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Chapitre CLXXX
Le 21 janvier

M. Edgeworth de Firmont était le confesseur de Madame Elisabeth : il y avait déjà près de six semaines que le roi, prévoyant la condamnation dont il venait d'être frappé, avait demandé à sa soeur des conseils sur le choix du prêtre qui devait l'accompagner à ses derniers moments, et Madame Elisabeth avait, en pleurant, conseillé à son frère de s'arrêter à l'abbé de Firmont.
Ce digne ecclésiastique, Anglais d'origine, avait échappé aux massacres de septembre et s'était retiré à Choisy-le-Roi sous le nom d'Essex ; Madame Elisabeth connaissait sa double adresse et, l'ayant fait prévenir à Choisy, elle espérait qu'au moment de la condamnation, il se trouverait à Paris.
Elle ne se trompait pas.
L'abbé Edgeworth avait, comme nous l'avons dit, accepté la mission avec une joie résignée.
Aussi, le 21 décembre 1792, écrivait-il à un de ses amis d'Angleterre :

« Mon malheureux maître a jeté les yeux sur moi pour le disposer à la mort, si l'iniquité de son peuple va jusqu'à commettre ce parricide. Je me prépare moi-même à mourir, car je suis convaincu que la fureur populaire ne me laissera pas survivre une heure à cette horrible scène ; mais je suis résigné : ma vie n'est rien ; si, en la perdant, je pouvais sauver celui que Dieu a placé pour la ruine et la résurrection de plusieurs, j'en ferais volontiers le sacrifice, et ne serais pas mort en vain. »

Tel était l'homme qui ne devait plus quitter Louis XVI qu'au moment où celui-ci quitterait la terre pour le ciel.
Le roi le fit entrer dans son cabinet, et s'y enferma avec lui.
A huit heures du soir, il sortit de son cabinet, et, s'adressant aux commissaires :
- Messieurs, dit-il, ayez la bonté de me conduire à ma famille.
- Cela ne se peut pas, répondit un des commissaires ; mais on va la faire descendre, si vous le désirez.
- Soit, reprit le roi, pourvu que je puisse la voir dans ma chambre, librement et sans témoins.
- Pas dans votre chambre, observa le même municipal, mais dans la salle à manger ; nous venons d'arrêter cela avec le ministre de la Justice.
- Cependant, dit le roi, vous avez entendu que le décret de la Convention me permet de voir ma famille sans témoins.
- Cela est vrai ; vous serez en particulier : on fermera la porte ; mais par le vitrage, nous aurons les yeux sur vous.
- C'est bien : faites.
Les municipaux sortirent, et le roi passa dans la salle à manger ; Cléry l'y suivit, rangeant la table de côté, poussant les chaises au fond pour donner de l'espace.
- Cléry, dit le roi, apportez un peu d'eau et un verre, au cas où la reine aurait soif.
Il y avait sur la table une de ces carafes d'eau glacée qu'un membre de la Commune avait reprochées au roi : Cléry n'apporta donc qu'un verre.
- Donnez de l'eau ordinaire, Cléry, dit le roi ; si la reine buvait de l'eau glacée, comme elle n'y est pas habituée, cela pourrait lui faire mal... Puis, attendez, Cléry ; invitez en même temps M. de Firmont à ne point sortir de mon cabinet : je craindrais que sa vue ne fit une trop grande impression sur ma famille.
A huit heures et demie, la porte s'ouvrit. La reine venait la première, tenant son fils par la main ; Madame Royale et Madame Elisabeth la suivaient.
Le roi tendit ses bras ; les deux femmes et les deux enfants s'y jetèrent en pleurant.
Cléry sortit et ferma la porte.
Pendant quelques minutes, il se fit un morne silence interrompu seulement par des sanglots ; puis la reine voulut entraîner le roi dans sa chambre.
- Non, dit Louis XVI en la retenant, Je ne puis vous voir qu'ici.
La reine et la famille royale avaient appris, par des colporteurs, la sentence rendue, mais ils ne savaient rien des détails du procès : le roi les leur raconta, excusant les hommes qui l'avaient condamné, et faisant remarquer à la reine que ni Pétion ni Manuel n'avaient voté pour la mort.
La reine écoutait et, chaque fois qu'elle voulait parler, éclatait en sanglots.
Dieu donnait un dédommagement au pauvre prisonnier ; il le faisait, à sa dernière heure, adorer de tout ce qui l'entourait, même de la reine.
Comme on l'a pu voir dans la partie romanesque de cet ouvrage, la reine se laissait facilement entraîner au côté pittoresque de la vie ; elle avait cette vive imagination qui, bien plus que le tempérament, fait les femmes imprudentes ; la reine fut imprudente toute sa vie, imprudente dans ses amitiés, imprudente dans ses amours. Sa captivité la sauva au point de vue moral : elle revint aux pures et saintes affections de la famille, dont les passions de sa jeunesse l'avaient éloignée, et, comme elle ne savait rien faire que passionnément, elle en vint à aimer passionnément dans le malheur ce roi, ce mari dont, aux jours de la félicité, elle n'avait vu que les côtés lourds et vulgaires ; Varennes et le 10 août lui avaient montré Louis XVI comme un homme sans initiative, sans résolution, alourdi, presque lâche ; au Temple, elle commença de s'apercevoir que non seulement la femme avait mal jugé son mari, mais aussi là reine mal jugé le roi ; au Temple, elle le vit calme, patient aux outrages, doux et ferme comme un Christ ; tout ce qu'elle avait des sécheresses mondaines s'amollit, se fondit, et tourna au profit des bons sentiments. De même qu'elle avait trop dédaigné, elle aima trop. « Hélas ! dit le roi à M. de Firmont, faut-il que j'aime tant, et sois si tendrement aimé ! »
Aussi, dans cette dernière entrevue, la reine se laissa-t-elle entraîner à un sentiment qui ressemblait à du remords. Elle avait voulu conduire le roi dans sa chambre pour rester un instant seule avec lui ; lorsqu'elle vit que c'était chose impossible, elle attira le roi dans l'embrasure d'une fenêtre.
Là, sans doute allait-elle tomber à ses pieds, et, au milieu des larmes et des sanglots, lui demander pardon : le roi comprit tout, l'arrêta, et, tirant son testament de sa poche :
- Lisez ceci, ma bien-aimée femme ! dit-il.
Et, du doigt, il lui montrait le paragraphe suivant, que la reine lut à demi voix :

« Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu'elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donnés dans le cours de notre union, comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.»

Marie-Antoinette prit les mains du roi, et les baisa ; il y avait un pardon bien miséricordieux dans cette phrase : comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle ; une délicatesse bien grande dans ces mots : si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.
Ainsi elle mourrait tranquille, la pauvre Madeleine royale ; son amour pour le roi, si tardif qu'il fût, lui valait la miséricorde divine et humaine, et son pardon lui était donné, non pas tout bas, mystérieusement, comme une indulgence dont le roi lui-même avait honte, mais hautement, mais publiquement.
Qui oserait reprocher quelque chose à celle qui allait se présenter à la postérité, doublement couronnée et de l'auréole du martyre et du pardon de son époux ?
Elle sentit cela ; elle comprit qu'à partir de ce moment elle était forte devant l'histoire ; mais elle n'en devint que plus faible en face de celui qu'elle aimait si tard, sentant bien qu'elle ne l'avait point aimé assez. Ce n'étaient plus des paroles qui s'échappaient de la poitrine de la malheureuse femme ; c'étaient des sanglots, c'étaient des cris entrecoupés : elle disait qu'elle voulait mourir avec son mari, et que, si on lui refusait cette grâce, elle se laisserait mourir de faim.
Les municipaux – qui regardaient cette scène de douleur à travers la porte vitrée, – les municipaux n'y purent tenir : ils détournèrent d'abord les yeux ; puis, comme, ne voyant plus, ils entendaient encore les gémissements, ils se laissèrent franchement redevenir hommes, et fondirent en larmes.
Les funèbres adieux durèrent sept quarts d'heure.
Enfin, à dix heures et un quart, le roi se leva le premier, alors, femme, soeur, enfants se suspendirent à lui, comme les fruits après un arbre : le roi et la reine tenaient chacun le dauphin par une main ; Madame Royale, à la gauche de son père, l'embrassait par le milieu du corps ; Madame Elisabeth, du même côté que sa nièce, mais un peu plus en arrière, avait saisi le bras du roi ; la reine – et c'était celle qui avait droit à plus de consolation, car c'était elle la moins pure, – la reine avait le bras passé autour du cou de son mari ; et tout ce groupe douloureux marchait d'un même mouvement, poussant des gémissements, des sanglots, des cris au milieu desquels on n'entendait que ces mots :
- Nous nous reverrons, n'est-ce pas ?
- Oui... oui... soyez tranquilles !
- Demain matin... demain matin, à huit heures ?
- Je vous le promets.
- Mais pourquoi pas à sept heures ? demanda la reine.
- Eh bien, oui, à sept heures, dit le roi ; mais... adieu ! adieu !
Et il prononça cet adieu d'une voix si expressive, que l'on sentit qu'il craignait de voir son courage lui manquer.
Madame Royale n'en put supporter davantage : elle poussa un soupir, et se laissa aller sur le carreau : elle était évanouie.
Madame Elisabeth et Cléry la relevèrent.
Le roi sentit que c'était à lui d'être fort : il s'arracha des bras de la reine et du dauphin, et rentra dans sa chambre en criant :
- Adieu ! adieu !...
Puis il referma la porte derrière lui.
La reine, tout éperdue, alla se coller à cette porte, n'osant demander au roi de la rouvrir, mais pleurant, mais sanglotant, mais frappant le panneau de sa main étendue.
Le roi eut le courage de ne pas sortir.
Les municipaux invitèrent alors la reine à se retirer en lui renouvelant l'assurance déjà reçue qu'elle pourrait voir, le lendemain, son mari à sept heures du matin.
