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Chapitre XXXVIII
Les deux signaux

Disons ce qui se passait au château des Noires-Fontaines, trois jours après que les événements que nous venons de raconter se passaient à Paris.

Depuis que, successivement, Roland d'abord, puis madame de Montrevel et son fils, et enfin sir John, avaient pris la route de Paris, Roland pour rejoindre son général, madame de Montrevel pour conduire édouard au collège, et sir John pour faire à Roland ses ouvertures matrimoniales, Amélie était restée seule avec Charlotte au château des Noires-Fontaines.

Nous disons seule, parce que Michel et son fils Jacques n'habitaient pas précisément le château : ils logeaient dans un petit pavillon attenant à la grille ; ce qui adjoignait pour Michel les fonctions de concierge à celles de jardinier.

Il en résultait que, le soir – à part la chambre d'Amélie, située, comme nous l'avons dit, au premier étage sur le jardin, et celle de Charlotte, située dans les mansardes au troisième – les trois rangs de fenêtres du château restaient dans l'obscurité.

Madame de Montrevel avait emmené avec elle la seconde femme de chambre.

Les deux jeunes filles étaient peut-être bien isolées dans ce corps de bâtiment, se composant d'une douzaine de chambres et de trois étages, surtout au moment où la rumeur publique signalait tant d'arrestations sur les grandes routes ; aussi Michel avait-il offert à sa jeune maîtresse de coucher dans le corps de logis principal, afin d'être à même de lui porter secours en cas de besoin ; mais celle-ci avait, d'une voix ferme, déclaré qu'elle n'avait pas peur et qu'elle désirait que rien ne fût changé aux dispositions habituelles du château.

Michel n'avait point autrement insisté et s'était retiré tout en disant que, du reste, mademoiselle pouvait dormir tranquille, et que lui et Jacques feraient des rondes autour du château.

Ces rondes de Michel avaient paru un instant inquiéter Amélie ; mais elle avait bientôt reconnu que Michel se bornait à aller, avec Jacques, se mettre à l'affût sur la lisière de la forêt de Seillon, et la fréquente apparition sur la table, ou d'un râble de lièvre ou d'un cuissot de chevreuil, prouvait que Michel tenait sa parole à l'endroit des rondes promises.

Amélie avait donc cessé de s'inquiéter de ces rondes de Michel qui avaient lieu justement du côté opposé à celui où elle avait craint d'abord qu'il ne les fît.

Or, comme nous l'avons dit, trois jours après les événements que nous venons de raconter, ou, pour parler plus correctement, pendant la nuit qui suivit ce troisième jour, ceux qui étaient habitués à ne voir de lumière qu'à deux fenêtres du château des Noires-Fontaines, c'est-à-dire à la fenêtre d'Amélie au premier étage, et à la fenêtre de Charlotte au troisième, eussent pu remarquer avec étonnement que, de onze heures du soir à minuit, les quatre fenêtres du premier étaient éclairées.

Il est vrai que chacune d'elles n'était éclairée que par une seule bougie.

Ils eussent pu voir encore la forme d'une jeune fille qui, à travers son rideau, fixait les yeux dans la direction du village de Ceyzeriat.

Cette jeune fille, c'était Amélie, Amélie pâle, la poitrine oppressée, et paraissant attendre anxieusement un signal.

Au bout de quelques minutes, elle s'essuya le front et respira presque joyeusement.

Un feu venait de s'allumer dans la direction où se perdait son regard.

Aussitôt elle passa de chambre en chambre, et éteignit les unes après les autres les trois bougies, ne laissant vivre et brûler que celle qui se trouvait dans sa chambre.

Comme si le feu n'eût attendu que cette obscurité, il s'éteignit à son tour.

Amélie s'assit près de sa fenêtre, et demeura immobile, les yeux fixés sur le jardin.

Il faisait une nuit sombre, sans étoiles, sans lune, et cependant, au bout d'un quart d'heure, elle vit, ou plutôt elle devina une ombre qui traversait la pelouse et s'approchait du château.

Elle plaça son unique bougie dans l'angle le plus reculé de la chambre et revint ouvrir sa fenêtre.

Celui qu'elle attendait était déjà sur le balcon.

