Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXXIV
Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan je suis

La reine paraissait attendre impatiemment ; aussi, dès qu'elle aperçut les joailliers :

– Ah ! voici monsieur Bossange, dit-elle vivement ; vous avez pris du renfort, Bœhmer, tant mieux.

Bœhmer n'avait rien à dire ; il pensait beaucoup. Ce qu'on a de mieux à faire en pareil cas, c'est de procéder par le geste ; Bœhmer se jeta aux pieds de Marie-Antoinette.

Le geste était expressif.

Bossange l'imita comme son associé.

– Messieurs, dit la reine, je suis calme à présent, et je ne m'irriterai plus. Il m'est venu d'ailleurs une idée qui modifie mes sentiments à votre égard. Nul doute qu'en cette affaire nous ne soyons, vous et moi, dupes de quelque petit mystère... qui n'est plus un mystère pour moi.

– Ah ! madame ! s'écria Bœhmer enthousiasmé par ces paroles de la reine, vous ne me soupçonnez donc plus... d'avoir fait... Oh ! le vilain mot à prononcer que celui de faussaire !

– Il est aussi dur pour moi de l'entendre, je vous prie de le croire, que pour vous de le prononcer, dit la reine. Je ne vous soupçonne plus, non.

– Votre Majesté soupçonne-t-elle quelqu'un alors ?

– Répondez à mes questions. Vous dites que vous n'avez plus les diamants ?

– Nous ne les avons plus, répondirent ensemble les deux joailliers.

– Peu vous importe de savoir à qui je les avais remis pour vous, cela me regarde. Est-ce que vous n'avez pas vu... madame la comtesse de La Motte ?

– Pardonnez, madame, nous l'avons vue...

– Et elle ne vous a rien donné... de ma part ?

– Non, madame. Madame la comtesse nous a dit seulement : Attendez.

– Mais cette lettre de moi, qui l'a remise ?

– Cette lettre ? répliqua Bœhmer ; celle que Votre Majesté a eue dans les mains, celle-ci, c'est un messager inconnu qui l'a apportée chez nous pendant la nuit.

Et il montrait la fausse lettre.

– Ah ! ah ! fit la reine, bien ; vous voyez qu'elle ne vient pas directement de moi.

Elle sonna, un valet de pied parut...

– Qu'on fasse mander madame la comtesse de La Motte, dit tranquillement la reine. Et, continua-t-elle avec le même calme, vous n'avez vu personne, vous n'avez pas vu monsieur de Rohan ?

– Monsieur de Rohan, si fait, madame, il est venu nous rendre visite et s'informer...

– Très bien ! répliqua la reine ; n'allons pas plus loin ; du moment que monsieur le cardinal de Rohan se trouve encore mêlé à cette affaire, vous auriez tort de vous désespérer. Je devine : madame de La Motte, en vous disant ce mot : Attendez, aura voulu... Non, je ne devine rien et je ne veux rien deviner... Allez seulement trouver monsieur le cardinal, et lui racontez ce que vous venez de me dire ; ne perdez pas de temps, et ajoutez que je sais tout.

Les joailliers, ranimés par cette petite flamme d'espérance, échangèrent entre eux un regard moins effrayé.

Bossange seul, qui voulait placer son mot, se hasarda bien bas à dire :

– Que, cependant, la reine avait entre les mains un faux reçu, et qu'un faux est un crime.

Marie-Antoinette fronça le sourcil.

– Il est vrai, dit-elle, que si vous n'avez pas reçu le collier, cet écrit constitue un faux. Mais pour constater le faux, il est indispensable que je vous confronte avec la personne que j'ai chargée de vous remettre les diamants.

– Quand Votre Majesté voudra, s'écria Bossange ; nous ne craignons pas la lumière, nous autres honnêtes marchands.

– Alors, allez chercher la lumière auprès de monsieur le cardinal, lui seul peut nous éclairer dans tout ceci.

– Et Votre Majesté nous permettra de lui rapporter la réponse ? demanda Bœhmer.

– Je serai instruite avant vous, dit la reine, c'est moi qui vous tirerai d'embarras. Allez.

Elle les congédia, et lorsqu'ils furent partis, se livrant à toute son inquiétude, elle envoya courrier sur courrier à madame de La Motte.

Nous ne la suivrons pas dans ses recherches et dans ses soupçons, nous l'abandonnerons, au contraire, pour mieux courir avec les joailliers au-devant de cette vérité si désirée.

Le cardinal était chez lui, lisant avec une rage impossible à décrire une petite lettre que madame de La Motte venait de lui envoyer, disait-elle, de Versailles. La lettre était dure, elle ôtait tout espoir au cardinal ; elle le sommait de ne plus songer à rien ; elle lui interdisait de reparaître familièrement à Versailles ; elle faisait appel à sa loyauté, pour ne pas renouer des relations devenues impossibles.

