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Chapitre LVIX
Faut-il ?

Après le menuet que Louis XV dansa, le sourire sur les lèvres, c'est vrai, mais visiblement sans penser le moins du monde ni à la danse ni à la danseuse, il revint à Pecquigny.
Pecquigny se promenait, assez perplexe, aussi perplexe que Richelieu depuis sa découverte.

Pecquigny, voyant venir à lui le roi, s'arrêta. - Pecquigny! fit le roi.
- Sire! répondit le capitaine des gardes.
Tous deux demeurèrent en face l'un de l'autre: le roi regardant Pecquigny, Pecquigny regardant le roi.
Il y eut un instant de silence.
Le roi eût désiré évidemment que Pecquigny devinât ce qu'il avait à lui dire; mais il ne devinait pas.
Force fut au roi de se décider.
- Pecquigny, demanda-t-il enfin, comment s'appelait donc cette fille qui a joué Junie?
- Double brute que je suis! murmura Pecquigny se parlant à lui-même.
Puis tout haut, et avec son plus charmant sourire:
- Olympe, sire.
- Ah! c'est vrai! ce diable de nom, je ne puis m'y faire.
- Décidément, pensa Pecquigny, le roi est amoureux à lier.
Et il attendit une autre question. Mais Louis XV ne questionna plus.
Pecquigny, voyant que le roi ne lui parlait pas, reprit avec lui-même la conversation où il l'avait laissée, seulement il y mit plus de respect et employa la forme dubitative.
- Pecquigny, mon ami, dit-il, si tu n'es pas un sot, avant trois jours tu auras rendu un grand service à ton maître.
Et voyant que le roi, ne voulant plus ou n'osant plus rien lui dire, s'éloignait de lui soucieux, il recommença sa promenade.
- Oui, dit-il en continuant son monologue; mais Olympe, c'est l'adoration de Mailly; si je marche contre cette forteresse, il y a le canon de Mailly. Comment faire ? Envoyer un héraut à Mailly pour lui déclarer la guerre? Quel meilleur héraut choisirais-je que moi-même ? Puisque le roi est amoureux, véritablement amoureux, il n'y a pas à en douter, décidons Mailly à ce sacrifice. Allons.
Il leva la tête et rencontra le regard de Richelieu qui guettait aussi.
- Bon! le duc se doute de quelque chose, pensa-t-il; il est rusé comme un démon; s'il allait me gagner de vitesse!
Il s'approcha à son tour du jeune roi.
Louis attendit avec intérêt. Sans doute croyait-il que Pecquigny allait lui parler d'Olympe.
Le roi se trompait.
- Sire, dit Pecquigny, les ordres de Votre Majesté pour cette nuit?
- Les ordres? Quels ordres?
- Mais pour la garde, sire.
- Renvoyez mes chevau-légers, et ne conservez que les Suisses.
C'était l'habitude du roi à Rambouillet. Pecquigny le savait bien.
- Ah J les Suisses, dit-il. Votre Majesté garde les Suisses?
- Pourquoi cette demande?
- Sire, c'est que je suis un peu souffrant.
- Vous?
- Oui, sire.
- En effet, vous êtes rouge.
Pecquigny s'inclina.
- Un instant, duc; ce ne serait pas la petite vérole que vous auriez? Et le roi, qui tremblait devant la petite vérole, commença à tout hasard par reculer d'un pas.
- Non, sire, répondit Pecquigny, je l'ai eue. Le roi se rapprocha.
- Et vous dites donc?
- Je dis, sire, que si Votre Majesté n'eût pas gardé la maison, j'eusse supplié Votre Majesté de me donner congé et de se contenter du lieu tenant des Suisses pour cette nuit.
- Très bien, duc, dit le roi en souriant: allez.
- Que de bontés, sire; merci. Le roi me trouvera, j'en suis sûr, meilleur serviteur demain que ce soir.
- Oh! je m'en rapporte à vous pour cela, dit le roi. Allez, mon cher duc, allez.
Pecquigny s'inclina.
- Soignez-vous, duc, lui cria le roi; je désire que vous ne tombiez pas malade.
- Oh! le roi est trop bon, dit Pecquigny radieux.
Et il courut à ses gens, se jeta dans Son carrosse, et ordonna de toucher à Paris.
