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Chapitre VII
Fuite

Vous comprenez que je ne perdais pas mon temps ; cette vie-là ne me paraissait pas tenable ; je ruminais un moyen de me tirer des griffes de la Buchold et de me venger d'elle tout à la fois. Je ne savais pas, pourquoi j'avais une idée sourde que c'était elle qui avait organisé l'affaire du bâton à Edam et cassé la glace du lac à Stavorin.
Il y avait plus. Vous vous rappelez que j'avais senti que quelque chose me tirait par la jambe au fond de l'eau, et que je ne m'étais débarrassé de cette chose qu'à l'aide d'un grand coup de pied.
Or, j'avais encore dans l'esprit que c'était non pas quelque chose, mais quelqu'un qui m'avait tiré par la jambe, et que ce quelqu'un c'était la Buchold.
Un jour ou l'autre, me disais-je tout en ruminant, je saurai bien si c'est elle.
- Et comment ? dis-je, interrompant le père Olifus.
- Dame ! vous comprenez, j'avais mes patins aux pieds. Pour donner le coup de pied, je n'avais pas pris la précaution d'ôter mon patin. Ce n'est pas sain un coup de pied avec un patin, surtout quand ce coup de pied porte d'aplomb. Eh bien ! mon coup de pied avait porté d'aplomb, et si c'était la Buchold qui avait reçu le coup de pied, elle devait en avoir la trace quelque part.
- C'est juste.
Je me disais donc : il faut dissimuler, avoir l'air d'oublier le coup de bâton d'Edam, la noyade de Stavorin, la volée de Monnikendam ; et c'est elle payera tout à la fois.
Cette résolution prise, je me retournai.
Le lendemain, comme elle dormait encore, je levai le drap, et je regardai ; elle n'avait pas la plus petite trace de patin sur tout le corps.
Seulement, je remarquai qu'au lieu de mettre son bonnet de nuit comme d'habitude, elle avait gardé son bonnet de cuivre.
Bon ! dis-je, si tu ne l'ôtes pas demain, c'est qu'il y a quelque chose là dessous.
Mais je ne fis semblant de rien, vous comprenez ; je commençai à me rhabiller ; pendant que je me rhabillais, la Buchold se réveilla.
Son premier mouvement fut de porter la main à son bonnet de cuivre.
Bon ! dis-je encore, nous verrons bien.
Mais je disais cela en dedans, tout en faisant semblant de rire. Elle, de son côté, c'était une justice à lui rendre, quand le premier moment était passé, elle avait l'air de n'y plus songer ; il est vrai que le premier moment était rude.
La journée s'écoula sans que ni l'un ni l'autre de nous parlât de ce qui s'était passé la veille, nous avions l'air de deux tourtereaux.
Le soir venu, nous nous couchâmes.
Comme la veille, la Buchold se coucha avec son bonnet de cuivre.
Toute la nuit, j'avais une envie du diable de me lever, d'allumer la lampe. et de pousser le petit ressort qui fait ouvrir le diable de bonnet ; mais c'était comme un fait exprès, on eût dit que la Buchold avait la fièvre. Elle ne faisait que de se tourner et se retourner. Je pris patience, espérant que, la nuit suivante, elle aurait le sommeil plus tranquille.
La nuit suivante arriva ; je ne m'étais pas trompé. Cette nuit-là elle dormait comme un chien de plomb. Je me levai tout doucement ; j'allumai la lampe. La Buchold était justement couchée sur le côté. Je pinçai le ressort, la plaque s'ouvrit, et, sous la plaque, au-dessus de la tempe, je vis une ligne à laquelle il n'y avait pas à se tromper.
La lame du patin avait coupé la peau de la tête, et, sans ses maudits cheveux verts, qui avaient amorti le coup, elle lui aurait ouvert le crâne.
J'étais fixé. Non seulement c'était ma femme qui avait préparé la mécanique d'Edam, c'était ma femme qui avait cassé la glace du lac, mais encore c'était ma femme qui m'avait tiré par la jambe dans l'intention de me noyer.
Moi noyé, elle revenait à Monnikendam, et, comme nous nous étions tout passé au dernier vivant, elle héritait de moi, pauvre petite chatte !
Vous comprenez qu'il n'y avait plus de considérations à garder vis-à-vis d'une pareille créature. Mon parti était pris d'avance. J'avais mis tout ce que j'avais d’argent dans un sac, avec cet argent je m'embarquais pour n'importe quel pays, et, dans ce pays, peu m'importe ce qui devait m'arriver, je vivrais toujours tranquille et heureux, pourvu que je vécusse loin de la Buchold.
En conséquence, décidé à mettre ce projet à exécution, j'éteignis la lampe, je m'habillai doucement, je pris mon sac dans l'armoire, et je gagnai la porte sur la pointe des pieds.
Comme je mettais la main sur la clef, je sentis une griffe qui m'empoignait par le col et qui me tirait en arrière.
Je me retournai : c'était cette sorcière de Buchold ; elle avait fait semblant de dormir et elle avait tout vu.
- Ah ! dit-elle, c'est comme cela que tu t'y prends ? après m'avoir trompée, tu m'abandonnes, et, en m'abandonnant, tu me ruines ! attends ! attends !
- Ah ! et toi, après m'avoir battu, tu casses la glace, après avoir cassé la glace, tu veux me noyer ! attends ! attends !
Elle prit le bambou dans un coin de la chambre. Mais, moi, je pris un chenet au coin du feu. Nous nous frappâmes tous les deux en même temps ; seulement, moi, je restai debout, et elle tomba.
Elle tomba comme une masse, en jetant un cri, ou plutôt en poussant un soupir, et, une fois à terre, elle ne bougea plus.
- Bon ! dis-je, elle est morte ; ma foi ! tant pis ; je ne lui ai fait que ce qu'elle voulait me faire !
Et, tâtant si mon sac était bien dans ma poche, je m'élançai hors de la maison, fermai la porte derrière moi, jetai la clef dans la mer, et me mis à courir à travers la prairie, du côté d'Amsterdam.
Une demi-heure après, j'étais au bord de la mer.
J'éveillai un pêcheur de mes amis qui dormait dans sa cabane. Je lui racontai que j'étais si malheureux avec ma femme, que, cette nuit même, j'avais résolu de m'expatrier. Je le priai, en conséquence, de me conduire à Amsterdam où je saisirais la première occasion de quitter la Hollande.
Le pêcheur s'habilla, poussa sa barque à la mer, et mit le cap sur Amsterdam.
Une demi-heure après, nous entrions dans le port. Un magnifique trois-mâts s'apprêtait à partir pour l'Inde, et appareillait en ce moment même.
J'ai la résolution prompte.
- Ah ! par ma foi ! dis-je à mon ami, voilà mon affaire, et si le capitaine est raisonnable et ne demande pas trop cher pour la traversée, il y aura moyen de faire affaire ensemble.
Et je hélai le capitaine.
Le capitaine s'approcha du bordage.
- Holà ! de la barque, qui appelle ? demanda-t-il.
- Moi...
- Qui.... vous ?
- Quelqu'un qui voudrait savoir si vous avez encore de la place pour un passager.
- Oui, tournez à tribord, vous trouverez l'escalier.
- C'est pas la peine, envoyez-moi une tire-veille.
- Bon ! vous êtes du métier, à ce qu'il paraît.
- Un peu.
Je me retournai vers le pêcheur.
- Quant à toi, mon ami, lui dis-je, je veux que tu boives à ma santé, et voilà une pièce de dix florins.
- Ah ! mille tonnerres, qu'est-ce que c'est que cela ?
- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je.
C'était que je venais d'ouvrir mon sac, et qu'au lieu d'être plein d'or, il était plein de cailloux.
- Ma foi ! mon ami, dis-je au pêcheur en lui montrant mon sac, tu vois, la bonne volonté y était, mais je suis volé.
- Ah bah !
- Oui, parole d'honneur !
Et je vidai mon sac dans la barque.
- Eh bien ! tant pis, père Olifus, dit le brave homme. Que voulez-vous ? la bonne intention y était ; ça ne m'empêchera pas de boire à votre santé, soyez tranquille.
- Ohé ! cria une voix du haut du pont ; voilà le grelin demandé.
Je donnai une poignée de main au pêcheur, j'empoignai la manoeuvre et je grimpai comme un écureuil.
- Me voilà, dis-je en sautant sur le pont.
- Eh bien ! demanda le capitaine, et vos malles ?
- Est-ce qu'il y a besoin de malle pour être matelot ?
- Matelot ? Vous avez dit passager.
- Passager ?
- Oui.
- Alors c'est la langue qui m'a tourné. J'ai voulu dire : Avez-vous encore de la place pour un matelot ?
- Eh bien ! tu m'as l'air d'un bon diable, dit le capitaine. Oui, j'ai place pour un matelot, et pour un matelot à quarante francs par mois encore, attendu que je suis capitaine au service de la compagnie des Indes, et que la compagnie des Indes paie bien.
- Si elle paie bien, on la servira bien, voilà tout.
Le capitaine ne m'en dit pas plus, je ne lui en répondis pas davantage ; l'engagement était fait, aussi valable que si tous les notaires du monde y avaient passé.
Le surlendemain, nous étions en pleine mer.

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