Cléry voulait reporter Madame Royale, toujours évanouie, jusque chez la reine ; mais, à la seconde marche, les municipaux l'arrêtèrent et le forcèrent de rentrer.
Le roi avait rejoint son confesseur dans le cabinet de la tourelle, et se faisait raconter par lui la manière dont il avait été amené au Temple. Ce récit pénétra-t-il dans son esprit, ou les mots confus bourdonnèrent-ils seulement à son oreille, éteints par ses propres pensées ? C'est ce que personne ne peut dire.
En tout cas, voici ce que raconta l'abbé.
Prévenu par M. de Malesherbes, qui lui avait donné rendez-vous chez Mme de Sénozan, que le roi devait avoir recours à lui s'il était condamné à la peine de mort, l'abbé Edgeworth, au risque du danger qu'il courait, était revenu à Paris, et, connaissant la sentence rendue le dimanche matin, attendait rue du Bac.
A quatre heures du soir, un inconnu s'était présenté chez lui, et lui avait remis un billet conçu en ces termes :

« Le conseil exécutif, ayant une affaire de la plus haute importance à communiquer au citoyen Edgeworth de Firmont, l'invite à passer au lieu de ses séances. »

L'inconnu avait ordre d'accompagner le prêtre : une voiture attendait à la porte.
L'abbé descendit et partit avec l'inconnu.
La voiture s'arrêta aux Tuileries.
L'abbé trouva les ministres en conseil ; à son entrée, ils se levèrent.
- Etes-vous l'abbé Edgeworth de Firmont ? demanda Garat.
- Oui, répondit l'abbé.
- Eh bien, Louis Capet, continua le ministre de la Justice, nous ayant témoigné le désir de vous avoir près de lui dans ses derniers moments, nous vous avons mandé pour savoir si vous consentez à lui rendre le service qu'il réclame de vous.
- Puisque le roi m'a désigné, dit le prêtre, c'est mon devoir de lui obéir.
- En ce cas, reprit le ministre, vous allez venir avec moi au Temple ; je m'y rends de ce pas.
Et il emmena l'abbé dans sa voiture.
Nous avons vu comment celui-ci, après avoir rempli les formalités d'usage, était arrivé jusqu'au roi ; comment, ensuite, Louis XVI avait été appelé par sa famille, puis était revenu près de l'abbé Edgeworth, auquel il avait demandé les détails qu'on vient de lire.
Le récit achevé :
- Monsieur, dit le roi, oublions tout maintenant, pour songer à la grande, à l'unique affaire de mon salut.
- Sire, répondit l'abbé, je suis prêt à faire de mon mieux, et j'espère que Dieu suppléera à mon peu de mérite, mais ne trouvez-vous pas que ce vous serait d'abord une grande consolation d'entendre la messe et de communier ?
- Oui, sans doute, dit le roi ; et croyez que je sentirais tout le prix d'une pareille grâce ; mais comment vous exposer à ce point ?
- Cela me regarde, sire, et je tiens à prouver à Votre Majesté que je suis digne de l'honneur qu'elle m'a fait en me choisissant pour son soutien. Que le roi me donne carte blanche, et je réponds de tout.
- Allez donc, monsieur, dit Louis XVI.
Puis, en secouant la tête :
- Allez, répéta-t-il ; mais vous ne réussirez pas.
L'abbé Edgeworth s'inclina et sortit, demandant à être conduit à la salle du conseil.
- Celui qui va mourir demain, dit l'abbé Edgeworth aux commissaires, désire, avant de mourir, entendre la messe et se confesser.
Les municipaux se regardèrent tout étonnés ; il ne leur était pas même venu dans l'idée qu'on pût leur faire une pareille demande.
- Et où diable, dirent-ils, trouver un prêtre et des ornements d'église à cette heure-ci ?
- Le prêtre est tout trouvé, répondit l'abbé Edgeworth, puisque me voici ; quant aux ornements, l'église la plus voisine en fournira ; il ne s'agit que de les envoyer chercher.
Les municipaux hésitaient.
- Mais, dit l'un d'eux, si c'était un piège ?
- Quel piège ? demanda l'abbé.
- Si, sous prétexte de faire communier le roi, vous alliez l'empoisonner ?
L'abbé Edgeworth regarda fixement celui qui venait d'émettre ce doute.
- Ecoutez donc, continua le municipal, l'histoire nous fournit assez d'exemples à cet égard pour nous engager à être circonspects.
- Monsieur, dit l'abbé, j'ai été fouillé si minutieusement en entrant ici, que l'on doit être bien persuadé que je n'y ai point introduit de poison ; si donc j'en ai demain, c'est de vous que je l'aurai reçu, puisque rien ne peut arriver jusqu'à moi sans avoir passé par vos mains.
On convoqua les membres absents, et l'on délibéra.
La demande fut accordée à deux conditions : la première, c'est que l'abbé dresserait une requête qu'il signerait de son nom ; la seconde, que la cérémonie serait terminée le lendemain à sept heures au plus tard, le prisonnier devant, à huit heures précises, être conduits au lieu de son exécution.
L'abbé écrivit sa requête, et la laissa sur le bureau ; puis il fut ramené près du roi, auquel il annonça cette bonne nouvelle que sa demande lui était accordée.
Il était dix heures ; l'abbé Edgeworth resta enfermé avec le roi jusqu'à minuit.
A minuit, le roi dit :
- Monsieur l'abbé, je suis fatigué ; je voudrais dormir : j'ai besoin de forces pour demain.
Puis il appela deux fois :
- Cléry ! Cléry !
Cléry entra, déshabilla le roi, et voulut lui rouler les cheveux ; mais celui-ci, avec un sourire :
- Ce n'est point la peine, dit-il.
Sur quoi, il se coucha ; et, comme Cléry tirait les rideaux du lit :
- Vous m'éveillerez à cinq heures.
A peine la tête sur l'oreiller, le prisonnier s'endormit, tant étaient puissants sur cet homme les besoins matériels.
M. de Firmont se jeta sur le lit de Cléry, qui, lui, passa la nuit sur une chaise.
Cléry dormit d'un sommeil plein de terreurs et de soubresauts ; aussi entendit-il sonner cinq heures.
Il se leva aussitôt, et commença d'allumer le feu.
Au bruit qu'il fit, le roi s'éveilla.
- Eh ! Cléry, demanda-t-il, cinq heures sont-elles donc sonnées ?
- Sire, répondit le valet de chambre, elles le sont à plusieurs horloges, mais pas encore à la pendule.
Et il s'approcha du lit.
- J'ai bien dormi, dit le roi. J'en avais besoin : la journée d'hier m'avait horriblement fatigué ! où est M. de Firmont ?
- Sur mon lit, sire.
- Sur votre lit ! Et où avez-vous passé la nuit, vous ?
- Sur cette chaise.
- J'en suis fâché... vous avez dû être mal.
- Oh ! sire, dit Cléry, pouvais-je penser à moi dans un pareil moment ?
- Ah ! mon pauvre Cléry ! dit le roi.
Et il lui tendit une main que le valet de chambre embrassa en pleurant.
Alors, pour la dernière fois, le fidèle serviteur commença d'habiller le roi ; il avait préparé un habit brun, une culotte de drap gris, des bas de soie gris et une veste piquée en forme de gilet.
Le roi habillé, Cléry le coiffa.
Pendant ce temps, Louis XVI détacha de sa montre un cachet, le mit dans la poche de sa veste, et déposa sa montre sur la cheminée ; puis, ôtant un anneau de son doigt, il le mit dans la même poche où était le cachet.
Au moment où Cléry lui passait son habit, le roi en tira son portefeuille, sa lorgnette, sa tabatière, et les posa sur la cheminée, ainsi que sa bourse. Tous ces préparatifs se faisaient devant les municipaux, qui étaient entrés dans la chambre du condamné dès qu'ils y avaient aperçu de la lumière.
La demie après cinq heures sonna.
- Cléry, dit le roi, éveillez M. de Firmont.
M. de Firmont était éveillé et levé : il entendit l'ordre donné à Cléry, et entra.
Le roi le salua d'un signe, et le pria de le suivre dans son cabinet.
Alors, Cléry se hâta de disposer l'autel ; c'était la commode de la chambre recouverte d'une nappe. Quant aux ornements sacerdotaux, on les avait trouvés, comme l'avait dit l'abbé Edgeworth, dans la première église où l'on s'était adressé ; cette église était celle des Capucins du Marais, près l'hôtel Soubise.
L'autel disposé, Cléry alla prévenir le roi.
- Pourrez-vous servir la messe ? lui demanda Louis.
- Je l'espère, répondit Cléry ; seulement, je ne sais pas par coeur les répons.
Alors, le roi lui donna un livre de messe qu'il ouvrit à l' Introït.
M. de Firmont était déjà dans la chambre de Cléry, où il s'habillait.
En face de l'autel, le valet de chambre avait placé un fauteuil, et mis un grand coussin devant ce fauteuil ; mais le roi le lui fit ôter, et en alla lui- même chercher un plus petit et garni de crin, dont il se servait ordinairement pour dire ses prières.
Dès que le prêtre rentra, les municipaux, qui, sans doute, craignaient d'être souillés par le contact d'un homme d'Eglise, se retirèrent dans l'antichambre.
Il était six heures ; la messe commença. Le roi l'entendit d'un bout à l'autre à genoux, et avec le plus profond recueillement, Après la messe, il communia, et l'abbé Edgeworth, le laissant à ses prières, alla, dans la chambre voisine, se dévêtir des habits sacerdotaux.
Le roi profita de ce moment pour remercier Cléry, et lui faire ses adieux ; puis il rentra dans son cabinet. M. de Firmont l'y rejoignit.
Cléry s'assit sur son lit, et se mit à pleurer.
A sept heures, le roi l'appela.
Cléry accourut.
Louis XVI le conduisit dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit :
- Vous remettrez ce cachet à mon fils, et cet anneau à ma femme... Dites- leur bien que je les quitte avec peine !... Ce petit paquet renferme des cheveux de toute notre famille : vous le remettrez aussi à la reine.
- Mais, demanda Cléry, ne la reverrez-vous pas, sire ?
Le roi hésita un instant, comme si son coeur l'abandonnait pour aller près d'elle ; puis :
- Non, dit-il, décidément, non... J'avais promis, je le sais, de les voir ce matin ; mais je veux leur épargner la douleur d'une séparation si cruelle... Cléry, si vous les revoyez, vous leur direz combien il m'en a coûté de partir sans recevoir leurs derniers embrassements...
A ces mots, il essuya ses larmes.
Puis, avec le plus douloureux accent :
- Cléry, vous leur ferez mes derniers adieux, n'est-ce pas ?
Et il rentra dans son cabinet.
Les municipaux avaient vu le roi remettre à Cléry les différents objets que nous avons dit : un d'eux les réclama ; mais un autre proposa d'en laisser Cléry dépositaire jusqu'à la décision du conseil. Cette proposition prévalut.
Un quart d'heure après, le roi sortit de nouveau de son cabinet.
Cléry se tenait là, à ses ordres.
- Cléry, dit-il, demandez si je puis avoir des ciseaux.
Et il rentra.
- Le roi peut-il avoir des ciseaux ? demanda Cléry aux commissaires.
- Qu'en veut-il faire ?
- Je n'en sais rien ; demandez-le-lui.
Un des municipaux entra dans le cabinet ; il trouva le roi à genoux, devant M. de Firmont
- Vous avez demandé des ciseaux, dit-il ; qu'en voulez-vous faire ?
- C'est pour que Cléry me coupe les cheveux, répondit le roi.
Le municipal descendit à la chambre du conseil.
- On délibéra une demi-heure, et, au bout d'une demi-heure, on refusa les ciseaux.
Le municipal remonta.
- Le conseil a refusé, dit-il.
- Je n'eusse point touché les ciseaux, dit le roi ; et Cléry m'eût coupé les cheveux en votre présence... Voyez encore monsieur je vous prie.
Le municipal redescendit au conseil, exposa de nouveau la demande du roi ; mais le conseil persista dans son refus.
Un municipal, s'approchant alors de Cléry, lui dit :
- Je crois qu'il est temps que tu te disposes à accompagner le roi sur l'échafaud.
- Pourquoi faire, mon Dieu ? demanda Cléry tout tremblant.
- Eh ! non, dit un autre, le bourreau est assez bon pour cela !
Le jour commençait à paraître ; la générale retentissait, battue dans toutes les sections de Paris ; ce mouvement et ce bruit se répercutaient jusque dans la tour, et glaçaient le sang dans les veines de l'abbé de Firmont et de Cléry.
Mais le roi, plus calme qu'eux, prêta un instant l'oreille, et dit sans s'émouvoir :
- C'est probablement la garde nationale que l'on commence à rassembler.
Quelque temps après, les détachements de cavalerie entrèrent dans la cour du Temple ; on entendit le piétinement des chevaux et la voix des officiers.
Le roi écouta de nouveau, et, avec le même calme :
- Il y a apparence qu'ils approchent, dit-il.
De sept à huit heures du matin, on vint, à diverses reprises et sous différents prétextes, frapper à la porte du cabinet du roi, et, à chaque fois, M. Edgeworth tremblait que ce ne fût la dernière ; mais, à chaque fois, Louis XVI se levait sans émotion aucune, allait à la porte, répondait tranquillement aux personnes qui venaient l'interrompre, et retournait s'asseoir près de son confesseur.
M. Edgeworth ne voyait pas les gens qui venaient ainsi, mais il saisissait quelques-unes de leurs paroles. Une fois il entendit un des interrupteurs qui disait au prisonnier :
- Oh ! oh ! tout cela, c'était bon quand vous étiez roi, mais vous ne l'êtes plus !
Le roi revint avec le même visage ; seulement, il dit :
- Voyez comme ces gens-là me traitent, mon père... Mais il faut savoir tout souffrir !
on frappa de nouveau, et de nouveau le roi alla à la porte ; cette fois, il revint en disant :
- Ces gens-là voient des poignards et du poison partout : ils me connaissent bien mal ! Me tuer serait une faiblesse ; on croirait que je ne sais pas mourir.
Enfin, à neuf heures, le bruit augmentant, les portes s'ouvrirent avec fracas ; Santerre entra, accompagné de sept ou huit municipaux et de dix gendarmes qu'il rangea sur deux lignes.
A ce mouvement, sans attendre que l'on frappât à la porte du cabinet, le roi sortit.
- Vous venez me chercher ? dit-il.
- Oui, monsieur.
- Je demande une minute.
Et il rentra en refermant la porte.
- Pour cette fois, tout est fini, mon père, dit-il en se jetant aux genoux de l'abbé de Firmont. Donnez-moi donc votre dernière bénédiction, et priez Dieu qu'il me soutienne jusqu'au bout !
La bénédiction donnée, le roi se releva, et, ouvrant la porte du cabinet, il s'avança vers les municipaux et les gendarmes qui étaient au milieu de la chambre à coucher.
Tous avaient leur chapeau sur la tête.
- Mon chapeau, Cléry, dit le roi.
Cléry, tout en larmes, s'empressa d'obéir.
- Y a-t-il parmi vous, demanda Louis XVI, quelque membre de la Commune ?... Vous, je crois ?
Et il s'adressait, en effet, à un municipal nommé Jacques Roux, prêtre assermenté.
- Que me voulez-vous ? dit celui-ci.
Le roi tira son testament de sa poche.
- Je vous prie de remettre ce papier à la reine... à ma femme.
- Nous ne sommes pas venus ici pour prendre tes commissions, répondit Jacques Roux, mais pour te conduire à l'échafaud.
Le roi reçut l'injure avec la même humilité qu'eût fait le Christ, et avec la même douceur que l'homme-Dieu, se tournant vers un autre municipal nommé Gobeau :
- Et vous, monsieur, demanda-t-il, me refuserez-vous aussi ?
Et, comme Gobeau paraissait hésiter :
- Oh ! dit le roi, c'est mon testament ; vous pouvez en prendre lecture ; il y a même des dispositions que je désire que connaisse la Commune.
Le municipal prit le papier.
Alors, voyant Cléry qui – craignant, comme le valet de chambre de Charles Ier, que son maître ne tremblât de froid, et qu'on ne crût que c'était de peur – voyant, disons-nous, Cléry qui lui présentait non seulement le chapeau qu'il avait demandé, mais encore sa redingote :
- Non, Cléry, dit-il ; donnez-moi seulement mon chapeau.
Cléry lui donna le chapeau, et Louis XVI profita de cette occasion pour serrer une dernière fois la main de son fidèle serviteur.
Puis, de ce ton de commandement qu'il avait si rarement pris dans sa vie :
- Partons, messieurs ! dit-il.
Ce furent les dernières paroles qu'il prononça dans son appartement.
Sur l'escalier, il rencontra le concierge de la tour, Mathey, que, la surveille, il avait trouvé assis devant son feu, et qu'il avait, d'une voix assez brusque, prié de lui céder sa place :
- Mathey, dit-il, j'ai été, avant-hier, un peu vif avec vous : ne m'en veuillez pas !
Mathey lui tourna le dos sans répondre.
Le roi traversa la première cour à pied, et, en traversant cette cour, se retourna deux ou trois fois pour dire adieu à son seul amour à sa femme ; à sa seule amitié, à sa soeur ; à sa seule joie, à ses enfants.
A l'entrée de la seconde cour se trouvait une voiture de place peinte en vert ; deux gendarmes en tenaient la portière ouverte : à l'approche du condamné, un d'eux y entra d'abord, et se mit sur la banquette de devant ; le roi y monta ensuite, et fit signe à M. Edgeworth de s'asseoir à côté de lui, dans le fond ; l'autre gendarme y prit place le dernier, et ferma la portière.
Deux bruits coururent alors : le premier, c'est que l'un de ces deux gendarmes était un prêtre déguisé ; le second, c'est que tous deux avaient reçu l'ordre d'assassiner le roi à la moindre tentative qui serait faite pour l'enlever. Ni l'une ni l'autre de ces deux assertions ne reposait sur une base solide.
A neuf heures et un quart, le cortège se mit en marche...
Un mot encore sur la reine, sur Madame Elisabeth et sur les deux enfants, que le roi avait, en partant, salués d'un dernier regard.
La veille au soir, après l'entrevue douce et terrible à la fois, la reine avait à peine eu la force de déshabiller et de coucher le dauphin : elle s'était, toute vêtue, jetée sur son lit ; et, pendant cette longue nuit d'hiver, Madame Elisabeth et Madame Royale l'avaient entendue grelotter de froid et de douleur.
A six heures et un quart la porte du premier s'était ouverte, et l'on était venu chercher un livre de messe.
Dès ce moment, toute la famille s'était préparée, croyant, d'après la promesse faite la veille par le roi, qu'elle allait descendre ; mais le temps se passa : la reine et la princesse, toujours debout, entendirent les différents bruits qui avaient laissé le roi calme, et fait tressaillir le valet de chambre et le confesseur ; elles entendirent le bruit des portes qu'on ouvrait et qu'on refermait ; elles entendirent les cris de la populace qui accueillaient la sortie du roi, elles entendirent, enfin, le bruit décroissant des chevaux et des canons.
La reine alors tomba sur une chaise en murmurant :
- Il est parti sans nous dire adieu !
Madame Elisabeth et Madame Royale s'agenouillèrent devant elle.
Ainsi toutes les espérances s'étaient envolées une à une ; d'abord, on avait espéré le bannissement ou la prison, et cette espérance s'était évanouie ; ensuite un sursis, et cette espérance s'était évanouie ; enfin, on n'espérait plus que dans quelque coup de main tenté sur la route, et cette espérance allait s'évanouir encore !
- Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! criait la reine
Et, dans ce dernier appel du désespoir à la Divinité, la pauvre femme épuisait ce qui lui restait de force...
