Olympe de Clèves Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LI
Madame de Prie.

Richelieu s'était endormi en pensant à toutes ces dames, et en se demandant laquelle serait assez charitable pour lui donner près du roi, en politique, toute l'influence dont il allait avoir besoin, maintenant qu'il était devenu ambitieux.
Ces sortes de préoccupations peuvent sinon ôter le sommeil à un diplomate de trente-quatre ans, du moins lui envoyer des rêves agréables, puisque la cause vaut presque un effet.
Aussi, vers une heure du matin, c'est-à-dire une heure à peine après qu'il était couché, et comme après avoir roulé une foule d'idées dorées dans sa tête, le duc commençait à sentir ses idées se décolorer et se confondre dans les demi-teintes du sommeil, il se figura donc qu'il était endormi, et qu'étant endormi il rêvait.
Et, dans son rêve, il entendait comme le bruit d'une voix obstinée, devant la fenêtre de son jardin, au rez-de-chaussée duquel il avait voulu coucher.
Voix d'homme qui résistait, voix de femme qui insistait ; en somme, voix de femme et voix d'homme qui querellaient.
Et il semblait au duc de Richelieu que cette voix de femme ne lui était pas inconnue, et chacune de ses vibrations lui apportait comme un souvenir des plus coquets et des plus charmants.
Alors le duc, se laissant aller à ce rêve décevant, voulut le poursuivre : – Ne vous est-il pas arrivé quelquefois, madame, faisant un de ces rêves charmants comme vous en faites, de vouloir, même pendant votre sommeil, donner à ce rêve toute l'étendue et tous les compléments qu'il pouvait avoir ?
La volonté est une si belle et si puissante chose ! Elle nous vient si directement de Dieu, la toute beauté et la toute puissance, que, même pendant le sommeil, elle produit parfois de semblables effets.
Le duc laissa donc une seule oreille éveillée, et de cette oreille il écouta.
- Non, madame, disait la voix d'homme, vous ne pénétrerez pas plus avant ; c'est bien assez déjà que vous ayez force, je ne sais comment, la porte de la vieille cour. En vérité, madame, ces choses-là ne se font plus.
- Drôle, pensa le duc, toujours persuadé qu'il dormait.
- Que j'aie ou non forcé la porte de la vieille cour, répondit la vibrante voir de femme, je suis dans la maison, n'est-ce pas ?
- Sans doute que vous y êtes, mais par surprise.
- Enfin j'y suis, peu importe comment : la moitié de l'ouvrage est faite. Laissez-moi aller jusqu'au duc.
- Impossible, madame. Monsieur le duc s'est couché il y a une heure, très fatigué de la route, et il dort.
- Tenez, voilà qui fait du bruit, réveillez-le.
Et le duc entendit le son argentin d'une quantité indéfinie de pièces d'or secouées dans une bourse.
- Oh ! oh ! murmura le duc toujours rêvant, on donne de l'or à mon laquais. Voilà qui va bien, et la place est bonne.
- Mais, madame, reprit l'obstiné serviteur, qui tenait à conserver à son maître la réputation d'homme à bonnes fortunes, mais monsieur ne dort pas seul.
Le duc poussa un soupir, étendit les jambes et les bras comme pour s'assurer lui-même de sa solitude, et murmura le mot : Faquin !
- Eh ! que m'importe ? répondit la voix de femme. Je ne viens pas le troubler dans ses amours, moi. J'ai à lui parler affaires. Allons, garçon, ouvre, ouvre.
- Mais, madame, monsieur le duc a défendu...
- Parce qu'il ne savait pas que je devais venir.
- Madame, je vous jure qu'il va s'éveiller, qu'il va entendre, et qu'il me donnera l'ordre de vous éconduire, ce qui, de sa part, sera désobligeant, tandis que, venant de ma part, cette prière que je vous fais de ne pas insister n'est qu'une consigne.
- Ce diable de laquais parle très bien, dit le duc roulé dans son édredon. Voyons un peu ce que va répondre la femme. Ah !
- Eh bien ! moi, répondit-elle, je gage que monsieur le duc ne me congédiera point, surtout si je me nomme.
- Madame, prenez la chose sur vous, et heurtez aux vitres de la fenêtre.
- Non pas, non pas, répondit la voix ; je ne veux pas sortir la main de mon manchon : il gèle.
- Diantre ! pensa Richelieu, c'est une grande dame, pour avoir tant peur du froid. Que ne dit-elle son nom tout de suite ? Et, ma foi ! si elle est jolie, je dirai comme elle : il gèle.
- Allons, frappe, garçon, continua la dame ; frappe, et je dirai que c'est moi qui ai frappé.
- Madame, je le ferai, puisque vous m'y contraignez ; seulement, je désire savoir votre nom.
- Moi aussi, fit Richelieu.
- Et pourquoi cela ? Si je le dis à ton maître, n'est-ce pas suffisant ?
- Non, madame, car si mon maître me chasse du coup, vous me devez un dédommagement.
- C'est trop juste, et tu es un garçon d'esprit ; les dédommagements ! tiens, voici un acompte sur celui que je te garde.
- Encore de l'argent ! fit le duc ; cette femme est folle de moi. Il n'y a que les rêves pour voir de ces choses-là.
- Maintenant, dit le laquais, il ne me reste plus à savoir qu'une chose.
- Laquelle ?
- Votre nom ?
- Ah ! Monsieur Raffé, tu m'impatientes à la fin.
- Vous voyez bien, madame ; puisque vous savez le mien, je dois savoir le vôtre.
- Eh bien ! la marquise de Prie...
Et en même temps, un violent coup de poing retentit contre les volets du duc.
- Madame de Prie ! s'écria Richelieu, tirant sa tête hors des couvertures. Quoi ! j'ai rêvé cela ! j'ai rêvé que madame de Prie, la maîtresse de monsieur de Bourbon, était dans mon jardin, discutant avec Raffé par cinq degrés de froid ! Plaisant rêve !
Au même instant, un autre coup, suivi de plusieurs coups redoublés et impatients, fit trembler la haute fenêtre.
- Mais non, je ne rêve point, mais on frappe bien réellement ! s'écria le duc.
- Duc ! duc ! ouvrez, continua la voix de femme, voilée par le dépit et un peu enrouée par le froid.
- Ouvre ! cria le duc en s'élançant de son lit pour passer un pantalon à pied et se blottir dans une robe de chambre qu'il trouva sous sa main.
Le laquais pénétra chez son maître.
- Et la marquise ? dit vivement le duc.
- Me voici, duc, dit madame de Prie apparaissant sur le seuil. Etes-vous levé ?
- Oui, madame, toujours levé pour vous ou couché, à votre choix, marquise. Allume, Raffé, allume.
- Quoi ! habillé déjà, dit madame de Prie.
- Heu ! heu ! fit le duc.
- Alors, vous m'avez entendue.
- Oui, et j'ai reconnu votre voix.
- Allons, duc, vous n'êtes pas si fat qu'on le dit.
- Pourquoi ?
- Un fat ne serait pas levé.
- Marquise, vous oubliez que je suis absent de Paris depuis deux ans. Mais asseyez-vous donc. Du feu, Raffé, du feu ; la marquise gèle, tu vois bien, mon ami.
- Il paraît que, passé minuit, dit en riant la marquise, la maison est si pleine qu'on est obligé de faire faire aux femmes antichambre dans le jardin.
- Tout au contraire, marquise, je vous attendais.
- Oui, en dormant.
- N'est-ce pas comme cela qu'on attend la fortune.
- Oh ! charmant ! duc.
La marquise saisit le fauteuil que lui indiquait Richelieu. Richelieu prit une pose des plus gracieuses ; tous deux se mirent à rire ; le feu flambait ; Raffé sortit.
- Ah ça ! marquise, dit le duc, savez-vous bien qu'une heure sonne.
- Et qu'il gèle à fendre les pierres, duc.
- Le feu est donc chez monsieur de Bourbon, que vous accourez ici ?
- Ma foi ! duc, il fallait absolument que je vous parlasse la première.
- Mais, pardon, comment avez-vous fait pour entrer ? tout à l'heure dans un demi-sommeil ou dans un demi-rêve, comme il vous plaira, j'ai cru entendre que vous parliez ou que Raffé parlait d'une porte que vous aviez forcée.
- Forcée, non ; ouverte, oui.
- Comment cela, marquise ?
- Mais, avec une clef, donc !
- Quoi ! vous avez une clef de chez moi, vous, et je me couche tranquillement exposé à un pareil danger ?
- Duc, vous m'en avez donné une autrefois, ce me semble.
- Oui, c'est vrai ; mais je croyais vous l'avoir reprise.
- A-t-il une mémoire cruelle !
- Ecoutez donc, un homme d'Etat !... Enfin, d'où vous vient cette clef ? Vous comprenez que ce que je vous demande là, marquise, c'est pour ma gouverne.
- Oui, il pourrait y en avoir fabrique. Au fait, ce serait une spéculation.
- Marquise, vous m'épouvantez.
- Rassurez-vous, cette clef...
- Eh bien ?
- Elle me vient de source moins honnête. Ce n'est pas une fausse clef, c'est une vraie clef.
- Mais enfin, où vous l'êtes-vous procurée ?
- Il y a deux ans, avant votre départ pour Vienne, vous en aviez distribué plusieurs dans Paris.
- Oui, mais comment voulez-vous que je suppose qu'une femme de nos jours garde deux ans la clef d'un homme absent, à moins qu'elle ne l'eût oubliée dans son livre de messe.
- Eh bien ! voilà ce qui vous trompe, duc ; c'est que nous devenons très dévots, duc. La dévotion est à la mode. Oh ! il s'est fait de grands changements à Paris depuis votre départ : vous avez laissé monsieur le régent au Palais-Royal, et vous retrouverez monsieur de Fréjus à Versailles.
- Tout cela ne me dit point où vous avez pêché cette clef ; et à moins que vous ne l'ayez prise à quelqu'un.....
- Prise ! fi donc ! Vous me traitez en princesse du sang, mon cher duc ; vous me prenez pour mademoiselle de Valois ou mademoiselle de Charolais. Prise ! fi donc ! je l'ai achetée.
- Achetée ! Oh ! qui vous l'a vendue ?
- Une femme de chambre qui ne savait pas ce qu'elle me vendait. Vous comprenez, on voit traîner une clef, on s'empare de cette clef, personne n'en sait rien ; arrive quelqu'un qui donne vingt-cinq louis de cette clef. Si la maîtresse la demande, on prend un air étonné, et l'on dit : Quelle clef, madame ? C'est tentant pour une soubrette.
- Et puis comme vous avez dit, marquise, la clef d'un homme qui est à Vienne. Ah çà ! l'on croyait donc bien sérieusement que je n'en reviendrais jamais de Vienne.
- Oui, excepté moi, qui, en ma qualité de ministre des affaires étrangères, vous savais en route.
- C'est juste.
- Je me suis donc portée acquéreur de cette clef, pensant que vous ne feriez changer les gardes de vos serrures que le lendemain de votre arrivée ; c'était un calcul assez net, n'est-ce pas ?
- Et très bon, comme vous le voyez.
- De sorte que la clef va me rapporter, je l'espère, un peu mieux qu'elle ne m'a coûté. Mais c'est singulier, duc....
Et deux ou trois fois la marquise respira à pleines narines.
- Quoi ? demanda Richelieu.
La marquise continuait de respirer à fortes doses.
- Cela sent la femme ici.
- Allons donc ! je suis seul.
- Je vous dis qu'il y a ici une femme dont je connais le parfum.
- Marquise..., je vous jure !
- Un parfum de princesse.
- Ah ! vous me flattez, marquise.
- Fat ! il n'est pas changé.
- Ni vous non plus, marquise : vous embellissez seulement tous les jours.
- Oui. C'est ce que me diront du moins mes courtisans tant que je serai en faveur.
- Et vous êtes en faveur au plus haut degré, marquise.
- Je le crois, et je viens même vous en apporter la preuve.
- Ah ! voyons ?
- Mais d'abord, duc, soyez franc. Avez-vous quelqu'un ici ?
- Personne.
- Sur l'honneur ?
- Foi de Richelieu ! Vous hésitez.
- Duc, si j'avais à vous parler d'affaires d'amour, je croirais à votre parole sur parole. Mais comme nous allons causer politique, et que sur ce point toute indiscrétion est mortelle, permettez-moi de faire comme saint Thomas.

« Vide pedes, vide manus. »

- Vous me dites cela pour me faire croire que vous savez le latin.
- Dieu me garde d'avoir cette prétention !
- Allons, exécutez-vous, alors !
- Marquise, je prends le bougeoir, dit le duc en se levant ; nous allons explorer chaque cavité de mon appartement, n'est-ce pas ?
- S'il vous plaît, duc.
- Voulez-vous commencer par la cheminée ? Mais, il y a du feu ; vous ne vous défiez pas, j'espère ?
- A moins, cependant, qu'il ne s'y trouve une princesse du sang ; ces dames sont incombustibles comme les salamandres.
- Pourquoi n'en peut-on pas dire autant des princes du sang, marquise ! fit Richelieu.
La marquise sourit à cette allusion.
- Voyons d'abord la ruelle, dit la marquise.
- Vide, dit Richelieu ; entrez.
- Cabinets aux portemanteaux.
- Déserts, déserts, déserts. Voulez-vous chercher sous les habits, marquise ?
- Inutile, on verrait les jambes.
- Reste l'escalier dérobé.
- Inutile, les verrous sont mis, et l'escalier n'est pas chauffé ; depuis que nous sommes ensemble, une femme de qualité y serait morte de froid, et par conséquent elle ne me serait plus dangereuse.
- Puissamment raisonné.
- Allons, nous sommes seuls ; causons.
- Causons, dit le duc en ramenant la marquise à son fauteuil.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente