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Chapitre XCI
Olympe a des pressentiments à son tour

Olympe, nous l'avons dit, s'était, à la vue de l'abbé d'Hoirac, éloignée toute frissonnante de terreur.
à cent pas seulement, et en reprenant haleine, elle s'était rendu compte du danger qu'elle courait et au-devant duquel, avec tant d'imprudence, elle s'était jetée, malgré les pressentiments de Bannière.
Hélas! il y avait donc plus de délicatesse dans l'amant que dans la femme!
Bannière aimait-il plus, lui qui avait si bien deviné les dangers qu'allait courir son amour?
Olympe venait d'apercevoir d'un coup d'œil tout ce que la révélation de sa présence allait inspirer ou renouveler d'idées chez l'abbé d'Hoirac.
Ce poursuivant opiniâtre, et que rien n'avait lassé, avait renoncé seulement à la maîtresse du comte de Mailly, lui qui avait toujours assiégé celle de Bannière.
Respecterait-il plus la femme qu'il n'avait respecté la maîtresse, surtout quand la femme, par un hasard que son amour-propre expliquerait bien certainement à son avantage, surtout quand la femme était revenue d'elle-même frapper à sa porte?
Olympe se remit à courir; mais, au bout de cent autres pas, elle fut encore obligée de s'arrêter: le sang affluait aux tempes et revenait étouffer son cœur.
Puis ses oreilles tintaient, et il lui semblait que chaque tintement lui disait tout bas: «D'Hoirac! d'Hoirac!»
Le hasard ... c'était le hasard, cependant.
Mais le moyen de croire à ce hasard.
était-ce du hasard que cette insistance qu'Olympe avait mise à être introduite près du maître? IJargent qu'elle avait donné, celui qu'elle avait promis, était-ce du hasard?
Comment ne pas se glorifier de toutes ces circonstances quand on s'appelait d'Hoirac?
- Oh! murmurait Olympe, je l'entends d'ici. Il se dira: «Elle a su ma demeure, elle est accourue; et si elle s'est enfuie en m'apercevant, c'est, comme Galatée pour être poursuivie. Maintenant qu'elle a signalé sa présence, elle ne demande plus qu'une chose, c'est que je la cherche et que je la trouve.» Oh! et Bannière?
Et Bannière, s'il savait cela, comment s'accommoderait-il de cette visite matinale à son ancien rival; mieux, à son ennemi? Comment, lui, Bannière, croirait-il à un hasard auquel Olympe, victime de ce hasard, croyait à peine elle-même?
Tout ne s'accordait-il pas pour accuser une femme déjà trop soupçonnée?
Et surtout cette précipitation à se lever, à sortir seule, à se rendre dans un lieu écarté. Tout cela pour y trouver à l'improviste, qui?... ce fléau de la tranquillité de Bannière, son second épouvantail après M. de Mailly, l'abbé d'Hoirac.
Hélas! jamais en présence de semblables apparences, presque jamais une femme ne se sent le courage de la franchise, surtout quand cette femme se trouve dans la position d'Olympe. Elle courbe la tête sous le poids d'un passé qui la lui défend. Elle espère tout racheter avec un silence que le moindre écho des bruits d'autrefois épouvante et blesse.
Il va donc falloir tout d'abord avoir un secret; un secret envers l'homme qu'elle aime, qu'elle adore; envers l'homme auquel elle a sacrifié un grand seigneur, un roi, envers l'homme qu'elle s'est décidée à prendre pour le but unique de toutes ses pensées, pour l'arbitre de toutes ses actions.
Elle le fera, quoi qu'il lui en coûte: elle gardera le silence sur ce qui vient de se passer, non pas pour elle, mais pour lui.
Jamais Bannière ne croirait ce qui, en effet, était presque impossible à croire.
Peut-être ferait-il semblant de croire; mais alors il n'en serait que plus malheureux, car au fond du cœur il ne croirait pas.
Olympe était cependant une grande comédienne; mais quand le cœur d'une grande comédienne est pris, la grande comédienne n'est plus qu'une pauvre femme amoureuse.
- D'où viens-tu? lui demanda Bannière, d'où viens-tu, que tu m'as quitté ainsi pendant mon sommeil, de sorte que je t'ai cherchée vainement en ouvrant les yeux? d'où viens-tu?
- Curieux!
- Je veux le savoir, dit tendrement Bannière.
- Et si je ne veux pas te le dire? répondit Olympe, essayant d'entamer une scène de coquetterie.
Mais on n'était pas au théâtre, Bannière ne jouait pas un rôle; Bannière vivait dans sa propre vie, exprimait sa propre passion.
- Ah! tu ne veux pas me le dire! fit Bannière; eh bien! je vais le deviner, alors.
- Devine; et si tu devines juste, je te dirai oui.
- Tu viens de chercher une maison?
- Tu as deviné.
- Cette petite maison?
- Quelle petite maison?
Malgré elle Olympe rougit.
- Cette maison du bord de la Saône, tu sais? Celle que tu me montrais hier de la hauteur?
Olympe ne répondait pas.
- Tu sais bien, continua Bannière avec une certaine impatience, celle dont tu m'as tant parlé; celle qui a des arbres sur le bord de la route; cette jolie petite maison qui te faisait envie, et que, j'en suis sûr, tu as été louer pour me la donner, à mon réveil, comme un présent de mariage.
- Eh bien! oui, dit Olympe, forcée dans ses retranchements.
- Et...
- Et elle est louée.
- Louée?
- Oui.
- Et tu t'es payée de cette raison-là, toi Olympe, Mlle de Clèves; tu as reconnu une impossibilité? Allons donc, je n'en crois rien!
- Il faut cependant me croire: la maison est habitée.
- Par qui?
- Le sait-on? par quelqu'un qui tient à son droit d'antériorité.
- Et il y a eu un homme assez cruel pour refuser à mon Olympe une chose qu'elle désirait?
- Il paraît qu'il s'en trouve, car on m'a refusée. Il est vrai que ce n'était pas un homme.
- Ah! des femmes?
- Une servante.
- Et tu n'as pas parlé aux maîtres?
- Non, dit un peu sèchement Olympe, qui brûlait de voir s'arrêter la conversation là où elle allait être forcée de mentir, car jusqu'à ce moment elle n'avait pas menti.
Bannière la regarda.
Ce regard, s'il eût été moins amoureux, eût tué la pauvre femme sur la place.
- Ainsi, tu n'as rien loué? continua Bannière.
- Rien. Nous irons tous deux, mon ami, et nous serons plus heureux sans doute.
- Ou bien ...
- Ou bien quoi?
- Je m'entends, dit Bannière en riant.
- Que veux-tu dire?
- Rien.
- Tu médites quelque chose, mon ami?
- Eh bien! oui, curieuse, à ton tour. Je médite d'y aller tout seul.
- Tout seul! s'écria Olympe.
- Oui, j'ai l'idée que ce que tu n'as pas pu faire pour moi, j'aurai le bonheur de le faire pour toi.
- Que dis-tu?
- Je dis que puisque tu as tant désiré cette petite maison, eh bien! il faut que tu l'aies, et tu l'auras !ou je ne m'appelle pas Bannière! Olympe frémit. Elle se représenta son mari allant heurter à cette porte, rencontrant d'Hoirac, et devinant tout.
Elle fut sur le point d'avouer.
Mais elle n'en eut pas le courage. Elle se promit de ne pas quitter Bannière de toute la journée, et d'employer cette journée à le déterminer à quitter Lyon, ce qui ne devait pas être une chose difficile, grâce aux répugnances qu'il avait exprimées.
Néanmoins, à ces craintes de Bannière elle avait opposé, elle, tant d'insistance, qu'il était difficile à elle de revenir sur sa décision d'hier, adoptée par son mari.
- D'ailleurs, reprit Bannière, comme s'il répondait à sa pensée par la discussion, cette petite maison n'est probablement pas la seule.
- J'ai bien couru et n'ai rien trouvé, dit Olympe.
- En effet, dit Bannière, il y a peu de logements qui puissent s'accommoder à notre fortune; un logement était plus facile à trouver quand nous étions tout à fait riches ou tout à fait pauvres.
- Non, décidément Lyon n'est pas une ville de ressources comme on se l'imagine.
- Je te le disais hier, chère amie.
- Une fois qu'on y regarde de près ...
- On voit que son mari avait raison.
- Je l'avoue.
- Et, du reste, ce mari en question éprouve toujours tant de plaisir à faire ce que veut sa femme, que, depuis hier, il trouve Lyon le paradis de la France.
- Eh bien! dit Olympe, c'est peut-être un caprice; mais, depuis hier, j'ai complètement changé d'avis sur Lyon.
- Vraiment!
- Oui, je ne sais pourquoi, mais je crains une catastrophe. Vos pressentiments m'ont gagnée; vos réflexions lugubres reviennent à ma pensée et m'épouvantent.
- Bon! laissons cela. Vous avez été le rayon de soleil qui dissipe les nuages: vous avez souri, et le ciel est bleu.
- Mon cher Bannière, vous direz tout ce que vous voudrez, vous m'appellerez capricieuse, inconstante, comme il vous plaira, mais je ne veux plus rester à Lyon.
- Vraiment!
- Je m'y ennuie.
- écoute, dit Bannière, je ne veux point chercher la cause qui te fait changer d'avis ...
- Il n'yen a pas d'autre que ces pressentiments dont tu m'as parlé hier et qui me gagnent.
- Ce qui veut dire ...
- Que nous quittons Lyon, n'est-ce pas?
- Ce sera comme vous voudrez, chère amie.
- Et quand je voudrai?
- Tout de suite.
Et en riant Bannière se leva.
- Voyez-vous, mon ami, dit Olympe continuant, j'ai réfléchi. Je me suis dit que le séjour de la ville coûtera le double du séjour à la campagne; que, pour être aidés par une servante, nous dépenserons ce qu'ailleurs nous donnerions à deux; qu'ici nous n'avons d'air que les vapeurs de l'eau, de feuilles que celles des tilleuls noirs qui poussent entre les pavés, de ciel que ce qu'on en aperçoit par l'échancrure des cheminées. Je me dis qu'ici, si nous rencontrons des passants, parmi ces passants se trouveront des ennemis ou des fâcheux; que si nous avons des voisins, ces voisins se changeront en espions. Je dis tout cela, et je déclare qu'hier, lorsque mon mari m'a dit la même chose, j'aurais dû tout d'abord me rappeler que j'étais sa femme, et, par conséquent, une créature faite pour obéir à ses ordres, quand ses ordres ne seraient que de simples fantaisies.
- Eh bien! dit Bannière, mon Olympe adorée, partons. Le bonheur, le printemps, le ciel, le feuillage, la vie, sont seulement où vous êtes ... Partons, mon amie, partons ...
- Eh bien! oui, partons. Gagnons cette journée qui est payée; faisons prix avec un autre voiturier; et, cette nuit, eh bien! cette nuit, comme des coupables, comme des voleurs, esquivons-nous.
- C'est entendu.
Un baiser scella ce nouveau pacte des époux, si bien décidés désormais à s'obéir l'un à l'autre.
On déjeuna gaiement.
De temps en temps ils se regardaient, et en se regardant, tous deux souriaient de quitter Lyon dans la même journée.
Olympe, cependant, paraissait la plus pressée des deux.
C'était à son tour d'avoir des pressentiments.


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