Le roi le suivit des yeux jusqu'à la porte comme on suit un espoir. Puis, lorsque Pecquigny eut disparu, il reprit sa promenade dans le salon.
Il faisait un assez grand froid au-dehors: ce froid imprimait sur les vitres mille millions de dessins d'argent ouvrés par la gelée qui les perlait en lignes lumineuses.
Mme de Toulouse, en bonne hôtesse, ne perdait pas de vue le roi; elle vit l'embarras et l'ennui du jeune prince. Elle vint à lui.
- Sire, dit-elle, j'ai une idée.
- Ah ! vraiment, comtesse, s'écria le roi; ce doit être une bonne idée alors, puisqu'elle vient de vous.
- Je la crois telle. Ecoutez, sire.
- J'écoute de toutes mes oreilles.
- Prenez ma main d'abord.
- Oh ! cela, volontiers.
- Et tâchons qu'on ne puisse nous entendre.
- Oh! comtesse, comme votre idée commence bien!
- C'est un mystère.
- Un mystère avec vous, Comtesse? oh! tant qu'il vous plaira. Voyons, qu'allez-vous me dire?
- Une chose que je vous ai déjà dite, sire.
- Vous ne sauriez trop vous répéter, comtesse, surtout pour moi qui ne saurais trop vous entendre.
- Sire, vous vous ennuyez.
- Hélas! comtesse, dit le roi en regardant la comtesse comme Chérubin devait, soixante ans plus tard, regarder la femme d'Almaviva, à qui la faute?
Regard de reproche, regard presque douloureux, regard qui, parti des yeux de Louis XIV, eût fait damner La Vallière.
Mme de Toulouse se contenta de sourire; elle connaissait de longue main ces regards-là.
- Divertir ses hôtes, dit-elle gaiement, c'est un devoir; divertir son roi, c'est un honneur.
- Eh bien! dit Louis XV, je me livre à vous, comtesse; par grâce, divertissez-moi.
- Pour cela, il faut que vous fassiez ...
- Quoi?
- Ce que je vous dirai.
- Aveuglément.
- Eh bien! allez vous coucher, sire.
Le roi la regarda.
- Que voyez-vous de si divertissant là-dedans, comtesse? demanda Louis XV.
- Eh bien! alors, feignez d'aller vous coucher.
- Bon, après?
- Après, tout le monde partira ou vous imitera.
- Eh bien!
- Eh bien! ensuite, nous irons chez vous un certain nombre bien choisi, et nous tâcherons de nous y divertir.
- Oh! fit le roi, c'est cela; nous éteindrons les lumières.
- Pourquoi cela? demanda Mme de Toulouse.
- Mais, répondit naïvement le roi, pour que personne ne sache que nous sommes là tout éveillés.
- Ah! si c'est pour cela, dit la comtesse, voilà qui est convenu. Le roi, tout joyeux, lui serra la main.
- Un moment, dit-elle; nous n'avons pas tout fini.
- Que nous reste-t-il donc à faire? dit le roi.
- Mais la liste des heureux qui ne dormiront pas.
- Oh! comtesse, comment faire une liste ici, devant tout le monde?
- Oui, on nous devinerait. Le roi a raison.
- Comment donc faire?
- Oh! une autre idée ...
- Dites.
- Nous allons nous promener au milieu des groupes, Votre Majesté me tiendra la main.
- Toujours, comtesse, toujours!
- J'arrêterai Votre Majesté devant tous ceux que je croirai divertissants, et si Votre Majesté consent à ce que ceux-là restent, elle me dira seulement: Oui.
- Bon, très bien; commençons.
- Commençons.
- Mais, comtesse, vous n'aurez jamais assez de mémoire!
- Pas de mémoire, moi, sire! répondit malignement Mme de Toulouse. On voit bien que Votre Majesté en manque elle-même pour me dire cela.
Le roi lui pressa tendrement la main.
- Et puis, ajouta-t-elle pour détourner aussitôt la conversation, je serais bien malheureuse, vous en conviendrez, sire, si je n'avais pas assez de mémoire pour retenir sept à huit noms.
- Pas davantage? s'écria le roi.
- Eh! sire, si vous invitez plus de monde, prenez garde, nous ne nous amuserons plus.
- Vous avez toujours raison, comtesse.
Et, comme un enfant impatient, il entraîna Mme de Toulouse dans les groupes.
