Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LXXXIII
Où le roi Louis XV ne fait pas le sien

Le lendemain, de bonne heure, après une assez mauvaise nuit passée dans son lit solitaire, Louis XV aperçut Richelieu parmi les courtisans rassemblés pour assister à son lever.
Le roi était maussade.
Un simple particulier est maussade quand il a mal dormi, à plus forte raison un roi.
Il refusa la chasse; il refusa son concert du matin, et alla tout distrait à la messe.
Il mangea peu et de méchante façon. Mais, en échange, il gronda beaucoup.
Il alla voir ses chevaux, qu'il trouva mal en point.
Et cependant il n'y avait pas de plus beaux chevaux en Europe. C'était un présent du Turc, et des élèves de chevaux anglais que Dubois avait ramenés de Londres, lorsqu'il y était allé pour faire signer le traité de la quadruple alliance.
Quand on vit cette horrible mélancolie du roi, chacun trembla.
Le roi allait-il tomber malade ? M. le duc d'Orléans allait-il l'empoisonner par-delà le tombeau?
Car on sait que depuis 1715, à chaque indisposition qu'avait Louis XV, le bruit courait qu'il avait été empoisonné par M. le Régent.
Le roi malade, quel coup!
Le roi n'avait pas encore parlé que l'on savait aux deux bouts de Versailles que le roi était malade.
On vit alors les courtisans faire une figure pareille à celle du roi, et quereller les médecins.
Cependant, vers midi, le roi accepta de monter à cheval, et Richelieu obtint de l'accompagner.
Louis XV prit par le petit parc et s'en alla vers les étangs.
Il marchait comme Hippolyte, la tête baissée, et ne disait mot. Richelieu s'approcha de lui:
- Sire, dit-il, pardonnez à mon zèle et à mon dévouement; je vais peut-être offenser Votre Majesté; mais le motif sera mon excuse.
- Parlez, duc, et ne craignez pas de me déplaire, dit le roi; n'êtes-vous pas de mes amis?
- Sire, que de bonté!
Richelieu s'inclina sur le cou de son cheval.
Puis reprenant :
- Je vois que Votre Majesté s'ennuie.
- C'est vrai, duc, répondit le roi; mais comment voyez-vous cela?
- Sire, un roi de votre âge et de votre beauté, un roi puissant et ayant votre mine, ne doit pas ainsi plier la tête et porter en bas l'œil éteint.
- Ah! duc, on a ses chagrins quoique roi.
- Votre Majesté veut-elle que je la console?
- Que ferez-vous pour cela?
- écoutez ma morale, sire.
- Oh! certainement que j'écoute, surtout si vous parlez morale.
- Et pourquoi si je parle morale plutôt qu'autre chose?
- Parce que je sais ce qu'on a l'habitude d'entendre par ces mots: morale à la Richelieu.
- Votre Majesté permet donc?
- Oh! oui, je vous l'ordonne; égayez-moi.
- Savez-vous, sire, comment un jeune homme en arrive à avoir l'œil brillant, la lèvre frémissante et la jambe bien cambrée?
- Duc, je ne le sais peut-être pas, mais vous me l'apprendrez.
- Sire, répondit Richelieu, je ne suis qu'un simple gentilhomme, mais il y a un bon sang dans mes veines, et quand j'avais les dix-huit ans de Votre Majesté, si je n'étais pas beau comme le jour, beau comme vous enfin, j'étais cependant assez heureux pour ne pas déplaire aux belles dames.
- Je le sais, duc; vous en avez la réputation, du moins, et celui-là apprendrait de belles choses à qui l'on raconterait tout ce qui a été dit.
- Eh bien! sire, je ne suis point un fat, je n'ai jamais eu besoin de l'être.
- Fat!
- La vérité, sire; ce qu'on dit est la vérité.
- Je vous en fais mon compliment. Mais comment donc faisiez-vous?
- Comment je faisais?
- Oui. Les belles amours ne peuvent échoir à tout le monde.
- Non, sire, c'est vrai; mais à ceux qui les cherchent et qui savent les trouver.
- Ce n'est pas le métier d'un roi.
- Alors, sire, le métier d'un roi est de faire ce que vous faites, c'est-à-dire de s'ennuyer considérablement. Moi, simple gentilhomme, qui n'ai pas les mêmes motifs qu'un roi de respecter l'ennui, je l'ai toujours évité de mon mieux. Aussi, c'était plaisir de me voir, à l'âge de Votre Majesté, l'œil vif, la lèvre rose, l'appétit ouvert, léger comme l'oiseau. Tenez, sire, il faut l'avouer, on ne s'amuse guère qu'à ces conditions-là.
- Je ne saurais donc jamais m'amuser, duc.
- Pourquoi cela, sire?
- Voyons, que feriez-vous à ma place, vous?
- Oh! je m'en vais vous le dire bien vite. Et d'abord vous êtes le maître, n'est-ce pas?
- Mais oui, dit Louis XV en essayant de sourire; on me le dit du moins.
- Je ne suis pas assez ennemi de moi-même pour essayer de persuader à Votre Majesté que ma société soit sans attrait, mais je crois qu'il serait possible à Votre Majesté d'en trouver une bien plus attrayante encore.
- Et où cela? mon Dieu!
- C'est flatteur pour moi, sire, ce que vous dites là. Mais Votre Majesté n'a qu'à chercher, je ne dis point parmi les hommes, car je suis certainement un des moins ennuyeux, mais parmi les femmes.
- Oh! duc! fit le roi en rougissant.
- Ah ! sire, continua Richelieu, il faut convenir d'une chose: c'est que si nous sommes bien plus aimables que les femmes pour les femmes, elles sont bien plus aimables de leur côté que les hommes pour nous.
- Croyez-vous, duc?
- Essayez-en, sire.
- Eh! duc, fit le roi avec une impatience qui charma le courtisan, vous répétez toujours: «Essayez, essayez.» Mais comment voulez-vous que j'essaie? Est-il donc si facile de troubler une femme, de la rechercher?
- D'abord, sire, quand on est le roi et que l'on a votre figure, répondit Richelieu, on ne trouble jamais une femme, ou, pour mieux dire, on les trouble toutes. Je vais vous parler d'après mon tempérament; mais, croyez-le bien, sire, si j'étais roi, toutes les femmes de ma cour auraient été troublées. C'est le droit royal. Je régnerais sur les femmes comme sur les hommes, sur les femmes surtout. Mais que faire ... Votre Majesté fuit les occasions; Votre Majesté intimide les femmes; Votre Majesté allume en elles des passions qu'elle se refuse à éteindre. Sire, votre aïeul Henri IV était bien autrement charitable.
- Il l'a été trop, duc.
- Et qui s'est plaint de cela?
- Le peuple.
- Sire, écoutez les chansons du peuple; voilà la vraie opinion publique, et encore, comme on dit, la vraie voix de Dieu.
- Eh bien?
- Eh bien! vous verrez lequel il traite le mieux, du Vert-Galant ou de Louis le Chaste.
Le roi poussa un soupir, baissa la tête, et sans doute se mit à faire la comparaison entre son aïeul et son bisaïeul.
En ce moment, le roi et Richelieu étaient arrivés avec leurs gens au grand étang du bois de Sèvres.
Sur la gauche, une femme, suivie de deux laquais, passa au petit galop, venant du bois.
En apercevant le roi, elle s'arrêta et salua profondément du haut de son cheval.
- Qui est là et qui salue? demanda distraitement le roi, habitué aux saluts et fatigué de politesses.
- Mais je ne sais trop, répondit Richelieu, affectant comme son maître l'air le plus distrait du monde. Mais Votre Majesté n'aperçoit-elle pas une calèche sous les arbres? La calèche doit avoir des armes. Votre Majesté permet-elle que j'envoie m'enquérir?
- Oh! c'est bien inutile, dit le roi.
Mais M. de Richelieu avait eu le temps de faire un signe à l'intelligent Raffé, et Raffé avait compris.
Raffé mit donc son cheval au galop, et, son cheval au galop toujours, revint dire à l'oreille de Richelieu ce que Richelieu et lui savaient parfaitement.
- Sire, dit Richelieu, c'est la comtesse de Mailly.
Le roi fit un mouvement que Richelieu saisit au vol.
- Je disais donc à Votre Majesté, continua-t-il sans paraître attacher la moindre importance à cette rencontre, je disais que vous prenez trop de souci du peuple, sire, et pas assez de vous. M. le duc d'Orléans, régent, celui qui a eu si grand soin de Votre Majesté, quoi que nous en ayons dit tous, et moi tout le premier, M. le Régent n'a-t-il pas abusé des maîtresses ? Eh bien! sire, comme il ne les enrichissait pas au profit de l'état,, on ne lui a jamais reproché ses maîtresses. Et puis, en vérité, sait-on jamais ce que font les rois quand ils veulent qu'on l'ignore?
- Oh! duc, quant à cela, toujours; M. de Fleury me l'a bien souvent répété.
- Eh! sire, croyez-vous donc encore tout ce que vous disait M. de Fleury quand vous étiez enfant? Voyons, si galant homme et si bon prêtre que soit M. de Fleury, en fait d'amour, ne vous fierez-vous pas plus en votre véritable sagesse que dans la sienne?
- Duc!
- Ainsi, par exemple - excusez-moi, sire..: nous voilà en face du pavillon, n'est-ce pas?
- C'est vrai.
- Votre Majesté n'est peut-être jamais entrée dans ce pavillon, qui cependant est à elle.
- Jamais.
- L'intérieur en est très propre et même galant. C'est un repos de chasse des plus agréables. Ce pavillon n'est gardé que par un concierge, et le bonhomme a plus de soixante-dix ans. Gageons qu'il ne connaît pas même Votre Majesté.
- C'est bien possible.
- Mais moi, il me connaît parfaitement.
- Où voulez-vous en venir, duc? dit le roi avec un léger frémissement.
- A prouver à Votre Majesté que le peuple ne sait jamais les actions de son roi, quand le roi ne veut pas qu'elles soient sues, alors surtout que le roi fait, à un ami comme moi, le premier honneur de sa confidence. Ainsi, aujourd'hui, par exemple ...
Richelieu s'arrêta, regardant le roi.
- Continuez, duc, dit celui-ci.
- Aujourd'hui, le roi se fût appelé François 1er, Henri IV ou Louis XIV.
- Après?
- Il se fût promené, avec Lautrec, Bellegarde ou M. de Saint-Aignan7•
- Eh bien?
- Eh bien! le roi fût entré dans le pavillon pour s'y reposer un moment, et, ayant aperçu une femme jolie, agréable...
Le roi rougit.
- Eh, parbleu! sire, continua le duc, Votre Majesté l'avait rencontrée tout à l'heure, cette femme ...
Le roi devint pourpre.
- Car enfin, insista Richelieu, tout à l'heure, il n'y a qu'un instant, Mme de Mailly, qui a eu le malheur de ne pas être reconnue par Sa Majesté, Mme de Mailly passait par là.
- Elle passait, en effet, dit le roi; mais à quoi bon ...
- Je disais, sire, que si Votre Majesté avait chargé quelqu'un de dire à cette belle dame que le roi voulait l'entretenir un moment, et que tous les deux se fussent reposés un quart d'heure dans ce pavillon, nul, excepté les murs du pavillon et les deux personnes qui y étaient enfermées, n'eût su le moindre détail de l'aventure.
- Allons donc! dit le roi tout tremblant.
- Que voulez-vous, sire? c'est comme cela!
- Mais duc, vous dites des folies!
- Jamais je ne fus plus sérieux, au contraire. Ne s'agit-il pas du bonheur de mon roi?
- Mais, duc, ou je suis bien mal élevé, ou je n'ai jamais vu qu'un roi abordât ainsi une femme.
- Sans prétexte, certainement; mais il me semble, au contraire, que Votre Majesté a tous les prétextes imaginables.
- Pour aborder Mme de Mailly, moi, aucun!
- Ah, bah! Votre Majesté plaisante?
- Pas le moins du monde, je vous jure.
- J'en trouverais mille, moi.
- Vous êtes bien heureux!
- Eh! tenez, sire, par exemple, en voici un tout trouvé.
- Lequel?
- Votre Majesté a nommé hier M. de Mailly à l'ambassade de Vienne?
- Sans doute!
- Eh bien! quoi de plus naturel que le remerciement de sa femme? mais, en vérité, Votre Majesté est si farouche, qu'à la vue seule de cette robe, nous avons piqué comme à la vue du diable.
- Je n'ai point piqué, duc, c'est mon cheval qui est parti.
- Entrez donc un peu dans ce pavillon, sire! Comme dit Paillasse, la vue n'en coûte rien.
- Entrons, fit le roi.
Le cœur de Richelieu bondit de joie; il se hâta d'aller faire ouvrir. Les chevaux restèrent dehors. Raffé les emmena bien vite pour les cacher dans l'écurie.
Puis il partit seul par la forêt.
- Vous avez raison, duc, cette demeure est charmante, dit le roi, qui, ne voyant personne sur son chemin, pas même le concierge, était enchanté.
En effet, en habile homme qu'il était, Richelieu avait éloigné tout le monde.
Le roi s'approcha d'une fenêtre.
- L'aimable solitude, dit-il.
Et il soupira.
- Voyez-vous, sire, voyez-vous, dit Richelieu, comme vous eussiez passé une heure agréable ici, au cas où vous n'eussiez pas été Louis le Chaste!
- Eh bien! vous qui parliez des occasions, est-ce qu'il y a des occasions?
- Le nierez-vous, sire?
- Certes, oui, je le nierai.
- Ah! voyons un peu.
- Ce n'est pas difficile à voir, ce me semble. Nous avons ce pavillon, c'est vrai.
- C'est déjà quelque chose.
- Mais nous n'avons pas la compagnie.
Le roi achevait à peine, que l'on vit au bout de l'allée que commandait cette fenêtre apparaître des chevaux galopant.
Le duc poussa un cri comme surpris, et, montrant le groupe au roi:
- Voyez donc, sire, la solitude commence à se peupler ...
- Comment? demanda le roi se troublant.
- Voyez cette dame qui arrive.
En effet, Mme de Mailly, galopant avec la grâce d'une excellente écuyère, venait comme par hasard, suivie de deux laquais.
Elle frappait les feuilles des arbres de sa cravache, et laissait aller au vent ses beaux cheveux. De temps en temps sa robe, en se soulevant à l'étrier, laissait voir un pied charmant chaussé d'un brodequin de chasse de satin bleu.
Le roi quitta la fenêtre. La comtesse approchait, et il alla tout palpitant s'étendre sur un lit de repos voilé par de grandes tentures de soie. Richelieu s'était élancé hors de la chambre. Le roi entendait se rapprocher le galop cadencé des chevaux.
Cinq minutes se passèrent ainsi pendant lesquelles le roi, croyant que le danger était passé, commençait de reprendre son courage et son haleine.
Mais soudain la porte s'ouvrit, et Richelieu entra disant au roi:
- Sire, Votre Majesté voudra-t-elle consentir à recevoir la visite de Mme la comtesse de Mailly?
- La comtesse! s'écria Louis XV.
- Entrez, madame, dit le duc.
Le roi se rejeta, épouvanté, dans l'ombre de la chambre.
Louise, toute pâle, les yeux noyés de langueur, la poitrine oppressée, apparut lumineuse et charmante dans un rayon de soleil qui s'éteignit lorsque le duc, en partant, referma la porte derrière elle.
Elle resta sur le seuil, saluant, interdite et les yeux baissés.
Le roi ne bougeait pas et ne disait mot.
Mme de Mailly, après une minute, un siècle, se rappela qu'elle était la sujette et que Louis XV était le roi.
C'était donc à elle à marcher vers lui.
Elle fit un pas, salua de nouveau, et, d'une voix tremblante: - Votre Majesté ... murmura-t-elle.
Elle s'arrêta, s'attendant à une parole du roi. Le roi restait muet.
Louise, alors, le chercha des yeux, l'aperçut debout dans un angle, tout contraint et cherchant à reprendre un peu d'assurance.
La comtesse fit un effort.
- Sire, continua-t-elle, je viens bien humblement remercier Votre Majesté de la grâce qu'elle m'a faite en honorant ma famille par cette ambassade; ensuite, en me permettant de venir vous adresser mon remerciement.
Le roi fit un signe de tête et resta dans son angle. Louise sentait son cœur défaillir.
On l'eût entendu battre dans ce silence que rien ne troublait à l'entour. La comtesse demeura debout, sans que les lèvres pâles et tremblantes du roi lui adressassent une seule parole.
Elle resta ainsi dix minutes, attendant un mot, un geste d'encouragement de la part du roi.
Mais, au lieu d'avancer vers elle, le roi cherchait à enfoncer le mur de ses épaules pour reculer encore.
Enfin, glacée de honte et de désespoir, incapable de trouver une idée, mourante d'amour et de fièvre, Louise, chez qui l'orgueil commençait à se révolter, salua une dernière fois le roi et sortit, le visage inondé de larmes, sans avoir prononcé une seule parole.
Elle trouva le duc au bas de l'escalier, qu'elle descendit en trébuchant. Il la prit par la main, puis dans ses bras, d'un air joyeux.
- Comtesse, lui dit-il, permettez que je sois le premier à vous féliciter.
- Duc, je suis déshonorée! s'écria Mme de Mailly avec un accent tellement étrange que Richelieu la regarda mieux et comprit.
- Oh! s'écria-t-il, oh ! comtesse!
En deux mots, Mme de Mailly raconta au duc l'épouvantable affront qu'elle venait d'essuyer.
- Que voulez-vous, comtesse, dit Richelieu, c'est un véritable Joseph. Mordieu ! j'ai cru que vous auriez plus d'esprit que la Putiphar ! ... mais vous en avez eu moins ... La sotte avait au moins déchiré le manteau ... Mais vous, comtesse, vous n'avez pas même porté la main dessus.
Mme de Mailly n'en put écouter davantage; elle s'enfuit, les mains sur ses yeux, pour cacher ses larmes.





Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente