Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre VIII


Un mois après les événements que nous venons de raconter, Robin Hood, sa femme et la troupe entière des joyeux hommes se retrouvaient installés sous les grands arbres de la forêt de Sherwood.

Vers cette époque, un grand nombre de Normands, libéralement payés de leurs services militaires par Henri II, vinrent prendre possession des domaines dont les gratifiait la générosité du roi. Quelques-uns de ces Normands, obligés de traverser la forêt de Sherwood afin de gagner leurs nouvelles propriétés, furent contraints par la joyeuse bande des outlaws à payer libéralement leur passage. Les nouveaux venus jetèrent les hauts cris et portèrent leurs plaintes aux arbitres de la ville de Nottingham. Mais ces plaintes, taxées d'exagération, n'obtinrent point de réponse. Voici pourquoi les shérifs et autres puissants personnages de la ville gardèrent un prudent mutisme.

Un très grand nombre des hommes de la bande de Robin Hood se trouvaient apparentés avec les habitants de Nottingham, et tout naturellement ces derniers usaient de leur influence sur les chefs de l'ordre civil ou militaire pour prévenir toute mesure rigoureuse contre les hôtes de la forêt. Ils avaient grand peur, les dignes gens, si une attaque victorieuse parvenait à expulser les joyeux hommes de leur verte demeure, de ressentir quelque matin la mélancolique satisfaction de voir un de leurs parents pendu par le cou à la potence de la ville.

Cependant, comme il était nécessaire de faire parade aux yeux des plaignants d'une apparence d'indignation et de justice, on doubla la récompense promise à celui qui réussirait à enlever Robin Hood. Quiconque se présentait recevait immédiatement un permis d'arrêter le célèbre outlaw. Plusieurs hommes d'une force de corps remarquable ou d'un esprit déterminé avaient tenté l'aventure ; mais il était arrivé une chose tout à fait inattendue : ils s'étaient de leur propre inspiration enrôlés dans la bande des joyeux forestiers.

Un matin, Robin et Will écarlate se promenaient dans la forêt, lorsqu'ils virent tout à coup apparaître devant eux Much haletant de sueur et hors d'haleine.

– Que vous est-il donc arrivé, Much ? demanda Robin avec inquiétude. Avez-vous été poursuivi ? vous êtes tout en nage.

– Ne vous effrayez pas, Robin, répondit le jeune homme en essuyant son visage empourpré ; je n'ai fait, grâce au ciel, aucune rencontre qui puisse être dangereuse. Je viens tout simplement de faire assaut au bâton avec Arthur le Pacifique. Dieu me damne ! ce garçon a dans les bras la force d'un géant.

– Vous dites vrai, mon cher Much, et c'est une rude tâche que de se battre avec Arthur, lorsqu'il prend le combat au sérieux.

– Arthur conserve toujours son sang-froid, reprit Much ; mais comme il ignore les véritables règles de l'art, il ne doit son succès qu'à l'immense force de ses muscles.

– Vous a-t-il contraint à demander quartier ?

– Je crois bien, sans cela il m'eût enlevé jusqu'au dernier souffle ; dans ce moment, il est aux prises avec Petit-Jean ; mais, avec un pareil adversaire, la défaite d'Arthur ne peut être mise en doute, car dès qu'il commence à frapper avec trop de vigueur, Petit-Jean lui enlève son bâton et lui donne quelques bons coups sur les épaules afin de lui apprendre à modérer l'emportement de sa vigueur.

– à quel propos avez-vous engagé une lutte avec l'indomptable Arthur ? demanda Robin.

– Sans cause ni raison, tout simplement pour passer une heure agréable et exercer nos membres dans un salutaire exercice.

– Arthur est un terrible lutteur, reprit Robin, et un jour il m'a vaincu au bâton.

– Vous ! s'écria Will.

– Oui, mon cher cousin, il m'a traité à peu près de la même façon qu'il a traité Much : le gaillard se sert de son bâton de chêne comme d'une barre de fer.

– Dans quelles circonstances vous a-t-il battu ? dans quel endroit la lutte a-t-elle eu lieu ? demanda curieusement Will.

– La lutte a eu lieu dans la forêt, et voici comment je fis connaissance avec Arthur.

» J'étais seul, et je me promenais dans une allée déserte du bois, lorsque j'aperçus le gigantesque Arthur appuyé sur un bâton ferré, les yeux et la bouche largement ouverts, examinant un troupeau de daims qui passait à cent pas de lui. Son aspect de géant, l'air de naïveté candide qui épanouissait sa large figure, me donnèrent le désir de m'amuser à ses dépens. Je me glissai adroitement derrière lui, et j'abordai mon homme par un vigoureux coup de poing entre les deux épaules. Arthur tressaillit, tourna la tête, et me regarda en face d'un air plein de courroux.

» – Qui es-tu ? lui dis-je, et dans quel but viens-tu vagabonder dans le bois ? Tu ressembles furieusement à un voleur qui se propose d'enlever un daim. Fais-moi le plaisir de filer à l'instant même ; je suis le garde de cette partie de la forêt, et je n'y souffre point la présence des gaillards de ton espèce.

» – Eh bien ! me répondit-il avec une grande insouciance, essaie si tu le peux de me faire déguerpir, car je ne veux pas m'en aller. Appelle des aides, si tel est ton plaisir ; je ne m'y oppose pas.

