Robin Hood, le prince des voleurs Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre II


Quinze ans se sont écoulés depuis cet événement ; le calme et le bonheur n'ont pas cessé de régner sous le toit du garde forestier, et l'orphelin croit toujours être le fils bien-aimé de Marguerite et de Gilbert Head.

Par une belle matinée de juin, un homme au retour de l'âge, vêtu comme un paysan aisé et monté sur un poney vigoureux, suivait la route qui conduit par la forêt de Sherwood au joli village de Mansfeldwoohaus.

Le ciel était pur ; le soleil levant illuminait ces grandes solitudes ; la bise passant à travers les taillis entraînait dans l'atmosphère les senteurs âcres et pénétrantes du feuillage des chênes et les mille parfums des fleurs sauvages ; sur les mousses, sur les herbes, les gouttes de rosée brillaient comme des semis de diamants ; aux coins des futaies chantaient et voltigeaient les oiseaux ; les daims bramaient dans les fourrés ; partout enfin la nature s'éveillait, et les derniers brouillards de la nuit fuyaient au loin.

La physionomie de notre voyageur s'épanouissait sous l'influence d'un si beau jour ; sa poitrine se dilatait, il respirait à pleins poumons, et d'une voix forte et sonore il jetait aux échos les refrains d'un vieil hymne saxon, d'un hymne à la mort des tyrans.

Soudain une flèche passa en sifflant à son oreille et alla se planter dans la branche d'un chêne au bord de la route.

Le paysan, plus surpris qu'effrayé, sauta en bas de son cheval, se cacha derrière un arbre, banda son arc et se tint sur la défensive. Mais il eut beau surveiller le sentier dans toute sa longueur, scruter du regard les taillis environnants et prêter l'oreille aux moindres bruits de la forêt, il ne vit rien, n'entendit rien et ne sut que penser de cette attaque imprévue.

Peut-être l'inoffensif voyageur a-t-il failli tomber sous le trait d'un chasseur maladroit ; mais alors il entendrait le bruit des pas du chasseur, les aboiements des chiens, mais alors il verrait le daim en fuite traversant le sentier ?

Peut-être est-ce un outlaw, un proscrit comme il y en a tant dans le comté, gens ne vivant que de meurtres et de rapines, et passant leurs journées à l'affût des voyageurs ? Mais tous ces vagabonds le connaissent ; ils savent qu'il n'est pas riche, et que jamais il ne leur refuse un morceau de pain et un verre d'ale quand ils frappent à sa porte.

A-t-il outragé quelqu'un qui cherche à se venger ? Non, il ne se connaît pas d'ennemis à vingt milles à la ronde.

Quelle main invisible a donc voulu le blesser à mort ?

à mort ! car la flèche a rasé si près l'une de ses tempes qu'elle a fait voltiger ses cheveux.

Tout en réfléchissant sur sa position, notre homme se disait :

– Le danger n'est pas imminent, puisque l'instinct de mon cheval ne le pressent pas. Au contraire, il demeure là tranquille comme dans son écurie, et allonge le col vers la feuillée comme vers son râtelier. Mais s'il reste ici, il indiquera à celui qui me poursuit l'endroit où je me cache. Holà ! poney, au trot !

Ce commandement fut donné par un coup de sifflet en sourdine, et le docile animal, habitué depuis longtemps à cette manœuvre de chasseur qui veut s'isoler en embuscade, dressa ses oreilles, roula de grands yeux flamboyants vers l'arbre qui protégeait son maître, lui répondit par un petit hennissement et s'éloigna au trot. Vainement, pendant un grand quart d'heure, le paysan attendit, l'œil au guet, une nouvelle attaque.

– Voyons, dit-il, puisque la patience n'aboutit à rien, essayons de la ruse.

Et, calculant, d'après la direction du pennage de la flèche, l'endroit où son ennemi pouvait stationner, il décocha un trait de ce côté avec l'espoir d'effrayer le malfaiteur ou de le provoquer à force de mouvement. Le trait fendit l'espace, alla s'implanter dans l'écorce d'un arbre, et personne ne répondit à cette provocation. Un second trait réussira peut-être ? Ce second trait partit, mais il fut arrêté dans son vol. Une flèche, lancée par un arc invisible, le rencontra presque à angle droit au-dessus du sentier, et le fit tomber en pirouettant sur le sol. Ce coup avait été si rapide, si inattendu, il annonçait tant d'adresse et une si grande habileté de la main et de l'œil, que le paysan émerveillé, oublieux de tout danger, bondit de sa cachette.

