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Chapitre VI
Tribulations conjugales

Cependant, comme l'usage de la langue semblait n'être venu à ma femme que pour me dire des douceurs, je me consolai de n'avoir pas une femme muette.
Il y a même plus : pendant un mois, je fus assez heureux. Tout le monde me faisait des compliment ; il n'y avait que le Parisien, qui, lorsque je lui vantais mon bonheur, me répondait en chantant :

          Va-t'en voir s'ils viennent, Jean,
          Va-t'en voir s'ils viennent.

Il faut lui rendre cette justice, il n'avait jamais eu confiance dans la Buchold, lui.
Au bout d'un mois de calme, je crus m'apercevoir que le temps s'assombrissait : il y avait encore, par-ci, par-là du calme ; mais c'était le calme qui précède la tempête. Moi, comme marin, vous comprenez, je connaissais cela. et je m'apprêtai à y faire face.
Ca commença à propos d'un voyage que j'avais fait à Amsterdam : elle prétendit que j'avais été faire visite à une ancienne amie à moi, qui demeurait sur le port, que j'y étais resté toute la nuit, et que si cette amie avait été muette la veille, rien ne se serait opposé à ce qu'elle parlât le lendemain.
Ah ! il faut vous dire qu'en moins de huit jours ma femme avait appris à tout dire, et qu'elle en aurait remontré au bout de ce mois, à tous les maîtres de langue d'Amsterdam, de Rotterdam et de la Haye.
Ce qui me mit en colère dans ce qu'elle disait de ma visite sur le port d'Amsterdam, c'est que c'était vrai ; on aurait dit que la sorcière m'avait suivi, qu'elle était entrée dans la maison, et qu'elle avait vu tout ce qui s'était passé.
Je niai comme un beau diable ; mais elle n'en persista pas moins à croire ce qu'elle voulut et à me menacer, la première fois que pareille chose m'arriverait, de m'en faire souvenir.
Je pris la menace pour ce que vaut d'ordinaire une menace de femme, et comme rien au monde ne m'est plus insupportable qu'une figure maussade, je cajolai si bien la Buchold que le lendemain elle n'y pensait plus, ou du moins avait l'air de n'y plus penser.
Quinze jours se passèrent assez tranquillement. Le seizième jour, je conduisis des voyageurs à Edam. Ils devaient revenir le même soir à Monnikendam mais c'étaient des peintres, ils avaient trouvé des dessins à faire ; ils me déclarèrent qu'ils me gardaient jusqu'au lendemain. Je pouvais revenir et leur dire que puisqu'ils ne tenaient pas leurs conventions, je ne tenais pas les miennes, mais, vous comprenez, on ne quitte pas comme cela de bonnes pratiques. D'ailleurs, j'avais une ancienne amie à Edam, je ne l'avais pas vue depuis mon mariage avec la Buchold ; elle m'avait fait, comme je passais dans la rue, un petit signe derrière son rideau, et moi j'avais cligné de l'oeil ; ce qui voulait dire : « C'est dit, si j'ai un instant, j'irai te faire ma visite. » J'avais plus qu'un instant, j'avais toute la nuit.
Et puis cette fois, j'étais bien tranquille. Comme mon amie avait des précautions à prendre, quand je la visitais avant mon mariage, c'était la nuit, en franchissant un mur de jardin, en ouvrant une petite porte qui fermait une haie, et en entrant dans sa chambre par la fenêtre.
Personne n'avait jamais rien su alors de ces expéditions nocturnes, personne n'en saurait rien maintenant.
A onze heures, par une nuit noire comme de l'encre, je m'acheminai donc vers le mur, que j'enjambai, vers la porte, que je franchis, vers la fenêtre que j'escaladai, et au haut de laquelle je trouvai deux jolis bras qui me reçurent tout ouverts.
- Pardieu ! dit Biard, vous avez une manière de raconter, père Olifus, qui fait venir l'eau à la bouche. A la santé de la propriétaire de ces deux jolis bras.
- Oh ! monsieur, buvez plutôt à la mienne, dit le père Olifus d'un air mélancolique et en avalant un troisième verre de tafia.
- Bah ! et que devait-il donc vous arriver dans cette petite chambre où vous étiez si agréablement attendu.
- Ce n'était pas dans cette petite chambre, monsieur, c'était en sortant.
- Allez, père Olifus, nous vous écoutons ; vous racontez comme Sterne, allez.
- Eh bien ! en sortant, c'était avant le jour, vous comprenez bien ; elle avait des précautions à prendre, comme je vous ai dit, et moi-même, après ce qui m'était arrivé à la maison à mon retour d'Amsterdam, je ne me souciais pas d'être vu. Eh bien ! en sortant, après avoir franchi la petite porte de la hale, je trouvai un obstacle au milieu de l'allée, un rien, une ficelle, un fil de caret, une chose tendue sur mon chemin : j'avais mon couteau dans ma poche, je l'ouvris et, crac ! je coupai le fil.
Mais au même instant, voyez-vous, je reçus un coup de bâton sur les reins, mais un coup ! « Ah gredin, » m'écriai-je, et je saisis le bâton. Mais il n'y avait personne, qu'un poirier auquel le bâton était ajusté par une mécanique des plus ingénieuse ; en coupant ce fil, je lâchais le bâton, le bâton lâché, il frappait.
Je me sauvai en me frottant les reins. Ma première idée avait été que le père ou les frères s'étaient douté de quelque chose et que, n'osant pas venir m'attaquer en face, ils avaient préparé cette embuscade.
Au reste, comme personne n'avait ri, comme personne n'avait soufflé le mot, comme personne n'avait bougé même, je me retirai sur la pointe du pied et rentrai à l'auberge.
A dix heures, nous quittâmes Edam, une demi-heure après, nous étions dans le port de Monnikendam.
Du plus loin que je pus apercevoir ma maison, je vis la Buchold sur la porte. elle m'attendait d'un air de mauvaise humeur qui me sembla de méchant augure : moi, au contraire, je pris une physionomie riante. Mais, à peine eus je passé le seuil, qu'elle referma la porte derrière moi.
- Ah ! dit-elle, voilà une jolie conduite pour un homme qui a six semaines de mariage.
- Quelle conduite ? demandai-je d'un air innocent.
- Oh ! il ose encore interroger ! dit-elle.
- Sans doute.
- Taisez-vous, et répondez.
Ses yeux verts étincelaient.
- Où avez-vous été cette nuit, à onze heures ? dites. Où êtes-vous resté de onze heures à cinq heures du matin ? Que vous est-il arrivé, en sortant de l'endroit où vous avez passé ces six heures ?
- Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
- Ah ! vous ne savez pas !
- Non.
- Je vais vous l'apprendre, alors. Vous êtes sorti de l'auberge à onze heures, vous avez franchi un mur, vous avez ouvert une porte, vous avez escaladé une fenêtre, vous êtes entré dans une chambre, où vous êtes resté jusqu'à cinq heures du matin. A cinq heures du matin, vous êtes sorti, vous avez reçu un coup de bâton, et vous êtes rentré à l'auberge en vous frottant les reins. Dites un peu que ce n'est pas vrai !
Je niai tout de même. J'avoue que je n'avais pas le même aplomb cette fois que l'autre ; d'ailleurs, je portais ma condamnation avec moi, attendu que j'avais la marque du bâton sur les épaules.
Mais, tout en niant, je faisais de l'oeil à la Buchold. J'attrapais une main par- ci, une joue par-là, et, toute grognante encore, elle finit par me pardonner en me disant :
- Prenez garde ; la première fois, vous n'en serez pas quitte à si bon marché.
- Oh ! dis-je en moi-même, la première fois, va, je prendrai si bien mes précautions, que nous verrons un peu.
Elle me fit un signe de la tête qui semblait dire : « Oui, nous verrons ! »
Cette sorcière de Buchold, on eût dit qu'elle lisait jusqu'au fond de ma pensée.
Enfin, cette fois-là encore, nous nous raccommodâmes.
Huit jours après, je conduisis des voyageurs à Stavorin.
La course était longue, il n'y avait pas moyen de revenir le même jour, je ne savais que faire de ma soirée, quand tout à coup je me souvins que j'avais une amie dans les environs.
C'était une jolie meunière qui demeurait sur le bord d'un joli petit lac situé entre Bath et Stavorin. Quand autrefois j'allais lui faire des visites, je traversais le petit lac à la nage, et comme la fenêtre donnait sur l'eau, elle n'avait qu'à me tendre la main, et, crac ! j'étais dans sa chambre.
Cette fois-là, c'était encore bien plus commode : le lac était gelé.
J'empruntai une paire de patins. A dix heures, je partis de Stavorin ; à dix heures un quart, j'étais au bord du lac ; à dix heures vingt-cinq minutes, j'arrivais sous la fenêtre de ma meunière.
Je fis le signal convenu : la fenêtre s'ouvrit.
Mon mariage était connu au moulin. La meunière avait bonne envie de bouder ; mais c'était une excellente femme, de sorte que la dispute ne fut pas longue.
A six heures, je pris congé ; j'étais bien tranquille ; le lac était parfaitement désert ; personne ne m'avait vu venir ; personne ne me verrait m'en aller. Je pris mon élan, et, b'zt ! je partis.
Au troisième ou quatrième coup de patin, il me sembla que je sentais la glace qui craquait sous moi. Je voulus revenir sur mes pas, il était trop tard. Je me sentis emporté vers un endroit où j'entendais clapoter l'eau ; la glace avait été rompue pendant que j'étais chez ma meunière. Il y avait devant moi comme un fossé liquide ; j'eus beau peser sur mes talons, j'arrivai au trou, et bonsoir ! plus personne, j'étais dans le lac.
Heureusement que je plonge comme un phoque. Je retins ma respiration et je cherchai l'ouverture. 0a n'est pas commode de s'orienter sous la glace, allez ! Enfin, je vis une espèce de bande plus transparente. Je nageais vers la bande, lorsque tout à coup je sentis quelque chose qui m'empoignait par la jambe et qui m'attirait au fond de l'eau. J'avais la bouche ouverte pour respirer. mais, au lieu d'une bouffée d'air, j'avalai une gorgée d'eau. Ce n'est pas la même chose. J'y vis tout bleu.
J'entendis un bourdonnement dans les oreilles ; je compris que si je ne me débarrassais pas, et plus vite que cela, de ce qui me tirait en bas, j'étais un homme flambé ; j'allongeai un coup de pied de toute ma force ; je sentis que le coup avait porté ; la chose qui m'entraînait me lâcha. Je profitai de ma liberté pour remonter à la surface de l'eau. Pendant deux ou trois secondes encore, je donnai du crâne contre la glace ; enfin, étouffant, à moitié mort, presque évanoui, je parvins à la solution de continuité, comme disent les mathématiciens. Je sortis la tête hors de l'eau, je respirai des yeux, du nez et de la bouche à la fois, je me cramponnai à la glace, mais la glace s'écaillait au fur et à mesure que j'essayais de remonter. Enfin, par une vigoureuse impulsion, je glissai sur le ventre ; le poids occupant une large dimension, la glace résista. Je me relevai, je donnai un coup de patin. Oh ! voyez-vous ! il n'y a pas de vaisseau courant devant le vent qui aille le train que j'allais. Je filais trente noeuds à l'heure ; mais, en arrivant au bord du lac, j'étais au bout de mes forces, je tombai sans connaissance, et quand je revins à mol, je me trouvai dans un lit bien chaud, et je reconnus la chambre de l'auberge d'où j'étais parti la veille.
Des paysans, qui allaient au marché, m'avaient trouvé étendu par terre, à moitié mort, aux trois quarts gelé ; ils m'avaient mis dans leur charrette et m'avaient ramené à Stavorin, où l'hôtesse, qui me connaissait, avait eu toutes sortes de soins de moi.
Deux heures après, grâce à un bol de punch que j'avalai tout flambant, je n'y pensais plus.
Nos voyageurs avaient fini leurs affaires vers dix heures du matin ; ils étaient pressés de revenir, et moi aussi ; car je n'étais pas sans inquiétude sur ce qui m'attendait à la maison. Nous partîmes à onze heures ; le vent était bon. Il y avait douze lieues à peu près de Stavorin à Monnikendam, nous les fîmes en six heures. C'était bien marcher.
Cette fois, ce n'était pas sur le seuil de la porte que m'attendait la Buchold, c'était au bord de la mer. Ses yeux verts brillaient dans l'ombre comme deux émeraudes. Elle me fit un signe de la main de marcher devant elle et de rentrer à la maison. Je ne fis pas d'observations, bien décidé, si elle m'ennuyait par trop, à lui donner une de ces petites corrections conjugales dont ont dit que les femmes ont besoin tous les trois mois si l'on veut en faire des épouses parfaites. Je rentrai donc et refermai la porte moi-même.
Puis, allant m'asseoir :
- Eh bien ! après ? lui dis-je.
- Comment, après ? s'écria-t-elle.
- Oui. Que me voulez-vous ?
- Ce que je vous veux ? Je veux vous dire que vous êtes un homme infâme de courir comme vous faites au risque de vous noyer et de laisser votre pauvre femme veuve avec un enfant sur les bras.
- Comment, un enfant ?
- Oui, malheureux, je suis enceinte, vous le savez bien !
- Ma foi ! non.
- Eh bien ! si vous ne le savez pas, je vous le dis.
- 0a me fait plaisir.
- Ah ! ça vous fait plaisir ?
- Voulez-vous que je vous dise que cela me fait de la peine ?
- Voilà comme vous me répondez au lieu de me demander pardon.
- Pardon de quoi ?
- De courir la nuit comme un loup-garou, d'aller faire la cour aux meunières. Est-ce que c'est une heure pour patiner, je vous le demande, que six heures du matin ?
- Ah ! lui dis-je, tenez, je commence à en avoir assez de vos espionnages ; et si vous ne me laissez pas tranquille...
- Que ferez-vous ?
J'avais un joli bambou de l'Inde, pliant comme un jonc, et qui me servait à battre mes habits du dimanche. Je le pris dans un coin et je le fis siffler aux oreilles de la Buchold.
- Je ne vous dis que cela, ma mie.
- Oh ! fit-elle, tu me menaces ! attends.
Ses yeux lancèrent deux éclairs verdâtres. Elle sauta sur mon bambou, me l'arracha des mains avec autant de facilité que j'eusse fait de celles d'un enfant, et, grinçant des dents, me donna une volée, ah mais ! voyez-vous, que le diable en aurait pris les armes.
- Bah ! fîmes-nous.
- J'avais oublié l'affaire du bateau, moi, où elle avait manqué nous rosser tous les six, vous savez ; mais aux premiers coups que je reçus, je m'en souvins ; je voulus résister, c'était une grêle ! Je commençai par menacer, par jurer, par sacrer, et je finis par demander pardon. J'avais mon compte, comme on dit, et même plus que mon compte.
Quand elle vit que j'étais à genoux, elle cessa de frapper.
- Là ! dit-elle, c'est bien ! cela passera encore comme cela cette fois-ci, mais que je ne vous y reprenne plus, ou, la première fois, vous n'en serez pas quitte à si bon marché.
- Peste ! murmurai-je, à moins de m'assommer tout à fait...
- Silence ! et couchons-nous, dit-elle ; d'ailleurs vous devez être fatigué.
J'étais mieux que fatigué, j'étais moulu.
Je me couchai sans rien dire, je tournai le nez du côté de la ruelle ; je fermai les yeux ; je fis semblant de dormir, mais je ne dormis pas.

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