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Chapitre LXXXIV
Où Pecquigny paraît avoir meilleure chance que n'a eu M. de Richelieu

Richelieu aborda le roi d'un air mécontent. Le silence en cette occasion était la meilleure des leçons possibles.
Il ne se hasarda point à parler: le roi devait être tellement irrité contre lui-même qu'il aurait cherché à faire tomber ce mécontentement sur la personne de son confident.
Et puis parler, c'était embarrassant. Que dire à ce jeune homme, si la solitude, l'amour et ses vingt ans ne lui avaient rien dit? Richelieu salua donc le roi en entrant, et attendit.
Il était précisément à la même place que venait de quitter Louise de Mailly.
Le roi venait de s'asseoir dans son angle, et tenait sa tête entre ses mains. - Ah! fit-il, vous voilà, duc.
- Aux ordres de Votre Majesté.
- Eh bien! partons, si vous voulez.
Richelieu fit un signe par la fenêtre.
- Et allons, continua le roi, retrouver la reine, qui peut-être s'inquiète de ne pas m'avoir vu ce matin.
De pareils mots annonçaient un maître jaloux de son secret et difficile à prendre. Richelieu sentit qu'on voulait le remettre à sa place, et faire la place très inférieure.
Il fit passer le roi devant lui, donna deux louis au concierge, et remonta à cheval.
Il n'avait pas fait trente pas derrière Louis XV que celui-ci se sentait bien mal à son aise.
Richelieu, lui, gardait son petit sourire narquois, à l'aide duquel il se consolait de ne pouvoir dire sa pensée. Ce sourire en disait un quart. Mais Richelieu ne porta pas loin son triomphe. Au bout de l'allée, près de l'étang, on trouva un piquet de chevau-légers qui, en apparence, faisait patrouille pour la sûreté du roi, mais qui, réellement, observait pour le compte d'un cavalier placé en vedette derrière les arbres.
Ce cavalier était Pecquigny, lequel, jaloux comme tous les courtisans, et sachant que le duc de Richelieu avait eu le privilège de sortir avec Louis XV, voulait au moins savoir à quoi s'en tenir sur cette sortie.
Il avait vu passer Mme de Mailly, toute folle de joie, toute effarée d'amour, quand elle allait trouver le roi.
Il l'avait vu revenir pâle, sanglotant et dégonflant son cœur de toute l'amertume d'un pareil échec.
Il avait compris, sa joie était au comble; il avait voulu cependant s'assurer tout à fait de la vérité. Or, à la tête de ce piquet des gardes, il pouvait, sans indiscrétion, passer près du roi et voir les physionomies. Ce qu'il vit de sourcils froncés, de bouche pincée, de mine longue chez le roi, lui apprit le reste de la vérité. D'ailleurs, la stupéfaction de Richelieu à son approche lui en disait assez.
- Toi ici, duc? demanda celui-ci.
- En service, répliqua Pecquigny.
- Comme c'est commode, le service à Versailles, hein! Pecquigny? dit le malin protecteur de la pauvre comtesse.
- Il est encore bien plus commode de n'avoir plus de service du tout, mon cher duc.
Ces mots, échangés tandis que les chevaux se croisaient, révélèrent à l'un et à l'autre des concurrents qu'ils s'étaient devinés. Pecquigny passa en un moment du complet désespoir à la plus souriante espérance.
Le roi avait refusé Mme de Mailly, le roi aimait donc Olympe.
Il s'agissait de ne pas perdre un moment, et de montrer à Louis XV l'objet aimé dans le plus brillant appareil de sa beauté.
- Corbleu! pensa Pecquigny, je savais bien, moi, que le roi avait meilleur goût, et que ce petit corbeau maigre de Mme de Mailly ne souffrirait jamais la comparaison de la belle Olympe, à qui les Grecs auraient donné tous les surnoms de toutes leurs Vénus. Voilà une femme, à la bonne heure! C'est moi qui donnerai au roi sa maîtresse; c'est moi qui ferai une reine et qui gouvernerai tant qu'elle gouvernera.
Et sur ce, il rassembla son cheval, piqua des deux, et retourna comme un éclair à Paris. Richelieu, qui le vit partir, se douta de ce qu'il allait faire, et soupira de ne le pouvoir empêcher.
Pecquigny arriva chez Olympe au moment où elle racontait à Mailly sa visite à Charenton, sans lui parler de Bannière, bien entendu. C'était un de ces moments de bon ménage où Hercule file auprès d'Omphale. Omphale, triomphante, tire les cheveux de son esclave et lui donne de la quenouille sur les doigts.
Le dîner venait de finir; les deux amants se tenaient enfermés au salon. Pecquigny entra comme la foudre et força toutes les portes, celle du salon comprise.
La première chose qu'il vit, ce fut Mailly. Nous eussions dit la première personne, si en ce moment, Mailly n'eût pas été un objet sans aucune valeur. Il servait de souffleur à Olympe, et lui faisait réciter le rôle d'Agathe.
La paix avait été achetée à ce prix.
En apercevant Pecquigny, Mailly devint tout pâle, et Olympe toute rouge.
- Bonjour, s'écria le duc pour commencer; bonjour aux deux tourtereaux.
Mailly se leva cérémonieusement, et Olympe fit sa révérence.
- Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur le duc? demanda Mailly; car il faut que vous ayez grand besoin ici pour y venir avec cette précipitation.
C'était moins impoli que de dire: «Allez-vous-en», mais c'était la même chose. Pecquigny, qui savait son monde et ses nuances, répondit:
- Monsieur le comte, je sais parfaitement que vous m'avez interdit de venir voir madame, ce qui, entre nous, est d'un goût déplorable.
- Il est d'aussi mauvais goût, monsieur le duc, de forcer la consigne.
- Monsieur! dit Olympe.
- Ah! madame, interrompit Pecquigny, ne vous effrayez pas. Vous êtes chez vous, n'est-ce pas? Eh bien! comme je n'y viens pas pour moi, j'y viens et j'y reste. Monsieur le comte roulera ses grands beaux yeux tant qu'il lui plaira; il me fera, s'il veut, un accueil déplorable: je m'en soucierai peu, reçu par vous et envoyé par le roi!
Pecquigny scanda ces trois dernières syllabes de façon à faire mettre bas les armes à toute une armée.
Olympe se leva au nom du roi. Mailly, qui était demeuré debout, se rassit.
Pecquigny, l'imitant:
- Je m'assieds, dit-il, puisque vous m'y engagez, belle dame, et je commence. Mais, en vérité, madame, dites donc à ce pauvre Mailly que l'on peut être amoureux sans être ridicule, cordieu! Croit-il que je vais vous emporter comme cela, sans dire gare? Allons, Mailly, causons, et de bonne grâce. Après comme après.
Mailly rompit la glace.
- Duc, dit-il, vous vous obstinez à m'appeler un homme ridicule, parce que j'aime quelque chose et que je défends ce que j'aime; soyez plus charitable ou plus homme, je vous prie; vous venez ici me prendre Olympe, je vous en empêche, et j'ai raison.
- Mon ami, madame est gardée par elle-même, bien mieux que par tout votre régiment.
- Phrases, fleurs de rhétorique, leurres à l'aide desquels on endort un homme!
- Oh! çà, comte, vous fatigueriez un saint! Quoi! je vous ai déclaré que vous n'auriez rien de moi; quoi! je vous ai déclaré que si vous comptiez faire un coup d'épée avec moi, je vous l'accordais; quoi! vous savez qu'en ce cas je me battrais pour le roi, vous contre; quoi! enfin, vous m'entendez dire que le roi m'envoie auprès de madame, et vous persistez! Tenez, mon cher, depuis feu M. de Navailles, qui était un gentilhomme bien vertueux et bien accommodant, nous n'avons rien vu de pareil à vous. Allez-vous avoir du succès à Vienne!
- Le comte va à Vienne! s'écria Olympe.
- Je refuse, j'ai refusé, se hâta de dire Mailly, voyant l'effet que ces mots avaient produit sur Olympe.
- Eh! soit, vous avez refusé; dites cela devant madame, c'est très bien. Mais vous savez bien qu'on ne refuse pas d'aller où le roi vous envoie.
- Je montrerai au roi et à tous ceux que le roi enverra, si l'on peut arracher un bon gentilhomme à sa famille et à sa ...
- A sa femme, va donc! dit Pecquigny.
- Démon! cria Mailly, tu abuses ...
- Ne te fâche pas, tu aurais deux fois tort. Au surplus, je cesse de te tourmenter. J'ai voulu demander à madame si elle se sentait quelque goût pour le théâtre, auquel cas le roi me chargerait, en qualité de gentilhomme de sa chambre, d'engager madame parmi ses comédiens, et...
- Ne prenez pas tant de peine, monsieur le duc, interrompit Olympe; monsieur le comte de Mailly est instruit de tous nos desseins. Je n'ai pas de secrets pour lui.
- Oh! alors, je n'ai plus, comme tout à l'heure, pitié de toi, mon cher.
- Madame, cette visite n'est à autre fin, comme on dit, que de vous prier de jouer au plus tôt la pièce nouvelle. Le roi s'ennuie. Le roi veut du neuf. Le roi attend; et, vous le savez, ce n'est pas l'habitude dans sa famille.
- Monsieur, répliqua Olympe, c'est beaucoup d'honneur que me fait le roi, et pour y répondre selon mes faibles talents, mais avec tout mon zèle, je vous dirai que je suis prête: je sais mon rôle.
- Est-il possible! dit Pecquigny comblé de joie.
- Je sais et je jouerai quand on voudra.
- Demain, mademoiselle, demain.
- Demain, soit!
- Justement, demain, avant votre pièce, il y a je ne sais quel début, qu'un vieil ami à moi, un comédien, m'a demandé, le petit Champmeslé, vous savez.
- Ah! M. de Champmeslé? dit Olympe, à qui ce nom rappelait la première représentation d'Hérode et Mariamne, à Avignon.
- Tu connais aussi Champmeslé? demanda l'impitoyable fâcheux à Mailly.
- Non, répliqua celui-ci d'un ton bourru.
- Champmeslé rentre au théâtre, monsieur le duc?
- Pas lui, je crois, ou bien c'est lui... je ne sais pas qui, enfin; tout ce que je sais, c'est que j'ai signé l'ordre de début.
- Dans quoi?
- Attendez donc ... dans ... Eh! mon Dieu! dans cette tragédie où la femme parle d'un bandeau.
- Ah ! Monime !
- Monime? ... Non, c'est un nom d'homme.
- Mithridate? ... fit Olympe en souriant.
- C'est vous qui l'avez nommé. Donc, demain ce début, vous après, bonne soirée. Oh! madame, madame, tenez-vous bien!
- Et moi aussi, n'est-ce pas? dit Mailly d'un air lugubre.
- Bah! tu pleures toujours. Madame, demain, c'est convenu.
Olympe reconduisit Pecquigny en grande cérémonie, et Mailly écouta jusqu'au dernier adieu qu'ils se dirent sur le seuil.
Du reste, le duc se garda bien de rien compromettre en disant un mot de trop: il sentit que Mailly guettait.
- N'importe, dit ce dernier à Olympe quand elle fut revenue, il est étrange, vous m'avouerez, qu'un duc et pair, gentilhomme de la chambre, vienne lui-même porter ses bulletins de théâtre chez une actrice; je n'ai jamais vu cela.
- Vous n'êtes pas poli, comte, dit froidement Olympe.
- Il l'est trop!
- Est-ce ma faute? Allez-vous me quereller pour si peu?
Mailly grinça des dents et exhala son désespoir dans un soupir.
Le pauvre homme, qu'il eût soupiré autrement s'il eût pu savoir à quoi Richelieu, qu'il ne maudissait point, l'avait exposé le matin même!
- Ce que c'est pourtant que l'ignorance! disait Pecquigny en revenant chez lui; voilà ce pauvre Mailly qui m'arracherait les yeux pour Olympe, à qui le roi n'a pas touché le doigt, et qui demain, quand il aura certaines raisons de le faire, m'embrassera peut-être en me demandant pardon. Les hommes sont bien sots!
Le duc fut si content d'avoir à rire des autres qu'il ne pensa pas au rôle qu'il avait pris dans cette affaire.




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