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Chapitre III


Une fois dans le chemin de fer, ma compagne respira.
- Quelle admirable artiste ! me dit-elle.
- Vous êtes aussi grande qu'elle, chère Lilla, puisque vous la comprenez.
- En attendant, me voilà malade pour huit jours.
- Bah ! comment cela ?
- Je n'ai pas un nerf par tout le corps qui ne soit brisé.
Elle poussa un soupir.
- Voulez-vous que j'essaye de vous calmer ? lui demandai-je.
- Comment cela ?
- En vous magnétisant. Nous sommes seuls dans le wagon, et vous avez assez de confiance en moi, n'est-ce pas, pour vous laisser endormir un instant ? Vous vous réveillerez, sinon guérie, du moins soulagée.
- Je le veux bien, essayez ; mais je vous préviens que les magnétiseurs ont toujours échoué lorsqu'ils ont voulu m'endormir.
- Parce que vous avez résisté. Ayez la volonté de m'être soumise, et vous verrez que, si je ne vous endors pas complètement, je vous assoupirai, du moins.
- Je ne réagirai pas, je vous le promets.
- Qu'éprouvez-vous ?
- Une violente chaleur à la tête.
- C'est donc la tête qu'il faut d'abord calmer.
- Oui... Comment allez-vous vous y prendre ?
- Oh ! ne me le demandez pas ; je n'ai point étudié le magnétisme comme science, je l'ai ressenti comme instinct. J'en ai fait, pour me rendre compte à moi-même de sa puissance et de ses effets au moment où j'écrivais Balsamo, et, depuis, lorsqu'on m'a prié d'en faire, mais jamais pour mon plaisir ; la chose me fatigue trop.
- A la bonne heure ! voilà au moins qui prouve que vous êtes de bonne foi. Alors, pour vous, le magnétisme est une chose en dehors des choses matérielles ?
- Entendons-nous ; il y a, à mon avis, une partie de la puissance du magnétisme qui tient au monde physique, et, par conséquent, matériel. Cette partie, j'essayerai de vous l'expliquer en philosophe. Lorsque la nature a créé l'homme et la femme, elle n'a pas, toute prévoyante qu'elle est, eu la moindre idée des lois qui régiraient les sociétés humaines : avant de songer à créer l'homme et la femme, elle avait comme dans les autres espèces d'animaux, songé à créer le mâle et la femelle. Sa principale affaire, à cette grande Isis aux cent mamelles, à la Cybèle grecque, à la Bonne Déesse romaine, c'était la reproduction des espèces. De là la lutte éternelle des instincts charnels contre les lois sociales, de là, enfin, la puissance d'asservissement de l'homme sur la femme et d'attraction de la femme vers l'homme. Eh bien, un des mille moyens employés par la nature pour en venir à son but est le magnétisme. Les effluves physiques sont autant de courants qui entraînent le faible vers le fort ; et c'est si vrai, que je crois que le magnétiseur prend une influence irrésistible sur le sujet qu'il magnétise, non seulement lorsque ce sujet est endormi, mais encore quand il est éveillé.
- Et vous m'avouez cela !
- Pourquoi ne vous l'avouerais-je pas ?
- Au moment où vous me proposez de m'endormir !
- Me croyez-vous ou non un honnête homme ?
- Je vous crois un honnête homme ; et la preuve est dans la façon dont j'agis avec vous ; car enfin qui vous empêcherait de dire que j'ai été votre maîtresse ?
- Et que me reviendrait-il de faire ce mensonge ?
- Dame ! je ne sais, moi, ce qui revient aux hommes à bonnes fortunes.
- Eh ! chère Lilla, m'avez-vous jamais fait l'injure de croire que j'eusse la prétention d'être ou de passer pour un homme à bonnes fortunes ?
- On m'avait dit là-bas que vous étiez l'homme le plus vaniteux de France.
- C'est possible ; mais ma vanité n'a jamais eu, si jeune que j'aie été, ce que vous appelez les bonnes fortunes pour objet. Dans certaine position de richesse ou de célébrité, on n'a pas le temps de chercher, on n'a pas besoin de mentir. J'ai eu au bras les plus jolies femmes de Paris, de Florence, de Rome, de Naples, de Madrid et de Londres, souvent non seulement les plus jolies femmes, mais les plus grandes dames, et je n'ai jamais dit un mot qui pût faire croire – celle qui s'appuyait à mon bras fût-elle grisette, actrice, princesse ou reine – que je ressentisse autre chose pour cette femme que le respect ou la reconnaissance que j'ai toujours eue pour la femme qui se mettait sous ma protection si elle était faible, qui me prenait sous la sienne si elle était puissante.
Lilla me regarda, et murmura entre ses lèvres :
- Comme c'est bizarre, les réputations que l'on fait aux gens !
Puis aussitôt, sans transition, elle ajouta :
- J'ai la tête qui me brûle ; endormez-moi.
Je me levai, lui ôtai son chapeau, lui soufflai sur la tête, passant après chaque haleine ma main sur ses cheveux, jusqu'à ce qu'elle me dît :
- Ah ! je me sens mieux, ma tête se dégage.
Alors je m'assis devant elle et lui appuyai simplement la main sur le haut du front, en lui disant à demi-voix, mais impérativement :
- Maintenant, dormez !
Deux minutes après, elle dormait d'un sommeil aussi paisible que celui d'un enfant.
Chose singulière ! ni ma compagne de voyage ni moi n'avions jamais été à Spa ; ni elle ni moi ne connaissions le nom des stations ; eh bien, en partant de la dernière, avant la station définitive, elle commença de s'agiter, de se tourmenter, et balbutia quelques paroles inintelligibles.
Je lui touchai les lèvres du bout du doigt et lui dis :
- Parlez !
Alors, sans effort aucun :
- Nous arrivons, dit-elle ; réveillez-moi.
Je la réveillai, et, en effet, cinq minutes après, le sifflet de la locomotive annonçait que nous arrivions dans la station.
Elle se sentait beaucoup mieux.
Nous descendîmes à l'hôtel de l'Orange, le meilleur de la ville. Comme on était encore dans la saison des bains, l'hôtel était à peu près plein.
Il ne restait que deux chambres communiquant l'une avec l'autre ; seulement, la porte de communication était condamnée de chaque côté par le lit. D'un côté, la sûreté du voyageur était assurée par la serrure, de l'autre côté par un verrou.
Il va sans dire que la porte s'ouvrait du côté où était la serrure.
Je montrai à ma compagne de voyage la topographie de l'auberge. Je fis monter la maîtresse de la maison pour qu'elle lui assurât elle-même qu'il n'y avait aucun piège dans cette contiguïté, et lui donnai le choix entre les deux chambres.
Elle choisit le côté du verrou en me priant seulement de transporter mon lit contre le mur, au lieu de le laisser contre la porte ; ce que je m'empressai de faire.
II était dix heures du soir ; ma compagne de voyage prit une tasse de lait et se coucha : sa tête était calme et dégagée, mais elle éprouvait quelques douleurs d'estomac.
Je soupai plus solidement, pris dans mon sac de nuit un volume de Michelet, me couchai et me mis à lire.
Après une heure de lecture, et au moment où je venais d'éteindre ma bougie, j'entendis frapper doucement à la porte de communication.
Je crus m'être trompé ; mais l'appel fut suivi de ces deux mots prononcés à voix basse :
- Dormez-vous ?
- Pas encore ; et il paraît que vous ne dormez pas non plus.
- Je souffre.
En effet, la voix s'était altérée.
- Qu'avez-vous ?
- D'affreuses crampes d'estomac.
- Mon Dieu !
- Ne vous en inquiétez pas ; cela m'arrive quelquefois, cela est douloureux, mais n'a rien d'inquiétant.
- Voulez-vous que j'appelle ?
- Non ; l'éther même n'y fait rien.
- Et moi, puis-je plus que l'éther ?
- Peut-être.
- Comment cela ?
- Essayez de m'endormir.
- A travers la porte ?
- Oui.
- Je doute que j'y réussisse ; je vais essayer.
J'essayai de faire entrer ma volonté dans cette chambre de laquelle la pudeur de la malade m'exilait ; mais je n'obtins qu'un demi-résultat.
- Eh bien ? lui demandai-je.
- Je sens que je m'engourdis ; mais, à travers cet engourdissement, je continue de souffrir.
- Il faudrait que je pusse vous toucher la poitrine comme je vous ai touché la tête ; alors la douleur cesserait.
- Le croyez-vous ?
- Je le crois.
- Eh bien, si vous voulez ouvrir la porte, je viens de tirer le verrou.
Je passai un pantalon à pieds, et, guidé par la lumière de la bougie qui éclairait les fissures de la porte, j'allai à la clef que je tournai, et, comme j'avais tiré les tringles du haut et du bas, les deux battants s'ouvrirent.
Mon premier coup d'oeil fut entièrement scrutateur ; ma voisine jouait-elle une comédie, ou souffrait-elle réellement ?
Elle était pâle, avec la bouche réellement crispée à l'angle et les muscles du visage agités de petits mouvements convulsifs.
Je lui pris la main ; je la trouvai froide, humide, tremblotante ; elle souffrait réellement.
- Ne vous semble-t-il pas bizarre, me dit-elle, qu'au lieu de sonner une fille de l'hôtel et de demander un calmant quelconque, ce soit vous que j'appelle et que j'empêche de dormir ?
- Non pas ; au contraire, cela me paraît tout simple, tout naturel.
- Je vais vous avouer une chose.
- Bah ! serait-ce que vous m'aimez, par hasard ?
- Vous savez bien que je vous aime et beaucoup ; mais ce n'est point cela... Attendez, je souffre.
Et le visage de la malade prit, en effet, une telle expression de douleur, qu'il n'y avait point à s'y tromper.
Je passai mon bras sous sa tête et la soulevai : elle se raidit, quelques frissons passèrent par tout son corps, puis elle rentra dans l'immobilité.
- C'est passé, dit-elle.
Vous alliez me dire quelque chose, me faire un aveu ?
- Oui, j'allais vous avouer que mon sommeil dans le wagon avait non seulement un côté de calme, mais encore un sentiment de douceur que je n'avais jamais éprouvé. Endormez-moi donc, je vous prie, et je suis sûre que mes douleurs cesseront.
- Et vous ne craignez pas que je vous endorme, vous dans votre lit, moi près de votre lit ?
Elle fixa sur moi son grand oeil bleu plein d'étonnement.
- Ne m'avez-vous pas demandé, me dit-elle, si je vous regardais comme un honnête homme, et ne vous ai-je pas répondu que oui ?
- C'est vrai, je n'y pensais plus.
- Eh bien, alors, essayez de m'endormir ; car, en vérité, je souffre beaucoup.
Et elle posa la main sur son front.
- Cette fois, lui dis-je, ce n'est point à la tête qu'est la douleur, et, pour que la douleur s'éteigne en même temps que viendra le sommeil, je crois qu'il faut que ma main touche le siège du mal.
Elle abaissa ma main à la hauteur de son estomac, mais en laissant le drap et la couverture entre ma main et sa poitrine.
Je secouai la tête et haussai doucement les épaules.
- Essayez toujours ainsi, me dit-elle.
- C'est bien ; regardez-moi. Je ne doute pas que je ne vous endorme, mais je doute que je vous guérisse.
Elle ne répondit pas, et continua, en me regardant, de tenir ma main fixée à l'endroit où elle était.
Bientôt ses paupières s'abaissèrent doucement, se fermèrent, se rouvrirent de nouveau, se fermèrent encore ; – elle dormait.
Au bout d'un instant :
- Dormez-vous ? lui demandai-je.
- Mal.
- Que faut-il faire pour que vous dormiez mieux ?
- Mettez votre main sur mon front.
- Mais vos crampes d'estomac ?
- Endormez-moi d'abord.
Elle lâcha ma main, que j'appuyai sur son front. Au bout de cinq minutes, je lui redemandai :
- Dormez-vous ?
- Oui, me dit-elle.
- D'un bon sommeil ?
- D'un bon sommeil ; cependant je souffre.
- Que faudrait-il faire pour que vous ne souffrissiez plus ?
- Mettez votre main sur ma poitrine avec l'intention de m'enlever la douleur.
- A quel endroit de la poitrine ?
- Au creux de l'estomac.
- Mettez-la vous-mêmes où vous croyez qu'elle doit être.
Alors, sans hésitation aucune, elle souleva la couverture, abaissa la main, et sur sa chemise, serrée au cou comme celle d'un enfant, elle posa ma main aussi chastement que l'eût fait une soeur.
Je m'agenouillai pour être plus commodément et j'appuyai ma tête contre le lit.
Au bout d'une demi-heure, elle respira. Sa main lâcha la mienne.
- Eh bien ? lui demandai-je.
- Eh bien, je ne souffre plus.
- Dois-je rester près de vous ?
- Encore quelques instants.
Puis, au bout de cinq minutes :
- Merci, dit-elle. Ah ! mon Dieu, sans vous, j'en avais pour deux ou trois jours d'atroces douleurs ! Maintenant...
Elle hésita.
- Quoi ?
- Soyez bon pour moi qui ai eu confiance en vous.
- C'est bien, lui dis-je en souriant ; je vous comprends.
Je retirai ma main.
Sa main chercha la mienne et la serra doucement.
- Dois-je éteindre la bougie ?
- Si vous voulez.
- Mais si vos douleurs revenaient ?
- Elles ne reviendront pas. D'ailleurs, vous avez des allumettes dans le tiroir de votre table de nuit.
Je soufflai la bougie ; je cherchai le front de Lilla, j'y appuyai mes lèvres.
- Bonsoir ! me dit-elle avec le calme d'une vierge.
Et je refermai la porte et me recouchai.
Le lendemain, quand je me réveillai, comme l'alouette qui chante au soleil levant, Lilla chantait.
- Eh bien, chère voisine, lui demandai-je, vous êtes donc guérie ?
- Parfaitement.
- Bien vrai ?
- Parole d'honneur !
C'était si vrai, que nous pûmes accepter un excellent dîner que nous donna le même jour l'inspecteur général des forêts, et le même soir partir pour Aix la-Chapelle.
Il avait été convenu dans la journée que j'irais jusqu'à Mannheim.

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