Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XII


Trois années de calme suivirent les événements que nous venons de raconter. La bande de Robin Hood avait pris un développement extraordinaire et la renommée de son intrépide chef s'était répandue par toute l'Angleterre.

La mort de Henri II avait fait monter son fils Richard sur le trône et celui-ci, après avoir dilapidé les trésors de la couronne, était parti pour les croisades, abandonnant la régence du royaume au prince Jean son frère, homme de mœurs dissolues, d'une avarice extrême et qu'une grande faiblesse d'esprit rendait impropre à remplir les devoirs de la haute mission qui lui était confiée.

La misère déjà si grande dans la classe du peuple sous le règne de Henri II, devint un dénuement complet pendant la longue période de cette sanguinaire régence. Robin Hood soulageait avec une générosité inépuisable les cruelles souffrances des pauvres de Nottinghamshire et de Derbyshire ; aussi était-il l'idole de tous ces malheureux. Mais, s'il donnait aux pauvres, en revanche il prenait aux riches, et Normands, prélats et moines contribuaient largement, à leur grand désespoir, aux bonnes œuvres du noble proscrit.

Marianne habitait toujours la forêt et les deux époux s'aimaient aussi tendrement qu'aux premiers jours de leur heureuse union.

Le temps n'avait point amoindri la passion de William pour sa charmante femme et, aux yeux du fidèle Saxon, Maude gardait comme un pur diamant son immuable beauté.

Petit-Jean et Much se félicitaient encore du choix qu'ils avaient fait en prenant pour femme l'un la douce Winifred, l'autre l'espiègle Barbara ; et quant aux frères de Will, ils n'avaient eu aucune raison pour se repentir de leur brusque mariage. Ils étaient heureux et voyaient la vie dans un prisme couleur de rose.

Avant de nous séparer à jamais de deux personnages qui ont joué un rôle important dans notre récit, nous allons leur rendre une amicale visite au château du Val, dans la vallée de Mansfeld.

Allan Clare et lady Christabel vivaient toujours heureux l'un par l'autre. Leur habitation, construite en grande partie sous les ordres du chevalier, était une merveille de confort et de bon goût. Une ceinture de vieux arbres interdisait la vue des jardins à tout regard indiscret et semblait mettre une barrière infranchissable autour de cette poétique demeure.

De beaux enfants au doux visage, fleurs vivantes de cet oasis de l'amour, animaient de leur turbulente activité le calme repos du vaste domaine. Leurs voix rieuses en réveillaient l'écho et les pas agiles de leurs petits pieds laissaient leur fugitive empreinte sur le sable des allées du parc. Allan et Christabel étaient restés jeunes de cœur, d'esprit et de visage, et pour eux les semaines avaient la courte durée d'un jour, le jour passait rapide comme une heure.

Christabel n'avait pas revu son père depuis l'époque de son mariage avec Allan Clare dans l'abbaye de Linton ; car l'irascible vieillard s'était cruellement obstiné à repousser les tentatives de réconciliation faites par sa fille et par le chevalier. La mort du baron affecta profondément Christabel ; mais combien sa douleur eût été plus vive si, en perdant l'auteur de ses jours, elle eût perdu un véritable père.

Allan avait manifesté l'intention de faire valoir ses droits à la baronnie et au comté de Nottingham, et, sur le conseil de Robin, qui lui recommandait de hâter le moment de cette juste réclamation, il allait écrire au roi, lorsqu'il apprit que le château de Nottingham avec ses revenus et ses dépendances étaient devenus la propriété du prince Jean.

Allan était trop heureux pour risquer son repos et la perte de son bonheur dans une lutte que la supériorité de son adversaire pouvait rendre aussi dangereuse qu'inutile. Il ne fit donc aucune démarche et ne regretta point la perte de ce magnifique héritage.

Les attaques dirigées par Robin Hood contre les Normands et les ecclésiastiques devinrent si nombreuses et si préjudiciables à la fortune des riches personnages, qu'elles arrivèrent à réveiller l'attention du grand chancelier d'Angleterre, Longchamp, évêque d'Ely.

L'évêque résolut de mettre fin à l'existence des joyeux archers et il prépara une sérieuse expédition. Cinq cents hommes, à la tête desquels se mit le prince Jean, descendirent au château de Nottingham et là, après quelques jours de repos, ils prirent des dispositions pour s'emparer de Robin Hood. Celui-ci, promptement informé des intentions de la respectable troupe, ne fit qu'en rire et se prépara à déjouer toutes les tentatives sans exposer ses hommes aux hasards d'un combat.

Il fit cacher sa bande, habilla une douzaine de forestiers de différentes façons et les envoya au château où ils se présentèrent pour servir de guides à la troupe dans les inextricables détours de la forêt.

Ces offres de service furent acceptées avec empressement par les chefs de la troupe et comme la forêt couvrait à peu près trente milles de terrain, il est facile de se rendre compte des tours et des détours que les guides firent faire aux malheureux soldats. Tantôt la troupe entière s'engouffrait dans le creux des vallons, tantôt elle s'enfonçait jusqu'à mi-jambes dans l'eau bourbeuse des marécages, tantôt enfin, éparpillée sur toutes les hauteurs, elle maugréait avec désespoir contre les devoirs du soldat, envoyant à tous les diables le grand chancelier d'Angleterre, Robin Hood et son invisible bande ; car il est utile de faire observer que pas un seul pourpoint vert ne parut à l'horizon.

à la chute du jour, les soldats se trouvaient invariablement à sept ou huit milles du château de Nottingham, qu'il fallait regagner, à moins de passer la nuit à la belle étoile. Ils rentraient alors épuisés de fatigue, mourant de faim et n'ayant rien vu qui pût révéler la présence des joyeux hommes.

Pendant quinze jours on renouvela ces fatigantes promenades et leur résultat fut constamment le même. Le prince Jean, rappelé à Londres par ses plaisirs, abandonna la partie et reprit avec sa troupe le chemin de la ville.

Deux ans après cette dernière expédition, Richard rentra en Angleterre et le prince Jean, qui redoutait à bon droit la présence de son frère, vint chercher un refuge contre la colère du roi derrière les murs du vieux château de Nottingham.

Richard Cœur-de-Lion, qui avait appris l'odieuse conduite du régent, ne resta que trois jours à Londres et, accompagné d'une faible troupe, marcha résolument contre le rebelle.

Le château de Nottingham fut mis en état de siège ; après trois jours de combat, il se rendit à discrétion et le prince Jean parvint à s'évader.

Tout en combattant comme le dernier de ses soldats, Richard remarquait qu'une troupe de vigoureux yeomen lui prêtait main-forte et que c'était grâce à son vaillant secours qu'il avait obtenu la victoire.

Après le combat, et une fois installé au château, Richard demanda des renseignements sur les habiles archers qui étaient venus à son aide ; mais personne ne put lui répondre et il fut obligé d'adresser sa question au shérif de Nottingham.

Ce shérif était le même homme à qui Robin Hood avait joué le mauvais tour de l'amener dans la forêt et de lui faire payer sa visite trois cents écus d'or.

Sous l'influence de ce cuisant souvenir, le shérif répondit au roi que les archers dont il était question n'étaient autres bien certainement que ceux du terrible Robin Hood.

– Ce Robin Hood, ajouta le rancunier aubergiste, est un fieffé coquin ; il nourrit sa bande aux dépens des voyageurs, il dévalise les honnêtes gens, tue les cerfs du roi et commet journellement toutes sortes de brigandages.

Halbert Lindsay, le frère de lait de la jolie Maude, qui avait eu la bonne fortune de conserver la place de gardien du château, se trouvait par hasard auprès du roi au moment de cet entretien. Entraîné par un sentiment de reconnaissance envers Robin et par l'élan naturel à un caractère généreux, il oublia sa modeste condition, fit un pas vers l'auguste auditeur du shérif et dit d'un ton pénétré :

– Sire, Robin Hood est un honnête Saxon, un malheureux proscrit. S'il dépouille les riches du superflu de leur fortune, il soulage toujours la misère des pauvres et du comté de Nottingham à celui de York le nom de Robin Hood est prononcé avec le respect d'une éternelle reconnaissance.

– Connaissez-vous personnellement ce brave archer ? demanda le roi à Halbert.

Cette question rappela Halbert à lui-même ; il devint pourpre et répondit avec embarras :

– J'ai vu Robin Hood, mais il y a longtemps et je répète à Votre Majesté le bien que disent les pauvres de celui qui les empêche de mourir de faim.

– Allons, mon brave garçon, dit le roi en souriant, relève la tête et ne renie pas ton ami. Par la sainte Trinité ! si sa conduite est telle que tu viens de nous l'apprendre, c'est un homme dont l'amitié doit être précieuse. Je serais, je l'avoue, très enchanté de voir ce proscrit et, comme il m'a rendu service, il ne sera pas dit que Richard d'Angleterre se soit montré ingrat, même envers un outlaw. Demain matin, je descendrai dans la forêt de Sherwood.

Le roi tint parole : dès le lendemain, accompagné d'une escorte de chevaliers et de soldats, conduit par le shérif, qui ne trouvait pas cette promenade fort attrayante, il explora les sentiers, les routes, les clairières du vieux bois ; mais la recherche fut complètement inutile, Robin Hood ne se montra pas.

Fort mécontent de l'insuccès de sa démarche, Richard fit appeler un homme qui remplissait les fonctions de garde forestier dans les bois de Sherwood et lui demanda s'il connaissait un moyen de rencontrer le chef des proscrits.

– Votre Majesté pourrait fouiller la forêt pendant un an, répondit cet homme, sans apercevoir l'ombre même d'un outlaw, si elle s'y présente accompagnée d'une escorte. Robin Hood évite de se battre autant que possible, non par crainte, car il connaît si bien la forêt qu'il n'a rien à redouter, même de l'attaque de cinq ou six cents hommes, mais par modération et par prudence. Si Votre Majesté désire voir Robin Hood, qu'elle s'habille en moine, ainsi que quatre ou cinq chevaliers, je servirai de guide à Votre Majesté. Je jure, par saint Dunstan, que tout le monde sera en sûreté ! Robin Hood arrête les ecclésiastiques, il les héberge, il les dépouille, mais il ne les maltraite pas.

– De par la sainte croix ! forestier, tu parles d'or ! dit le roi en riant, et je vais suivre ton ingénieux conseil. Le costume d'un moine me siéra fort mal ; n'importe ! Qu'on aille me chercher une robe de religieux.

L'impatient monarque revêtit bientôt un costume d'abbé, fit choix de quatre chevaliers, qui se couvrirent d'une robe de moine et d'après un nouveau stratagème indiqué par le forestier, on harnacha trois chevaux de manière à laisser supposer qu'ils portaient la charge d'un trésor.

à trois milles environ du château, le garde forestier qui servait de guide aux prétendus moines s'approcha du roi et lui dit :

– Monseigneur, regardez à l'extrémité de la clairière, vous y verrez Robin Hood, Petit-Jean et Will écarlate, les trois chefs de la bande.

– Bon, dit joyeusement le roi.

Et, faisant hâter le pas de son cheval, Richard feignit de vouloir s'échapper.

Robin Hood bondit sur la route, saisit la bride de l'animal et le maintint immobile.

– Mille pardons, sire abbé, dit-il ; veuillez vous arrêter un peu et recevoir mes compliments de bienvenue.

– Pécheur profane ! s'écria Richard cherchant à imiter le langage habituel aux gens d'église ; qui es-tu pour te permettre d'arrêter la marche d'un saint homme qui va accomplir une mission sacrée ?

– Je suis un yeoman de cette forêt, répondit Robin Hood, et mes compagnons vivent ainsi que moi des produits de la chasse et des générosités des pieux membres de la sainte église.

– Tu es, sur mon âme ! un hardi coquin, répondit le roi en dissimulant un sourire, d'oser me dire à mon nez et à ma barbe que tu manges mes... les cerfs du roi et dévalises les membres du clergé. Par saint Hubert ! tu possèdes du moins le mérite de la franchise.

– La franchise est la seule ressource des gens qui ne possèdent rien, repartit Robin Hood ; mais ceux auxquels appartiennent les rentes, les domaines, les monnaies d'or et d'argent, peuvent s'en passer, car ils n'en sauraient que faire. Je crois, noble abbé, continua Robin d'un ton de persiflage, que vous êtes du nombre des heureux dont je parle. C'est pourquoi je me permets de vous demander de venir en aide à nos modestes besoins, à la misère des pauvres gens qui sont nos amis et nos protégés. Vous oubliez trop souvent, mes frères, qu'il y a aux alentours de vos riches demeures des maisons dépourvues de pain et cependant vous possédez encore plus d'or que vous n'avez de fantaisies à satisfaire.

– Tu dis peut-être la vérité, yeoman, répondit le roi, oubliant à demi le caractère religieux dont il s'était revêtu, et l'expression de loyale franchise que respire ta physionomie me plaît singulièrement. Tu as l'air beaucoup plus honnête que tu ne l'es en réalité ; néanmoins, en faveur de ta bonne mine, et pour l'amour de la charité chrétienne, je te fais don de tout l'argent que je possède en ce moment-ci, quarante pièces d'or. Je suis fâché de n'en point avoir davantage, mais le roi, qui, tu l'as appris sans doute, habite depuis quelques jours le château de Nottingham, a presque entièrement vidé mes poches. Cet argent est donc à ton service, parce que j'aime la belle figure et les têtes énergiques de tes robustes compagnons.

En achevant ces mots, le roi tendit à Robin Hood un petit sac de cuir qui contenait quarante pièces d'or.

– Vous êtes le phénix des ecclésiastiques, messire abbé, dit Robin en riant et si je n'avais fait le vœu de pressurer plus ou moins tous les membres de la sainte église, je refuserais d'accepter votre généreuse offrande ; cependant il ne sera pas dit que vous aurez eu à souffrir trop cruellement de votre passage dans la forêt de Sherwood ; votre escorte et vos chevaux passeront en toute liberté et, de plus, vous me permettrez de ne recevoir que vingt pièces d'or.

– Tu agis noblement, forestier, répondit Richard qui parut sensible à la courtoisie de Robin, et je me ferai un plaisir de parler de toi à notre souverain. Sa Majesté te connaît un peu, car elle m'a dit de te saluer de sa part si j'avais la bonne fortune de te rencontrer. Je crois, entre nous soit dit, que le roi Richard, qui aime la bravoure dans quelque lieu qu'il la rencontre, ne serait pas fâché de remercier de vive voix le brave yeoman qui l'a aidé à ouvrir les portes du château de Nottingham et de lui demander pour quelle raison il a disparu, avec ses vaillants compagnons, aussitôt après la bataille.

– Si j'avais un jour le bonheur de me trouver en présence de Sa Majesté, je n'hésiterais pas à répondre à cette dernière question ; mais, pour le moment, sir abbé, parlons d'autre chose. J'aime tendrement le roi Richard, parce qu'il est anglais de cœur et d'âme, quoiqu'il appartienne par les liens du sang à une famille normande. Nous sommes tous ici, prêtres et laïques, les fidèles serviteurs de Sa Majesté Très Gracieuse et, si vous voulez bien y consentir, sir abbé, nous boirons de compagnie à la santé du noble Richard. La forêt de Sherwood sait être gratuitement hospitalière quand elle reçoit sous l'ombrage de ses vieux arbres des cœurs saxons et des moines généreux.

– J'accepte avec plaisir ton aimable invitation, Robin Hood, répondit le roi, et je suis prêt à te suivre où il te plaira de me conduire.

– Je vous remercie de cette confiance, bon religieux, dit Robin en dirigeant le cheval monté par Richard vers un atelier qui allait aboutir à l'arbre du Rendez-Vous.

Petit-Jean, Will écarlate et les quatre chevaliers déguisés en moines suivirent le roi précédé par Robin.

La petite escorte était à peine engagée dans le sentier, quand un cerf effrayé par le bruit traversa le chemin avec rapidité ; mais, plus alerte encore que le pauvre animal, la flèche de Robin lui transperça le flanc d'un coup mortel.

– Bien frappé ! bien frappé ! cria joyeusement le roi.

– Ce coup n'a rien de merveilleux, sir abbé, dit Robin en regardant Richard d'un air quelque peu surpris ; tous mes hommes sans exception peuvent tuer un cerf de cette façonlà, et ma femme elle-même sait tirer de l'arc et accomplir des tours d'adresse bien supérieurs au faible exploit que je viens d'accomplir sous vos yeux.

– Ta femme ? répéta le roi d'un ton interrogateur ; tu as une femme ? Par la messe ! je suis curieux de faire connaissance avec celle qui partage les périls de ton aventureuse carrière.

– Ma femme n'est pas la seule de son sexe, messire abbé, qui préfère un cœur fidèle et une sauvage demeure à un amour perfide et au luxe de l'existence des villes.

– Je te présenterai ma femme, sir abbé, cria Will écarlate, et si tu ne reconnais pas que sa beauté est digne d'un trône, tu me permettras de déclarer que tu es aveugle ou bien que ton goût est des plus détestables.

– Par saint Dunstan ! repartit Richard, la voix populaire touche juste en vous appelant les joyeux hommes ; rien ne vous manque ici : jolies femmes, gibier royal, fraîche verdure, liberté entière.

– Aussi sommes-nous très heureux, messire, répondit Robin en riant.

L'escorte atteignit bientôt la pelouse où le repas, déjà préparé, attendait les convives, et ce repas, somptueusement fourni des viandes parfumées de la venaison, excita par son seul aspect le vigoureux appétit de Richard Cœur-de-Lion.

– Par la conscience de ma mère ! s'écria-t-il (hâtons-nous de dire que dame éléonore avait si peu de conscience que c'était pure plaisanterie d'en appeler à elle), voici un dîner véritablement royal.

Puis le prince prit place et se mit à manger avec un plaisir extrême. Vers la fin du repas, Richard dit à son hôte :

– Tu m'as donné le désir de faire connaissance avec les jolies femmes qui peuplent ton vaste domaine ; présente-les-moi, je suis curieux de voir si elles sont dignes, ainsi que me l'a fait entendre ton compagnon aux cheveux rouges, d'orner la cour du roi d'Angleterre.

Robin envoya Will à la recherche des belles nymphes du bois et dit à ses hommes de préparer les jeux auxquels ils se livraient les jours de repos.

– Mes gens vont essayer de vous divertir un peu, sir abbé, dit Robin en reprenant place auprès du roi, et vous verrez que nos plaisirs et le genre quelque peu extraordinaire de notre existence n'ont rien en eux-mêmes de fort répréhensible ; et, lorsque vous vous trouverez en présence du bon roi Richard, vous lui direz, je vous demande cela comme une faveur, que les joyeux hommes de la forêt de Sherwood ne sont ni à craindre pour les braves Saxons, ni méchants à l'égard de ceux qui compatissent aux inévitables misères de leur rude existence.

