Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre I


Aux premières heures d'une belle matinée du mois d'août, Robin Hood, le cœur en joie et la chanson aux lèvres, se promenait solitairement dans un étroit sentier de la forêt de Sherwood.

Tout à coup, une voix forte et dont les intonations capricieuses témoignaient d'une grande ignorance des règles musicales, se mit à répéter l'amoureuse ballade chantée par Robin Hood.

– Par Notre Dame ! murmura le jeune homme, en prêtant une oreille attentive au chant de l'inconnu, voilà un fait qui me paraît étrange. Les paroles que je viens d'entendre chanter sont de ma composition, datent de mon enfance, et je ne les ai apprises à personne.

Tout en faisant cette réflexion, Robin se glissait derrière le tronc d'un arbre, afin d'y attendre le passage du voyageur.

Celui-ci se montra bientôt. Arrivé en face du chêne au pied duquel Robin s'était assis, il plongea ses regards dans la profondeur des bois.

– Ah ! ah ! dit l'inconnu en apercevant à travers le fourré un magnifique troupeau de daims, voici d'anciennes connaissances ; voyons un peu si j'ai encore l'œil juste et la main prompte. Par saint Paul ! je vais me donner le plaisir d'envoyer une flèche au vigoureux gaillard qui chemine si lentement.

Cela dit, l'étranger prit une flèche dans son carquois, l'ajusta à son arc, visa le daim et le frappa de mort.

– Bravo ! cria une voix rieuse ; ce coup est d'une adresse remarquable. L'étranger, saisi de surprise, s'était brusquement retourné.

– Vous trouvez, messire ? dit-il en examinant Robin de la tête aux pieds.

– Oui, vous êtes fort adroit.

– Vraiment, ajouta l'inconnu d'un ton dédaigneux.

– Sans doute, et surtout pour un homme qui n'est pas habitué à tirer le daim.

– Comment savez-vous que je manque d'habitude dans ce genre d'exercice ?

– Par la manière dont vous tenez votre arc. Je parie tout ce que vous voudrez, sir étranger, que vous êtes plus habile à renverser un homme sur le champ de bataille qu'à étendre un daim dans le fourré.

– Très bien répondu, s'écria l'étranger en riant. Est-il permis de demander son nom à un homme qui a le regard assez pénétrant pour juger sur un simple coup la différence qui existe entre la manière de faire d'un soldat et celle d'un forestier ?

– Mon nom est de peu d'importance dans la question qui nous occupe, sir étranger ; mais je puis vous dire mes qualités. Je suis un des premiers gardes de cette forêt, et je n'ai pas l'intention de laisser mes daims exposés sans défense aux attaques de ceux qui, pour essayer leur adresse, s'avisent de les tirer.

– Je me soucie fort peu de vos intentions, mon joli garde ; repartit l'inconnu d'un ton délibéré, et je vous mets au défi de m'empêcher d'envoyer mes flèches où bon me semblera ; je tuerai des daims, je tuerai des faons, je tuerai tout ce que je voudrai.

– Cela vous sera facile si je ne m'y oppose, parce que vous êtes un excellent archer, répondit Robin. Aussi vais-je vous faire une proposition. écoutez-moi : je suis le chef d'une troupe d'hommes résolus, intelligents et fort habiles dans tous les exercices qu'embrasse leur métier. Vous me paraissez un brave garçon ; si votre cœur est honnête, si vous avez l'esprit tranquille et conciliant, je serai heureux de vous enrôler dans ma bande. Une fois engagé avec nous, il vous sera permis de chasser ; mais si vous refusez de faire partie de notre association, je vous invite à sortir de la forêt.

– En vérité, monsieur le garde, vous parlez d'un ton tout à fait superbe. Eh bien ! écoutez-moi à votre tour. Si vous ne vous hâtez pas de me tourner les talons, je vous donnerai un conseil qui, sans grandes phrases, vous apprendra à mesurer vos paroles ; ce conseil, bel oiseau, est une volée de coups de bâton très lestement appliquée.

– Toi, me frapper ! s'écria Robin d'un ton dédaigneux.

– Oui, moi.

– Mon garçon, reprit Robin, je ne veux point me mettre en colère, car tu t'en trouverais fort mal ; mais si tu n'obéis pas sur-le-champ à l'ordre que je te donne de quitter la forêt, tu seras d'abord vigoureusement châtié ; puis après, nous essaierons la mesure de ton cou et la force de ton corps à la plus haute branche d'un arbre de cette forêt.

L'étranger se mit à rire.

– Me battre et me faire pendre, dit-il, voilà qui serait curieux si ce n'était impossible. Voyons, mets-toi à l'œuvre, j'attends.

– Je ne me donne pas la peine de bâtonner de mes propres mains tous les fanfarons que je rencontre, mon cher ami, repartit Robin ; j'ai des hommes pour remplir en mon nom cet utile office. Je vais les appeler et tu t'expliqueras avec eux.

Robin Hood porta un cor à ses lèvres, et il allait sonner un vigoureux appel lorsque l'étranger, qui avait rapidement ajusté une flèche à son arc, cria avec violence :

– Arrêtez, ou je vous tue !

Robin laissa tomber son cor, saisit son arc, et, bondissant vers l'étranger avec une légèreté inouïe, il s'écria :

– Insensé ! Tu ne vois donc pas avec quelle force tu veux entrer en lutte ? Avant d'être atteint, je t'aurais déjà frappé, et la mort que tu enverrais vers moi te toucherait seul. Montre-toi raisonnable ; nous sommes étrangers l'un à l'autre, et sans cause sérieuse nous nous traitons en ennemis. L'arc est une arme sanguinaire ; remets ta flèche au carquois, et, puisque tu désires jouer du bâton, va pour le bâton ! j'accepte le combat.

– Va pour le bâton ! répéta l'étranger, et que celui qui aura l'adresse de frapper à la tête soit non seulement vainqueur, mais libre de disposer du sort de son adversaire.

– Soit, répondit Robin ; fais attention aux conséquences de l'arrangement que tu proposes : si je te fais crier merci, j'aurai le droit de t'enrôler dans ma bande ?

– Oui.

– Très bien, et que le plus habile remporte la victoire.

– Amen ! dit l'étranger.

La lutte d'adresse commença. Les coups, libéralement donnés des deux parts, accablèrent bientôt l'étranger, qui ne put réussir à toucher Robin une seule fois. Irrité et haletant, le pauvre garçon jeta son arme.

– Arrêtez, dit-il, je suis moulu de fatigue.

– Vous vous avouez vaincu ? demanda Robin.

– Non, mais je reconnais que vous êtes d'une force très supérieure à la mienne ; vous avez l'habitude de manier le bâton, cela vous donne un avantage trop grand, il faut autant que possible égaliser la partie. Savez-vous tirer l'épée ?

– Oui, répondit Robin.

– Voulez-vous continuer le combat avec cette arme ?

– Certainement. Ils mirent l'épée à la main. Adroits tireurs l'un et l'autre, ils se battirent pendant un quart d'heure sans parvenir à se blesser.

– Arrêtez ! cria tout à coup Robin.

– Vous êtes fatigué ? demanda l'étranger avec un sourire de triomphe.

– Oui, répondit franchement Robin ; puis je trouve qu'un combat à l'épée est une chose fort peu agréable ; parlez-moi du bâton : ses coups, moins dangereux, offrent quelque intérêt ; l'épée a quelque chose de rude et de cruel. Ma fatigue, toute réelle qu'elle soit, ajouta Robin en examinant le visage de l'inconnu, dont la tête était couverte d'un bonnet qui lui cachait une partie du front, n'est pas tout à fait la cause qui m'a fait demander une suspension d'armes. Depuis que je me trouve en face de toi, il m'est venu à l'esprit des souvenirs d'enfance, le regard de tes grands yeux bleus ne m'est pas inconnu. Ta voix me rappelle la voix d'un ami, mon cœur se sent pris pour toi d'un entraînement irrésistible ; dis-moi ton nom ; si tu es celui que j'aime et que j'attends avec toute l'impatience de la plus tendre amitié, sois mille fois le bienvenu. Si tu es un étranger, n'importe, tu seras encore heureusement arrivé. Je t'aimerai pour toi et pour les chers souvenirs que ta vue me rappelle.

– Vous me parlez avec une bonté qui me charme, sir forestier, répondit l'inconnu ; mais, à mon grand regret, je ne puis satisfaire à votre honnête demande. Je ne suis pas libre ; mon nom est un secret que la prudence me conseille de garder avec soin.

– Vous n'avez rien à craindre de moi, reprit Robin ; je suis ce que les hommes appellent un proscrit. Du reste, je me sais incapable de trahir la confiance d'un cœur qui s'est reposé sur la discrétion du mien, et je méprise la bassesse de celui qui ose révéler même un secret involontairement surpris. Dites-moi votre nom ? – L'étranger hésita un instant encore. – Je serai un ami pour vous, ajouta Robin d'un air franc.

– J'accepte, répondit l'inconnu. Je m'appelle William Gamwell. Robert jeta un cri.

– Will ! Will ! le gentil Will écarlate !

– Oui.

– Et moi, je suis Robin Hood.

– Robin ! s'écria le jeune homme en tombant dans les bras de son ami ; ah ! quel bonheur !

Les deux jeunes gens s'embrassèrent avec transport ; puis, les regards animés par une indicible joie, ils s'examinèrent l'un l'autre avec un sentiment de touchante surprise.

– Et moi qui t'ai menacé ! disait Will.

– Et moi qui ne t'ai pas reconnu ! ajoutait Robin.

– J'ai voulu te tuer ! s'écriait Will.

– Je t'ai battu ! continuait Robin en éclatant de rire.

– Bah ! je n'y pense pas. Donne-moi vite des nouvelles de... Maude.

– Maude se porte très bien.

– Est-elle ?...

– Toujours une charmante fille, qui t'aime, Will, qui n'aime que toi au monde ; elle t'a gardé son cœur, elle te donnera sa main. Elle a pleuré sur ton absence, la chère créature ; tu as bien souffert, mon pauvre Will ; mais tu seras heureux si tu aimes encore la bonne et jolie Maude.

– Si je l'aime ! comment peux-tu me demander cela, Robin ? Ah ! oui, je l'aime, et que Dieu la bénisse de ne m'avoir point oublié ! Je n'ai jamais cessé un seul instant de penser à elle, son image chérie accompagnait mon cœur et lui donnait des forces : elle était le courage du soldat sur le champ de bataille, la consolation du prisonnier dans le sombre cachot de la prison d'état. Maude, cher Robin, a été ma pensée, mon rêve, mon espoir, mon avenir. Grâce à elle j'ai eu l'énergie de supporter les plus cruelles privations, les plus douloureuses fatigues. Dieu avait mis dans mon cœur une inaltérable confiance en l'avenir ; j'étais certain de revoir Maude, de devenir son mari et de passer auprès d'elle les dernières années de mon existence.

– Ce patient espoir est à la veille de se réaliser, cher Will, dit Robin.

– Oui, je l'espère, ou pour mieux dire, j'en ai la douce certitude. Afin de te prouver, ami Robin, combien je pensais à cette chère enfant, je vais te raconter un rêve que j'ai fait en Normandie ; ce rêve est encore présent à ma pensée, et cependant il date de près d'un mois. J'étais au fond d'une prison, les bras liés, le corps entouré de chaînes, et je voyais Maude à quelques pas de moi, pâle comme une morte et couverte de sang. La pauvre fille tendait vers moi des mains suppliantes, et sa bouche, aux lèvres ternies, murmurait des paroles plaintives dont je ne comprenais pas le sens, mais je voyais qu'elle souffrait horriblement et m'appelait à son secours. Comme je viens de te le dire, j'étais enchaîné, je me roulais par terre, et, dans mon impuissance, je mordais les liens de fer qui comprimaient mes bras ; en un mot, je tentais des efforts surhumains pour me traîner jusqu'à Maude. Tout à coup les chaînes qui m'enlaçaient se détendirent doucement, puis elles tombèrent. Je bondis sur mes pieds et je courus à Maude ; je pris sur mon cœur la pauvre fille ensanglantée, je couvris de baisers ardents ses joues d'une pâleur blafarde, et peu à peu, le sang, arrêté dans sa course, se mit à circuler avec lenteur d'abord, puis ensuite avec une régularité naturelle. Les lèvres de Maude se colorèrent ; elle ouvrit ses grands yeux noirs, et enveloppa mon visage d'un regard à la fois si reconnaissant et si tendre que je me sentis ému jusqu'au fond des entrailles ; mon cœur bondit, et je laissai échapper de ma poitrine en feu un sourd gémissement. Je souffrais et à la fois je me trouvais bien heureux. Le réveil suivit de près cette poignante émotion. Je sautai à bas de mon lit avec la ferme résolution de rentrer en Angleterre. Je voulais revoir Maude, Maude qui devait être malheureuse, Maude qui devait avoir besoin de mon secours. Je me rendis sur-le-champ auprès de mon capitaine ; cet homme avait été l'intendant de mon père, et je me croyais en droit d'attendre de lui une efficace protection. Je lui exposai, non la cause du désir que j'avais de rentrer en Angleterre, il aurait ri de mon inquiétude, mais ce désir seulement. Il refusa d'un ton fort dur de m'accorder un congé ; ce premier échec ne me rebuta pas : j'étais pour ainsi dire possédé de la rage de revoir Maude, je suppliai cet homme, auquel j'avais autrefois donné des ordres, je le conjurai de m'accorder ma demande. Vous allez me prendre en pitié, Robin, ajouta Will la rougeur au front ; n'importe, je veux tout vous dire. Je me jetai à deux genoux devant lui ; ma faiblesse le fit sourire, et d'un coup de pied il me renversa en arrière. Alors, Robin, je me relevai ; j'avais mon épée, je l'arrachai du fourreau, et, sans réflexion, sans hésitation, je tuai ce misérable. Depuis cette époque l'on est à ma poursuite ; a-t-on perdu ma trace ? je l'espère. Voilà pourquoi, cher Robin, vous prenant pour un étranger, je refusais de vous dire mon nom, et béni soit le ciel de m'avoir conduit vers vous ! Maintenant parlons de Maude ; elle habite toujours au hall de Gamwell ?

– Au hall de Gamwell, cher Will ! répéta Robin. Vous ne savez donc rien du passé ?

– Rien. Mais qu'est-il arrivé ? vous me faites peur.

– Rassurez-vous ; le malheur qui a frappé votre famille est en partie réparé, le temps et la résignation ont effacé toutes les traces d'un fait bien douloureux : le château et le village de Gamwell ont été détruits.