En relisant ces mots, le prince bondissait ; il épelait les caractères un à un ; il semblait demander compte au papier des duretés dont le chargeait une main cruelle.

– Coquette, capricieuse, perfide, s'écriait-il dans son désespoir ; oh ! je me vengerai.

Il accumulait alors toutes les pauvretés qui soulagent les cœurs faibles dans leurs douleurs d'amour, mais qui ne les guérissent pas de l'amour lui-même.

– Voilà, disait-il, quatre lettres qu'elle m'écrit, toutes plus injustes, toutes plus tyranniques les unes que les autres. Elle m'a pris par caprice, moi ! C'est une humiliation qu'à peine je lui pardonnerais, si elle ne me sacrifiait à un caprice nouveau.

Et le malheureux abusé relisait avec la ferveur de l'espoir toutes les lettres, étayées dans leur rigueur avec un art de proportion impitoyable.

La dernière était un chef-d'œuvre de barbarie, le cœur du pauvre cardinal en était percé à jour, et cependant il aimait à un point tel que, par esprit de contradiction, il se délectait à lire, à relire ces froides duretés rapportées de Versailles, selon madame de La Motte.

C'est à ce moment que les joailliers se présentèrent à son hôtel.

Il fut bien surpris de voir leur insistance à forcer la consigne. Il chassa trois fois son valet de chambre qui revint une quatrième fois à la charge, en disant que Bœhmer et Bossange avaient déclaré ne vouloir se retirer que s'ils y étaient contraints par la force.

– Que veut dire ceci ? pensa le cardinal. Faites-les entrer.

Ils entrèrent. Leurs visages bouleversés témoignaient du rude combat qu'ils avaient eu à soutenir moralement et physiquement. S'ils étaient demeurés vainqueurs dans l'un de ces combats, les malheureux avaient été battus dans l'autre. Jamais cerveaux plus détraqués n'avaient été appelés à fonctionner devant un prince de l'église.

– Et d'abord, cria le cardinal en les voyant, qu'est-ce que cette brutalité, messieurs les joailliers, est-ce qu'on vous doit quelque chose ici ?

Le ton de ce début glaça de frayeur les deux associés.

– Est-ce que les scènes de là-bas vont recommencer ? dit Bœhmer du coin de l'œil à son associé.

– Oh ! non pas, non pas, répondit ce dernier en assujettissant sa perruque par un mouvement très belliqueux, quant à moi, je suis décidé à tous les assauts.

Et il fit un pas presque menaçant, pendant que Bœhmer, plus prudent, restait en arrière.

Le cardinal les crut fous et le leur dit nettement.

– Monseigneur, fit le désespéré Bœhmer en hachant chaque syllabe avec un soupir, justice, miséricorde ! épargnez-nous la rage, et ne nous forcez pas à manquer de respect au plus grand, au plus illustre prince.

– Messieurs, ou vous n'êtes pas fous, et alors on vous jettera par les fenêtres, dit le cardinal, ou vous êtes fous, et alors on vous mettra tout simplement à la porte. Faites votre choix.

– Monseigneur, nous ne sommes pas fous, nous sommes volés !

– Qu'est-ce que cela me fait à moi, reprit monsieur de Rohan ; je ne suis pas lieutenant de police.

– Mais vous avez eu le collier entre les mains, monseigneur, dit Bœhmer en sanglotant ; vous irez déposer en justice, monseigneur, vous irez...

– J'ai eu le collier ? dit le prince... C'est donc ce collier qui a été volé !

– Oui, monseigneur.

– En bien ! que dit la reine ? s'écria le cardinal, en faisant un mouvement d'intérêt.

– La reine nous a envoyés à vous, monseigneur.

– C'est bien aimable à Sa Majesté. Mais que puis-je faire à cela, mes pauvres gens ?

– Vous pouvez tout, monseigneur ; vous pouvez dire ce qu'on en a fait.

– Moi ?

– Sans doute.

– Mon cher monsieur Bœhmer, vous pourriez me tenir un pareil langage si j'étais de la bande des voleurs qui ont pris le collier à la reine.

– Ce n'est pas à la reine que le collier a été pris.

– à qui donc ? mon Dieu !

– La reine nie l'avoir eu en sa possession.

– Comment, elle nie ! fit le cardinal avec hésitation ; puisque vous avez un reçu d'elle.

– La reine dit que le reçu est faux.

– Allons donc ! s'écria le cardinal, vous perdez la tête, messieurs.

– Est-ce vrai ? dit Bœhmer à Bossange, qui répondit par un triple assentiment.

– La reine a nié, dit le cardinal, parce qu'il y avait quelqu'un chez elle quand vous lui parlâtes.

– Personne, monseigneur ; mais ce n'est pas tout.

– Quoi donc encore ?

– Non seulement la reine a nié, non seulement elle a prétendu que la reconnaissance est fausse ; mais elle nous a montré un reçu de nous prouvant que nous avons repris le collier.

– Un reçu de vous, dit le cardinal. Et ce reçu...

– Est faux, comme l'autre, monsieur le cardinal, vous le savez bien.

– Faux... Deux faux... Et vous dites que je le sais bien ?

– Assurément, puisque vous êtes venu pour nous confirmer dans ce que nous avait dit madame de La Motte ; car vous, vous saviez bien que nous avions bien vendu le collier, et qu'il était aux mains de la reine.

– Voyons, dit le cardinal en passant une main sur son front, voici des choses bien graves, ce me semble. Entendons-nous un peu. Voici mes opérations avec vous.

– Oui, monseigneur.

– D'abord achat fait par moi pour le compte de Sa Majesté d'un collier sur lequel je vous ai payé deux cent cinquante mille livres.

– C'est vrai, monseigneur.

– Ensuite, vente souscrite directement par la reine, vous me l'avez dit, du moins, aux termes fixés par elle et sur la responsabilité de sa signature ?

– De sa signature... Vous dites que c'est la signature de la reine, n'est-ce pas, monseigneur ?

– Montrez-la-moi.

– La voici.

Les joailliers tirèrent la lettre de leur portefeuille. Le cardinal y jeta les yeux.

– Eh mais ! s'écria-t-il, vous êtes des enfants... Marie-Antoinette de France... Est-ce que la reine n'est pas une fille de la maison d'Autriche ? Vous êtes volés : l'écriture et la signature, tout est faux !

– Mais alors, s'écrièrent les joailliers au comble de l'exaspération, madame de La Motte doit connaître le faussaire et le voleur ?

La vérité de cette assertion frappa le cardinal.

– Appelons madame de La Motte, dit-il fort troublé.

Et il sonna comme avait fait la reine.

Ses gens s'élancèrent à la poursuite de Jeanne, dont le carrosse ne pouvait encore être très loin.

Cependant Bœhmer et Bossange se blottissant comme des lièvres au gîte, dans les promesses de la reine, répétaient :

– Où est le collier ? Où est le collier ?

– Vous allez me faire devenir sourd, dit le cardinal avec humeur. Le sais-je moi, où est votre collier ? Je l'ai remis moi-même à la reine, voilà tout ce que je sais.

_ Le collier ! si nous n'avons pas l'argent ; le collier ! répétaient les deux marchands.

– Messieurs, cela ne me regarde pas, répéta le cardinal hors de lui, et prêt à jeter ces deux créanciers à la porte.

– Madame de La Motte ! madame la comtesse ! crièrent Bœhmer et Bossange, enroués à force de désespoir, c'est elle qui nous a perdus.

– Madame de La Motte est d'une probité que je vous défends de suspecter, sous peine d'être roués dans mon hôtel.

– Enfin, il y a un coupable, dit Bœhmer d'un ton lamentable, ces deux faux ont été faits par quelqu'un ?

– Est-ce par moi ? dit monsieur de Rohan avec hauteur.

– Monseigneur, nous ne voulons pas le dire, certes.

– Eh bien, alors ?

– Enfin, monseigneur, une explication, au nom du ciel.

– Attendez que j'en aie une moi-même.

– Mais, monseigneur, que répondre à la reine, car Sa Majesté crie aussi bien haut contre vous.

– Et que dit-elle ?

– Elle dit que c'est vous ou madame de La Motte qui avez le collier, non pas elle.

– Eh bien ! fit le cardinal, pâle de honte et de colère, allez dire à la reine que... Non, ne lui dites rien. Assez de scandale comme cela. Mais demain... demain, entendez-vous, j'officie à la chapelle de Versailles ; venez, vous me verrez m'approcher de la reine, lui parler, lui demander si elle n'a pas le collier en sa possession, et vous entendrez ce qu'elle répondra ; si, en face de moi, elle nie... alors, messieurs, je suis Rohan, je paierai !

Et sur ces mots prononcés avec une grandeur dont la simple prose ne peut donner une idée, le prince congédia les deux associés qui partirent à reculons en se touchant le coude.

– à demain donc, balbutia Bœhmer, n'est-ce pas, monseigneur ?

– à demain, onze heures du matin, à la chapelle de Versailles, répondit le cardinal.

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