– Sois tranquille, brave yeoman, Sa Majesté sera instruite de tout ce qui se passe ici aussi bien que si elle eût à ma place partagé ton repas.

– Vous êtes, messire, le plus gracieux abbé que j'aie rencontré de ma vie et je suis fort aise d'avoir le plaisir de vous traiter comme un frère. Maintenant, veuillez accorder votre attention à mes archers ; ils sont d'une adresse que rien n'égale et, afin de vous amuser, ils vont, j'en suis certain, accomplir des merveilles.

Les hommes de Robin commencèrent alors à tirer de l'arc avec une sûreté de main et de coup d'œil si extraordinaire, que le roi les complimenta avec une expression de réelle surprise.

L'exercice durait depuis une demi-heure environ, lorsque Will écarlate parut, amenant avec lui Marianne et Maude, revêtues d'un costume d'amazone vert de drap de Lincoln et portant l'une et l'autre un arc et un carquois de flèches.

Derrière ce trio marchaient Barbara, Winifred, la blanche Lilas et les jolies femmes des jeunes Gamwell.

Le roi ouvrit de grands yeux étonnés et contempla sans mot dire les charmants visages qui rougissaient sous son regard.

– Sir abbé, dit Robin en prenant la main de Marianne, je vous présente la reine de mon cœur, ma femme bien-aimée.

– Tu peux hardiment ajouter la reine de tes joyeux hommes, brave Robin, s'écria le roi, et tu as raison d'être fier d'inspirer un tendre amour à une aussi charmante créature. Chère dame, continua le roi, permettez-moi de saluer en vous la souveraine du grand bois de Sherwood et de vous rendre les hommages d'un sujet fidèle.

En achevant ces mots, le roi mit un genou en terre, prit la blanche main de Marianne et l'effleura respectueusement.

– Votre courtoisie est grande, sir abbé, dit Marianne d'un ton modeste, mais veuillez vous souvenir, je vous prie, qu'il ne sied pas à un homme de votre saint caractère de s'incliner ainsi devant une femme ; vous ne devez rendre qu'à Dieu ce témoignage d'humilité et de respect.

– Voilà une réprimande bien morale pour la femme d'un simple forestier, murmura le roi en allant reprendre sa place sous l'arbre du Rendez-Vous.

– Sir abbé, voici ma femme ! cria Will en entraînant Maude sur les pas de Richard. Le prince regarda Maude et dit en souriant :

– Cette belle personne est sans doute la dame qui ferait honneur au palais d'un roi ?

– Oui, messire, dit Will.

– Eh bien ! mon ami, reprit Richard, je partage ton opinion et si tu veux bien me le permettre, je prendrai un baiser sur les belles joues de celle que tu aimes.

William sourit, et le roi, qui prit ce sourire pour une réponse affirmative, embrassa galamment la jeune femme.

– Laissez-moi vous dire un mot à l'oreille, sir abbé, dit Will en se rapprochant du roi qui se prêta avec complaisance aux désirs du jeune homme. Vous êtes un homme de goût, continua Will et vous n'aurez jamais rien à craindre dans la forêt de Sherwood. à dater d'aujourd'hui, je vous promets une réception cordiale chaque fois qu'un heureux hasard vous conduira au milieu de nous.

– Je te rends grâce pour ta courtoisie, bon yeoman, dit le roi avec gaieté. Ah ! ah ! mais que vois-je encore ? s'écria Richard les yeux attachés sur les sœurs de Will, qui, accompagnées de Lilas, se présentaient devant lui. En vérité, mes garçons, vos dryades sont de véritables fées. – Le roi prit la main de la jeune Lilas. – Par Notre Dame ! murmura-t-il, je ne croyais pas qu'il pût exister une femme aussi belle que l'est ma douce Bérengère ; mais, sur mon âme ! je suis forcé de reconnaître que cette enfant l'égale en candeur et en beauté. Ma mignonne, dit le roi en serrant la petite main qu'il tenait dans les siennes, tu as fait choix d'une existence bien dure, bien dépourvue des plaisirs de ton âge. Ne crains-tu pas, pauvre enfant, que les vents orageux de cette forêt ne viennent à détruire ta frêle vie, comme ils détruisent les jeunes fleurs ?

– Mon père, répondit doucement Lilas, le vent se mesure à la force des arbrisseaux ; il épargne les plus faibles. Je suis heureuse ici : une personne qui m'est chère habite le vieux bois et auprès d'elle je ne connais pas la douleur.

– Tu as raison d'avouer ton amour si l'homme que tu aimes est digne de toi, ma douce enfant, répondit Richard.

– Il est digne d'un amour plus grand encore que celui que je lui porte, mon père, répondit Lilas, et cependant je l'aime aussi tendrement qu'il m'est possible d'aimer.

En achevant ces mots, la jeune femme rougit, les grands yeux bleus de Richard attachaient sur elle un regard si ardent, que, saisie d'une indéfinissable crainte, elle retira doucement sa main de l'étreinte du roi et alla s'asseoir auprès de Marianne.

– Je t'avoue, maître Robin, dit le roi, que, dans l'Europe entière, il n'y a pas une seule cour qui puisse se vanter de réunir autour d'un trône autant de femmes jeunes et belles que j'en vois autour de nous. J'ai vu les femmes de divers pays et je n'ai rencontré nulle part la tranquille et suave beauté des femmes saxonnes. Je veux être maudit si une seule des fraîches figures qu'embrasse mon regard ne vaut pas une centaine des filles de l'Orient ou de toute autre race étrangère.

– Je suis heureux de vous entendre parler ainsi, sir abbé, dit Robin ; vous me prouvez une fois de plus que le pur sang anglais coule dans vos veines. Je ne puis me poser en juge sur un point aussi délicat, parce que j'ai peu voyagé, et que, audelà du Derbyshire et du Yorkshire, je n'en connais rien. Néanmoins, je suis fort porté à dire avec vous que les femmes saxonnes sont les plus belles femmes du monde.

– Bien certainement elles sont les plus belles, s'écria Will d'un ton décidé. J'ai traversé une grande partie du royaume de France et je puis certifier que je n'ai pas rencontré une seule dame ou demoiselle qui puisse être comparée à Maude. Maude est l'idéal de la beauté anglaise ; voilà mon opinion.

– Vous avez servi ? demanda le roi en attachant sur le jeune homme un regard attentif.

– Oui, messire, répondit William ; j'ai servi le roi Henri en Aquitaine, en Poitou, à Harfleur, à évreux, à Beauvais, à Rouen et dans bien d'autres places.

– Ah ! ah ! exclama le roi en détournant la tête, dans la crainte que Will ne finît par reconnaître son visage. Robin Hood, continua-t-il, vos gens se disposent à recommencer les jeux ; je serais bien aise d'assister à de nouveaux exercices.

– Il va être fait selon votre désir, messire ; je vais vous montrer comment je m'y prends pour former la main de mes archers. Much, cria Robin, faites placer sur les baguettes du tir des guirlandes de roses.

Much exécuta l'ordre qu'il venait de recevoir et bientôt le haut de la baguette se montra perpendiculairement à travers le cercle formé par les fleurs.

– Maintenant, mes garçons, cria Robin, visez la baguette ; celui qui manquera son coup me fera don d'une bonne flèche et recevra un soufflet. Attention, car, par Notre Dame ! je n'épargnerai pas les nigauds, il est bien entendu que je tire avec vous et que, en cas de maladresse, je subirai la même punition.

Plusieurs forestiers manquèrent le but et reçurent avec bonne grâce un vigoureux soufflet. Robin Hood brisa la baguette en morceaux, une autre fut mise à sa place ; Will et Petit-Jean manquèrent le but et, au milieu des éclats de rire de tous les assistants, ils reçurent la récompense de leur maladresse.

Robin envoya le dernier coup ; mais, désirant montrer au faux abbé que dans un pareil cas il n'y avait aucune distinction entre ses hommes et lui, il manqua volontairement la baguette.

– Ah ! ah ! cria un yeoman étonné, vous vous êtes écarté du but, maître !

– C'est ma foi vrai, et je mérite la punition. Lequel de vous se charge de me caresser la joue ? Toi, Petit-Jean, tu es le plus fort de nous tous et tu sauras frapper ferme.

– Je n'y tiens pas le moins du monde, répondit Jean ; la mission est désagréable, en ce sens qu'elle me brouillerait à jamais avec ma main droite.

– Eh bien ! Will, je m'adresse à toi.

– Merci, Robin ; je refuse de tout mon cœur de te faire ce plaisir.

– Je refuse également, dit Much.

– Moi aussi ! cria un homme.

– Et nous de même, ajoutèrent les forestiers d'une commune voix.

– Tout cela est d'un enfantillage ridicule, dit Robin d'un ton sévère ; je n'ai pas hésité à punir ceux qui s'étaient mis en faute, vous devez me traiter avec la même égalité, et par conséquent avec autant de rigueur. Puisque aucun de mes hommes n'ose porter la main sur moi, c'est à vous, sir abbé, qu'il appartient de vider la question. Voici ma meilleure flèche, et je vous prie, messire, de me servir aussi largement que j'ai servi mes archers maladroits.

– Je n'ose prendre sur moi de te satisfaire, mon cher Robin, répondit le roi en riant ; car j'ai la main lourde et je frappe un peu fort.

– Je ne suis ni sensible ni délicat, sir abbé ; prenez-en à votre aise.

– Tu le veux absolument ? dit le roi en mettant à découvert son bras musculeux ; eh bien ! tu vas être servi à souhait.

Le coup fut si rudement appliqué que Robin tomba à la renverse ; mais il se releva aussitôt.

– Je confesse à Dieu, dit-il, les lèvres souriantes et le visage tout empourpré, que vous êtes le plus robuste moine de la joyeuse Angleterre. Il y a trop de force dans votre bras pour la tranquillité d'un homme qui exerce une sainte profession et je parie ma tête (elle est estimée quatre cents écus d'or) que vous savez mieux tenir un arc ou jouer du bâton que porter une croix.

– C'est possible, répondit le roi en riant ; ajoutons même, si tu veux, manier une épée, une lance ou un bouclier.

– Votre discours et votre manière d'être révèlent plutôt un homme habitué à la vie aventureuse du soldat qu'un pieux serviteur de la très sainte église, reprit Robin en examinant le roi avec attention ; je désirerais beaucoup savoir qui vous êtes, car d'étranges pensées me viennent à l'esprit.

– Chasse ces pensées, Robin Hood, et ne cherche pas à découvrir si je suis ou non l'homme que je représente devant toi, répondit vivement le prince.

Le chevalier Richard de la Plaine, qui était absent depuis le matin, parut en ce moment au centre du groupe et s'approcha de Robin. En apercevant le roi, le chevalier tressaillit, car la figure du prince lui était parfaitement connue. Il regarda Robin, le jeune homme paraissait ignorer complètement le rang élevé de son hôte.

– Connais-tu le nom de celui qui porte le costume d'un moine supérieur ? demanda sir Richard à voix basse.

– Non, répondit Robin ; mais je crois avoir découvert depuis quelques minutes que ces cheveux roux et ces grands yeux bleus ne peuvent appartenir qu'à un seul homme au monde, à...

– Richard Cœur-de-Lion, roi d'Angleterre ! s'écria involontairement le chevalier.

– Ah ! ah ! fit le faux moine en se rapprochant. Robin Hood et sir Richard tombèrent à genoux.

– Je reconnais maintenant l'auguste visage de mon souverain, dit le chef des outlaws ; c'est bien celui de notre bon roi Richard d'Angleterre. Que Dieu protège Sa Vaillante Majesté ! – Un bienveillant sourire épanouit les lèvres du roi.

– Sire, continua Robin sans quitter l'humble posture qu'il avait prise, Votre Majesté connaît maintenant qui nous sommes : des proscrits chassés de la demeure de nos pères par une injuste et cruelle oppression. Pauvres et sans abri, nous avons cherché un refuge dans la solitude des bois ; nous avons vécu de chasse, d'aumônes, exigées sans doute, mais sans violence et avec les formes de la plus prévenante courtoisie ; on nous donnait de bonne ou de mauvaise grâce, mais nous ne prenions pas sans être bien certains que celui qui refusait de venir au secours de notre misère portait dans son escarcelle la rançon d'un chevalier. Sire, j'implore de Votre Majesté, la grâce de mes compagnons et celle de leur chef.

– Lève-toi, Robin Hood, répondit le prince avec bonté et fais-moi connaître la raison qui t'a engagé à me prêter le secours de tes braves archers à l'assaut de la baronnie de Nottingham.

– Sire, reprit Robin Hood, qui tout en obéissant à l'ordre du roi, se tint respectueusement incliné devant lui, Votre Majesté est l'idole des cœurs vraiment anglais. Vos actions, si dignes de l'estime générale, vous ont fait conquérir la gracieuse qualification du plus brave des braves, de l'homme au cœur de lion, qui en loyal chevalier, triomphe en personne de ses ennemis et étend sur les malheureux sa généreuse protection. Le prince Jean méritait la disgrâce de Votre Majesté et lorsque j'ai appris la présence de mon roi devant les murs du château de Nottingham, je me suis secrètement placé sous ses ordres. Votre Majesté a pris le château qui servait de refuge au prince rebelle, ma tâche était remplie et je me suis retiré sans rien dire, parce que la conscience d'avoir loyalement servi mon roi satisfaisait mes plus intimes désirs.

– Je te remercie cordialement de ta franchise, Robin Hood, répondit Richard, et l'affection que tu me portes m'est fort agréable. Tu parles et tu agis en honnête homme ; je suis content et j'accorde grâce pleine et entière aux joyeux hommes de la forêt de Sherwood. Tu as eu entre les mains un bien grand pouvoir, celui de faire le mal et tu n'as pas mis en œuvre cette dangereuse puissance. Tu as secouru les pauvres et ils sont nombreux dans le pays de Nottingham. Tu n'as pénétré de courtoises contributions que sur les riches Normands et cela pour subvenir aux besoins de ta bande. J'excuse tes fautes ; elles ont été les naturelles conséquences d'une position tout à fait exceptionnelle : seulement, comme les lois forestières ont été violées, comme les princes de l'église et les seigneurs suzerains se sont trouvés dans l'obligation de laisser entre tes mains quelques bribes de leurs immenses trésors, ton pardon demande la validité d'un écrit pour que tu puisses vivre désormais à l'abri de tout reproche et de toute poursuite. Demain, en présence de mes chevaliers, je proclamerai hautement que le bas de proscription qui te place plus bas que le dernier des serfs du royaume est complètement annulé. Je te rends, à toi et à tous ceux qui ont partagé ton aventureuse existence, les droits et les privilèges d'un homme libre. J'ai dit, et je jure de maintenir ma parole par la grâce du Dieu tout puissant.

– Vive Richard Cœur-de-Lion ! crièrent les chevaliers.

– Que la sainte Vierge protège à jamais Votre Majesté ! dit Robin Hood d'une voix émue ; et, mettant un genou en terre, il baisa respectueusement la main du généreux prince.

Cet acte de gratitude accompli, Robin se releva, sonna du cor et les joyeux hommes, différemment occupés, les uns à tirer de l'arc, les autres à exercer leur adresse au maniement du bâton, abandonnèrent aussitôt leurs occupations respectives et vinrent se grouper en cercle autour de leur jeune chef.

– Braves compagnons, dit Robin, mettez tous un genou en terre et découvrez vos têtes : vous êtes en présence de notre légitime souverain, du roi bien-aimé de la joyeuse Angleterre, de Richard Cœur-de-Lion ! Rendez hommage à notre noble maître et seigneur ! – Les proscrits obéirent à l'ordre de Robin et, tandis que la troupe se tenait humblement inclinée devant Richard, Robin lui fit connaître la clémence du souverain. – Et maintenant, ajouta le jeune homme, faites retentir la vieille forêt de vos hourras joyeux ; un grand jour s'est levé pour nous, mes garçons ; vous êtes libres par la grâce de Dieu et du noble Richard !

Les joyeux hommes n'eurent pas besoin de recevoir un nouvel encouragement à la manifestation de leur joie intérieure ; ils poussèrent un hourra tellement formidable qu'il n'y a rien d'extraordinaire à supposer qu'il ait été entendu à deux milles de l'arbre du Rendez-Vous.

Cette bruyante clameur apaisée, Richard d'Angleterre reprit la parole et invita Robin à l'accompagner au château de Nottingham avec toute sa troupe.

– Sire, répondit Robin, le flatteur désir que Votre Majesté daigne me témoigner remplit mon cœur d'une indicible joie. J'appartiens corps et âme à mon souverain et, s'il veut bien le permettre, je ferai choix parmi mes hommes de cent quarante archers qui seront, avec un dévouement absolu, les humbles serviteurs de Votre très Gracieuse Majesté.

Le roi, aussi flatté qu'il était surpris de l'humble maintien en sa présence de l'héroïque outlaw, remercia cordialement Robin Hood et, en l'engageant à renvoyer ses hommes à leurs jeux un instant interrompus, il prit une coupe sur la table, la remplit jusqu'aux bords, l'avala d'un trait et dit avec une expression de gaieté familière et curieuse :

– Et maintenant, ami Robin, dis-moi, je te prie, qui est ce géant là-bas : car il me serait difficile de désigner autrement le gigantesque garçon qui a été doué par le ciel d'une aussi honnête figure. Sur mon âme, je m'étais cru jusqu'à ce jour d'une taille extraordinaire et je vois bien que si j'étais placé aux côtés de ce gaillard-là j'aurais l'air d'un innocent poulet. Quelle carrure de membres ! quelle vigueur ! Cet homme est admirablement bâti.

– Il est aussi admirablement bon, sire, répondit Robin ; sa force est prodigieuse : il arrêterait à lui seul la marche d'un corps d'armée et il s'attendrit avec la naïve candeur d'un enfant au récit d'une histoire touchante. L'homme qui a l'honneur d'attirer l'attention de Votre Majesté est mon frère, mon compagnon, mon meilleur ami ; il a un cœur d'or, un cœur fidèle comme l'acier de son invincible épée. Il manie le bâton avec une adresse tellement surprenante qu'il n'y a pas d'exemple qu'il ait jamais été vaincu ; avec cela, il est le plus habile archer de tout le pays et le plus brave garçon de toute la terre.

– Voilà, en vérité, des éloges qui me sont doux à entendre, Robin, répondit le roi ; car celui qui te les inspire est digne d'être ton ami. Je désire causer un peu avec cet honnête yeoman. Comment le nommes-tu ?

– Jean Naylor, sire ; mais nous l'appelons Petit-Jean, en considération de la médiocrité de sa taille.

– Par la messe ! s'écria le roi en riant, une bande de semblables Petits-Jeans eût fort épouvanté ces chiens d'infidèles. Hé ! bel arbre forestier, tour de Babylone, Petit-Jean, mon garçon, viens auprès de moi, je désire t'examiner de plus près.

Jean s'approcha la tête découverte et attendit d'un air de tranquille assurance les ordres de Richard.

Le roi adressa au jeune homme quelques questions relatives à la force extraordinaire de ses muscles, essaya de lutter avec lui et fut respectueusement vaincu par son gigantesque partenaire. Après cet essai, le roi se mêla aux jeux et aux exercices des joyeux hommes aussi naturellement que s'il eût été un de leurs camarades et déclara enfin que depuis bien longtemps il n'avait passé une journée aussi agréable.

Cette nuit-là, le roi d'Angleterre dormit sous la garde des outlaws de la forêt de Sherwood et le lendemain, après avoir fait honneur à un excellent déjeuner, il se prépara à reprendre le chemin de Nottingham.

– Mon brave Robin, dit le prince, peux-tu mettre à ma disposition des vêtements semblables à ceux que portent tes hommes ?

– Oui, sire.

– Eh bien ! fais-moi donner, ainsi qu'à mes chevaliers, un costume pareil au tien et nous aurons à notre entrée à Nottingham une scène quelque peu divertissante. Nos gens d'office sont toujours extraordinairement empressés lorsqu'ils sentent que le voisinage d'un supérieur le met à même de surveiller leur conduite et je suis certain que le brave shérif et ses vaillants soldats nous donneront des preuves de leur invincible bravoure.

Le roi et ses chevaliers revêtirent les costumes choisis par Robin et après un galant baiser donné à Marianne en l'honneur de toutes les dames, Richard, entouré de Robin Hood, de Jean, de Will écarlate, de Much et de cent quarante archers, s'achemina gaiement vers sa seigneuriale demeure.

Aux portes de la ville de Nottingham, Richard donna l'ordre à sa suite de pousser un hourra de victoire.

Ce hourra formidable attira les citoyens sur le seuil de leurs maisons respectives et, à la vue d'un corps des joyeux hommes armés jusqu'aux dents, ils pensèrent que le roi avait été tué par les outlaws et que les proscrits, aguerris par leur sanglant triomphe descendaient sur la ville pour massacrer tous les habitants. éperdus d'épouvante, les pauvres gens s'élancèrent en désordre, les uns dans le recoin le plus obscur de leur demeure, les autres tout droit devant eux. D'autres sonnèrent le tocsin, firent un appel aux troupes de la ville et cherchèrent le grand shérif, qui, par un miracle étrange, devint tout à fait invisible.

Les troupes du roi allaient faire une sortie dangereuse pour les outlaws, lorsque leurs chefs, peu désireux d'entrer en lutte sans connaître la cause du combat, mirent un frein à leur belliqueuse ardeur.

– Voici nos guerriers, dit Richard en considérant d'un air narquois les craintifs défenseurs de la ville ; il me semble que les citoyens ainsi que les soldats tiennent à l'existence. Le shérif est absent, les chefs tremblent ; vive Dieu ! ces lâches mériteraient une correction exemplaire.

à peine le roi achevait-il cette réflexion peu flatteuse pour les citoyens de Nottingham, que ses troupes personnelles, précédées d'un capitaine, sortirent en toute hâte du château, en ligne de bataille et la lance en arrêt.

– Par saint Denis ! mes gaillards ne plaisantent pas ! s'écria le roi en portant à ses lèvres le cor qui lui avait été remis par Robin.

Il sonna deux fois un appel désigné à l'avance au capitaine de ses gardes, et celui-ci, reconnaissant le signal noté par le prince, fit mettre bas les armes et attendit respectueusement l'approche de son souverain. La nouvelle du retour de Richard d'Angleterre, triomphalement accompagné par le prince des proscrits, se répandit aussi rapidement que s'était répandue la nouvelle de l'approche des outlaws en disposition sanguinaire. Les citoyens, qui s'étaient prudemment séquestrés, dans les profondeurs de leurs maisons, en sortirent le visage pâle, mais le sourire sur les lèvres ; et, sitôt qu'ils eurent acquis la certitude que Robin Hood et sa bande avaient gagné la faveur du roi, ils s'empressèrent amicalement autour des joyeux hommes, en complimentant celui-ci, serrant les mains à celui-là, se proclamant à l'envi les amis et les protecteurs de tous. Du sein de la foule s'échappaient des cris de joie et de félicitation, et de toute part on entendait ces mots complaisamment répétés : Gloire au noble Robin Hood ! au brave yeoman, au beau proscrit ! Gloire au tendre et gentil Robin Hood ! Les voix, peu à peu enhardies, acclamèrent si hautement la présence du chef des outlaws, que Richard, fatigué de cette ascendante clameur, en arriva à s'écrier :

– Par ma couronne et par mon sceptre, il me semble que c'est toi qui es le roi ici, Robin Hood !

– Ah ! sire, répondit le jeune homme en souriant avec amertume ; n'attachez ni importance ni valeur aux témoignages de cette apparente amitié ; elle n'est qu'un vague effet de la précieuse faveur dont Votre Majesté comble le proscrit. Un mot du roi Richard peut changer en vociférations de haine ces clameurs enthousiastes qu'excite ici ma présence, et ces mêmes hommes passeront aussitôt, sans remords ni réflexion, de l'éloge au blâme, de l'admiration au mépris.

– Tu dis vrai, mon cher Robin, répondit le roi en riant ; les coquins sont partout les mêmes, et j'ai déjà acquis la preuve du manque de cœur des citoyens de Nottingham. Lorsque je me suis présenté ici avec l'intention de punir le prince Jean, ils ont accueilli mon retour d'Angleterre avec une réserve pleine de prudence. Pour eux le droit est celui du plus fort, et ils ignoraient qu'avec ton aide il me serait facile de m'emparer du château et d'en expulser mon frère. Maintenant, ils nous montrent le beau côté de leur vilaine figure et nous éclaboussent de leur vile flatterie. Ainsi va le monde. Laissons là ces misérables et pensons à nous. Je t'ai promis, mon cher Robin, une noble récompense pour le service que tu m'as rendu ; formule ton désir ; le roi Richard n'a qu'une parole, il tient et réalise toujours les engagements qu'il contracte.

– Sire, répondit Robin, Votre Gracieuse Majesté me rend heureux au-delà de toute expression en me renouvelant l'offre de son généreux appui ; je l'accepte pour moi, pour mes hommes et pour un chevalier qui, frappé de disgrâce par le roi Henri, a été obligé de chercher un refuge dans l'asile protecteur de la forêt de Sherwood. Ce chevalier, sire, est un homme plein de cœur, un digne père de famille, un brave Saxon, et si Votre Majesté veut me faire l'honneur d'écouter l'histoire de sir Richard Gower de la Plaine, je suis assuré qu'elle voudra bien m'accorder la demande que je me permettrai de lui faire.

– Nous t'avons donné notre parole de roi de t'accorder toutes les grâces qu'il te plaira d'implorer de nous, ami Robin, répondit affectueusement Richard ; parle sans crainte, et dis-nous par quel concours de circonstances ce chevalier est tombé dans la disgrâce de mon père.

Robin s'empressa d'obéir aux ordres du roi, et il raconta le plus brièvement possible l'histoire du chevalier de la Plaine.

– Par Notre Dame ! s'écria Richard, ce bon chevalier a été cruellement traité, et tu as noblement agi en lui venant en aide. Mais il ne sera pas dit, brave Robin Hood, que tu puisses dans ce cas encore, avoir surpassé le roi d'Angleterre en grandeur d'âme et en générosité. Je veux, à mon tour, protéger ton ami ; fais-le venir en notre présence.

Robin appela le chevalier, et celui-ci, le cœur agité par les émotions d'une douce espérance, se présenta respectueusement devant le prince.

– Sir Richard de la Plaine, dit gracieusement le roi, ton vaillant ami Robin Hood vient de m'apprendre les malheurs qui ont frappé ta famille, les dangers auxquels tu as été exposé. Je suis heureux de pouvoir, en te rendant justice, témoigner à Robin l'admiration sincère et l'estime profonde que m'inspirent sa conduite. Je te remets en possession de tes biens et pendant un an tu seras libéré de tout impôt et de toute contribution. Outre cela, j'anéantis le décret de bannissement lancé contre toi, afin que le souvenir de cet acte injuste soit complètement effacé, même de la mémoire de tes concitoyens. Rends-toi au château ; les lettres de grâce pleine et entière te seront délivrées par nos ordres. Quant à toi, Robin Hood, demande encore quelque chose à celui qui ne croira jamais avoir payé sa dette de reconnaissance même après avoir satisfait à tous tes désirs.

– Sire, dit le chevalier en mettant un genou en terre, comment puis-je vous témoigner la gratitude qui remplit mon cœur ?

– En me disant que tu es heureux, répondit gaiement le roi ; en me promettant de ne plus offenser les membres de la très sainte église. – Sir Richard baisa la main du généreux prince et s'effaça discrètement dans les groupes réunis à quelques pas du roi. – Eh bien ! mon brave archer, répondit le prince en se tournant vers Robin Hood, que désires-tu de moi ?

– Rien pour le moment, sire ; plus tard, si Votre Majesté veut bien le permettre, je lui demanderai une dernière faveur.

– Elle te sera accordée. Maintenant, rendons-nous au château ; nous avons reçu dans la forêt de Sherwood une généreuse hospitalité, et il faut espérer que le château de Nottingham offrira quelques ressources pour composer un royal festin. Tes hommes ont une excellente manière de préparer la venaison, et la fraîcheur de l'air, la fatigue de la marche nous avaient singulièrement aiguisé l'appétit, car nous avons mangé en véritable gourmand.

– Votre Majesté avait le droit de manger à sa guise, répondit Robin en riant, puisque le gibier était son propre bien.

– Notre bien ou celui du premier chasseur venu, repartit gaiement le roi ; et si tout le monde fait semblant de croire que les daims de la forêt de Sherwood sont notre exclusive propriété, il y a bien un certain yeoman de ton intime connaissance, mon Robin, et les trois cents compagnons qui forment sa joyeuse troupe, qui se sont fort peu inquiétés des prérogatives de la couronne.

Tout en causant, Richard se dirigeant vers le château, et les acclamations enthousiastes de la populace accompagnèrent de leur bruyante clameur le roi d'Angleterre et le célèbre proscrit jusqu'aux portes du vieux manoir.

Le généreux prince réalisa le jour même la promesse qu'il avait faite à Robin Hood ; il signa un acte qui annulait le ban de proscription et remettait le jeune homme en possession de ses droits et de ses titres aux biens et aux dignités de la famille de Huntingdon.

Dès le lendemain de cet heureux jour, Robin réunit ses hommes dans une des cours du château et leur annonça le changement inespéré de sa fortune. Cette nouvelle remplit les cœurs des braves yeomen d'une joie sincère ; ils aimaient tendrement leur chef, et ils refusèrent, d'un commun accord, la liberté que Robin voulait leur rendre. Il fut donc arrêté, séance tenante, que les joyeux hommes cesseraient à l'avenir de lever des contributions sur les Normands et sur les ecclésiastiques, et qu'ils seraient nourris et vêtus aux frais de leur noble maître, Robin Hood, devenu le riche comte de Huntingdon.

– Mes garçons, ajouta Robin, puisque vous désirez vivre auprès de moi et m'accompagner à Londres si les ordres de notre bien aimé souverain m'y conduisent, vous allez me jurer de ne jamais révéler à personne la situation de notre cave. Réservons-nous ce précieux refuge en prévision de nouveaux malheurs.

Les hommes firent à haute voix le serment demandé par leur chef, et Robin les engagea à faire sans retard leurs préparatifs de départ.

Le 30 mars 1194, la veille de son départ pour Londres, Richard tint conseil au château de Nottingham, et, au nombre des choses importantes qui furent traitées, se trouva l'établissement des droits de Robin Hood au comté de Huntingdon. Le roi témoigna d'une façon péremptoire son désir de rendre à Robin les propriétés détenues par l'abbé de Ramsey, et les conseillers de Richard lui promirent formellement de terminer à son entière satisfaction l'acte de justice qui devait réparer les malheurs si courageusement supportés par le noble proscrit.

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