– Détruits ! s'écria Will. Bonne sainte Vierge ! et ma mère, Robin, et mon cher père, et mes pauvres sœurs ?

– Tout le monde se porte bien, tranquillisez-vous ; votre famille habite Barnsdale. Plus tard je vous raconterai en détail ce fatal événement ; qu'il vous suffise de savoir pour aujourd'hui que cette cruelle destruction, qui est l'œuvre des Normands, leur a coûté bien cher. Nous avons tué les deux tiers des troupes envoyées par le roi Henri.

– Par le roi Henri ! exclama William. Puis il ajouta avec une certaine hésitation :

– Vous êtes, m'avez-vous dit, Robin, le premier garde de cette forêt, et naturellement aux gages du roi ?

– Pas tout à fait, mon blond cousin, repartit le jeune homme en riant. Ce sont les Normands qui paient ma surveillance, c'est-à-dire ceux qui sont riches, car je n'exige rien des pauvres. Je suis en effet gardien de la forêt, mais pour mon propre compte et pour celui de mes joyeux compagnons. En un mot, William, je suis le seigneur de la forêt de Sherwood, et je soutiendrai mes droits et mes privilèges contre tous les prétendants.

– Je ne vous comprends pas, Robin, dit Will d'un air tout surpris.

– Je vais m'expliquer plus clairement. En disant cela, Robin porta son cor à ses lèvres et en tira trois sons aigus. à peine les profondeurs du bois eurent-elles été traversées par ces notes stridentes que William vit sortir du fourré, de la clairière, à sa droite et à sa gauche, une centaine d'hommes tous également vêtus d'un costume élégant, et dont la couleur verte seyait fort bien à leur martiale figure. Ces hommes, armés de flèches, de boucliers et d'épées courtes, vinrent se ranger en silence autour de leur chef. William ouvrait de grands yeux ébahis et regardait Robin d'un air stupéfait. Le jeune homme s'amusa un instant de la surprise émerveillée que causait à son cousin l'attitude respectueuse des hommes accourus à l'appel du cor ; puis, mettant sa main nerveuse sur l'épaule de Will, il dit en riant :

– Mes garçons, voici un homme qui, dans un combat à l'épée, m'a fait crier merci.

– Lui ! s'écrièrent les hommes en examinant Will avec un visible sentiment de curiosité.

– Oui, il m'a vaincu, et je suis fier de sa victoire, car il possède une main sûre et un brave cœur.

Petit-Jean, qui paraissait moins ravi que ne l'était Robin de l'adresse de William, s'avança au milieu du cercle et dit au jeune homme :

– étranger, si tu as fait demander grâce au vaillant Robin Hood, tu dois être d'une force supérieure ; mais il ne sera pas dit cependant que tu auras eu la gloire de battre le chef des joyeux hommes de la forêt sans avoir été un peu rossé par son lieutenant. Je suis très fort au bâton, veux-tu en jouer avec moi ? Si tu parviens à me faire crier : Assez ! je te proclamerai la meilleure lame de tout le pays.

– Mon cher Petit-Jean, dit Robin, je te parie un carquois de flèches contre un arc d'if que ce brave garçon sera vainqueur une fois encore.

– J'accepte le double enjeu, mon maître, répondit Jean, et si l'étranger remporte le prix, il pourra être nommé non seulement la meilleure lame, mais encore le plus adroit bâtonniste de la joyeuse Angleterre.

En entendant Robin Hood désigner sous le nom de Petit-Jean le grand jeune homme basané qu'il avait sous les yeux, Will ressentit au cœur une véritable commotion ; néanmoins il n'en laissa rien paraître. Il composa son visage, enfonça jusqu'aux sourcils la toque qui lui couvrait la tête, et, répondant par un sourire aux signaux que lui adressait Robin, il salua gravement son adversaire, et, armé de son bâton, attendit la première attaque.

– Comment, Petit-Jean, s'écria Will au moment où le jeune homme allait commencer le combat, vous voulez vous battre avec Will écarlate, avec le gentil William, ainsi que vous aviez l'habitude de le nommer ?

– ô mon Dieu ! exclama Petit-Jean en laissant tomber son bâton. Cette voix ! ce regard !...

Il fit quelques pas, et, tout chancelant, s'appuya sur l'épaule de Robin.

– Eh bien ! cette voix, c'est la mienne, cousin Jean, cria Will en jetant sa toque sur le gazon, regardez-moi.

Les longs cheveux roux du jeune homme roulèrent leurs boucles soyeuses autour de ses joues, et Petit-Jean, après avoir regardé avec une muette extase la rieuse figure de son cousin, s'élança vers lui, l'entoura de ses bras, et lui dit avec une expression d'indicible tendresse :

– Sois le bienvenu dans la joyeuse Angleterre, Will, mon cher Will, sois le bienvenu dans la demeure de tes pères, toi qui, par ton retour, y apportes la joie, le bonheur et le contentement. Demain les habitants de Barnsdale seront en fête, demain ils presseront dans leurs bras celui qu'ils croyaient à jamais perdu. L'heure qui te ramène parmi nous est une heure bénie du ciel, mon bien-aimé Will ; et je suis heureux de... de... te revoir... Il ne faut pas croire, parce que tu vois quelques larmes sur mon visage, que je sois un cœur faible, Will ; non, non, je ne pleure pas, je suis content, très content.

Le pauvre Jean n'en put dire davantage ; ses bras, enlacés autour de Will, se croisèrent convulsivement, et il se prit à pleurer en silence.

William partageait la satisfaction émue de son cousin, et Robin Hood les laissa un instant dans les bras l'un de l'autre.

Cette première émotion calmée, Petit-Jean raconta à Will, le plus brièvement possible, les péripéties de l'affreuse catastrophe qui avait chassé sa famille du hall de Gamwell. Ce récit achevé, Robin et Jean conduisirent Will aux différentes retraites que la bande s'était construites dans le bois, et, sur la demande du jeune homme, il fut enrôlé dans la troupe avec le titre de lieutenant, ce qui le plaçait au même rang que Petit-Jean.

Le lendemain matin, Will témoigna le désir de se rendre à Barnsdale. Ce désir si naturel fut parfaitement compris de Robin, qui se disposa sur-le-champ à accompagner le jeune homme ainsi que Petit-Jean. Depuis l'avant-veille, les frères de Will étaient à Barnsdale, où l'on préparait une fête pour célébrer l'anniversaire de la naissance de sir Guy. Le retour de William allait faire de cette fête une grande réjouissance.

Après avoir donné des ordres à ses hommes, Robin Hood et ses deux amis prirent le chemin de Mansfeld, où ils devaient trouver des chevaux. La route se fit gaiement. Robin chantait de sa voix juste et harmonieuse ses plus jolies ballades, et Will, ivre de joie, bondissait à ses côtés en répétant à tort et à travers le refrain des chansons. Petit-Jean même hasardait quelquefois une fausse note, et Will riait aux éclats, et Robin partageait l'hilarité de Will. Si un étranger eût aperçu nos amis, bien certainement la pensée lui serait venue qu'il avait sous les yeux les convives rassasiés de quelque hôte généreux, tant il est vrai que l'ivresse du cœur peut ressembler à l'ivresse que donne le vin.

Arrivés à quelque distance de Mansfeld, leur turbulente gaieté fut soudain suspendue. Trois hommes costumés en forestiers s'élancèrent d'un massif et se placèrent, d'un air résolu à leur barrer le passage, sur le chemin qu'ils suivaient.

Robin Hood et ses compagnons s'arrêtèrent un instant, puis le jeune homme examina les étrangers et leur demanda d'un ton impérieux :

– Qui êtes-vous ? et que faites-vous ici ?

– J'allais justement vous adresser les mêmes questions repartit un des trois hommes, robuste gaillard aux épaules carrées, et qui, armé d'un bâton et d'un cimeterre, paraissait fort en état de résister à une attaque.

– En vérité ? répondit Robin. Eh bien ! je suis très heureux de vous avoir épargné cette peine ; car si vous vous étiez permis de me faire une aussi impertinente demande, il est probable que je vous eusse répondu de manière à vous donner un éternel regret de votre audace.

– Vous parlez fièrement, mon garçon, riposta le forestier d'un ton moqueur.

– Moins fièrement que je n'aurais agi si vous aviez eu l'imprudence de me questionner ; je ne réponds pas, moi, j'interroge. Ainsi, je vous le demande une dernière fois, qui êtes-vous, et que faites-vous ici ? On dirait vraiment, à en juger par votre mine altière, que la forêt de Sherwood est votre propriété.

– Dieu merci, mon garçon, tu as une bonne langue. Ah ! tu m'accordes la faveur de me promettre une raclée si je t'adresse à mon tour la question que tu m'as faite. C'est superbe ! Maintenant, jovial étranger, je vais te donner une leçon de courtoisie et répondre à ta demande. Cela fait, je te ferai connaître comment je châtie les sots et les insolents.

– Soit, répondit gaiement Robin ; dis-moi bien vite ton nom et tes qualités, puis ensuite tu me battras si tu le peux, je le veux bien.

– Je suis le gardien de cette partie de la forêt ; mes droits de surveillance s'étendent depuis Mansfeld jusqu'à un large carrefour qui se trouve placé à sept milles d'ici. Ces deux hommes sont mes aides. Je tiens ma commission du roi Henri, et par ses ordres, je protège les daims contre les bandits de votre espèce. Avez-vous compris ?

– Parfaitement ; mais si vous êtes gardien de la forêt, que suis-je moi, ainsi que mes compagnons ? Jusqu'à présent, je m'étais cru le seul homme qui eût des droits à ce titre. Il est vrai que je ne les tiens pas de la bonté du roi Henri, mais bien de ma propre volonté, qui est très puissante ici, parce qu'elle s'appelle le droit du plus fort.

– Toi le maître surveillant de la forêt de Sherwood ? reprit dédaigneusement le forestier ; tu plaisantes ! tu es un coquin, et rien de plus.

– Mon cher ami, reprit vivement Robin, tu cherches à m'en imposer sur ta valeur personnelle ; tu n'es pas le garde dont tu essaies de prendre les titres vis-à-vis de moi. Je connais l'homme auquel ils appartiennent.

– Ah ! ah ! s'écria le garde en riant. Peux-tu me dire son nom ?

– Certainement. Il s'appelle Jean Cokle ; c'est le gros meunier de Mansfeld.

– Je suis son fils, et je porte le nom de Much.

– Toi, Much ? Je ne te crois pas.

– Il dit la vérité, ajouta Petit-Jean ; je le connais de vue. On m'a parlé de lui comme d'un homme habile à manier le bâton.

– On ne t'a pas menti, forestier, et, si tu me connais, je puis en dire autant de toi. Tu as une taille et une figure qu'il est impossible d'oublier.

– Tu sais mon nom ? demanda le jeune homme.

– Oui, maître Jean.

– Moi, je suis Robin Hood, garde Much.

– Je m'en doutais, mon gaillard et je suis enchanté de la rencontre. Une forte récompense est promise à celui qui mettra la main sur tes épaules. Je suis très ambitieux de mon naturel et cette récompense, qui est une grosse somme, ferait parfaitement mon affaire. J'ai aujourd'hui la chance de pouvoir m'emparer de toi, et je ne veux point la laisser échapper.

– Tu auras grandement raison, pourvoyeur de potence, répondit Robin d'un ton de mépris. Allons, habit bas, la main à l'épée ! je suis ton homme.

– Arrêtez ! cria Petit-Jean. Much est plus expert à manier le bâton qu'à tirer l'épée ; battons-nous trois contre trois. Je prends Much ; Robin et toi, William, prenez les autres, la partie sera plus égale.

– J'accepte, répondit le garde, car il ne sera pas dit que Much, le fils du meunier de Mansfeld, ait fui devant Hood et ses joyeux hommes.

– Bien répondu ! cria Robin. Allons, Petit-Jean, prenez Much, puisque vous le désirez pour adversaire ; quant à moi, je prends ce robuste gaillard. Es-tu content de te battre avec moi ? demanda Robin à l'homme que le hasard lui avait donné pour partenaire.

– Très content, brave proscrit.

– Alors, commençons, et que la sainte mère de Dieu accorde la victoire à ceux qui méritent son appui !

– Amen ! dit Petit-Jean. La Vierge sainte n'abandonne jamais le faible à l'heure du besoin.

– Elle n'abandonne personne, dit Much.

– Personne, dit Robin en faisant le signe de la croix.

Les préparatifs du combat joyeusement terminés, Petit-Jean cria d'une voix forte :

– Commençons.

– Commençons, répétèrent Will et Robin.

Une vieille ballade, qui a consacré le souvenir de ce mémorable combat, le raconte ainsi :

C'était pendant une belle journée du beau milieu de l'été
Qu'ils se mirent à l'œuvre courageux et fermes.
Ils se battirent depuis huit heures du matin jusqu'à midi ;
Ils se battirent sans faillir et sans s'arrêter.
Robin, Will et Petit-Jean combattirent avec vaillance ;
Ils ne donnèrent point à leurs adversaires la possibilité de les blesser.

– Petit-Jean, dit Much tout haletant et après avoir demandé quartier, je connaissais depuis longtemps ta vaillante adresse, et je désirais entrer en lutte avec toi. Mon désir est accompli, tu m'as vaincu, et ton triomphe me donne une leçon de modestie qui me sera salutaire. Je me croyais un bon jouteur, et tu viens de m'apprendre que je n'étais qu'un sot.

– Tu es un excellent jouteur, ami Much, répondit Petit-Jean en serrant la main que lui tendait le garde, et tu mérites ta réputation de bravoure.

– Je te remercie du compliment, forestier, repartit Much ; mais je le crois plus poli que sincère. Tu supposes peut-être que ma vanité souffre d'une défaite inattendue ? détrompe-toi ; je ne suis point mortifié d'avoir été battu par un homme de ta valeur.

– Bravement dit, vaillant fils de meunier ! cria gaiement Robin. Tu donnes la preuve que tu possèdes la plus enviable des richesses, un bon cœur et une âme saxonne. Il n'y a qu'un honnête homme qui puisse accepter gaiement et sans la moindre rancune un échec blessant pour son amour-propre. Donne-moi ta main, Much, et pardonne-moi le nom dont je t'ai qualifié lorsque tu m'as fait le confident de ton ambitieuse convoitise. Je ne te connaissais pas, et mon mépris était adressé, non à ta personne, mais seulement à tes paroles. Veux-tu accepter un verre de vin du Rhin ? nous le boirons à notre heureuse rencontre et à notre future amitié.

– Voici ma main, Robin Hood, je te l'offre de bon cœur. J'ai entendu parler de toi avec éloge. Je sais que tu es un noble proscrit, et que tu étends sur les pauvres une généreuse protection. Tu es aimé même de ceux qui devraient te haïr, des Normands tes ennemis. Ils parlent de toi avec estime, et je n'ai jamais entendu personne porter contre tes actes un blâme sérieux. On t'a dépouillé de tes biens, on t'a banni ; tu dois être cher aux honnêtes gens, parce que le malheur s'est fait l'hôte de ta demeure.

– Merci pour ces bonnes paroles, ami Much ; je ne les oublierai pas, et je veux que tu m'accordes le plaisir de ta compagnie jusqu'à Mansfeld.

– Je suis tout à toi, Robin, répondit Much.

– Et moi aussi, dit l'homme qui s'était battu avec Robin.

– Et moi de même, ajouta l'adversaire de Will.

Ils se dirigèrent ensemble vers la ville, causant et riant et les bras enlacés.

– Mon cher Much, demanda Robin Hood en entrant dans Mansfeld, vos amis sont-ils prudents ?

– Pourquoi cette question ?

– Parce que leur silence est nécessaire à ma sécurité. Comme vous devez bien le penser, je viens ici incognito, et si un mot indiscret faisait connaître à quelqu'un ma présence dans une auberge de Mansfeld, le logis de mon hôtelier serait promptement entouré de soldats, et je serais obligé ou de fuir ou de me battre. Ni la fuite ni le combat ne me seraient agréables aujourd'hui ; je suis attendu dans le Yorkshire, et je désire ne point retarder mon départ.

– Je vous réponds de la discrétion de mes camarades. Quant à la mienne, vous ne pouvez la mettre en doute ; mais je crois, mon cher Robin, que vous vous exagérez le danger. La curiosité des citoyens de Mansfeld serait seule à craindre ; ils accourraient sur vos pas, tant ils seraient jaloux de voir de leurs propres yeux le célèbre Robin Hood, le héros de toutes les ballades que chantent les jeunes filles.

– Le pauvre proscrit, voulez-vous dire, maître Much, reprit le jeune homme d'un ton amer ; ne craignez pas de me nommer ainsi ; la honte de ce nom ne retombe pas sur moi, mais bien sur la tête de celui qui a prononcé un arrêt aussi cruel qu'il est injuste.

– Bien, mon ami ; mais quel que soit le nom qui se trouve attaché au vôtre, on l'aime, on le respecte. Robin Hood serra les mains du brave garçon.

Ils gagnèrent sans attirer l'attention une auberge retirée de la ville et s'installèrent gaiement autour d'une table que l'hôte couvrit bientôt d'une demi-douzaine de bouteilles aux cols allongés, pleines de ce bon vin du Rhin qui délie la langue et ouvre le cœur.

Les bouteilles se succédèrent rapidement, et la conversation devint si expansive et si confiante que Much éprouva le désir de la prolonger indéfiniment. En conséquence, il proposa à Robin Hood d'entrer dans sa bande ; les camarades de Much, ensorcelés par les joyeuses descriptions d'une existence indépendante sous les grands arbres de la forêt de Sherwood, suivirent l'exemple donné par leur chef, et s'engagèrent du cœur et des lèvres à suivre Robin Hood. Celui-ci accepta l'affectueuse proposition qui lui était faite, et Much, qui voulait partir sur-le-champ, demanda à son nouveau chef la permission d'aller faire ses adieux à toute sa famille. Petit-Jean devait attendre son retour, conduire les trois hommes à la retraite de la forêt, les y installer et reprendre le chemin de Barnsdale, où il trouverait William et Robin.

Ces divers arrangements arrêtés, la conversation prit un autre cours.

Quelques minutes avant l'heure de leur départ de l'auberge, deux hommes entrèrent dans la salle où ils étaient installés. Le premier de ces hommes jeta d'abord un coup d'œil rapide sur Robin Hood, regarda Petit-Jean, et arrêta son attention sur Will écarlate. Cette attention fut si vive et si tenace que le jeune homme s'en aperçut ; il allait interroger le nouveau venu lorsque celui-ci, s'apercevant qu'il avait soulevé un sentiment d'inquiétude dans l'esprit du jeune homme, détourna les yeux, avala d'un trait le verre de vin qu'il s'était fait servir, et sortit de la salle avec son compagnon.

Trop absorbé par la joie que lui causait l'espérance de voir Maude avant la nuit, Will négligea de communiquer à ses cousins ce qui venait de se passer, et il monta à cheval avec Robin Hood sans songer à lui rien dire. Chemin faisant, les deux amis se tracèrent un plan de conduite pour l'entrée de William au château.

Robin voulait y paraître et préparer la famille à la venue de Will ; mais l'impatient garçon ne voulait point accepter cet arrangement.

– Mon cher Robin, disait-il, ne me laissez pas seul ; mon émotion est si grande qu'il me serait impossible de rester silencieux et tranquille à quelques pas de la maison de mon père. Je suis tellement changé, et mon visage porte des traces si visibles d'une cruelle existence, qu'il n'y a point à craindre que ma mère me reconnaisse au premier coup d'œil.

Présentez-moi comme un étranger, comme un ami de Will ; j'aurai ainsi le bonheur de voir mes chers parents plus tôt, et de me faire reconnaître lorsqu'ils auront été préparés à ma venue.

Robin céda au désir de William, et les deux jeunes gens se présentèrent ensemble au château de Barnsdale.

Toute la famille était réunie dans la salle. Robin fut reçu à bras ouverts, et le baronnet adressa à celui qu'il prenait pour un étranger les offres cordiales d'une affectueuse hospitalité.

Winifred et Barbara s'assirent auprès de Robin et l'accablèrent de questions ; car, d'habitude, il était pour les jeunes filles l'écho des nouvelles du dehors.

L'absence de Maude et de Marianne mit Robin à son aise. Aussi, après avoir répondu aux demandes de ses cousines, il se leva et dit en se tournant vers sir Guy :

– Mon oncle, j'ai de bonnes nouvelles à vous donner, des nouvelles qui vous rendront fort joyeux.

– Votre visite est déjà une grande satisfaction pour mon vieux cœur, Robin Hood, répondit le vieillard.

– Robin Hood est un messager du ciel ! cria la jolie Barbara en secouant d'un air mutin les grappes blondes de ses beaux cheveux.

– à ma prochaine visite, Barby, répondit gaiement Robin, je serai un messager de l'amour : je vous apporterai un mari.

– Je le recevrai avec beaucoup de plaisir, Robin, répartit la jeune fille en riant.

– Vous ferez très bien, ma cousine, car il sera digne de ce gracieux accueil. Je ne veux point vous faire son portrait, et je me contenterai de vous dire que, aussitôt que vos beaux yeux se seront reposés sur lui, vous direz à Winifred : Ma sœur, voilà celui qui convient à Barbara Gamwell.

– êtes-vous bien sûr de cela, Robin ?

– Parfaitement sûr, charmante espiègle.

– Ah ! pour en décider, il faut être en pleine connaissance de cause, Robin. Sans le laisser voir, je suis très difficile moi, et, pour réussir à me plaire il faut qu'un jeune homme soit très gentil.

– Qu'appelez-vous être très gentil ?

– Vous ressembler, mon cousin.

– Flatteuse !

– Je dis ce que je pense, tant pis si ma réponse vous semble une flatterie. Et je désire non seulement que mon mari soit beau comme vous l'êtes, mais encore qu'il ait votre esprit et votre cœur.

– Je vous plairais donc, Barbara ?

– Certainement, vous êtes tout à fait à mon goût.

– Je suis à la fois très heureux et très peiné d'avoir ce bonheur, ma cousine ; mais, hélas ! si vous nourrissez secrètement l'espoir de ma conquête, permettez-moi de déplorer votre folie. Je suis engagé, Barbara, engagé avec deux personnes.

– Je connais ces deux personnes, Robin.

– Vraiment ? ma cousine.

– Oui, et si je voulais dire leurs noms...

– Ah ! je vous en prie, ne trahissez pas mon secret, miss Barbara.

– Soyez sans crainte, je désire ménager votre modestie ; mais pour en revenir à moi, cher Robin, je consens, s'il vous est agréable de m'octroyer cette faveur, d'être la troisième de vos fiancées et même la quatrième, car je présume qu'il existe pour le moins trois jeunes filles qui attendent le bonheur de porter votre illustre nom.

– Petite moqueuse ! dit le jeune homme en riant, vous ne méritez pas l'amitié que je vous porte. Néanmoins, je tiendrai ma promesse, et sous peu de jours, je vous amènerai un charmant cavalier.

– Si votre protégé n'est pas jeune, spirituel et beau, je n'en veux pas, Robin ; souvenez-vous bien de cela.

– Il est tout ce que vous désirez qu'il soit.

– Fort bien. Maintenant, dites-nous la nouvelle que vous étiez sur le point d'annoncer à mon père avant de songer à m'offrir un mari.

– Miss Barbara, j'allais apprendre à mon oncle, à ma tante, à vous également, chère Winifred, que j'avais entendu parler d'une personne bien chère à nos cœurs.

– De mon frère Will ? dit Barbara.

– Oui, ma cousine.

– Ah ! quel bonheur ! Eh bien ?

– Eh bien ! ce jeune homme qui vous regarde d'un air tout embarrassé, tant il est heureux de se trouver en présence d'une aussi charmante fille, a vu William, il y a quelques jours.

– Mon fils est-il en bonne santé ? demanda sir Guy d'une voix tremblante.

– Est-il heureux ? interrogea lady Gamwell en joignant les mains.

– Où est-il ? ajouta Winifred.

– Quelle est la raison qui le retient loin de nous ? dit Barbara en attachant ses yeux pleins de larmes sur le visage du compagnon de Robin Hood.

Le pauvre William, la gorge en feu, le cœur gonflé, était incapable de prononcer une seule parole. Une minute de silence succéda aux pressantes questions qui venaient d'être faites. Barbara continuait pensivement de regarder le jeune homme. Tout à coup elle jeta un cri, s'élança vers l'étranger, et, l'entourant de ses bras, dit au milieu de ses sanglots :

– C'est Will ! c'est Will ! je le reconnais. Cher Will, combien je suis heureuse de te voir ! Et, la tête appuyée sur l'épaule de son frère, la jeune fille se prit convulsivement à pleurer.

Lady Gamwell, ses fils, Winifred et Barbara entourèrent le jeune homme, et sir Guy, tout en essayant de paraître calme, tomba sur un fauteuil et se laissa aller à pleurer comme un enfant.

Les jeunes frères de Will semblaient ivres de bonheur. Après avoir jeté un hourra formidable, ils enlevèrent William sur leurs robustes bras, et l'embrassèrent en l'étouffant un peu.

Robin profita de l'inattention générale pour sortir du salon et se rendre à l'appartement de Maude. La santé de miss Lindsay, qui était fort délicate, demandait de grands ménagements, et il eût peut-être été dangereux de lui annoncer à l'improviste le retour de William.

En traversant une pièce qui avoisinait la chambre de Maude, Robin rencontra Marianne.

– Que se passe-t-il au château, cher Robin ? demanda la jeune fille après avoir reçu les tendres compliments de son fiancé. Je viens d'entendre des cris qui me semblent bien joyeux.

– Et qui le sont en effet, chère Marianne, car ils célèbrent un retour ardemment désiré.

– Quel retour ? demanda la jeune fille d'une voix tremblante. Est-ce celui de mon frère ?

– Hélas ! non, chère Marianne, répondit Robin en prenant les mains de la jeune fille, ce n'est pas encore Allan que Dieu nous envoie, mais Will ; vous vous rappelez bien de Will écarlate, du gentil William ?

– Certainement, et je suis très heureuse de le savoir revenu en bonne santé. Où est-il ?

– Dans les bras de sa mère ; je suis sorti de la salle au moment où ses frères se disputaient ses caresses. Je vais à la recherche de Maude.

– Elle est dans sa chambre. Voulez-vous que je lui fasse dire de descendre ?

– Non, je vais monter auprès d'elle, car il faut préparer cette pauvre enfant à recevoir la visite de William. La mission dont je me charge est fort difficile à remplir, ajouta Robin en riant ; car je connais beaucoup mieux les labyrinthes de la forêt de Sherwood que les replis mystérieux du cœur des femmes.

– Ne faites pas le modeste, messire Robin, répondit Marianne avec gaieté ; vous connaissez mieux que personne comment il faut s'y prendre pour pénétrer dans le cœur d'une femme.

– En vérité, Marianne, je crois que mes cousines, Maude et vous, avez fait un pacte pour tâcher de me rendre orgueilleux ; vous me comblez à l'envi de compliments flatteurs.

– Sans nul doute, sir Robin, dit Marianne en faisant au jeune homme un signe de menace, vous attirez à plaisir les amabilités de Winifred et de Barbara. Ah ! vous êtes en coquetterie avec vos cousines ; c'est fort bien, je suis enchantée de l'apprendre, et je vais à mon tour essayer sur le cœur du beau Will écarlate le pouvoir de mes yeux.

– J'y consens, chère Marianne ; mais je dois vous avertir que vous aurez à combattre une rivale dangereuse. Maude est ardemment aimée ; elle défendra son bonheur, et le pauvre Will rougira fort d'être placé ainsi entre deux charmantes femmes.

– Si William ne sait pas mieux rougir que vous, Robin, je n'ai pas à craindre de lui faire éprouver cette embarrassante émotion.

– Ah ! ah ! dit Robin en riant, vous prétendez, miss Marianne, que je ne sais pas rougir ?

– Du moins vous ne savez plus, ce qui est bien différent ; une fois, je m'en souviens encore, un pourpre éclatant a nuancé vos joues.

– à quelle époque ce mémorable événement a-t-il eu lieu ?

– Le premier jour de notre rencontre dans la forêt de Sherwood.

– Voulez-vous me permettre de vous dire pourquoi j'ai rougi, Marianne ?

– Je crains de vous répondre affirmativement, Robin, car je vois poindre dans vos yeux une expression de raillerie, et vos lèvres ébauchent un méchant sourire.

– Vous redoutez ma réponse, et cependant vous l'attendez avec impatience, miss Marianne.

– Pas le moins du monde.

– Tant pis, alors, car je croyais vous être agréable en vous révélant le secret de ma première... et de ma dernière rougeur...

– Vous m'êtes toujours agréable en me parlant de choses qui vous concernent, Robin, dit Marianne en souriant.

– Le jour où j'eus le bonheur de vous conduire à la maison de mon père, j'éprouvai un très vif désir de voir votre visage, qui, enveloppé dans les plis d'un large capuchon, ne me laissait voir que la limpide clarté de vos yeux. Je me disais en moi-même, tout en marchant à vos côtés d'un air fort modeste : « Si cette jeune fille a les traits aussi beaux que son regard, je lui ferai la cour. »

– Comment, Robin, à seize ans vous songiez à vous faire aimer d'une femme !

– Mon Dieu ! oui, et, au moment où je projetais de vous consacrer ma vie entière, votre adorable visage, dégagé du sombre voile qui le dérobait à mes yeux, apparut dans toute sa radieuse splendeur. Mon regard était si ardemment suspendu au vôtre qu'une nuance de pourpre envahit vos joues. Une voix intérieure me cria : « Cette jeune fille sera ta femme. » Le sang qui avait reflué vers mon cœur monta jusqu'à ma figure, et je sentis que j'allais vous aimer. Voilà, chère Marianne, l'histoire de ma première et de ma dernière rougeur. Depuis ce jour-là, continua Robin après un moment de silence ému, cet espoir, tombé du ciel comme la promesse d'un heureux avenir, s'est fait le consolateur et l'appui de mon existence. J'espère et je crois.

Une clameur joyeuse monta du salon jusqu'à la pièce où, les mains enlacées et causant tout bas, les deux jeunes gens continuaient d'échanger les plus tendres paroles.

– Vite, cher Robin, dit Marianne en présentant son beau front aux lèvres du jeune homme, montez à l'appartement de Maude ; moi je vais embrasser Will et lui dire que vous êtes auprès de sa chère fiancée.

Robin gagna rapidement la chambre de Maude et y trouva la jeune fille.

– J'étais presque certaine d'avoir entendu les cris de joie qui annoncent votre arrivée, cher Robin, dit-elle en faisant asseoir le jeune homme ; excusez-moi si je ne suis pas descendue au salon, mais je me sens gênée et presque importune au milieu de la satisfaction générale.

– Pourquoi cela, Maude ?

– Parce que je suis toujours la seule à qui vous n'ayez jamais à apprendre une heureuse nouvelle.

– Votre tour viendra, chère Maude.

– J'ai perdu le courage d'espérer, Robin, et je me sens d'une tristesse mortelle. Je vous aime de tout mon cœur, je suis heureuse de vous voir, et cependant je ne vous donne point des preuves de cette affection, et cependant je ne vous témoigne pas combien votre présence ici m'est agréable, quelquefois même, cher Robin, je cherche à vous fuir.

– à me fuir ! s'écria le jeune homme d'un ton surpris.

– Oui, Robin, car en vous écoutant donner à sir Guy des nouvelles de ses fils, complimenter Winifred de la part de Petit-Jean, donner à Barbara un message de ses frères, je me dis : « Je suis toujours oubliée ; il n'y a qu'à la pauvre Maude que Robin n'a jamais rien à remettre. »

– Jamais rien, Maude !

– Ah ! je ne parle pas des charmants cadeaux que vous apportez. Vous en faites toujours à votre sœur Maude une très large part, croyant compenser ainsi le manque de nouvelles. Votre excellent cœur essaie de toutes les consolations, cher Robin ; hélas ! je ne puis être consolée.

– Vous êtes une méchante petite fille, miss Maude, dit Robin d'un ton railleur. Comment, mademoiselle, vous vous plaignez de ne jamais recevoir de la part de personne des témoignages d'amitié, des preuves de bon souvenir ! Comment, vilaine ingrate, je ne vous donne pas à chacune de mes visites des nouvelles de Nottingham ! Quel est celui qui, au risque de perdre sa tête, va rendre de fréquentes visites à votre frère Hal ? Quel est celui qui au risque bien grand encore d'engager une partie de son cœur, s'expose courageusement au feu meurtrier de deux beaux yeux ? Afin de vous être agréable, Maude, je brave le danger du tête-à-tête avec la ravissante Grâce, je subis le charme de son gracieux sourire, je supporte le contact de sa jolie main, j'embrasse même son beau front ; et pour qui, je vous le demande, vais-je exposer ainsi le repos de mon cœur ? Pour vous, Maude, rien que pour vous ?

Maude se mit à rire.

– Il faut en vérité que je sois bien peu reconnaissante de mon naturel, dit-elle, car la satisfaction que j'éprouve en vous entendant parler d'Halbret et de sa femme ne suffit point aux désirs de mon cœur.

– Très bien, mademoiselle ; alors je ne vous dirai pas que j'ai vu Hal la semaine dernière, qu'il m'a chargé de vous embrasser sur les deux joues ; je ne vous dirai pas non plus que Grâce vous aime de toute son âme, que sa petite fille Maude, un ange de bonté, souhaite le bonheur à sa jolie marraine.

– Mille fois merci, cher Robin, pour votre charmante manière de ne rien dire. Je suis très satisfaite de rester ainsi dans l'ignorance de ce qui se passe à Nottingham ; mais, à propos, avez-vous fait part à Marianne de l'attention que vous accordez à la charmante femme d'Halbret ?

– Voilà, par exemple, une malicieuse question, miss Maude. Eh bien ! pour vous donner la preuve que ma conscience n'a point de reproches à se faire, je vous dirai que j'ai confié à Marianne une petite partie de mon admiration pour les charmes de la belle Grâce. Cependant, comme j'ai un faible pour ses yeux, je me suis bien gardé d'être trop expansif sur un sujet aussi délicat.

– Eh ! quoi ! vous trompez Marianne ! vous méritez que j'aille lui révéler à l'instant même toute l'étendue de votre crime.

– Nous irons ensemble tout à l'heure, je vous offrirai mon bras ; mais avant de nous rendre de compagnie auprès de Marianne, je désire causer avec vous.

– Qu'avez-vous à me dire, Robin ?

– Des choses charmantes, et qui, j'en suis certain, vous donneront un vif plaisir.

– Alors vous avez reçu des nouvelles de... de... Et la jeune fille, l'œil interrogateur, les joues subitement colorées, regardait Robin avec une expression mêlée de doute, d'espérance et de joie.

– De qui, Maude ?

– Ah ! vous vous moquez de moi, dit tristement la pauvre fille.

– Non, chère petite amie, j'ai vraiment à vous apprendre quelque chose de très heureux.

– Dites-le-moi bien vite, alors.

– Que pensez-vous d'un mari ? demanda Robin.

– Un mari ! Voilà une étrange question.

– Pas du tout, si ce mari était...

– Will ! Will ! vous avez entendu parler de Will ? De grâce, Robin, ne jouez pas avec mon cœur. Tenez, il bat avec tant de violence qu'il me fait souffrir. Je vous écoute, parlez, Robin ; ce cher Will est-il bien portant ?

– Sans doute, puisqu'il songe à vous nommer le plus tôt possible sa chère petite femme.

– Vous l'avez vu ? où est-il ? quand viendra-t-il ici ?

– Je l'ai vu, il viendra bientôt.

– ô sainte mère de Dieu, je te remercie ! s'écria Maude les mains jointes et en levant vers le ciel ses yeux remplis de larmes. Combien je serai heureuse de le voir ! ajouta la jeune fille ; mais... continua Maude, l'œil magiquement attiré vers la porte sur le seuil de laquelle un jeune homme se tenait debout, c'est lui ! c'est lui !

Maude jeta un cri de suprême joie, s'élança dans les bras de William et perdit connaissance.

– Pauvre chère fille ! murmura le jeune homme d'une voix tremblante, l'émotion a été trop vive, trop inattendue ; elle s'est évanouie. Robin, soutiens-la un peu, je me sens aussi faible qu'un enfant, il m'est impossible de rester debout.

Robin enleva doucement Maude d'entre les bras de Will et la porta sur un siège. Quant au pauvre William, la tête cachée entre les mains, il versait d'abondantes larmes. Maude revint à elle ; sa première pensée fut pour Will, son premier regard chercha le jeune homme. Celui-ci s'agenouilla tout en pleurs aux pieds de Maude ; il entoura de ses bras la taille de son amie, et, d'une voix expressive et tendre, il murmura son nom bien-aimé. Maude ! Maude !

– William ! cher William !

– J'ai besoin de parler à Marianne, dit Robin en riant. Adieu, je vous laisse en tête à tête ; n'oubliez pas trop ceux qui vous aiment.

Maude tendit la main au jeune homme, et William lui envoya un regard plein de reconnaissance.

– Enfin me voilà revenu, chère Maude, dit Will ; êtes-vous contente de me revoir ?

– Comment pouvez-vous m'adresser une pareille question, William ? Oh ! oui, je suis contente, mieux que cela, je suis heureuse, très heureuse.

– Vous ne désirez plus m'éloigner de vous ?

– L'ai-je jamais désiré ?

– Non ; mais il dépend de vous seule que ma présence ici soit un séjour définitif ou une simple visite.

– Que voulez-vous dire ?

– Vous souvient-il de la dernière conversation que nous avons eue ensemble ?

– Oui, cher William.

– Je vous quittai le cœur bien gros ce jour-là, chère Maude, j'étais au désespoir. Robin s'aperçut de ma tristesse, et, pressé par ses questions, je lui en avouai la cause. J'appris ainsi le nom de celui que vous aviez aimé...

– Ne parlons pas de mes folies de jeune fille, interrompit Maude en nouant ses mains autour du cou de William ; le passé appartient à Dieu.

– Oui, chère Maude, à Dieu seul, et le présent à nous, n'est-ce pas ?

– Oui, à nous et à Dieu. Il serait peut-être nécessaire pour votre tranquillité, cher William, ajouta la jeune fille, que vous eussiez de mes relations avec Robin Hood une idée bien claire, bien franche et bien arrêtée.

– Je sais tout ce que je désire savoir, chère Maude ; Robin m'a fait part de ce qui s'était passé entre vous et lui. Une légère rougeur monta au front de la jeune fille.

– Si votre départ eût été moins prompt, reprit Maude en appuyant sur l'épaule du jeune homme son visage empourpré, vous eussiez appris que, profondément touchée de la patiente tendresse de votre amour, je voulais y répondre. Pendant votre absence, je me suis habituée à regarder Robin avec les yeux d'une sœur, et aujourd'hui je me demande, Will, si mon cœur a jamais battu pour un autre que pour vous.

– Alors il est bien vrai que vous m'aimez un peu, Maude ? dit William les mains jointes et les yeux humides.

– Un peu ! non ; mais beaucoup.

– Oh ! Maude, Maude, combien vous me rendez heureux !... Vous le voyez, j'avais raison d'espérer, d'attendre, de me montrer patient, de me dire : Il viendra un jour où je serai aimé... Nous allons nous marier, n'est-ce pas ?

– Cher Will !

– Dites oui, dites mieux encore, dites : Je veux épouser mon bon William.

– Je veux épouser mon bon William, répéta docilement la jeune fille.

– Donnez-moi votre main, chère Maude.

– La voici. William baisa passionnément la petite main de sa fiancée.

– à quand notre mariage, Maude ? demanda-t-il.

– Je ne sais, mon ami, un de ces jours.

– Sans doute, mais il faut le préciser ; si nous disions demain ?

– Demain, Will, vous n'y pensez pas ; c'est impossible !

– Impossible ! pourquoi cela ?

– Parce que c'est trop subit, trop rapide.

– Le bonheur n'arrive jamais trop vite, chère Maude, et si nous pouvions nous marier à l'instant même, je serais le plus heureux des hommes. Puisqu'il faut attendre jusqu'à demain, je m'y résigne. C'est convenu, n'est-ce pas, demain vous serez ma femme ?

– Demain ! s'écria la jeune fille.

– Oui, et pour deux raisons : la première, c'est que nous fêtons l'anniversaire de mon père qui vient d'entrer dans sa soixante-seizième année ; la seconde, c'est que ma mère désire célébrer mon retour par de grandes réjouissances. La fête sera bien plus complète si elle est encore égayée par l'accomplissement de nos mutuels désirs.

– Votre famille, cher William, n'est point préparée à me recevoir au nombre des siens, et votre père dira peut-être...

– Mon père, interrompit Will, mon père dira que vous êtes un ange, qu'il vous aime, et que depuis longtemps déjà vous êtes sa fille. Ah ! Maude, vous ne connaissez pas ce bon et tendre vieillard, puisque vous doutez qu'il soit très heureux du bonheur de son fils.

– Vous possédez un si grand talent de persuasion, mon cher Will, que je me range entièrement à votre avis.

– Ainsi vous consentez, Maude ?

– Il le faut, je présume, cher Will.

– Vous n'y êtes pas contrainte, miss.

– En vérité, William, vous êtes bien difficile à satisfaire ; sans doute vous préférez m'entendre vous répondre : Je consens de tout mon cœur...

– à vous épouser demain, ajouta Will.

– à vous épouser demain, répéta Maude en riant.

– Très bien, je suis content. Venez, chère petite femme ; allons annoncer à nos amis notre prochain mariage.

William prit le bras de Maude, le glissa sous le sien et, tout en embrassant la jeune fille, il l'entraîna vers la salle, où toute la famille était encore réunie.

Lady Gamwell et son mari donnèrent leur bénédiction à Maude, Winifred et Barbara saluèrent la jeune fille du doux nom de sœur, et les frères de Will l'embrassèrent avec enthousiasme.

Les préparatifs de la noce occupèrent les dames, qui, toutes animées d'un même désir, celui de contribuer au bonheur de Will et à la beauté de Maude, se mirent sur-le-champ à composer pour la jeune fille une charmante toilette.

Le lendemain arriva comme arrivent tous les lendemains lorsqu'ils sont impatiemment attendus, avec une grande lenteur. Dès le matin la cour du château avait été garnie d'une fabuleuse quantité de tonneaux d'ale, qui, enguirlandés de feuillage, devaient attendre patiemment que l'on daignât s'apercevoir de leur présence. Un festin splendide se préparait, les fleurs cueillies par brassées jonchaient les salles, les musiciens accordaient leurs instruments et les convives attendus arrivaient en foule.

L'heure fixée pour la célébration du mariage de miss Lindsay avec William Gamwell était près de sonner ; Maude, parée avec un goût exquis, attendait dans la salle la venue de William, et William ne venait pas.

Sir Guy envoya un serviteur à la recherche de son fils.

Le serviteur parcourut le parc, visita le château, appela le jeune homme, et n'entendit d'autre réponse que l'écho de sa propre voix.

Robin Hood et les fils de sir Guy montèrent à cheval et fouillèrent les environs ; ils n'aperçurent aucune trace du jeune homme, ils ne purent recueillir sur lui aucun renseignement.

Les convives, divisés par bandes, allèrent d'un autre côté explorer la campagne ; mais leur recherche fut aussi inutile.

à minuit, toute la famille en pleurs se pressait autour de Maude, plongée depuis une heure dans un profond évanouissement.

William avait disparu.

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