La première personne qu'ils rencontrèrent fut Mlle de Charolais. La princesse riait du meilleur de son cœur, car c'était une grande rieuse que la princesse. Le rire faisait bondir ses belles épaules blanches et découvrait ses dents, plus blanches encore du contraste de ses lèvres voluptueuses, rouges et humides comme le corail sortant de la mer.
Mme de Toulouse regarda le roi en souriant.
- Si cette personne-là n'est pas divertissante, dit-elle, elle est au moins fort divertie.
- Oui, fit le roi.
- Inscrite, répliqua la comtesse.
Ils passèrent et rencontrèrent M. de Toulouse, qui ne se doutait pas le moins du monde du danger qu'il courait.
La comtesse arrêta le roi bien en face de son mari avec un sourire plein d'expression.
Mais le roi ne souffla pas le mot. La comtesse insista.
- Bon, fit le roi; il ne fallait pas me dire de choisir, comtesse, puisque c'est vous qui choisissez.
- Sire, si je choisis en cette circonstance, ne vous en prenez qu'à vous.
- Et pourquoi cela?
- C'est bien votre faute.
- Comment?
- Oui ; vous avez prononcé tout à l'heure une parole qui est la cause du bonheur qu'aura M. de Toulouse.
- Oh! quelle parole ai-je donc dite, comtesse? et comme j'en fais amende honorable!
- Vous avez dit qu'on éteindrait les lumières.
- Certainement que j'ai dit cela.
- Dans l'obscurité, je ne puis me passer de mon mari.
- Alors, comtesse, vous me reprochez de n'avoir pas ici la reine. J'en suis fâché, continua-t-il en secouant la tête, nous eussions fait une partie conjugale ... chose amusante.
C'était la première fois que le roi plaisantait sur cette matière. Mme de Toulouse le regarda avec étonnement et secoua la tête à son tour.
- Non, voyez-vous, comtesse, continua le roi, nous avons mal organisé cela. Les gens que je choisirai ne vous agréeront pas; ceux que vous choisirez ne seront pas assez de mon goût. Mieux vaut...
- Parlez, sire.
- Mieux vaut que le hasard décide.
- Nous ne pouvons cependant faire tirer cette faveur au sort, sire; trop de gens se révolteraient contre la destinée, trop peu seraient satisfaits.
- Vous avez eu une idée, comtesse; à mon tour d'en avoir une.
- Oh! je ne doute pas que l'idée du roi ne vaille mieux que la mienne.
- Bonne ou mauvaise, je vais vous la donner. Vous me présenterez les hommes et les femmes que nous choisirons à nous deux; je leur adresserai une question, et selon leur réponse ils seront refusés ou admis.
- Très bien! sire.
- Alors, convenons de nos faits.
- Je m'approcherai de chaque personne en la regardant et en lui disant : FAUT-IL?
- Ce n'est pas compromettant.
- Vous verrez, comtesse, combien de gens répondront non ... vous verrez.
- Et que faudra-t-il répondre pour être admis?
- Oui.
- Et l'on sera admis en répondant oui?
- On sera admis.
- Prenez garde, sire, vous vous exposez beaucoup.
- Pourquoi ? comtesse?
- Pourquoi ? parce que personne n'osera répondre non à Votre Majesté.
- Vous croyez cela?
- J'en suis sûre.
- Eh bien! vous allez voir; j'ai un moyen.
- Ah! sire, expliquez-moi votre moyen, je vous prie.
- Ceux à qui je veux faire dire non, je leur adresserai la question d'un air rébarbatif. - Bon.
- Ceux à qui je voudrai faire dire oui, au contraire, je leur dirai faut-il avec un petit air engageant qui les engluera. Enfin, les indifférents ...
- Sire, je commence par vous dire que ce sera pour Votre Majesté comme s'il n'yen avait pas ici.
- Pourquoi cela.
- Parce que je n'arrêterai pas Votre Majesté devant les indifférents.
Louis XV sourit.
- Avant tout, dit la comtesse, deux parts sans le sort, une pour moi.
- Accordé de grand cœur.
- Et l'autre ...
- Et l'autre?
- Pour M. de Toulouse.
- Signé Louis, comtesse.
- Mais cette pauvre Mlle de Charolais qui avait déjà gagné, elle!
- Le sort, comtesse, le sort!
- Voyons.
Et le roi et la comtesse se dirigèrent vers Mlle de Charolais.





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