» – Je n'ai besoin de personne pour faire respecter la loi et ma volonté, mon bel ami, répliquai-je ; je suis habitué à me servir de mes propres forces qui, vous le voyez, sont dignes d'inspirer le respect. J'ai deux bons bras, un sabre, un arc et des flèches.

» – Mon petit forestier, dit Arthur en me toisant de la tête aux pieds d'un regard dédaigneux, si je vous appliquais sur les doigts un seul coup de mon bâton, vous ne pourriez plus vous servir ni de votre sabre ni même de votre arc.

» – Parler poliment, mon garçon, répondis-je, si vous ne voulez pas recevoir une roulée de coups.

» – Oui, mon petit ami, fouettez un chêne avec un roseau. Qui donc pensez-vous être, jeune prodige de valeur ? Apprenez donc que je ne me soucie pas de vous le moins du monde. Cependant, si vous voulez luttez, je suis votre homme.

» – Vous n'avez pas de sabre, fis-je observer.

» – Je n'ai pas besoin de sabre, puisque je tiens mon bâton.

» – Alors je vais prendre un bâton de la même longueur que le vôtre.

» – Soit, dit-il. Et Arthur se mit en garde.

» Je lui portai aussitôt le premier coup, et je vis le sang jaillir de son front et ruisseler le long de ses joues. étourdi par ce choc, il fit un mouvement en arrière. Je baissai mon arme, mais en voyant ce geste qui lui parut, sans doute, une expression de triomphe, il se remit à manier son bâton avec une force et une habileté extraordinaires. C'est à peine, tant il frappait avec violence, si j'avais la force de parer les coups et de maintenir mon bâton entre mes mains crispées. En faisant un bond en arrière pour éviter une atteinte terrible, je négligeai de me tenir sur mes gardes ; il prit avantage de l'occasion et m'asséna sur le crâne le plus formidable coup que j'aie jamais reçu. Je tombai en arrière comme si j'avais été percé d'une flèche ; cependant je ne perdis pas connaissance, je rebondis sur mes pieds. La lutte un instant suspendue recommença de nouveau ; Arthur faisait pleuvoir ses coups avec une force si terrifiante, qu'à peine me laissait-il le temps de me défendre. Nous nous battîmes ainsi pendant près de quatre heures ; nous faisions résonner sous nos coups les échos du vieux bois, tournant autour l'un de l'autre comme deux sangliers qui se battent. Enfin, pensant qu'il n'était pas fort utile de continuer une lutte où je n'avais rien à gagner, pas même la satisfaction de rosser mon adversaire, je jetai mon bâton.

» – En voilà assez, lui dis-je. Terminons notre querelle ; nous pourrions nous frapper jusqu'à demain et nous réduire mutuellement en poussière sans gagner un épi. Je vous octroie toute liberté de parcours dans la forêt, car vous êtes un vaillant garçon.

» – Grand merci de la faveur grande, me répondit-il dédaigneusement ; j'ai acheté le droit d'agir à ma guise avec l'aide de mon bâton, c'est donc à lui et non à vous que je dois des remerciements.

» – Tu as raison, mon brave ; mais tu auras quelque peine à défendre ton droit si tu n'as pas ton bâton pour le faire valoir. Il y a de bons jouteurs dans la verte forêt, et tu ne pourras conserver ta liberté qu'au moyen de crânes cassés et de membres endoloris. Crois-moi, l'existence de la ville est encore préférable à celle que tu aurais ici.

» – Cependant, reprit Arthur, je voudrais vivre dans le vieux bois.

» – La réponse de mon vaillant adversaire me donna à réfléchir, continua Robin. J'examinai sa haute taille, la franchise amicale de sa physionomie, et je me dis que la conquête d'un pareil gaillard pouvait être une bonne fortune pour notre petite communauté.

» – Tu n'aimes donc pas le séjour de la ville ? lui demandai-je.

» – Non, répondit-il ; je suis las d'être esclave des maudits Normands, je suis fatigué de m'entendre appeler chien, serf et valet. Mon maître m'a qualifié ce matin des épithètes les plus injurieuses du vocabulaire, et, non content de me harceler avec sa langue de vipère, il a voulu me frapper. Je n'ai pas attendu le coup ; un bâton se trouvait à la portée de ma main, je m'en suis servi, et je lui ai appliqué sur les épaules un coup qui lui a fait perdre connaissance. Cela fait, je me suis enfui.

» – Quel est ton métier ? lui demandai-je.

» – Je suis tanneur, me répondit-il, et j'habite depuis plusieurs années la province de Nottingham.

» – Eh bien ! mon brave ami, lui dis-je, si vous n'avez pas une prédilection trop forte pour votre métier, vous pouvez lui dire adieu et vous établir ici. Je me nomme Robin Hood. Ce nom vous est-il connu ?

» – Bien certainement. Mais êtes-vous Robin Hood ? Vous m'avez dit tout à l'heure que vous étiez un des gardes forestiers du bois.

» – Je suis Robin Hood, je vous en donne ma parole d'honneur ! répliquai-je en tendant la main au pauvre garçon effaré de surprise.

» – Bien vrai ? répéta-t-il.

» – Sur mon âme et sur ma conscience !

» – Alors, je suis vraiment fort heureux de vous avoir rencontré, ajouta Arthur avec une expression de joie manifeste ; car j'étais venu à votre recherche, généreux Robin Hood. Lorsque vous m'avez dit que vous étiez un gardien du bois, je l'ai cru, et je n'ai point osé vous faire part du projet qui m'amenait à Sherwood. Je désire me joindre à votre bande, et si vous m'acceptez pour compagnon, vous n'aurez pas de serviteur qui vous soit plus dévoué et plus fidèle qu'Arthur le Pacifique, tanneur à Nottingham.

» – Ta franchise me plaît, Arthur, lui répondis-je, et je consens volontiers à te joindre aux joyeux hommes qui composent ma bande. Nos lois sont simples et peu nombreuses, mais elles doivent être observées. Sur tout autre point, liberté complète. Tu seras, en outre, bien vêtu, bien nourri et bien traité.

» – Mon cœur tressaille dans ma poitrine en vous écoutant, Robin Hood, et la pensée que je vais être des vôtres me rend tout heureux. Je ne vous suis pas aussi complètement étranger que vous pourriez le croire : Petit-Jean est un de mes parents. Mon oncle maternel a épousé la mère de Jean, qui était une sœur de sir Guy de Gamwell. Je verrai bientôt Petit-Jean, n'est-ce pas ? je brûle du désir de l'embrasser.

» – Je vais le faire accourir auprès de nous, dis-je à Arthur.

» Et je sonnai du cor. Quelques instants après cet appel, Petit-Jean parut dans la clairière.

» à la vue du sang qui marbrait nos deux figures de taches effrayantes, Petit-Jean s'arrêta court.

» – Qu'y a-t-il, Robin ? s'écria Jean d'un air épouvanté ; vous avez le visage dans un état affreux.

» – Il y a que je viens d'être rossé, répondis-je tranquillement, et devant vous se trouve le coupable.

» – Si ce gaillard-là vous a battu, c'est qu'il manie joliment le bâton, s'écria Petit-Jean. Eh bien ! je vais lui rendre avec usure les coups dont il vous a gratifié. Avance ici, mon grand garçon.

» – Retiens ton bras, ami Jean, et donne la main à un fidèle allié, à un parent ; ce jeune homme s'appelle Arthur.

» – Arthur de Nottingham, surnommée le Pacifique ? demanda Jean.

» – Lui-même, répliqua Arthur. Nous ne nous sommes jamais rencontré depuis notre enfance, néanmoins je te reconnais, cousin Jean.

» – Je ne puis dire la même chose, dit Jean avec sa naïve franchise ; je ne me rappelle aucun de tes traits ; mais il importe peu, tu le dis, mon cousin, sois le bienvenu. Comme tel, tu trouveras bons cœurs et bons visages dans la verte forêt de Sherwood.

» – Arthur et Jean s'embrassèrent, et le reste de la journée s'écoula gaiement. »

– Depuis cette époque, avez-vous joué au bâton avec Arthur ? demanda Will à Robin.

– L'occasion ne s'en est pas encore présentée ; du reste, il est probable que je serais encore vaincu, et ce serait pour la troisième fois.

– Comment ! pour la troisième fois ? s'écria Will.

– Oui, j'ai reçu de Gaspard l'étameur une rude volée.

– En vérité ! Et quand cela ? Sans doute avant qu'il ne se fût enrôlé dans la bande.

– Oui, répliqua Robin ; j'ai pris l'habitude d'éprouver par moi-même le courage et la force d'un homme avant de lui accorder ma confiance. Je ne veux pas avoir pour compagnons des cœurs faibles et des têtes à démonter. Un matin, je rencontrai Gaspard l'étameur sur la route de Nottingham. Vous connaissez la carrure de sa vigoureuse personne, et je n'ai pas besoin de vous faire une description du gaillard ; sa mine me plut, il marchait d'un pas ferme en sifflant un air joyeux.

» Je m'avançais à sa rencontre. » – Bonjour, mon brave ami, lui dis-je ; vous voyagez, à ce que je vois. Il circule, dit-on, de mauvaises nouvelles ; sont-elles vraies ?

» – De quelles nouvelles voulez-vous parler ? me demandait-il ; je n'en connais aucune qui soit digne de récit ; du reste, j'arrive de Bamburg, je suis chaudronnier de mon état, et je ne songe qu'à mon travail.

» – La nouvelle dont il est question doit cependant vous intéresser, mon brave. J'ai entendu dire que dix drouineurs viennent d'être mis aux fers pour s'être enivrés.

» – Votre nouvelle ne vaut pas un denier, me répondit-il ; si on mettait aux fers tous ceux qui boivent, vous seriez certain d'avoir une place au premier rang des condamnés ; car vous n'avez pas l'air d'un homme qui méprise le bon vin.

» – Non, en vérité, je ne suis point ennemi de la rouge bouteille, et je ne pense pas qu'il se trouve dans le monde un cœur jovial qui méprise le vin. Quelle cause vous amène de Bamburg dans ces parages ? car assurément ce n'est pas l'intérêt seul de votre métier.

» – Ce n'est pas mon métier, en effet, répondit Gaspard. Je suis à la recherche d'un bandit qu'on nomme Robin Hood. Une récompense de cent écus d'or est promise à celui qui parviendra à s'emparer du brigand, et je désire fort gagner cette récompense.

» – Comment vous proposez-vous de prendre Robin Hood ? demandai-je au drouineur ; car j'étais fort surpris de l'air sérieux et tranquille avec lequel il m'avait fait cette étrange confidence.

» – J'ai un ordre de prise de corps signé du roi, me répliqua Gaspard.

» – Cet ordre est-il en règle ?

» – Parfaitement en règle : il m'autorise à arrêter Robin, et me promet la récompense.

» – Vous parlez de cette arrestation, déjà si inutilement tentée, comme si elle était la chose du monde la plus facile à faire.

» – Elle ne sera pas très difficile pour moi, reprit le drouineur ; je suis solidement bâti, j'ai des muscles d'acier, un courage à toute épreuve et beaucoup de patience. Comme vous le voyez, je puis espérer de surprendre mon homme.

» – Si vous le rencontriez par hasard, le reconnaîtriez-vous ?

» – Je ne l'ai jamais vu ; si je connaissais son visage, ma tâche serait à moitié accomplie. êtes-vous plus heureux que moi à cet égard-là ?

» – Oui, j'ai rencontré deux fois Robin Hood, et il me sera peut-être possible de vous venir en aide dans votre entreprise.

» – Mon beau garçon, si vous faites cela, me dit-il, je vous donnerai une bonne partie de l'argent que j'aurai gagné.

» – Je vous désignerai un endroit où vous pourrez le rencontrez, lui répondis-je. Mais avant d'aller plus loin dans nos mutuels engagements, je désirerais voir l'ordre de prise de corps ; pour être valable, il faut qu'il soit régulièrement fait.

» – Je vous suis bien obligé de la prévoyance, me répondit le drouineur d'un ton défiant ; je ne confierai ce papier à personne. Je suis certain qu'il est valable et régulier ; cette conviction me suffit, tant pis pour vous si vous ne la partagez pas. L'ordre du roi sera vu par Robin Hood alors que pieds et poings liés je le tiendrai en mon pouvoir.

» – Vous avez peut-être raison, mon brave homme, répondis-je d'un air indifférent ; je ne tiens pas autant que vous paraissez le croire à m'assurer de la valeur de votre permis. Je vais à Nottingham autant par curiosité que par désœuvrement, car j'ai entendu dire ce matin que Robin Hood devait descendre dans la ville ; si vous voulez venir avec moi, je vous montrerai le célèbre outlaw.

» – Je te prends au mot, mon garçon, repartit vivement le drouineur ; mais si, arrivés à destination, je m'aperçois de quelque supercherie de ta part, tu feras connaissance avec mon bâton.

» Je haussai les épaules en signe de dédain.

» Il vit le geste, et se mit à rire.

» – Vous ne serez pas fâché de m'avoir été utile, dit-il, car je ne suis point un homme ingrat.

» Lorsque nous fûmes arrivés à Nottingham, nous nous arrêtâmes à l'auberge du Pat, et je demandai au maître de la maison une bouteille de bière d'une espèce toute particulière. Le drouineur, qui était en marche depuis le matin, mourait littéralement de soif, et la bière eut bientôt disparu. Après la bière, je fis servir du vin, et après le vin encore de la bière, ainsi de suite pendant une heure. Le drouineur avait vidé sans s'en apercevoir toutes les bouteilles placées devant lui ; car pour moi, peu enclin de ma nature à faire un usage immodéré du vin, je m'étais contenté d'en boire quelques verres. Je n'ai pas besoin de vous dire que le brave homme se grisa complètement. Une fois ivre, il me fit un récit pompeux des exploits qu'il allait accomplir pour s'emparer de Robin Hood ; il en arriva, après avoir fait prisonnier le chef des joyeux hommes, à arrêter toute la bande et à la conduire à Londres. Le roi récompenserait la vaillance de Gaspard en lui donnant la fortune et les privilèges d'un grand dignitaire de l'état ; mais au moment où l'illustre vainqueur allait épouser une princesse d'Angleterre, il tomba de son siège, et, tout endormi, alla rouler sous la table.

» Je pris la bourse du drouineur ; elle contenait, avec son argent, l'ordre de prise de corps. Je payai la note de notre dépense, et dis à l'aubergiste :

» – Lorsque cet homme se réveillera, vous lui réclamerez le prix des rafraîchissements ; puis, s'il vous demande qui je suis et dans quel endroit on peut me rencontrer, vous lui répondrez que j'habite le vieux bois, et mon nom est Robin Hood.

» L'aubergiste, excellent homme en qui j'ai toute confiance, se mit gaiement à rire.

» – Soyez tranquille, messire Robin, me dit-il, je suivrai ponctuellement vos ordres, et si le drouineur désire vous revoir, il n'aura qu'à se mettre à votre recherche.

» – Vous avez compris, mon brave, lui répondis-je, en enlevant le sac du chaudronnier. Du reste, il y a tout lieu de croire que le bonhomme ne me fera pas attendre longtemps sa visite.

» Cela dit, je saluai amicalement l'aubergiste et je sortis de la maison.

» Après avoir dormi pendant quelques heures, Gaspard se réveilla. Il s'aperçut bien vite de mon absence et de la perte de sa bourse.

» – Aubergiste ! vociféra-t-il d'une voix de tonnerre, je suis volé, je suis ruiné ! Où est le brigand ?

» – De quel brigand me parlez-vous ? demanda l'hôtelier avec le plus grand sang-froid.

» – De mon compagnon. Il m'a dévalisé.

» – Voilà une chose qui ne m'arrange pas du tout, s'écria l'aubergiste d'un air mécontent ; car vous avez ici une longue note à régler.

» – Une note à régler ! répéta Gaspard en gémissant ; je n'ai rien, absolument rien, le misérable m'a complètement dépouillé. J'avais dans ma bourse un mandat de prise de corps délivré par le roi ; à l'aide du mandat je pouvais faire ma fortune, je pouvais m'emparer de Robin Hood. Ce bandit d'étranger m'avait promis son secours ; il devait me conduire en présence du chef des outlaws. Ah ! le misérable ! il a abusé de ma confiance, il m'a enlevé mon précieux papier.

» – Comment ! reprit l'aubergiste, vous avez fait part à ce jeune homme des mauvaises intentions qui vous amènent à Nottingham ?

» Le drouineur jeta un regard de travers à son hôte.

» – Il paraît, dit-il, que vous ne prêteriez pas main-forte au vaillant garçon qui voudrait arrêter Robin Hood ?

» – Ma foi ! répondit l'aubergiste, Robin Hood ne m'a fait aucun mal, et ses affaires avec les autorités du pays ne sont point de mon ressort. Mais comment diable se fait-il, continua l'aubergiste, que vous trinquiez joyeusement avec lui en lui communiquant votre petit papier, au lieu de vous emparer de sa personne ?

» Le drouineur ouvrit de grands yeux effarés.

» – Que voulez-vous dire ? demanda-t-il.

» – Je veux dire que vous avez manqué l'occasion de saisir Robin Hood.

» – Comment cela ?

» – Eh ! nigaud que vous êtes ! Robin Hood était là tout à l'heure ; vous êtes entrés ici ensemble, vous avez bu ensemble, je vous ai cru de sa bande.

» – J'ai bu avec Robin Hood ! j'ai trinqué avec Robin Hood ! s'écria le drouineur stupéfait.

» – Oui, oui, mille fois oui !

» – C'est trop fort ! exclama le pauvre homme en retombant assis sur sa chaise. Mais il ne sera pas dit qu'il se sera joué impunément de Gaspard l'étameur. Ah ! coquin ! ah ! bandit ! hurla le drouineur ; attends, attends, je vais me mettre à ta recherche.

» – Je désirerais toucher le montant de ma note avant de vous laisser partir, dit l'aubergiste.

» – à combien s'élève votre note ? demanda Gaspard d'un ton courroucé.

» – à dix schellings, répondit l'hôte tout réjoui de la mine furibonde du malheureux drouineur.

» – Je n'ai pas un penny à vous donner, reprit Gaspard en retournant ses poches ; mais je vais, en garantie du paiement de cette malencontreuse dette, vous laisser mes outils ; ils représentent trois ou quatre fois la valeur que vous me réclamez. Pourriez-vous me dire dans quel endroit je puis rencontrer Robin Hood ?

» – Ce soir, je n'en sais rien ; mais demain vous trouverez votre homme en train de chasser les chevreuils du roi.

» – Eh bien ! donc, à demain la prise du bandit, riposta le drouineur avec une assurance qui donna à penser à l'aubergiste ; car, ajouta Robin, en me racontant ceci, l'hôte m'a avoué qu'il avait eu grand peur pour moi de la fureur de Gaspard.

» Le lendemain matin, je me mis en quête, non d'un chevreuil, mais de la rencontre du chaudronnier : je ne fus pas obligé de chercher longtemps.

» Aussitôt que son regard m'eut découvert, il jeta un cri et s'élança vers moi en brandissant un énorme bâton.

» – Quel est le maroufle, m'écriai-je, qui ose se présenter à mes yeux d'une manière aussi peu convenable ?

» – Il n'y a pas de maroufle, répondit le drouineur ; il y a un homme maltraité, fermement résolu de prendre sa revanche.

» En parlant ainsi, il commença à m'attaquer avec son bâton ; je me plaçai hors de sa portée, et je tirai mon sabre.

» – Arrêtez, lui dis-je, nous ne nous battons pas avec des armes égales ; il me faut un bâton.

» Gaspard me laissa tranquillement préparer une branche de chêne, puis il recommença l'attaque.

» Il tenait son bâton des deux mains et frappait sur moi comme un bûcheron sur un arbre. Mes bras et mes poignets commençaient à faiblir, lorsque je demandai une trêve ; car il n'y avait aucun honneur à gagner dans un semblable combat.

» – Je veux te pendre au premier arbre du chemin, me dit-il d'une voix furieuse en jetant son bâton.

» Je fis un bond en arrière et sonnai du cor ; le gaillard était de force à m'envoyer dans l'autre monde.

» Petit-Jean et la bande joyeuse accoururent à mon appel.

» Je m'étais assis sous un arbre, épuisé de fatigue, et sans rien dire, je montrai du geste à Gaspard le renfort qui me venait en aide.

» – Qu'y a-t-il ? demanda Jean.

» – Mon cher, répondis-je, voici un drouineur qui m'a rudement rossé, et je vous le recommande, car il mérite notre considération. Mon bonhomme, ajoutai-je, si vous voulez prendre rang dans ma troupe, vous serez le bienvenu.

» Le drouineur accepta, et depuis cette époque, comme vous le savez, il fait partie de notre association. »

– Je préfère l'arc et les flèches à tous les bâtons du monde, dit William ; soit qu'on les considère comme un jeu, soit qu'on les prenne pour des armes offensives ou défensives. Il vaut mieux, à mon avis du moins, être expédiés hors du monde d'un seul coup que de s'en aller par fraction ; et la blessure faite par une flèche est mille fois préférable aux souffrances qui résultent d'un coup de bâton.

– Mon cher ami, reprit Robin, le bâton rend de très grands services là où l'arc est impuissant. Ses effets ne dépendent pas d'un carquois plein ou vide, et lorsque vous ne désirez pas la mort de votre ennemi, une forte volée lui laisse des souvenirs plus cuisants que la blessure d'une flèche.

Tout en causant, les trois amis se dirigèrent vers la route de Nottingham ; tout à coup une jeune fille en pleurs se présenta à leurs regards.

Robin courut à la rencontre de la belle éplorée.

– Pourquoi pleures-tu, mon enfant ? lui demanda-t-il d'un ton affectueux. La jeune fille éclata en sanglots.

– Je désire voir Robin Hood, répondit-elle, et si vous avez quelque pitié dans l'âme, messire, conduisez-moi auprès de lui.

– Je suis Robin Hood, ma belle enfant, répondit le jeune homme avec douceur ; mes hommes ont-ils manqué de respect à la candeur de tes seize ans ? ta mère est-elle malade ? viens-tu me demander des secours ? Parle, je suis entièrement à ta disposition.

– Messire, un grand malheur vient de nous frapper ; trois de mes frères, qui font partie de votre bande ont été faits prisonniers par le shérif de Nottingham.

– Dis-moi le nom de tes frères, mon enfant.

– Adalbert, Edelbert et Edroin, les cœurs joyeux, répondit la fillette en sanglotant.

Une exclamation douloureuse s'échappa des lèvres de Robin.

– Chers compagnons, dit-il, ce sont les plus vaillants, les plus hardis de tous ceux qui composent ma troupe. Comment sont-ils tombés au pouvoir du shérif, ma petite amie ? demanda Robin.

– En délivrant un jeune homme qui, pour avoir défendu sa mère contre l'agression de plusieurs soldats, était emmené en prison. En ce moment, seigneur Robin Hood, on dresse le gibet aux portes de la ville ; mes frères doivent y être pendus.

– Essuie tes pleurs, ma belle enfant, répondit Robin avec bonté ; tes frères n'ont rien à craindre ; il n'existe pas un seul homme dans la forêt de Sherwood qui ne soit prêt à donner sa vie pour sauver celle de ces trois braves. Nous allons descendre à Nottingham ; rentre dans ta demeure, console de ta voix douce le cœur de ton vieux père, et dis à ta bonne mère que Robin Hood lui rendra ses enfants.

– Je prie le ciel de vous bénir, messire, murmura la jeune fille en souriant à travers ses pleurs. J'avais déjà entendu dire que vous étiez toujours prêt à rendre service aux malheureux, à protéger les pauvres. Mais, de grâce, seigneur Robin, hâtez-vous, mes frères bien-aimés sont en danger de mort.

– Aie confiance en moi, chère enfant ; j'arriverai à l'heure propice. Regagne bien vite Nottingham et ne parle à personne de la démarche que tu viens de faire.

La jeune fille prit les mains de Robin Hood et les baisa chaleureusement.

– Je prierai toute ma vie pour votre bonheur, messire, dit-elle d'une voix émue.

– Que Dieu te garde, mon enfant ! au revoir.

La jeune fille reprit en courant le chemin de la ville et disparut bientôt sous l'ombrage des arbres.

– Hourra ! dit Will, nous allons avoir quelque chose à faire, je m'amuserai un peu. Maintenant, Robin, vos ordres.

– Rendez-vous auprès de Petit-Jean, dites-lui de rassembler autant d'hommes qu'il en pourra trouver sous sa main, et de les conduire, bien entendu avec consigne de s'y tenir invisibles, sur la lisière du bois qui avoisine Nottingham. Puis, dès que vous entendrez le son de ma trompe, vous vous fraierez un chemin jusqu'à moi, l'arc tendu ou le sabre à la main.

– Que comptez-vous faire ? demanda Will.

– Je vais gagner la ville afin de voir s'il y a un moyen quelconque de retarder l'exécution. N'oubliez pas, mes amis, qu'il faut agir avec une extrême prudence, car si le shérif venait à apprendre que je suis prévenu de la situation critique dans laquelle se trouvent mes hommes, il préviendrait de ma part toute tentative de délivrance, et ferait pendre nos compagnons à l'intérieur du château. Voilà pour les prisonniers. Quant à nous, vous savez que Sa Seigneurie s'est hautement vantée, si jamais nous venions à tomber entre ses mains, de nous accrocher au gibet de la ville. Le shérif a mené l'affaire des joyeux cœurs si rapidement qu'il ne peut avoir à craindre que j'aie été averti du sort qu'il leur prépare ; en conséquence, et dans le but d'inspirer une sage frayeur aux citoyens de Nottingham, il rendra publique la pendaison de nos camarades. Je me rends au pas de course à la ville ; rejoignez vivement vos hommes, et suivez à la lettre mes recommandations.

Cela dit, Robin Hood s'éloigna en toute hâte.

à peine le jeune homme s'était-il séparé de ses compagnons qu'il rencontra un pèlerin de l'ordre des mendiants.

– Quelles sont les nouvelles de la ville, bon vieillard ? demanda Robin.

– Les nouvelles de la ville, jeune homme, répondit le pèlerin, annoncent des larmes et des gémissements. Trois compagnons de Robin doivent être pendus par ordre du baron Fitz Alwine.

Une idée subite traversa l'esprit de Robin.

– Mon père, dit-il, je voudrais, sans être reconnu pour être un des gardes du vieux bois, assister à l'exécution de ces braconniers. Peux-tu échanger tes vêtements contre les miens ?

– Vous voulez plaisanter, jeune homme ?

– Non, mon père ; je désire tout simplement te donner mon costume et endosser ta robe. Si tu acceptes ma proposition, je te donnerai quarante schellings dont tu pourras disposer à ta fantaisie.

Le vieillard examina curieusement celui qui lui adressait cette étrange demande.

– Vos vêtements sont beaux, dit-il, et ma robe est déchirée. Il n'est donc point croyable que vous désiriez changer votre brillant costume contre de misérables haillons. Celui qui insulte un vieillard commet une grande faute ; il offense Dieu et le malheur.

– Mon père, reprit Robin, je respecte tes cheveux blancs, et je prie la Vierge de te prendre sous sa divine protection. Ce n'est point avec une pensée offensante dans le cœur que je t'adresse ma demande ; elle est nécessaire à l'accomplissement d'une bonne œuvre. Tiens, ajouta Robin en offrant au vieillard une vingtaine de pièces d'or, voici les arrhes de notre marché.

Le pèlerin jeta sur les écus un regard de convoitise.

– La jeunesse a souvent des idées folles, dit-il, et si vous êtes dans un accès de rieuse fantaisie, je ne vois pas pour quelle raison je refuserais de vous satisfaire.

– Voilà qui est bien dit, répliqua Robin, et si tu veux te déshabiller... Tes chausses ont été façonnées par les événements, reprit Robin avec gaieté ; car, à en juger par l'innombrable quantité de morceaux dont elles se composent, elles ont réuni à elles les étoffes des quatre saisons.

Le pèlerin se mit à rire.

– Mon vêtement ressemble à la conscience d'un Normand, répondit-il ; il se compose de pièces et de morceaux, tandis que votre pourpoint est l'image d'un cœur saxon : il est fort et sans tache.

– Tu parles d'or, mon père, dit Robin en endossant les guenilles du vieillard avec toute l'agilité dont il était capable, et si je dois rendre hommage à ton esprit, il est de mon devoir d'accorder une louange au mépris manifeste que t'inspire la richesse, car ta robe est d'une simplicité tout à fait chrétienne.

– Dois-je conserver vos armes ? demanda le pèlerin.

– Non, mon père, car elles me sont nécessaires. Maintenant que notre mutuelle transformation est opérée, permets-moi de te donner un conseil. éloigne-toi de cette partie de la forêt, et surtout, dans l'intérêt de ta conservation, garde-toi bien de chercher à me suivre. Tu as mes habits sur tes épaules, mon argent dans ta poche, tu es riche et bien vêtu, va chercher fortune à quelques milles de Nottingham.

– Je te remercie du conseil, bon jeune homme : il répond tout à fait à mes secrets désirs. Reçois la bénédiction d'un vieillard, et si l'action que tu vas entreprendre est honnête, je te souhaite un prompt succès.

Robin salua gracieusement le pèlerin, et s'éloigna en toute hâte dans la direction de la ville.

Au moment où Robin, ainsi déguisé et n'ayant pour toute arme qu'un bâton de chêne, arrivait à Nottingham, une cavalcade d'hommes de guerre sortait du château et s'acheminait vers l'extrémité de la ville, où l'on avait dressé trois potences.

Tout à coup, une nouvelle inattendue circula dans la foule ; le bourreau était malade, et sur le point de trépasser lui-même, il ne pouvait lancer personne dans l'éternité. Par ordre du shérif, on fit une proclamation : on demandait un homme qui, en vue d'une honnête récompense, consentît à remplir l'office de bourreau.

Robin, qui s'était placé en tête du cortège, s'avança au devant du baron Fitz Alwine.

– Noble shérif, dit-il d'une voix nasillarde, que me donneras-tu si je consens à remplacer l'exécuteur de la haute police ?

Le baron se recula de quelques pas comme un homme qui redoute un contact dangereux.

– Il me semble, répondit le noble seigneur en toisant Robin de la tête aux pieds, que si je t'offrais un assortiment de costumes, tu pourrais accepter cette récompense. Ainsi, mendiant, si tu veux nous tirer d'embarras, je te ferai donner six vêtements neufs, et de plus, la gratification accordée au bourreau, qui est de treize sols.

– Et combien me donnerez-vous, monseigneur, si je vous pends par-dessus le marché ? demanda Robin en se rapprochant du baron.

– Tiens-toi à une distance respectueuse, mendiant, et répète-moi ce que tu viens de me dire, je ne l'ai pas entendu.

– Vous m'avez offert six vêtements neufs et treize sols, repartit Robin, pour pendre ces pauvres gars ; je demande ce que vous ajouteriez à ma récompense si je me chargeais de vous pendre, vous et une douzaine de vos chiens normands.

– Effronté coquin ! que signifient tes paroles ? s'écria le shérif fort étonné de l'audace du pèlerin. Sais-tu à qui tu t'adresses ? Insolent valet, un mot de plus et tu feras le quatrième oiseau se balançant à cet arbre de potence.

– Avez-vous remarqué, seigneur, reprit Robin, que je suis un pauvre homme bien misérablement accoutré ?

– Oui, en vérité, bien misérablement accoutré, répondit le shérif en faisant une grimace de dégoût.

– Eh bien ! reprit notre héros, cette misère extérieure cache un grand cœur, une nature impressionnable. Je suis très sensible à l'insulte, et je ressens le dédain et l'injure pour le moins autant que vous, noble baron. Vous n'avez mis aucun scrupule à accepter mes services, et cependant vous insultez à ma misère.

– Tais-toi, mendiant discoureur ; oses-tu bien te comparer à moi, à moi lord Fitz Alwine ? Allons, tu es fou !

– Je suis un pauvre homme, dit Robin, un pauvre homme bien malheureux.

– Je ne suis pas venu ici pour écouter les bavardages d'un individu de ton espèce, reprit le baron avec impatience. Si tu refuses mes offres, va-t'en : si tu les acceptes, mets-toi en devoir de remplir ton office.

– Je ne sais pas au juste en quoi peut consister mon office, reprit Robin qui essayait de gagner du temps afin de permettre à ses hommes d'arriver à la lisière du bois. Je n'ai jamais servi de bourreau, et j'en rends grâce à la sainte Vierge. Malédiction sur l'infâme métier et sur le misérable qui l'exerce !

– Ah ça ! manant, te moques-tu de moi ? rugit le baron mis hors de lui par l'impudence de Robin. écoute, si tu ne te mets pas à la besogne sur-le-champ, je te fais rouer de coups.

– En serez-vous plus avancé pour cela, monseigneur ? repartit Robin ; trouverez-vous plus promptement un homme disposé à obéir à vos ordres ? Non. Vous venez de faire une proclamation qui a été entendue de tous, et néanmoins je suis le seul qui me soit offert pour accomplir vos désirs.

– Je vois bien où tu veux en venir, misérable coquin ! s'écria le shérif outré de colère ; tu veux que l'on augmente la somme qui t'est promise pour expédier ces trois manants dans l'autre monde.

Robin haussa les épaules.

– Faites-les pendre par qui bon vous semblera, répondit-il en affectant une complète indifférence.

– Du tout, du tout, reprit le shérif d'une voix radoucie ; tu vas te mettre à l'œuvre. Je double la récompense, et si tu ne remplis pas exactement ton office, j'aurai le droit de dire que tu es le bourreau le moins consciencieux de la terre.

– Si je voulais donner la mort à ces malheureux, répondit Robin, je me contenterais de la récompense que tu m'as offerte ; mais je refuse nettement de souiller mes mains au contact d'une potence.

– Qu'est-ce à dire, misérable ? rugit le baron.

– Attendez, monseigneur, je vais appeler des gens qui, à mon commandement, vous délivreront à jamais de la vue de ces affreux coupables.

En achevant ces mots, Robin fit résonner sur sa trompe une joyeuse fanfare, et saisit à deux mains le baron épouvanté.

– Monseigneur, dit-il, votre existence dépend d'un geste ; si vous faites un mouvement, je vous enfonce mon couteau dans le cœur. Défendez à vos serviteurs de vous porter secours, ajouta Robin en brandissant au-dessus de la tête du vieillard un immense couteau de chasse.

– Soldat, restez à vos rangs ! cria le baron d'une voix de stentor.

Le soleil étincelait sur la lame brillante du couteau, et ce reflet lumineux donnait des éblouissements au vieux seigneur et lui faisait apprécier la puissance de son adversaire : c'est pourquoi, au lieu de tenter une résistance impossible, il se soumit en gémissant.

– Que désires-tu de moi, honnête pèlerin ? dit le baron en essayant de donner à sa voix une conciliante douceur.

– La vie des trois hommes que vous voulez pendre, milord, répondit Robin Hood.

– Je ne puis t'accorder cette grâce, cher brave homme, répondit le vieillard ; ces malheureux ont tué les daims qui appartenaient au roi, et ce délit de chasse est puni de mort. Toute la ville de Nottingham connaît leur crime et leur condamnation, et si, par une coupable faiblesse, je cédais à tes supplications, le roi serait instruit d'une condescendance tout à fait inexcusable.

à ce moment, un grand tumulte s'opéra dans la foule, et l'on entendit siffler le bruit des flèches. Robin, qui avait reconnu l'arrivée de ses hommes, laissa échapper un cri.

– Ah ! vous êtes Robin Hood ! s'écria le baron avec un accent lamentable.

– Oui, milord, répondit notre héros, je suis Robin Hood.

Amicalement protégés par les habitants de la ville, les joyeux hommes arrivaient de toute part. Will écarlate et ceux-ci se confondirent bientôt avec leurs compagnons.

Les prisonniers une fois libres, le baron Fitz Alwine comprit que le seul moyen de se tirer lui-même sain et sauf d'une situation aussi critique était de se concilier Robin Hood.

– Emmenez bien vite les condamnés, lui dit-il ; mes soldats exaspérés par le souvenir d'une récente défaite, pourraient mettre obstacle à la réussite de votre projet.

– Cet acte de courtoisie vous est dicté par la crainte, repartit Robin Hood en riant. Je n'ai point à redouter la révolte de vos soldats ; le nombre et la vaillance de mes hommes les rendent invulnérables.

Cela dit, Robin Hood salua ironiquement le vieillard, lui tourna le dos, et ordonna à ses hommes de reprendre le chemin de la forêt.

Les traits livides du baron respiraient à la fois la rage et la frayeur ; il réunit sa troupe, remonta à cheval, et s'éloigna en toute hâte.

Les citoyens de Nottingham, qui envisageaient le braconnage comme une action fort peu digne de blâme, entourèrent les cœurs joyeux en poussant des hourras de félicitations. Puis les notables de la ville, mis à l'aise par la fuite du baron, adressèrent à Robin Hood les témoignages de leur sympathie, tandis que les parents des jeunes prisonniers embrassaient les genoux du libérateur de leurs fils.

Les remerciements humbles et sincères de ces pauvres gens parlaient mieux au cœur de Robin Hood que n'auraient pu le faire des sentiments exprimés dans une rhétorique fleurie.

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