– Quel coup ! quel merveilleux coup ! s'écria-t-il en gambadant sur la lisière des fourrés pour y découvrir le mystérieux archer.

Un rire joyeux répondit à ces acclamations, et non loin de là une voix argentine et suave comme la voix d'une femme chanta :

« Il y a des daims dans la forêt, il y a des fleurs sur la lisière des grands bois ;
« Mais laisse le daim à sa vie sauvage, laisse la fleur sur sa tige flexible,
« Et viens avec moi, mon amour, mon cher Robin Hood ;
« Je sais que tu aimes le daim dans les clairières, les fleurs pour couronner mon front ;
« Mais abandonne aujourd'hui chasse et fraîche récolte,
« Et viens avec moi, mon amour, mon cher Robin Hood. »

– Oh ! c'est Robin, l'effronté Robin Hood qui chante. Viens ici, garçon. Quoi ? tu oses tirer à l'arc sur ton père ? Par saint Dunstan, j'ai cru que les outlaws en voulaient à ma peau ! Oh ! le méchant enfant qui prend pour but ma tête grisonnante ! Ah ! le voici, ajouta le bon vieillard, le voici, l'espiègle ! il chante la chanson que je composais pour les amours de mon frère Robin... alors que je faisais des chansons et que le pauvre ami courtisait la jolie May, sa fiancée.

– Eh quoi ! bon père, eh quoi ! ma flèche vous a blessé en chatouillant votre oreille, répondit de l'autre côté d'un fourré un jeune garçon qui recommença à chanter.

« Il n'y a ni nuage sur l'or pâle de la lune, ni bruit dans la vallée,
« Il n'y a d'autre voix dans l'air que la douce cloche du couvent.
« Viens avec moi, mon amour, viens avec moi, mon cher Robin Hood,
« Viens avec moi dans la joyeuse forêt de Sherwood,
« Viens avec moi sous l'arbre témoin de notre premier serment,
« Viens avec moi, mon amour, mon cher Robin Hood. »

Les échos de la forêt répétaient encore ce tendre refrain quand un jeune homme, paraissant avoir vingt ans, quoique en réalité il n'en eût que seize, s'arrêta devant le vieux paysan, que vous reconnaissez sans doute pour être le brave Gilbert Head du premier chapitre de notre histoire.

Ce jeune homme souriait au vieillard et tenait respectueusement à la main son bonnet vert, orné d'une plume de héron. Une masse de cheveux noirs légèrement bouclés couronnait un front plus blanc que l'ivoire et largement développé. Les paupières, repliées sur elles-mêmes, laissaient jaillir au-dehors les fulgurances de deux prunelles d'un bleu sombre, dont l'éclat se veloutait sous la frange des longs cils qui projetaient leur ombre jusque sur les pommettes rosées des joues. Son regard nageait dans un fluide transparent comme un émail liquide ; les pensées, les croyances, les sentiments d'une adolescence candide s'y reflétaient comme dans un miroir ; l'expression des traits du visage de Robin annonçait le courage et l'énergie ; son exquise beauté n'avait rien d'efféminé, et son sourire était presque le sourire d'un homme maître de lui-même, lorsque ses lèvres, margées de corail et réunies par une courbe gracieuse à son nez droit et fin, aux narines mobiles et transparentes, s'entr'ouvraient sur une dentition éburnéenne.

Le hâle avait bruni cette noble physionomie, mais la blancheur satinée de la carnation reparaissait à la naissance du col et au-dessus des poignets.

Un bonnet avec plume de héron pour aigrette, un pourpoint de drap vert de Lincoln serré à la taille, des hauts-de-chausses en peau de daim, une paire de unhege sceo (brodequins saxons) attachés au-dessus des chevilles par de fortes courroies, un baudrier clouté d'acier brillant et supportant un carquois garni de flèches, le petit cor et le couteau de chasse à la ceinture, et l'arc en main, telles étaient les pièces de l'habillement et de l'équipement de Robin Hood, et leur ensemble plein d'originalité était loin de nuire à la beauté de l'adolescent.

– Et si tu m'avais transpercé le crâne au lieu de me chatouiller l'oreille ? dit le bon vieillard en répétant les dernières paroles de son fils d'un ton de sévérité affectée. Méfiez-vous de ce chatouillement-là, sir Robin, il tuerait plus souvent qu'il ne ferait rire.

– Pardonnez-moi, bon père. Je n'avais nullement l'intention de vous blesser.

– Je le crois parbleu bien ! cher enfant, mais cela pouvait arriver ; un changement dans l'allure de mon cheval, un pas à gauche ou à droite de la ligne que je suivais, un mouvement de ma tête, un tremblement de ta main, une erreur de ton coup d'œil, un rien enfin, et le jeu que tu jouais était mortel.

– Mais ma main n'a pas tremblé, et mon coup d'œil est toujours sûr. Ne me faites donc pas de reproches, bon père, et pardonnez-moi mon espièglerie.

– Je te la pardonne de grand cœur ; mais, ainsi que le dit ésope, dont le chapelain t'apprit les fables, est-ce un divertissement pour un homme que le jeu qui peut tuer un autre homme ?

– C'est vrai, répondit Robin d'un ton plein de repentir. Je vous en conjure, oubliez mon étourderie, ma faute, veux-je dire, c'est l'orgueil qui me l'a fait commettre.

– L'orgueil ?

– Oui, l'orgueil ; ne m'avez-vous pas dit hier soir, à la veillée, que je n'étais pas encore assez bon archer pour effleurer le poil de l'oreille d'un chevreuil afin de l'effrayer sans le blesser ? et... j'ai voulu vous prouver le contraire.

– Jolie manière d'exercer son talent ! Mais brisons là, mon garçon ; je te pardonne, c'est entendu, et je ne te garde pas rancune, seulement je t'engage à ne jamais me traiter comme un cerf.

– Ne crains rien, père, s'écria l'enfant avec tendresse, ne crains rien ; aussi espiègle, aussi étourdi, aussi grand joueur de tours que je puisse être, je n'oublierai jamais le respect et l'affection que tu mérites, et, pour la possession de la forêt de Sherwood tout entière, je ne voudrais pas faire tomber un cheveu de ta tête.

Le vieillard saisit affectueusement la main que lui tendait le jeune homme, et la pressa en disant :

– Dieu bénisse ton excellent cœur et te donne la sagesse ! Puis il ajouta avec un naïf sentiment d'orgueil qu'il avait sans doute réprimé jusqu'alors afin de morigéner l'imprudent archer : Et dire que c'est mon élève ! Oui, c'est moi, Gilbert Head, qui le premier lui ai appris à bander un arc et à décocher une flèche ! L'élève est digne du maître, et, s'il continue, il n'y aura pas de plus adroit tireur dans tout le comté, dans toute l'Angleterre même.

– Que mon bras droit perde sa force, et que pas une de mes flèches n'atteigne le but si jamais j'oublie votre amour, mon père !

– Enfant, tu sais déjà que je ne suis ton père que par le cœur.

– Oh ! ne me parlez pas des droits qui vous manquent sur moi, car si la nature vous les a refusés, vous les avez acquis par une sollicitude, par un dévouement de quinze années.

– Parlons-en, au contraire, dit Gilbert, reprenant sa route à pied et traînant par la bride le poney qu'un vigoureux coup de sifflet avait rappelé à l'ordre, un secret pressentiment m'avertit que des malheurs prochains nous menacent.

– Quelle folle idée, mon père !

– Tu es déjà grand, tu es fort, tu es rempli d'énergie, grâce à Dieu ; mais l'avenir qui s'ouvre devant toi n'est plus celui que j'entrevoyais lorsque petit et faible enfant, tantôt boudeur, tantôt joyeux, tu grandissais sur les genoux de Marguerite.

– Qu'importe ! je ne fais qu'un vœu, c'est que l'avenir ressemble au passé et au présent.

– Nous vieillirions désormais sans regret si le mystère qui couvre ta naissance se dévoilait.

– Vous n'avez donc jamais revu le brave soldat qui m'a confié à vos soins ?

– Je ne l'ai jamais revu, et je n'ai reçu qu'une fois de ses nouvelles.

– Peut-être est-il mort à la guerre ?

