Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXV
L'ombre était un corps

Il était tard, ou plutôt il était de fort bonne heure, quand le capitaine des gardes de Sa Majesté Louis XV sortit de la petite maison de M. de Mailly.
Six heures du matin sonnaient à la paroisse voisine; les premiers rayons du jour commençaient à paraître, un jour gris comme sont ces jours d'automne qui se lèvent dans la brume et qui se couchent dans le brouillard.
Un froid sec et pénétrant promettait cependant un beau midi. C'était dans cette matinée et sur le midi que le roi devait revenir de Rambouillet avec sa maison tout entière.
Les premiers rayons de ce jour filtraient à travers les fenêtres de la salle à manger lorsque Mailly sortit de l'espèce de léthargie où l'avait plongé le plan du capitaine des gardes.
Le feu s'était éteint, les valets étaient assoupis ou couchés.
Mailly secoua sa tête comme pour en faire tomber les nuages qu'y avait entassés le duc, et monta chez Olympe.
Il croyait la trouver couchée et endormie.
Elle était assise sur son sofa, les pieds tournés vers un feu qui peu à peu s'était éteint, tandis que les bougies mourantes avaient coulé sur les chandeliers de vermeil.
Olympe ne dormait pas, elle avait les yeux tout grands ouverts. Ce fut pour Mailly un coup nouveau.
Il regarda la jeune femme et fut frappé de l'altération de ses traits.
- Déjà levée? dit-il.
Olympe, qui n'avait pas bougé au bruit que le comte avait fait en entrant, tourna lentement la tête.
- Pas encore couchée, devriez-vous dire.
- Vous ne vous êtes pas couchée?
-Non.
- Et pourquoi? s'écria Mailly. Mon Dieu! Olympe, souffririez-vous?
- Je ne souffre pas.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas couchée alors?
- Je ne me suis pas couchée parce que vous ne me l'avez pas commandé! dit-elle.
- Commandé? répéta Mailly.
- Oui, j'ai craint de vous désobliger. N'êtes-vous pas mon protecteur?
Les deux bras de Mailly tombèrent inertes à ses côtés, tandis que sa tête s'abaissait sur sa poitrine.
- Oh! dit-il, cruelle, cruelle femme que vous êtes, me faites-vous assez sentir que vous me tenez pour un tyran?
Olympe ne répondit rien.
- Mais vous ne m'aimez donc plus, Olympe! s'écria-t-il avec un accent de sincère amour. Oh! moi, moi, je vous aime tant!
- Louis, dit-elle, vous ne faites pas attention à la plaie qui s'est ouverte dans mon cœur; cette plaie, ménagez-la.
- Quelle plaie?
Olympe sourit amèrement.
- Oh! s'écria Mailly, songeant à cela pour la première fois, je tremble de vous comprendre.
- Je vous ai dit de ne pas approfondir, comte.
- Vous avez conservé de l'amour... pour ...
- N'ajoutez pas un mot!
- Vous aimez encore ce Bannière!
- Comte, quand je ne le dis pas, ne le dites point.
- Au contraire, disons-le, Olympe. Vous aimez cet homme, ce comédien, ce soldat?
- Que vous importe que je l'aime ou que je ne l'aime pas puisque lui ne m'aime plus?
Mailly allait s'écrier: « Mais c'est qu'il vous aime toujours! mais c'est qu'il est à Paris! mais c'est qu'il vous cherche!» lorsqu'il comprit que le plus terrible de ses rivaux était celui-là.
Donc, il fallait laisser croire à Olympe qu'il était loin d'elle.
- Olympe, dit-il, sans vous je ne comprends pas d'existence possible; sans vous il n'y a plus pour moi rien au monde. Olympe, ne me retirez pas votre amour, ce serait me retirer la vie!
- Oui, je crois que vous m'aimez.
- Eh bien! si vous croyez que je vous aime, Olympe, dites-moi bien que, de votre côté, vous m'aimez, que non seulement vous m'aimez, mais encore que vous me préférez à tout, que vous ne souffririez pas des hommages qui ne seraient pas les miens. Oh! j'ai besoin que vous me disiez cela, que vous soyez douce avec moi! Ma vie, qui sait, ma vie, peut-être, tient à ce fil.
- Vous rendre heureux sans être heureuse, est-ce là ce que vous demandez? à la rigueur, la chose est possible.
- Si elle est possible, accordez-la-moi.
- Amour égoïste!
- Comme tous les amours.
- Comte, dit Olympe, je m'efforcerai de vous rendre heureux.
- écoutez, ce n'est pas tout.
- Qu'y a-t-il? Dites.
- Il peut se présenter des obstacles à votre bienveillance pour moi, mon amie.
- Lesquels?
- Supposez qu'un pouvoir au-dessus du mien cherche à me disputer votre possession.
- à vous disputer ma possession?
- Oui.
- Violemment?
- Violemment, c'est-à-dire malgré moi.
- Et malgré moi aussi?
- Quant à cela, je ne saurais le dire, Olympe.
- Qui donc oserait demander à une femme l'amour qu'elle ne veut pas donner?
- Que sais-je?
- Celui qui ferait cela serait le dernier des hommes.
- Ou le premier.
Olympe regarda fixement Mailly.
- Ah! fit-elle.
- Vous comprenez?
- Peut-être.
- Alors tant mieux, vous m'épargnez de douloureux détails.
- J'ai joué l'autre jour Britannicus, n'est-ce pas?
- Vous y êtes, Olympe.
- Et quelqu'un m'a trouvée belle?
- C'est cela.
- Et ce quelqu'un est plus puissant que vous?
- Plus puissant que moi, vous l'avez dit.
- Ce quelqu'un, c'est le roi?
- C'est le roi.
Olympe haussa les épaules.
- Eh bien! que vous importe, comte?
- Olympe, cela fait le tourment de ma vie. Le roi est beau, aimable, jeune.
- Le roi est jeune, il ne commandera rien qui soit violent. Il faut être Néron pour empoisonner Britannicus et prendre Junie de force.
- Oui, mais supposez que Junie aime Néron.
- Supposez que Junie aime Néron, mais ne supposez pas qu'Olympe aime Louis XV.
- Mais enfin si l'on employait. ..
- Quoi?
- La peur.
- La peur?
- Si l'on vous menaçait de la Bastille?
- Comte, dans la situation où je suis, rien ne peut m'être plus doux que la captivité absolue, si ce n'est une indépendance entière.
- Olympe, ne me reprochez plus de vous enfermer, de vous cacher à tous les yeux. Vous voyez bien que j'avais raison, et, cependant, à partir de ce moment vous êtes libre.
- Ainsi, on veut m'enlever à vous?
- On me l'annonce,
- y a-t-il quelque chose qui puisse vous tranquilliser?
- Une assurance.
- Laquelle?
- Votre parole que vous ne céderez pas à la crainte?
- Ce que vous demandez est, en vérité, trop facile.
- Ainsi vous ne céderez ...
- Qu'à l'amour.
- Vous voyez bien que vous dites d'avance que vous aimerez le roi!
- Je ne dis rien et je ne crois pas que j'aime jamais le roi.
- Oh! vous l'aimerez, vous dis-je!
- Vous voyez bien que tous mes serments sont inutiles et ne vous donneront pas la sécurité; laissez-vous donc conduire aveuglément. Mailly se jeta aux pieds d'Olympe.
- Mon amie, dit-il, mon unique bien, je vais vous regarder longtemps, je vais m'accoutumer à l'idée que vous avez été à moi, que vous n'avez été qu'à moi, et je finirai par croire que vous ne serez jamais qu'à moi.
- Bon! voilà que nous retombons dans les illusions, comte.
- Olympe, vous êtes cruelle!
- Non, je suis positive. Vous savez que je me suis évanouie hier?
- Hélas! oui.
- Eh bien! en sortant de cet évanouissement, il m'a semblé sortir d'un monde pour entrer dans un autre. Le monde dont je sortais était le monde des illusions; celui dans lequel j'entrais était le monde des réalités. Que suis-je? où vais-je? pourquoi ces délicatesses? J'ai déjà changé de maître, peut-être en changerai-je encore. Je suis un trésor, dites-vous; un trésor se vole.
- Olympe! Olympe!
- Et, voyez-vous, peut-être est-ce un moyen.
- Un moyen?
- Oui, de vous aimer. Si le roi me vole à vous, eh bien! ...
- Eh bien! je sens que le roi m'aura volée à peine que je vous aimeraiā€¢
- Olympe, vous me percez le cœur!
- Moi?
- Oui, vous êtes une de ces terribles femmes qui aiment toujours les amants qu'elles ont perdus. Olympe tressaillit.
- Vous croyez cela? dit-elle.
- Oui, je le crois.
- Alors, gardez-moi d'un seul homme.
- De ce Bannière?
- Oui.
- Vous l'aimez?
- Oui.
- Mais vous m'aviez dit, là-bas, que vous ne l'aimiez plus.
- Je le croyais.
- Malheureuse!
- Oui, malheureuse! car je l'aime toujours.
- Vous aimez un comédien!
- Je suis une comédienne.
- Vous aimez un joueur!
- Il jouait pour m'enrichir.
- Vous aimez un homme qui vous a trahie!
Le front d'Olympe s'assombrit, ses lèvres se crispèrent.
- Pour qui? continua Mailly, pour une indigne rivale.
- Tenez, monsieur, dit Olympe, ne parlons pas de cela, je vous prie, et je crois que nous ferons mieux.
- Pourquoi?
- Parce que plus j'y pense, plus j'en arrive à croire qu'il y a dans toute cette affaire quelque trahison.
- Oui sans doute; seulement M. Bannière est le traître.
- Il m'a bien juré, dans cette prison, qu'il était innocent.
- Bah! un homme de sa sorte jure toujours.
- Bannière a de l'honneur, comte.
- Olympe! Olympe!
- Vous voyez bien que j'ai raison quand je vous dis: «Ne parlons pas de Bannière. »
- Que m'importe que nous n'en parlions pas, si vous y songez!
- Je puis commander à ma parole, comte; mais je ne saurais commander à ma pensée.
- Et votre pensée?
- Se reporte malgré moi à cette prison où il se roulait à mes pieds en me disant: «Je suis innocent, Olympe! je suis innocent, et je te le prouverai. »
- L'a-t-il prouvé?
- Non. Mais s'il le prouvait?
- S'il le prouvait, qu'arriverait-il? Dites.
- Ce ne serait pas le roi Louis XV qu'il faudrait craindre, comte.
- Ce serait Bannière?
- Oui.
- Oh! vous avez raison, Olympe, parlons d'autre chose.
- J'ai toujours raison.
- Alors guidez-moi. Ordonnez. Que faisons-nous?
- Ce que nous faisons?
- Oui. Dites.
- Eh bien! comte, déjeunons, puisque nous avons été si maladroits que de ne pas souper hier; puis, profitant de la vie comme il la faut prendre, après le repas, je dormirai, ayant eu la sottise de ne pas dormir cette nuit.
Mailly prit Olympe dans ses bras.
- Eh bien, soit! dit-il, au jour le jour! et quand tu verras que tu es tout pour moi, mon Olympe! eh bien! alors, tu auras pitié de moi et tu te défendras pour te conserver à moi.
- Je ferai de mon mieux, dit-elle.
à deux heures de l'après-midi, Mailly dormait et rêvait loin d'Olympe qu'elle n'aimerait que lui.
C'était un trop charmant songe pour qu'il durât bien longtemps. Son valet de chambre frappa à la porte et le réveilla.
- Qu'y a-t-il encore, demanda Mailly, et pourquoi me réveille-t-on?
- C'est M. le duc de Richelieu qui veut absolument parler à monsieur le comte, dit le valet de chambre.
- Le duc de Richelieu! et à quel propos?
- Service du roi, dit-il.
- Ah diable! fit Mailly en sautant à bas du lit; dites que j'y vais.

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