours.
- Point, répondit le cardinal. Il revient à Paris ; il a obtenu, par l'intermédiaire du duc de Savoie, d'être mis à rançon, lui et l'amiral, moyennant deux cent mille écus qu'il trouvera moyen, vous le verrez, de faire payer au roi. Par la croix de Lorraine, continua le cardinal, mordant sa moustache de colère, la sottise, en effet, était trop forte pour être payée par un simple gentilhomme ; et si l'on y eût mis le prix qu'elle mérite, les Montmorency, les Damville, les Coligny et les Dandelot eussent été ruinés à la peine.
- En somme, demanda Catherine, qu'avez-vous appris de plus que ce que nous savons ?
- Pas grand-chose, mais j'attends d'un moment à l'autre votre ancien messager, M. le duc de Nemours, dit Charles de Lorraine en se tournant vers son frère. M. de Nemours est de la maison de Savoie ; on ne se doute pas qu'il est à nous et, comme le vent souffle en ce moment du côté du Piémont, probablement pourra-t-il nous apprendre du nouveau.
En ce moment, on gratta respectueusement à la porte par laquelle un instant auparavant était entré le cardinal et qu'il avait refermée à clef derrière lui.
- Ah ! dit Charles de Lorraine, c'est lui probablement.
Et, sans s'inquiéter de ce que l'on pourrait penser en voyant la clef d'une porte donnant dans sa chambre entre les mains du cardinal de Lorraine, elle poussa le cardinal vers cette porte.
C'était en effet ce même duc de Nemours que nous avons déjà vu introduit dans l'appartement de Catherine par le cardinal Charles de Lorraine un an et demi auparavant, pendant une matinée où le roi et une partie de la cour étaient en chasse dans la forêt de Saint-Germain.
Lui n'avait ni les inquiétudes du duc de Guise, ni les familiarités du cardinal ; aussi voulut-il saluer Catherine selon les règles de la plus respectueuse étiquette, mais celle-ci ne lui en donna pas le temps.
- M. le duc, dit-elle, voici notre cher cardinal qui nous annonce que vous avez probablement du nouveau à nous apprendre. Parlez. Que savez-vous de cette misérable paix ?
- Mais, répondit M. de Nemours, je puis vous mettre au courant et de première main. Je quitte le négociateur Odoardo Maraviglia, qui quitte lui-même le duc Emmanuel de Savoie.
- Alors vous devez être bien renseigné, dit le cardinal de Lorraine ; car le duc Emmanuel de Savoie est le principal intéressé dans cette affaire puisque sa principauté est en jeu.
- Eh bien, chose étonnante, dit M. de Nemours, soit insouciance de grandeur, soit – et la chose est bien plus probable – quelque cause mystérieuse, comme le serait un amour secret ou quelque engagement pris avec une autre, le prince Emmanuel Philibert a reçu les ouvertures qui lui ont été faites avec plus de tristesse que de joie.
- Peut-être aussi, dit le duc de Guise avec amertume, a-t-il été mal payé par la reconnaissance royale. Il n'y aurait rien là d'étonnant. Celui-là aussi est au nombre des vainqueurs.
- En ce cas, dit le duc de Nemours, il serait bien difficile, car on lui rend ses états à peu près intacts, sauf cinq villes, et encore ces cinq villes lui seront-elles rendues lorsqu'il aura un enfant mâle de sa femme.
- Et sa femme, quelle sera sa femme ? demanda vivement le cardinal de Lorraine.
- Ah c'est vrai ! répondit Nemours ; on ne sait point encore la nouvelle. Sa femme sera madame Marguerite de France.
- La sœur du roi ! s'écria Catherine.
- Elle sera arrivée à son but, dit le duc François ; elle ne voulait épouser qu'un prince souverain.
- Seulement, dit Catherine avec cette âcreté particulière aux femmes quand elles parlent les unes des autres, seulement elle aura attendu longtemps, la chère personne, car, si je ne me trompe, elle a tantôt trente-six ans ; seulement, selon toute probabilité, elle n'aura pas perdu pour attendre.
- Et comment Emmanuel Philibert a-t-il pris la nouvelle de cette alliance royale ?
- Mais très froidement d'abord. Le comte Maraviglia prétend qu'il a vu le moment où il allait refuser ; puis, après un quart d'heure de réflexion, il a accepté. Enfin, le soir, en renvoyant l'ambassadeur, le prince lui a positivement dit qu'il désirait n'être point trop positivement engagé à l'endroit du mariage, tant qu'il n'aurait pas vu la princesse Marguerite. Mais vous comprenez bien que l'ambassadeur n'a rien dit de cette hésitation et a présenté au contraire au roi Henri II Emmanuel Philibert comme le prince le plus joyeux et le plus reconnaissant du monde.
- Et, demanda le duc François de Guise, quelles sont les villes qu'on lui rend ?
- Toutes, répondit le jeune homme, à l'exception des villes de Turin, de Pignerol, de Quiers, de Chivas et de Villeneuve d'Aste, qui lui seront rendues à son premier hériter mâle. D'ailleurs le roi de France aurait eu tort de marchander sur les villes ou sur les châteaux, puisqu'il en rend tant à la reine d'Angleterre qu'au roi d'Espagne quelque chose comme cent quatre-vingt-dix-huit.
- Bon, dit le duc de Guise, pâlissant malgré lui ; n'aurez-vous pas entendu dire par hasard qu'au nombre de ces villes et de ces châteaux le roi rendait Calais.
- Je n'en sais trop rien, dit le duc de Nemours.
- Mordieu, dit alors le duc de Guise, c'est que, comme ce serait me dire que mon épée lui est inutile, j'irais l'offrir à quelque souverain qui l'utiliserait mieux – si toutefois, ajouta-t-il entre ses dents, je ne la gardais pas pour moi-même.
En ce moment un valet du cardinal, placé en observation par Son éminence, leva vivement la tapisserie en criant :
- Le roi !
- Où cela ? demanda Catherine.
- Au bout de la grande galerie, répondit le valet.
Catherine regarda le duc François comme pour l'interroger sur ce qu'il croyait devoir faire.
- Je l'attendrai, dit le duc.
- Attendez-le, monseigneur, dit le duc de Nemours ; vous êtes un preneur de villes et un gagneur de batailles, et vous pouvez attendre tous les rois du monde le front levé. Mais croyez-vous que, lorsque Sa Majesté rencontrera ici le cardinal de Lorraine et le duc de Guise, il ne trouvera point que c'est bien assez sans moi.
- En effet, dit Catherine, il est inutile qu'il vous voie ici. La clef, mon cher cardinal.
Le cardinal, qui tenait la clef prête à tout hasard, la passa vivement à la reine. La porte s'ouvrit devant le duc de Nemours ; et elle venait de se refermer discrètement derrière le donneur de nouvelles, lorsque, le visage sombre et le sourcil froncé, Henri de Valois parut dans l'encadrement de la porte opposée.

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