– Peut-être. Un an après ton arrivée chez moi, je reçus par un messager inconnu un sac d'argent et un parchemin scellé de cire, mais dont le cachet n'avait pas d'armes. Je donnai ce parchemin à mon confesseur, qui l'ouvrit et m'en révéla le contenu que voici, mot pour mot : « Gilbert Head, j'ai placé depuis douze mois un enfant sous ta protection, et j'ai pris vis-à-vis de toi l'engagement de te payer pour ta peine une rente annuelle ; je te l'envoie ; je quitte l'Angleterre et j'ignore l'époque de mon retour. En conséquence, j'ai pris des arrangements pour que tu touches tous les ans la somme due. Tu n'auras donc à l'époque des échéances qu'à te présenter dans le cabinet du shérif de Nottingham, et tu seras payé. élève le garçon comme s'il était ton propre fils, à mon retour, je viendrai te le réclamer. » Pas de signature, pas de date ; et d'où venait ce message ? je l'ignore. Le messager partit sans vouloir satisfaire ma curiosité. Je t'ai souvent répété ce que le gentilhomme inconnu nous avait raconté à propos de ta naissance et de la mort de tes parents. Je ne sais donc rien de plus sur ton origine, et le shérif qui me paye ta pension répond invariablement, lorsque je l'interroge, qu'il ne connaît ni le nom ni la demeure de celui qui lui a donné mandat de me compter tant de guinées par an. Si maintenant ton protecteur te rappelait à lui, ma douce Marguerite et moi nous nous consolerions de ton départ en pensant que tu retrouves des richesses et des honneurs qui t'appartiennent par droit de naissance ; mais si nous devons mourir avant que le gentilhomme inconnu reparaisse, un grand chagrin empoisonnera notre dernière heure.

– Quel grand chagrin, père ?

– Le chagrin de te savoir seul et abandonné à toi-même, et livré à tes passions au moment de devenir homme.

– Ma mère et vous avez encore de longs jours à vivre.

– Dieu le sait !

– Dieu le permettra.

– Que sa volonté soit faite ! En tout cas, si une mort prochaine nous sépare, sache, mon enfant, que tu es notre seul héritier ; la chaumière où tu as grandi est tienne, les défrichements qui l'entourent sont ta propriété, et, avec l'argent de ta pension, accumulé depuis quinze années, tu n'auras pas à redouter la misère et tu pourras être heureux si tu es sage. Le malheur t'a frappé dès ta naissance, et tes parents adoptifs se sont efforcés de réparer ce malheur ; tu penseras souvent à eux, ils n'ambitionnent pas d'autre récompense.

L'adolescent s'attendrissait ; de grosses larmes commençaient à sourdre entre ses paupières : mais il contint son émotion pour ne pas augmenter celle du vieillard, détourna la tête, essuya ses yeux d'un revers de main, et s'écria d'un ton de voix presque joyeux :

– Ne touchez plus jamais à un aussi triste sujet, mon père ; la pensée d'une séparation, quelque éloignée qu'elle soit, me rend faible comme une femme, et la faiblesse ne convient pas à un homme (il se croyait déjà homme). Sans nul doute je saurai un jour qui je suis, mais ne le saurais-je pas que cette ignorance ne m'empêcherait jamais de dormir tranquille ni de me réveiller gaiement. Parbleu ! si j'ignore mon véritable nom, noble ou roturier, je n'ignore pas ce que je veux être... le plus habile archer qui ait jamais tiré une flèche sur les daims de la forêt de Sherwood.

– Et vous l'êtes déjà, sir Robin, répliqua Gilbert avec fierté ; ne suis-je pas votre instituteur ? En route, Gip, mon gentil poney, ajouta le vieillard en remontant en selle, il faut que je me hâte d'aller à Mansfeldwoohaus et de revenir, sans quoi Maggie ferait une mine plus longue que la plus longue de mes flèches. En attendant, cher enfant, exerce ton adresse, et elle ne tardera pas à égaler celle de Gilbert Head dans ses plus beaux jours... Au revoir.

