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Chapitre LIV


Une heure après, c'est-à-dire vers dix heures et demie, Amaury arrivait à cheval devant la maison de M. d'Avrigny :
il était venu très vite, sans doute dans la crainte de donner, par une allure plus lente, le temps à la résolution qu'il avait prise de s'affaiblir pendant le chemin.
En même temps que lui, Antoinette arrivait dans sa voiture et s'arrêtait au perron.
La jeune fille, en reconnaissant Amaury dans celui qui venait lui offrir la main pour l'aider à descendre, ne put retenir un cri de joie et une vive rougeur remplaça tout à coup la pâleur qui couvrait ses joues.
- Vous, Amaury ! s'écria-t-elle ; c'est bien vous. Mais, mon Dieu ! comme vous êtes pâle, seriez-vous blessé ?
- Non, Antoinette, rassurez-vous, dit Amaury ; ni moi ni Philippe...
Antoinette ne le laissa même pas achever.
- Mais cet air sombre, préoccupé, d'où vous vient-il, et que veut-il dire ?
- J'ai une communication importante à faire à M. d'Avrigny.
- Ah ! dit Antoinette en soupirant, et moi aussi.
Ils gravirent silencieusement les marches du perron et introduits par Joseph, entrèrent dans la chambre où les attendait M. d'Avrigny.
Quand ils furent en sa présence, quand le vieillard baisa Antoinette au front et tendit sa main à Amaury, ils le virent si changé encore, si flétri, si méconnaissable, que, malgré eux, ils laissèrent échapper tous deux un mouvement de surprise et échangèrent un regard où leurs secrètes appréhensions se pouvaient lire ; mais autant à cette vue ils se sentirent inquiets et affligés, autant M. d'Avrigny leur parut tranquille.
Ceux qui restaient dans la vie étaient tristes, celui qui allait mourir était joyeux.
- Vous voilà donc, mes chers enfants, dit-il à sa nièce et à son pupille, je vous attendais avec bien de l'impatience ; oui, maintenant je suis heureux de vous revoir, et c'est avec une satisfaction douce et sans mélange que je vous consacre toute cette journée.
Ah ! je vous aime bien, croyez-moi ; car vous êtes tous deux jeunes, bons et beaux.
Mais qu'y a-t-il ? Vos fronts sont un peu soucieux, ce me semble, est-ce parce que vous voyez que votre vieux père s'en va ?
- Oh ! nous vous conserverons longtemps encore ! s'écria Amaury, oubliant qu'il parlait à un homme différent des autres hommes ; mais c'est que, pour ma part, ajouta-t-il, j'ai à vous entretenir de choses graves, et il paraît que, de son côté, Antoinette vient aussi causer sérieusement avec vous.
- Eh bien, me voici, mes bons amis, reprit M. d’Avrigny, quittant son enjouement pour prendre un air d'intérêt et d'attention.
Venez vous asseoir à mes côtés, toi, Antoinette, sur ce fauteuil, toi, Amaury, sur cette chaise.
Mettez à présent vos mains dans les miennes ; nous sommes bien ainsi tous trois, n'est-ce pas ?
Avec ce temps si magnifique, ce ciel si pur, et cette douce tombe de Madeleine vis-à-vis de nous.
Les deux jeunes gens jetèrent en même temps un regard sur le tombeau de Madeleine et parurent prendre dans cette vue un surcroît de résolution ; cependant ils demeurèrent silencieux.
- Eh bien continua M. d'Avrigny, chacun de vous a quelque chose à me dire, je suis à vous, je vous écoute ; parlez la première, Antoinette.
- Mais... balbutia la jeune fille d'un air embarrassé.
- Oui, je comprends, Antoinette, dit Amaury en se levant vivement ; pardon, Antoinette, je me retire.
Antoinette rougit et pâlit successivement, balbutia quelques paroles d'excuses, mais ne chercha point à retenir Amaury, qui salua et sortit de la chambre, accompagné d'un regard affectueux de M. d'Avrigny.
- Eh bien, Antoinette, dit M. d'Avrigny en ramenant son regard d'Amaury à la jeune fille ; eh bien, mon enfant, nous voilà seuls, parle, dis-moi, que veux-tu ?
- Mon bon oncle, dit Antoinette, les yeux baissés et d'une voix tremblante, vous m'avez bien souvent dit que vos plus ardents désirs maintenant étaient de me voir la femme d'un homme que j'estimerais et qui m'aimerait.
J'ai longtemps hésité, longtemps attendu ; mais j'ai éprouvé qu'il est des positions difficiles, où une jeune fille seule se trouve parfois bien embarrassée, et j'ai fait un choix, mon oncle, non pas ambitieux, non pas brillant, qui m'assure an moins que je serai aimée et qui me rendra faciles et consolants mes devoirs de femme ; l'homme que ma raison m'a désigné, cher père, et que vous connaissez bien, continua Antoinette d'une voix de plus en plus tremblante elle jeta les yeux sur le tombeau de Madeleine, et puisant une nouvelle force dans cette vue, c'est M. Philippe Auvray.
Le docteur avait laissé aller Antoinette sans l'arrêter ni l'encourager, seulement son oeil bon et paternel était fixé sur elle, et un bienveillant sourire animait ses lèvres entrouvertes et prêtes à parler.
- M. Auvray ! Ainsi, Antoinette, dit-il après un instant de silence, entre tous les jeunes gens qui t'entourent, c'est M. Philippe Auvray que tu choisis ?
- Oui, mon oncle, murmura Antoinette.
- Mais il me semble, mon enfant, reprit M. d'Avrigny, il me semble que vingt fois tu m'as dit qu'à tes yeux les prétentions de ce jeune homme n'étaient nullement sérieuses, tu te moquais même un peu, si j'ai bonne mémoire, du pauvre amoureux qui perdait sa peine.
- Eh bien, mon oncle, avec votre permission, j'ai changé d'avis ; cet amour constant, quoique sans espoir ; ce dévouement éternel, quoique inférieur, m'a à la fin profondément touchée, et je vous le répète...
Antoinette prononça les derniers mots d'une voix un peu plus faible que la première fois :
- Je suis prête, mon oncle, à devenir sa femme.
- C'est bien, Antoinette, dit M. d'Avrigny, et puisque c'est une résolution prise...
- Oui, mon père, reprit Antoinette en éclatant en sanglots, prise, prise irrévocablement.
- Eh bien, mon enfant, dit M. d'Avrigny, passe dans cette chambre ; il faut qu'à son tour j'entende Amaury, qui dit avoir quelque chose à me confier. Je te rappellerai tout à l'heure, et nous causerons.
Et M. d'Avrigny prit cette jeune et belle tête, toute baignée de larmes, entre ses deux mains, l'approcha lentement de ses lèvres et la baisa au front.

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