Comme la première nuit où nous l'avons vu faire cette escalade, il enveloppa de son bras la taille de la jeune fille et l'entraîna dans la chambre.

Mais celle-ci opposa une légère résistance ; elle cherchait de la main la cordelette de la jalousie : elle la détacha du clou qui la retenait, et la jalousie retomba avec plus de bruit que la prudence ne l'eût peut-être voulu.

Derrière la jalousie, elle ferma la fenêtre.

Puis elle alla chercher la bougie dans l'angle où elle l'avait cachée.

La bougie alors éclaira son visage.

Le jeune homme jeta un cri d'effroi ; le visage d'Amélie était couvert de larmes.

– Qu'est-il donc arrivé ? demanda-t-il.

– Un grand malheur ! dit la jeune fille.

– Oh ! je m'en suis douté en voyant le signal par lequel tu me rappelais, m'ayant reçu la nuit dernière... Mais, dis, ce malheur est-il irréparable ?

– à peu près, répliqua Amélie.

– Au moins, j'espère, ne menace-t-il que moi ?

– Il nous menace tous deux.

Le jeune homme passa sa main sur son front pour en essuyer la sueur.

– Allons, fit-il, j'ai de la force.

– Si tu as la force d'écouter tout, je n'ai point celle de tout te dire.

Alors, prenant une lettre sur la cheminée :

– Lis, dit-elle ; voici ce que j'ai reçu par le courrier du soir.

Le jeune homme prit la lettre, et, l'ouvrant, courut à la signature.

– Elle est de madame de Montrevel, dit-il.

– Oui, avec un post-scriptum de Roland.

Le jeune homme lut :

« Ma fille bien-aimée,

« Je désire que la nouvelle que je t'annonce te cause une joie égale à celle qu'elle m'a faite et qu'elle fait à notre cher Roland. Sir John, à qui tu contestais un cœur et que tu prétendais être une mécanique sortie des ateliers de Vaucanson, reconnaît qu'on eût eu parfaitement raison de le juger ainsi jusqu'au jour où il t'a vue ; mais il soutient que, depuis ce jour, il a véritablement un cœur, et que ce cœur t'adore.

« T'en serais-tu doutée, ma chère Amélie, à ses manières aristocratiquement polies, mais où l'œil même de ta mère n'avait rien reconnu de tendre ?

« Ce matin, en déjeunant avec ton frère, il lui a fait la demande officielle de ta main. Ton frère a accueilli cette ouverture avec joie ; cependant, il n'a rien promis d'abord. Le premier consul, avant le départ de Roland pour la Vendée, avait déjà parlé de se charger de ton établissement ; mais voilà que le premier consul a désiré voir lord Tanlay, qu'il l'a vu, et que lord Tanlay, du premier coup, tout en faisant ses réserves nationales, est entré dans les bonnes grâces du premier consul, au point que celui-ci l'a chargé, séance tenante, d'une mission pour son oncle lord Grenville. Lord Tanlay est parti à l'instant même pour l'Angleterre.

« Je ne sais combien de jours sir John restera absent ; mais, à coup sûr, à son retour, il demandera la permission de se présenter devant toi comme ton fiancé.

« Lord Tanlay est jeune encore, d'une figure agréable, immensément riche ; il est admirablement apparenté en Angleterre ; il est l'ami de Roland. Je ne sais pas d'homme qui ait plus de droits, je ne dirai point à ton amour, ma chère Amélie, mais à ta profonde estime.

« Maintenant, tout le reste en deux mots.

« Le premier consul est toujours parfaitement bon pour moi et pour tes deux frères, et madame Bonaparte m'a fait entendre qu'elle n'attendait que ton mariage pour t'appeler près d'elle.

« Il est question de quitter le Luxembourg et d'aller demeurer aux Tuileries : Comprends-tu toute la portée de ce changement de domicile ?

« Ta mère, qui t'aime,

« CLOTILDE DE MONTREVEL »

Sans s'arrêter, le jeune homme passa au post-scriptum de Roland.

Il était conçu en ces termes :

« Tu as lu, chère petite sœur, ce que t'écrit notre bonne mère. Ce mariage est convenable sous tous les rapports. Il ne s'agit point ici de faire la petite fille ; le premier consul désire que tu sois lady Tanlay, c'est-à-dire qu'il le veut.

« Je quitte Paris pour quelques jours ; mais, si je ne te vois pas, tu entendras parler de moi.

« Je t'embrasse.

« ROLAND »

– Eh bien, Charles, demanda Amélie lorsque le jeune homme eut fini sa lecture, que dis-tu de cela ?

– Que c'était une chose à laquelle nous devions nous attendre d'un jour à l'autre, mon pauvre ange, mais qui n'en est pas moins terrible.

– Que faire ?

– Il y a trois choses à faire.

– Dis.

– Avant tout, résiste, si tu en as la force ; c'est le plus court et le plus sûr.

Amélie baissa la tête.

– Tu n'oseras jamais, n'est-ce pas ?

– Jamais.

– Cependant tu es ma femme, Amélie. Un prêtre a béni notre union.

– Mais ils disent que ce mariage est nul devant la loi, parce qu'il n'a été que béni par un prêtre.

– Et toi, dit Morgan, toi, l'épouse d'un proscrit, cela ne te suffit pas ?

En parlant ainsi, sa voix tremblait.

Amélie eut un élan pour se jeter dans ses bras.

– Mais ma mère ! dit-elle. Nous n'avions pas la présence et la bénédiction de ma mère.

– Parce qu'il y avait des risques à courir et que nous avons voulu les courir seuls.

– Et cet homme, surtout... N'as-tu pas entendu que mon frère dit qu'il veut ?

–Oh ! si tu m'aimais, Amélie, cet homme verrait bien qu'il peut changer la face d'un état, porter la guerre d'un bout du monde à l'autre, fonder une législation, bâtir un trône, mais qu'il ne peut forcer une bouche à dire oui lorsque le cœur dit non.

– Si je t'aimais ! dit Amélie du ton d'un doux reproche. Il est minuit, tu es dans ma chambre, je pleure dans tes bras, je suis la fille du général de Montrevel, la sœur de Roland, et tu dis : « Si tu m'aimais. »

– J'ai tort, j'ai tort, mon adorée Amélie ; oui, je sais que tu es élevée dans l'adoration de cet homme ; tu ne comprends pas que l'on puisse lui résister, et quiconque lui résiste est à tes yeux un rebelle.

– Charles, tu as dit que nous avions trois choses à faire ; quelle est la seconde ?

– Accepter en apparence l'union qu'on te propose, mais gagner du temps en la retardant sous toutes sortes de prétextes. L'homme n'est pas immortel.

– Non ; mais il est bien jeune pour que nous comptions sur sa mort. La troisième chose, mon ami ?

– Fuir... mais, à cette ressource extrême, Amélie, il y a deux obstacles : tes répugnances d'abord.

– Je suis à toi, Charles ; ces répugnances, je les surmonterai.

– Puis, ajouta le jeune homme, mes engagements.

– Tes engagements ?

– Mes compagnons sont liés à moi, Amélie ; mais je suis lié à eux. Nous aussi, nous avons un homme dont nous relevons, un homme à qui nous avons juré obéissance. Cet homme, c'est le futur roi de France. Si tu admets le dévouement de ton frère à Bonaparte, admets le nôtre à Louis XVIII.

Amélie laissa tomber sa tête dans ses mains en poussant un soupir.

– Alors, dit-elle, nous sommes perdus.

– Pourquoi cela ? Sous différents prétextes, sous celui de ta santé surtout, tu peux gagner un an ; avant un an, il sera obligé de recommencer une guerre en Italie probablement ; une seule défaite lui ôte tout son prestige ; enfin, en un an, il se passe bien des choses.

– Tu n'as donc pas lu le post-scriptum de Roland, Charles ?

– Si fait ; mais je n'y vois rien de plus que dans la lettre de ta mère.

– Relis la dernière phrase.

Et Amélie remit la lettre sous les yeux du jeune homme.

Il lut :

« Je quitte Paris pour quelques jours ; mais, si tu ne me vois pas, tu entendras parler de moi. »

– Eh bien ?

– Sais-tu ce que cela veut dire ?

– Non.

– Cela veut dire que Roland est à ta poursuite.

– Qu'importe, puisqu'il ne peut mourir de la main d'aucun de nous ?

– Mais, toi, malheureux, tu peux mourir de la sienne !

– Crois-tu que je dusse lui en vouloir beaucoup s'il me tuait, Amélie ?

– Oh ! cela ne s'était point encore présenté à mon esprit, dans mes craintes les plus sombres.

– Ainsi, tu crois ton frère en chasse de nous ?

– J'en suis sûre.

– D'où te vient cette certitude ?

– Sur sir John mourant et qu'il croyait mort, il a juré de le venger.

– S'il eût été mort au lieu d'être mourant, fit le jeune homme avec amertume, nous ne serions pas où nous en sommes, Amélie.

– Dieu l'a sauvé, Charles ; il était donc bon qu'il ne mourût pas.

– Pour nous ?...

– Je ne sonde pas les desseins du Seigneur. Je te dis, mon Charles bien-aimé, garde-toi de Roland ; Roland est près d'ici.

Charles sourit d'un air de doute.

– Je te dis qu'il est non seulement près d'ici, mais ici ; on l'a vu.

– On l'a vu ! où ? Qui ?

– Qui l'a vu ?

– Oui.

– Charlotte, la femme de chambre, la fille du concierge de la prison ; elle m'avait demandé la permission d'aller visiter ses parents hier dimanche : je devais te voir, je lui ai donné congé jusqu'à ce matin.

– Eh bien ?

– Elle a donc passé la nuit chez ses parents. à onze heures, le capitaine de gendarmerie est venu amener des prisonniers. Tandis qu'on les écrouait, un homme est arrivé enveloppé d'un manteau, et a demandé le capitaine. Charlotte a cru reconnaître la voix du nouvel arrivant ; elle a regardé avec attention ; et, dans un moment où le manteau s'est écarté du visage, elle a reconnu mon frère.

Le jeune homme fit un mouvement.

– Comprends-tu, Charles ? mon frère qui vient ici, à Bourg ; qui y vient mystérieusement, sans me prévenir de sa présence ; mon frère qui demande le capitaine de gendarmerie, qui le suit jusque dans la prison, qui ne parle qu'à lui et qui disparaît ? N'est-ce point une menace terrible pour mon amour, dis ?

Et, en effet, au fur et à mesure qu'Amélie parlait, le front de son amant se couvrait d'un nuage sombre.

– Amélie, dit-il, quand nous nous sommes faits ce que nous sommes, nul de nous ne s'est dissimulé les périls qu'il courait.

– Mais, au moins, demanda Amélie, vous avez changé d'asile, vous avez abandonné la chartreuse de Seillon ?

– Nos morts seuls y sont restés et l'habitent à cette heure.

– Est-ce un asile bien sûr que la grotte de Ceyzeriat ?

– Aussi sûr que peut l'être tout asile ayant deux issues.

– La chartreuse de Seillon aussi avait deux issues, et cependant, tu le dis, vous y avez laissé vos morts.

– Les morts sont plus en sûreté que les vivants : ils sont certains de ne pas mourir sur l'échafaud.

Amélie sentit un frisson lui passer par tout le corps.

– Charles ! murmura-t-elle.

– écoute, dit le jeune homme, Dieu m'est témoin, et toi aussi, que j'ai toujours, dans nos entrevues, mis mon sourire et ma gaieté entre tes pressentiments et mes craintes ; mais, aujourd'hui, l'aspect des choses a changé ; nous arrivons en face de la lutte. Quel qu'il soit, nous approchons du dénouement ; je ne te demande point, mon Amélie, ces choses folles et égoïstes que les amants menacés d'un grand danger exigent de leurs maîtresses, je ne te demande pas de garder ton cœur au mort, ton amour au cadavre...

– Ami, fit la jeune fille en lui posant la main sur le bras, prends garde, tu vas douter de moi.

– Non : je te fais le mérite plus grand en te laissant libre d'accomplir le sacrifice dans toute son étendue ; mais je ne veux pas qu'aucun serment te lie, qu'aucun lien t'étreigne.

– C'est bien, fit Amélie.

– Ce que je te demande, continua le jeune homme, ce que tu vas me jurer sur notre amour, hélas ! si funeste pour toi, c'est que, si je suis arrêté, si je suis désarmé, si je suis emprisonné, condamné à mort, ce que je te demande, ce que j'exige de toi, Amélie, c'est que, par tous les moyens possibles, tu me fasses passer des armes, non seulement pour moi, mais encore pour mes compagnons, afin que nous soyons toujours maîtres de notre vie.

–Mais alors, Charles, ne me permettrais-tu donc pas de tout dire, d'en appeler à la tendresse de mon frère, à la générosité du premier consul ?

La jeune fille n'acheva point, son amant lui saisissait violemment le poignet.

– Amélie, lui dit-il, ce n'est plus un serment, ce sont deux serments que je te demande. 'Tu vas me jurer d'abord, et avant tout, que tu ne solliciteras point ma grâce. Jure, Amélie, jure !

– Ai-je besoin de jurer, ami ? dit la jeune fille en éclatant en sanglots ; je te le promets.

– Sur le moment où je t'ai dit que je t'aimais, sur celui où tu m'as répondu que j'étais aimé ?

– Sur ta vie, sur la mienne, sur le passé, sur l'avenir, sur nos sourires, sur nos larmes !

– C'est que je n'en mourrais pas moins, vois-tu, Amélie, dussé-je me briser la tête contre la muraille ; seulement, je mourrais déshonoré.

– Je te le promets, Charles.

– Reste ma seconde prière, Amélie : si nous sommes pris et condamnés ; des armes ou du poison, enfin un moyen de mourir ; un moyen, quelconque ! Me venant de toi, la mort me sera encore un bonheur.

– De près ou de loin, libre ou prisonnier, vivant ou mort, tu es mon maître, je suis ton esclave ; ordonne et je t'obéirai.

– Voilà tout, Amélie ; tu le vois, c'est simple et clair : point de grâce, et des armes.

– Simple et clair, mais terrible.

– Et cela sera ainsi, n'est-ce pas ?

– Tu le veux ?

– Je t'en supplie.

– Ordre ou prière, mon Charles, ta volonté sera faite.

Le jeune homme soutint de son bras gauche la jeune fille, qui semblait près de s'évanouir, et rapprocha sa bouche de la sienne.

Mais, au moment où leurs lèvres allaient se toucher, le cri de la chouette se fit entendre si près de la fenêtre, qu'Amélie tressaillit, et que Charles releva la tête.

Le cri se fit entendre une seconde fois, puis une troisième.

– Ah ! murmura Amélie, reconnais-tu le cri de l'oiseau de mauvais augure ! Nous sommes condamnés, mon ami.

Mais Charles secoua la tête.

– Ce n'est point le cri de la chouette, Amélie, dit-il, c'est l'appel de l'un de mes compagnons. éteins la bougie.

Amélie souffla la lumière, tandis que son amant ouvrait la fenêtre.

– Ah ! jusqu'ici ! murmura-t-elle ; on vient te chercher jusqu'ici !

– Oh ! c'est notre ami, notre confident, le comte de Jayat ; nul autre que lui ne sait où je suis.

Puis, du balcon :

– Est-ce toi, Montbar ? demanda-t-il.

– Oui, est-ce toi, Morgan ?

– Oui.

Un homme sortit d'un massif d'arbres.

– Nouvelles de Paris ; pas un instant à perdre : il y va de notre vie à tous.

– Tu entends, Amélie ?

Et, prenant la jeune fille dans ses bras, il la serra convulsivement contre son cœur.

– Va, dit-elle d'une voix mourante, va ; n'as-tu pas entendu qu'il s'agissait de votre vie à tous ?

– Adieu, mon Amélie bien-aimée, adieu !

– Oh ! ne dis pas adieu !

– Non, non, au revoir.

– Morgan ! Morgan ! dit la voix de celui qui attendait au bas du balcon.

Le jeune homme appuya une dernière fois ses lèvres sur celles d'Amélie, et, s'élançant vers la fenêtre, il enjamba le balcon, et, d'un seul bond, se trouva près de son ami.

Amélie poussa un cri et s'avança jusqu'à la balustrade ; mais elle ne vit plus que deux ombres qui se perdaient dans les ténèbres, rendues plus épaisses par le voisinage des grands arbres qui formaient le parc.

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