La voiture roulait pendant ce temps, et gagnait le boulevard.
Les rues étaient à peu près désertes, les boutiques à moitié fermées ; personne aux portes, personne aux fenêtres.
Un arrêté de la Commune défendait à tout citoyen ne faisant point partie de la milice armée de traverser les rues qui débouchaient sur le boulevard, ou de se montrer aux fenêtres sur le passage du cortège.
Un ciel bas et brumeux ne laissait voir, au reste, qu'une forêt de piques au milieu desquelles brillaient quelques rares baïonnettes ; en avant de la voiture marchaient les cavaliers, et, en avant des cavaliers, une multitude de tambours.
Le roi eût voulu s'entretenir avec son confesseur, mais il ne le pouvait, à cause du bruit. L'abbé de Firmont lui prêta son bréviaire : il lut.
A la porte Saint-Denis, il leva la tête, croyant entendre des clameurs particulières.
En effet, une dizaine de jeunes gens, se précipitant par la rue Beauregard, fendirent la foule, le sabre à la main, en criant :
- A nous, ceux qui veulent sauver le roi !
Trois mille conjurés devaient répondre à cet appel fait par le baron de Batz, aventurier conspirateur ; il donna bravement le signal, mais, sur trois mille conjurés, quelques-uns seulement répondirent. Le baron de Batz et ces huit ou dix enfants perdus de la royauté, voyant qu'il n'y avait rien à faire, profitèrent de la confusion causée par leur tentative, et se perdirent dans le réseau de rues qui avoisine la porte Saint-Denis.
C'était cet incident qui avait distrait le roi de ses prières, mais il eut si peu d'importance, que la voiture ne s'arrêta même pas. Quand elle s'arrêta, au bout de deux heures dix minutes, elle était parvenue au terme de sa course.
Dès que le roi sentit que le mouvement avait cessé, il se pencha vers l'oreille du prêtre, et dit :
- Nous voici arrivés, monsieur, si je ne me trompe.
M. de Firmont garda le silence.
Au même moment un des trois frères Samson, bourreaux de Paris, vint ouvrir la portière.
Alors, le roi, posant la main sur le genou de l'abbé de Firmont :
- Messieurs, dit-il d'un ton de maître, je vous recommande monsieur que voilà... Ayez soin qu'après ma mort, il ne lui soit fait aucune injure ; c'est vous que je charge d'y veiller.
Pendant ce temps, les deux autres bourreaux s'étaient approchés.
- Oui, oui, répondit l'un d'eux, nous en aurons soin ; laissez-nous faire.
Louis descendit.
Les valets de bourreau l'entourèrent et voulurent lui enlever son habit ; mais lui les repoussa dédaigneusement, et commença de se déshabiller seul.
Un instant le roi resta isolé dans le cercle qu'il s'était fait, jetant son chapeau à terre, ôtant son habit, dénouant sa cravate ; mais alors les bourreaux se rapprochèrent de lui.
L'un d'eux tenait une corde à la main.
- Que voulez-vous ? demanda le roi.
- Vous lier, répondit le bourreau qui tenait la corde.
- Oh ! pour cela, s'écria le roi, je n'y consentirai jamais ; renoncez-y... Faites ce qui vous est commandé ; mais vous ne me lierez pas ! Non, non, jamais !
Les exécuteurs élevèrent la voix ; une lutte corps à corps allait aux yeux du monde, ôter à la victime le mérite de six mois de calme, de courage et de résignation, lorsqu'un des trois frères Samson ému de pitié, mais cependant condamné à exécuter la terrible tâche, s'approcha, et, d'un ton respectueux :
- Sire, dit-il, avec ce mouchoir...
Le roi regarda son confesseur.
Celui-ci fit un effort pour parler.
- Sire, dit l'abbé de Firmont, ce sera une ressemblance de plus entre Votre Majesté et le Dieu qui va être votre récompense !
Le roi leva les yeux au ciel avec une suprême expression de douleur.
- Assurément, dit-il, il ne faut pas moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront !
Et, se retournant vers les bourreaux en leur tendant ses mains résignées :
- Faites ce que vous voudrez, ajouta-t-il ; je boirai le calice jusqu'à la lie.
Les marches de l'échafaud étaient hautes et glissantes ; il les monta, soutenu par le prêtre. Un instant celui-ci, sentant le poids dont il pesait sur son bras, craignit quelque faiblesse dans ce dernier moment ; mais, arrivé à la dernière marche, le roi s'échappa, pour ainsi dire, des mains de son confesseur, comme l'âme allait s'échapper de son corps, et courut à l'autre bout de la plate-forme.
Il était fort rouge, et n'avait jamais paru si vivant ni si animé.
Les tambours battaient ; il leur imposa silence du regard.
Alors, d'une voix forte, il prononça les paroles suivantes :
- Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute ; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France !...
- Battez, tambours ! dit une voix que l'on crut longtemps avoir été celle de Santerre, et qui était celle de M. de Beaufranchet, comte d'Ayat, fils bâtard de Louis XV et de la courtisane Morphise. C'était l'oncle naturel du condamné.
Les tambours battirent.
Le roi frappa du pied.
- Taisez-vous ! cria-t-il avec un accent terrible ; j'ai encore à parler.
Mais les tambours continuèrent leur roulement.
- Faites votre devoir, hurlaient les hommes à pique qui entouraient l'échafaud, s'adressant aux exécuteurs.
Ceux-ci se jetèrent sur le roi, qui revint à pas lents vers le couperet, jetant un regard sur ce fer taillé en biseau dont, un an auparavant, lui-même avait donné le dessin.
Puis son regard se reporta sur le prêtre, qui priait à genoux au bord de l'échafaud.
Il se fit un mouvement confus derrière les deux poteaux de la guillotine : la bascule chavira, la tête du condamné parut à la sinistre lucarne, un éclair brilla, un coup mat retentit, et l'on ne vit plus qu'un large jet de sang.
Alors, un des exécuteurs, ramassant la tête, la montra au peuple, en aspergeant les bords de l'échafaud du sang royal.
A cette vue, les hommes à pique hurlèrent de joie, et, se précipitant, trempèrent dans ce sang, les uns leurs piques, les autres leurs sabres, leurs mouchoirs, ceux qui en avaient, puis ils poussèrent le cri de : « Vive la République ! »
Mais, pour la première fois, ce grand cri, qui avait fait tressaillir de joie les peuples, s'éteignit sans écho. La République avait au front une de ces taches fatales qui ne s'effacent jamais ! Elle venait, comme l'a dit plus tard un grand diplomate, de commettre bien plus qu'un crime : elle venait de commettre une faute.
Il y eut dans Paris un immense sentiment de stupeur ; chez quelques-uns la stupeur alla jusqu'au désespoir : une femme se jeta à la Seine ; un perruquier se coupa la gorge ; un libraire devint fou ; un ancien officier mourut de saisissement.
Enfin, à l'ouverture de la séance de la Convention, une lettre fut ouverte par le président ; cette lettre était d'un homme qui demandait que le corps de Louis XVI lui fût remis, pour qu'il l'enterrât près de son père.
Restaient ce corps et cette tête séparés l'un de l'autre ; voyons ce qu'ils devinrent.
Nous ne connaissons pas de récit plus terrible que le texte même du procès verbal d'inhumation ; le voici tel qu'il fut dressé le jour même :

          Procès-verbal de l'inhumation de Louis Capet
.

« Le 21 janvier 1793, l'an II de la République française, nous soussignés administrateurs du Département de Paris, chargés de pouvoir par le conseil général du Département en vertu des arrêtés du conseil exécutif provisoire de la République française, nous sommes transportés, à neuf heures du matin, en la demeure du citoyen Ricave, curé de Sainte-Madeleine, lequel ayant trouvé chez lui ; nous lui avons demandé s'il avait pourvu à l'exécution des mesures qui lui avaient été recommandées la veille par le conseil exécutif et par le Département pour l'inhumation de Louis Capet. Il nous a répondu qu'il avait exécuté de point en point ce qui lui avait été ordonné par le conseil exécutif et par le Département et que tout était à l'instant préparé.
« De là, accompagnés des citoyens Renard et Damoreau, tous deux vicaires de la paroisse Sainte-Madeleine, chargés par le citoyen curé de procéder à l'inhumation de Louis Capet, nous nous sommes rendus au lieu du cimetière de ladite paroisse,situé rue d'Anjou-Saint-Honoré où étant, nous avons reconnu l'exécution des ordres par nous signifiés la veille au citoyen curé, en vertu de la commission que nous en avions reçue du conseil général du département.
« Peu après a été déposé dans le cimetière, en notre présence, par un détachement de gendarmerie à pied, le cadavre de Louis Capet, que nous avons reconnu entier dans tous ses membres, la tête étant séparée du tronc ; nous avons remarqué que les cheveux du derrière de la tête étaient coupés, et que le cadavre était sans cravate, sans habit et sans souliers. Du reste, il était vêtu d'une chemise, d'une veste piquée en forme de gilet, d'une culotte de drap gris, d'une paire de bas de soie gris.
« Ainsi vêtu, il a été placé dans une bière, laquelle a été descendue dans la fosse. qui a été recouverte à l'instant. Et le tout a été disposé et exécuté d'une manière conforme aux ordres donnés par le conseil exécutif provisoire de la République française. Et avons signé avec les citoyens Ricave, Renard et Damoreau, curé et vicaires de Sainte-Madeleine.

                    Leblanc, administrateur du département ;
                    Dubois, administrateur du département ;
                    Damoreau, Ricave, Renard »

Ainsi, le 21 janvier 1793, mourut et fut inhumé le roi Louis XVI.
Il était âgé de trente-neuf ans cinq mois et trois jours ; il avait régné dix-huit ans ; il était resté prisonnier cinq mois et huit jours.
Son dernier souhait ne fut point accompli, et son sang est retombé non seulement sur la France, mais encore sur l'Europe tout entière !

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