Robin s'amusa pendant quelques instants à déchiqueter à coups de flèches les feuilles qu'il choisissait de l'œil à la cime des plus grands arbres ; puis, las de ce jeu, il s'étendit sur l'herbe à l'ombre d'une clairière, et récapitula une à une dans sa pensée les paroles qu'il venait d'échanger avec son père adoptif. Avec son ignorance du monde, Robin ne désirait rien en dehors de la félicité dont il jouissait sous le toit du garde forestier, et le suprême bonheur pour lui consistait à pouvoir chasser en liberté dans les solitudes giboyeuses de la forêt de Sherwood ; que lui importait donc alors un avenir de noble ou de vilain ?

Un froissement prolongé du feuillage et les craquements précipités des broussailles voisines troublèrent bientôt les rêveries de notre jeune archer ; il leva la tête et aperçut un daim effrayé qui trouait le fourré, s'élançait à travers la clairière et disparaissait aussitôt dans les profondeurs de la forêt.

Bander son arc et poursuivre l'animal, tel fut le projet instantané de Robin ; mais ayant par hasard ou par instinct de chasseur examiné l'endroit du débouché avant d'entrer en campagne, il aperçut à quelques toises de distance un homme accroupi derrière un tertre dominant la route ; ainsi caché, cet homme pouvait voir sans être vu tout ce qui passerait sur la route, et, l'œil au guet, la flèche en corde, il attendait.

Certes il ressemblait par ses vêtements à un honnête forestier, connaissant de longue main les allures du gibier et se donnant le loisir d'une paisible chasse à l'affût. Mais s'il eût été réellement chasseur, et chasseur de daims surtout, il n'eût pas hésité à suivre en toute hâte la piste de l'animal. Pourquoi cette embuscade alors ? Peut-être était-ce un meurtrier à l'affût des voyageurs ?

Robin pressentit un crime, et, espérant y mettre obstacle, il se cacha derrière un bouquet de hêtres et surveilla attentivement les mouvements de l'inconnu. Celui-ci, toujours accroupi derrière le tertre, tournait le dos à Robin, et par conséquent se trouvait placé entre lui et le sentier.

Tout à coup le brigand ou le chasseur décocha une flèche dans la direction du sentier, et se releva à moitié comme pour bondir vers le but visé ; mais il s'arrêta, proféra un jurement énergique, et se remit à l'affût avec une flèche à son arc.

Cette nouvelle flèche fut suivie comme la première d'un odieux blasphème.

– à qui donc en veut-il ? se demandait Robin. Essaye-t-il de donner à un de ses amis un coup de peigne comme celui que j'ai donné ce matin au vieux Gilbert ? Le jeu n'est pas des plus faciles. Mais je ne vois rien là-bas du côté où il vise ; il voit cependant quelque chose, lui, puisqu'il prépare une troisième flèche.

Robin allait quitter sa cachette pour faire connaissance avec le tireur inconnu et maladroit, lorsqu'en écartant sans dessein quelques branches d'un hêtre il aperçut, arrêtés au bout du sentier et à l'endroit où le chemin de Mansfeldwoohaus forme un coude, un gentleman et une jeune dame qui semblaient éprouver beaucoup d'inquiétude et se demander s'il fallait tourner bride, ou braver le danger. Les chevaux s'ébrouaient, et le gentleman promenait ses regards de tous côtés pour découvrir l'ennemi et lui tenir tête, puis il s'efforçait en même temps de calmer les terreurs de sa compagne.

Soudain la jeune femme poussa un cri d'angoisse et tomba presque évanouie : une flèche venait de s'implanter dans le pommeau de sa selle.

Plus de doute, l'homme en embuscade était un lâche assassin.

Saisi d'une généreuse indignation, Robin choisit dans son carquois une flèche des plus aiguës, banda son arc et visa. La main gauche de l'assassin demeura clouée sur le bois de l'arc qui menaçait de nouveau le cavalier et sa compagne.

Rugissant de colère et de douleur, le bandit détourna la tête et chercha à découvrir d'où venait cette attaque imprévue ; mais la taille svelte de notre jeune archer le cachait derrière le tronc du hêtre, et les nuances de son pourpoint se confondaient avec celles du feuillage.

Robin aurait pu tuer le bandit, il se contenta de l'effrayer après l'avoir puni, et lui décocha une nouvelle flèche qui emporta son bonnet à vingt pas.

Saisi de vertige et d'épouvante, le blessé se redressa, et, soutenant de sa main solide sa main ensanglantée, hurla, trépigna, tournoya pendant quelques instants sur lui-même, promena des yeux hagards sur les taillis environnants, et s'enfuit en criant :

– C'est le démon ! le démon ! le démon !

Robin salua le départ du bandit par un rire joyeux, sacrifia une dernière flèche qui, après l'avoir éperonné pendant sa course, devait l'empêcher de longtemps de s'asseoir en repos.

Le danger passé, Robin sortit de sa cachette et vint s'adosser nonchalamment au tronc d'un chêne sur le bord du sentier ; il se préparait ainsi à souhaiter la bienvenue aux voyageurs ; mais à peine ceux-ci, qui s'avançaient au trot, l'eurent-il aperçu que la jeune femme poussa un grand cri et que le cavalier s'élança vers lui l'épée à la main.

– Holà ! messire chevalier, s'écria Robin, retiens ton bras et modère ta fureur. Les flèches lancées vers vous ne sortaient pas de mon carquois.

– Te voilà donc, misérable ! te voilà donc ! répéta le cavalier en proie à la plus violente colère.

– Je ne suis pas un assassin, bien au contraire, c'est moi qui vous ai sauvé la vie.

– L'assassin, où est-il alors ? Parle, ou je te fends la tête.

– écoutez et vous le saurez, répondit froidement Robin. Quant à me fendre la tête, n'y songez pas, et permettez-moi de vous faire observer, messire, que cette flèche, dont la pointe est dirigée sur vous, traversera votre cœur avant que votre épée n'effleure ma peau. Tenez-vous donc pour averti, et écoutez en paix : je dirai la vérité.

– J'écoute, reprit le cavalier presque fasciné par le sang-froid de Robin.

– J'étais là tranquillement couché sur l'herbe derrière ces hêtres ; un daim passa, je voulus le poursuivre, mais, au moment de prendre sa piste, j'ai vu un homme qui lançait des flèches vers un but d'abord invisible pour moi. J'oubliai alors le daim ; je me plaçai en observation afin de veiller sur cet homme qui m'était suspect, et je ne tardai pas à découvrir qu'il prenait cette gracieuse dame pour point de mire. On dit que je suis le plus habile archer de la forêt de Sherwood ; j'ai voulu profiter de l'occasion pour me prouver à moi-même qu'on dit vrai. Du premier coup, la main et l'arc du bandit ont été chevillés ensemble par une de mes flèches, du second je lui ai enlevé son bonnet, qu'il nous est facile de retrouver, enfin du troisième, j'ai mis le bandit en fuite, et il court encore... Voilà.

Le cavalier tenait toujours l'épée haute ; il doutait encore.

– Allons, messire, reprit Robin, regardez-moi en face, et vous avouerez que je n'ai pas l'air d'un brigand.

– Oui, oui, mon enfant, je l'avoue, tu n'as pas l'air d'un brigand, dit enfin l'étranger après avoir attentivement considéré Robin. Le front radieux, la physionomie pleine de franchise, les yeux où pétillait le feu du courage, les lèvres qu'entr'ouvrait le sourire d'un légitime orgueil, tout en ce noble adolescent inspirait, commandait la confiance ;

– Dis-moi qui tu es, et conduis-nous, je te prie, dans un lieu où nos montures puissent se repaître et se reposer, ajouta le cavalier.

– Avec plaisir ; suivez-moi.

– Mais d'abord accepte ma bourse, en attendant que Dieu te récompense.

– Gardez votre or, messire chevalier ; l'or m'est inutile, je n'ai pas besoin d'or. Je me nomme Robin Hood, et je demeure avec mon père et ma mère à deux milles d'ici, sur la lisière de la forêt ; venez, vous trouverez dans notre maisonnette une cordiale hospitalité.

La jeune femme, qui s'était jusqu'alors tenue à l'écart, se rapprocha de son cavalier, et Robin vit resplendir l'éclat de deux grands yeux noirs sous le capuchon de soie qui préservait sa tête de la fraîcheur du matin ; il remarqua aussi sa divine beauté, et la dévora du regard en s'inclinant poliment devant elle.

– Devons-nous croire à la parole de ce jeune homme, demanda la dame à son cavalier.

Robin releva fièrement la tête, et, sans donner au chevalier le temps de répondre, il s'écria :

– Il n'y aurait plus alors de bonne foi sur la terre.

Les deux étrangers sourirent ; ils ne doutaient plus.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente