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Chapitre LXX


Comment j'obtiens une recommandation auprès du général Foy. – M. Danré de Vouty décide ma mère à me laisser partir pour Paris. – Mes adieux. – Laffitte et Perregaux. – Les trois choses que maître Mennesson m'invite à ne point oublier. – Conseils de l'abbé Grégoire et dissertation avec lui. – Je quitte Villers-Cotterêts.

Un matin, je dis à ma mère :
- As-tu quelque chose à faire dire à M. Danré ? Je vais à Vouty.
- Que vas-tu faire chez M. Danré ?
- Lui demander une lettre pour le général Foy.
Ma mère leva les yeux au ciel ; elle se demandait d'où me venaient toutes ces pensées qui concouraient à un même but.
M. Danré était cet ancien ami de mon père, qui, ayant eu la main gauche mutilée à la chasse, s'était fait conduire chez nous. Là, on se le rappelle, l'ablation du pouce lui avait été très habilement faite par le docteur Lécosse, et, comme ma mère avait eu les plus grands soins de lui pendant toute la durée de la maladie produite par cet accident, il nous portait dans son coeur, ma mère, ma soeur et moi.
C'était donc toujours avec un grand plaisir qu'il me voyait arriver, soit comme messager de maître Mennesson, son notaire, quand j'étais chez maître Mennesson, soit pour mon propre compte.
Cette fois, c'était pour mon propre compte.
Je lui exposai le motif de ma visite.
Lorsque le général Foy s'était mis sur les rangs pour la députation, les électeurs ne voulaient pas le nommer ; mais M. Danré soutenu sa candidature, et, grâce à l'influence de M. Danré dans la département, le général Foy avait été élu. On sait l'ascendant que l'illustre patriote avait pris à la Chambre.
Le général Foy n'était pas un orateur éloquent ; c'était bien mieux que cela : c'était un coeur ardent, prêt à se mouvoir au souffle de toutes les nobles passions. Pas une haute question n'a passé devant lui, pendant tout le temps qu'il est resté à la Chambre, qu'il n'ait soutenu cette question, si elle était honorable, qu'il ne l'ait combattue, si elle était douteuse ; il avait, à la tribune, des mots terribles, des ripostes de duel, des coups droits, presque toujours mortels à ses adversaires. Au reste, comme tous les hommes de coeur, il usa sa vie à cette lutte, la plus incessante et la plus acharnée de toutes : elle le tua en l'immortalisant.
Le général Foy, en 1823, était à l'apogée de la popularité, et, de ce faîte où il était parvenu, il donnait de temps en temps à M. Danré des signes de vie, lesquels prouvaient à l'humble fermier, qui, comme Philoctète, avait fait des souverains, mais n'avait pas voulu l'être, qu'il lui avait gardé une vive et reconnaissante amitié.
M. Danré ne répugna donc aucunement à me donner la lettre que je lui demandais : elle était des plus pressantes.
Puis, la lettre écrite, signée, cachetée, M. Danré s'informa de mes ressources pécuniaires. Je les lui mis sous les yeux, ainsi que les moyens ingénieux à l'aide desquels j'étais arrivé à ce résultat.
- Ma foi, dit-il, j'avais bien envie de t'offrir ma bourse ; mais en vérité, ce serait gâter l'ensemble de tes opérations. On n'arrive pas où tu es pour échouer ; tu dois réussir avec tes cinquante francs, et je ne veux pas t'ôter le mérite de tout devoir à toi seul. Va donc en paix et avec courage ! Si tu as absolument besoin de mes services, écris-moi de Paris.
- Ainsi vous avez bon espoir ? dis-je à M. Danré.
- Excellent !
- Venez-vous jeudi à Villers-Cotterêts ?
Le jeudi était le jour du marché.
- Oui ; pourquoi cela ?
- Parce que je vous prierais, en ce cas, de faire partager cet espoir à ma mère ; elle a une grande croyance en vous, et, comme chacun s'acharne à lui dire que je ne ferai jamais rien...
- Le fait est que tu n'as pas fait grand-chose, jusqu'à présent !
- Parce qu'on a voulu me pousser dans une voie qui n'était pas la mienne, cher monsieur Danré ; mais vous verrez que, lorsqu'on me laissera faire librement ce à quoi je suis destiné, vous verrez que je deviendrai un grand travailleur.
- Prends garde ! je m'y engagerai en ton nom vis-à-vis de ta mère.
- Vous le pouvez, je vous en réponds !
Le surlendemain, comme il était convenu, M. Danré vint à Villers-Cotterêts, et vit ma mère. Je guettai son entrée ; je laissai engager la conversation, et j'entrai à mon tour.
Ma mère pleurait, mais paraissait décidée.
En m'apercevant, elle me tendit la main.
- Tu es donc résolu à me quitter ? dit-elle.
- Il le faut, ma mère ; d'ailleurs, sois tranquille, si nous nous quittons cette fois-ci, ce ne sera pas pour longtemps.
- Oui, parce que tu échoueras, et que tu reviendras à Villers-Cotterêts.
- Non, ma mère, non ; mais parce que je réussirai au contraire, et que tu viendras à Paris.
- Et quand veux-tu partir ?
- Ecoute, bonne mère, quand une grande résolution est prise, le plus tôt qu'on l'accomplit est le mieux... Demande à M. Danré.
- Oui, demande à Lazarille. Je ne sais pas ce que tu as fait à M. Danré, mais le fait est...
- Parce que M. Danré est un esprit juste, ma mère, qu'il sait que chaque chose, pour acquérir de la valeur, doit se mouvoir dans le milieu qui lui est destiné. Je ferais un mauvais notaire, un mauvais avoué, un mauvais huissier. Je ferais un exécrable percepteur ! Tu sais bien que trois maîtres d'école se sont usés à me faire aller au-delà de la multiplication, et n'ont pas pu y réussir. Eh bien, je crois que je ferai quelque chose de mieux.
- Quoi, malheureux ?
- Ma mère, je te jure que je n'en sais rien ; mais tu sais ce que nous a prédit cette diseuse de bonne aventure que tu interrogeais sur moi ?
Ma mère poussa un soupir.
- Qu'a-t-elle prédit ? demanda M. Danré.
- Elle a dit, repris-je, elle a dit : « Je ne puis pas vous dire ce que sera votre fils, madame ; seulement, je le vois, à travers des nuages et des éclairs, comme un voyageur qui traverse de hautes montagnes, arriver à une position où peu d'hommes arrivent. Je me dirai pas qu'il commande aux peuples, mais je vois qu'il leur parle ; votre fils appartient, sans que je puisse rien indiquer de précis sur sa destinée, à cette classe d'hommes que nous appelons les Dominateurs. – Alors, mon fils sera roi, dit en riant ma mère. – Non pas, mais quelque chose de pareil, quelque chose de plus enviable peut- être : tous les rois n'ont pas une couronne sur la tête, et un sceptre à la main. – Tant mieux ! dit ma mère ; je n'ai jamais envié le sort de madame Bonaparte. » J'avais cinq ans, monsieur Danré, j'étais là quand on tira cet horoscope sur moi ; eh bien, je veux donner raison à la bohémienne. Vous savez que les prédictions ne se réalisent pas toujours parce qu'elles devaient se réaliser, mais parce qu'elles ont jeté, dans les esprits de ceux à qui elles ont été faites, une fixité de désirs qui a influé sur les événements, qui a modifié les circonstances, qui les a conduits enfin au but qu'ils ont atteint, parce que ce but leur a été révélé d'avance, tandis que, sans cette révélation, ils seraient passés près de ce but sans l'apercevoir.
- Je vous demande un peu où il va prendre tout ce qu'il dit, s'écria ma mère.
- Eh ! parbleu ! dans sa conviction, dit M. Danré.
- Alors, votre avis, à vous aussi, est qu'il faut qu'il parte ?
- C'est mon avis.
- Mais, le malheureux ! vous connaissez ses ressources ?
- Cinquante francs, et sa voiture payée.
- Eh bien ?
- C'est assez, s'il doit réussir, ou si sa destinée le pousse où il dit. Avec un million, il n'atteindra pas où il veut atteindre, si la vocation lui manque.
- Eh bien, qu'il parte donc, puisqu'il le veut absolument.
- Quand partirai-je, ma mère ?
- Quand tu voudras. Cependant, tu nous donneras bien un jour.
- Ecoute, ma mère. Je reste encore avec toi toute la journée d'aujourd'hui, de demain et de samedi. Samedi soir, je pars par la voiture de dix heures, j'arrive à cinq heures à Paris... j'ai le temps d'être chez Adolphe avant qu'il soit sorti.
- Ah ! dit ma mère en poussant un soupir, c'est lui qui t'a perdu !
Je m'inquiétai peu du soupir, parce que j'avais la conviction que je tiendrais l'engagement pris, et je commençai la série de mes adieux.
Je n'avais pas revu Adèle depuis son mariage. Je ne voulais pas lui écrire : la lettre pouvait être décachetée par son mari, et la compromettre. Je courus chez notre amie commune, Louise Brézette.
Hélas ! la pauvre enfant, elle était en larmes. Chollet, dont l'éducation forestière était achevée, avait été obligé de retourner chez ses parents, et il avait emporté avec lui tous les premiers rêves d'amour de la jeune fille ; elle était abandonnée et inconsolable ; toute sa vie, elle pleurerait son amant, et porterait le deuil de son amour.
Je lui citai l'exemple d'Ariane, en l'invitant à le suivre, et je crois... je crois qu'elle l'a suivi, et que même j'ai contribué, en quelque chose, à le lui faire suivre...
Pauvres et chers enfants ! bons et tendres amis de ma jeunesse ! ma vie est tellement prise maintenant, mes heures m'appartiennent si peu, je suis tellement une chose commune que chacune se partage, que, lorsque, par hasard, je vais là-bas, ou que vous venez ici, je ne puis vous donner tout le temps que vous doivent mon coeur et mes souvenirs ! Mais, quand j'aurai conquis quelques-unes de ces heures de repos à la conquête desquelles Théaulon a passé sa vie, et qu'il n'a jamais conquises, oh ! je vous le promets, ces heures seront à vous, sans conteste et sans partage ! Vous avez assez de souvenirs pour les jeter à pleines mains sur ma vieillesse, et me faire des derniers jours aussi fleuris que l'ont été les premiers !
Puis il y a là-bas des tombes fermées qui m'attirent autant, plus même, que les maisons ouvertes ; des morts qui me parlent plus haut que les vivants.
En sortant de chez Louise, j'entrai chez maître Mennesson ; j'étais resté en assez bons termes avec lui.
Seulement, depuis notre séparation, il s'était marié.
Mais je crois que le mariage l'avait rendu plus incrédule encore.
- Ah ! dit-il en m'apercevant, te voilà, toi ?
- Oui. Je viens vous dire adieu.
- Tu pars donc, décidément ?
- Samedi soir.
- Et avec combien pars-tu ?
- Avec cinquante francs.
- Mon cher ami, il y a des gens qui sont partis avec moins que cela, témoin M. Laffitte.
- Eh bien, justement, je compte lui faire une visite, et lui demander une place dans ses bureaux.
- Va, et, si tu trouves une épingle sur son tapis, ne manque pas de la ramasser, et de la mettre sur sa cheminée.
- Et pourquoi ?
- Parce que M. Laffitte, arrivant à Paris plus pauvre encore que toi, alla faire une visite à M. Perregaux, comme tu vas en faire une à M. Laffitte ; il venait lui demander une place dans ses bureaux, comme tu vas lui en demander une dans les siens. M. Perregaux n'avait pas de place ; il congédia M. Laffitte, lequel se retirait le nez aussi tristement incliné vers la terre que l'était celui du père Aubry vers la tombe, lorsqu'il aperçut, non pas sur la terre, mais sur le tapis, une épingle. M. Laffitte était un homme d'ordre : M. Laffitte ramassa l'épingle, et vint la poser sur la cheminée, en disant : « Ne faites pas attention, monsieur. » Mais M. Perregaux était un observateur qui fit grande attention, au contraire ; il pensa qu'un jeune homme qui ramassait une épingle à terre serait un homme d'ordre, et, comme M. Laffitte allait sortir : « J'ai réfléchi, monsieur, lui dit-il ; restez. - Mais vous m'avez dit que vous n'aviez pas de place dans vos bureaux ? - S'il n'y en a pas, on vous en fera une. » M. Perregaux fit en effet une place à M. Laffitte... celle de son associé.
- Voilà une bien jolie histoire, cher monsieur Mennesson, et je vous remercie d'avoir bien voulu me la raconter ; mais je doute qu'elle me profite, car je ne suis malheureusement pas un ramasseur d'épingles.
- Eh ! voilà justement ton grand défaut.
- Ou ma grande qualité... nous verrons. En attendant, si vous avez quelque bon conseil à me donner... ?
- Défie-toi des prêtres, déteste les Bourbons, et souviens-toi que le seul état digne d'un grand peuple est l'état républicain.
- Mon cher monsieur Mennesson, en prenant votre recommandation au rebours, je vous dirai : oui, je suis de votre avis, quant au gouvernement qui convient à un grand peuple, et, en supposant que je sois quelque chose, je suis républicain comme vous. Quant aux Bourbons, je ne les aime ni ne les déteste. J'ai entendu dire qu'ils avaient, dans leur race, un saint roi, un bon roi, et un grand roi : Saint Louis, Henri IV et Louis XIV. Seulement, le dernier roi régnant est rentré en France en croupe d'un Cosaque ; voilà, je crois, ce qui gâte, vis-à-vis de la France, l'affaire des Bourbons ; voilà ce qui fait que, le jour où il faudra ma voix pour qu'ils s'en aillent, et mon fusil pour les faire partir, ceux qui les renverront auront une voix et un fusil de plus. Quant à me défier des prêtres, je n'en ai encore connu qu'un seul, l'abbé Grégoire, et, comme celui-là m'a semblé le modèle de toutes les vertus chrétiennes, jusqu'à ce que j'aille me heurter à un mauvais, laissez moi croire que tous sont bons.
- Va, va, tu reviendras là-dessus.
- C'est possible. En attendant, donnez-moi la main. Je lui demanderai sa bénédiction, à lui.
- Va, et grand bien te fasse !
- Je l'espère.
Je courus chez mon abbé.
- Eh bien, me dit-il, tu nous quittes donc ?
Comme on le voit, le bruit de mon départ s'était déjà répandu partout.
- Oui, monsieur l'abbé, et je viens vous demander de ne pas m'oublier dans vos prières.
- Oh ! mes prières, je crois que c'est la chose dont tu te soucies le moins ?
- Monsieur l'abbé, rappelez-vous le jour de ma première communion.
- Oui, je sais, il a produit sur toi une si profonde impression, que tu as voulu rester dessus, et qu'on ne t'a pas revu à l'église depuis.
- Croyez-vous qu'à la dixième fois, la communion m'eût fait le même effet qu'à la première !
- Eh ! mon Dieu, non, je le sais bien. Malheureusement, on s'habitue à tout en ce monde.
- Eh bien, monsieur l'abbé, mes autres souvenirs eussent effacé celui-là. Il ne faut pas trop s'habituer aux choses saintes, monsieur l'abbé ; l'habitude leur fait perdre, non seulement de leur grandeur, mais encore de leur efficacité. Qui vous dit qu'un jour, je n'aurai pas besoin de l'Eglise pour quelque grande consolation, comme on a besoin d'une saignée pour quelque grande maladie ?
- Tu as une manière d'arranger les choses, toi...
- Eh ! monsieur l'abbé, vous l'avez dit vous-même, plus d'une fois : il faut traiter les hommes encore moins selon les maladies que selon les tempéraments. Moi, je suis l'impressionnabilité en personne. J'ai le caractère primesautier, c'est vous qui l'avez dit. Je ferai toute sorte de fautes, toute sorte de folies, jamais une action mauvaise ni honteuse. Non pas que je sois meilleur qu'un autre, mon Dieu ! mais parce que les actions mauvaises et honteuses sont le résultat de la réflexion et du calcul, et que, quand j'agis, c'est sous l'inspiration du moment ; et cette inspiration est si rapide, que l'action qui en ressort est faite avant que j'aie eu le temps de réfléchir à ses suites, ou de calculer ses résultats.
- Il y a du vrai dans ce que tu dis là ; mais comment, alors, veux-tu qu'on donne des conseils à un caractère de la trempe du tien ?
- Aussi, je ne viens pas vous demander des conseils, cher abbé. je viens vous demander des prières.
- Des prières ?... Tu n'y crois pas !
- Ah ! pardon, cela, c'est autre chose... Non, je n'y crois pas toujours, c'est vrai ; mais, soyez tranquille, le jour où j'aurai besoin d'y croire, j'y croirai. Eh ! mon Dieu, lorsque j'ai communié, est-ce que je n'avais pas lu, dans Voltaire, que c'était un singulier Dieu que celui qui demande à être digéré ? et dans Pigault-Lebrun, que l'hostie était un pain à cacheter d'une grandeur double du pain à cacheter ordinaire, voilà tout ? Eh bien, cela a-t-il empêché que, lorsque l'hostie a touché mes lèvres, je ne me sois senti pris d'un frissonnement qui a secoué tout mon corps ? Cela a-t-il empêché que les larmes n'aient jailli de mes yeux, larmes d'humilité, larmes de reconnaissance, larmes d'amour surtout ? Croyez-vous que Dieu n'aime pas autant un coeur prodigue qui se répand tout entier devant lui, quand il est trop plein, qu'un coeur avare qui ne se livre que goutte à goutte ? Croyez- vous que la prière soit dans les mots de la bouche, ou dans les élans de l'âme ? Croyez-vous que Dieu se fâche de ce que je l'oublie dans les jours ordinaires de la vie, comme on oublie les battements de son coeur, si, à toute douleur et à toute joie, je reviens à Dieu ? Non, monsieur l'abbé, non ; j'ai la confiance que Dieu m'aime, au contraire, et voilà pourquoi je l'oublie, comme on oublie un bon père qu'on est toujours sûr de retrouver.
- Aussi, me répondit l'abbé, peu m'importe que tu oublies Dieu ; mais ce que je ne veux pas, c'est que tu en doutes.
- Oh ! quant à cela, soyez tranquille ; ce n'est pas un chasseur qui a passé des nuits entières dans les bois éclairés par la lune, qui a étudié la nature, depuis l'éléphant jusqu'au ciron, qui a vu se coucher et se lever le soleil, qui a entendu le chant des oiseaux, plaintes le soir, hymne le matin, ce n'est pas cet homme-là qui doutera jamais de Dieu !
- Alors, tout va bien... Maintenant, tu sais, il y a une maxime dans l'Evangile qui n'est pas longue et qui est facile à retenir ; fais-en la base de tes actions, et tu ne craindras pas de faillir ; cette maxime, qui devrait être gravée en lettres d'or sur les portes de toutes les villes, sur les portes de toutes les maisons, sur les portes de tous les coeurs, c'est : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît. Et quand les philosophes, les ergoteurs, les libertins te diront : « Il y a dans Confucius, une maxime qui vaut mieux que celle-là, c'est : Fais aux autres ce que tu voudrais qu'on te fît » ; réponds : « Non, elle ne vaut pas mieux ! car elle est fausse dans son application. car on ne peut pas toujours faire ce que l'on voudrait qu'on vous fit, tandis qu'on peut toujours s'abstenir de faire ce que l'on ne voudrait pas qui vous fût fait. » Allons, embrasse-moi, et restons-en là-dessus... Nous ne dirions rien qui vaille mieux.
Et sur ces paroles, nous nous embrassâmes en effet, et je le quittai. Le surlendemain, après avoir fait ma dernière visite au cimetière – pieux pèlerinage que ma mère accomplissait presque tous les jours, et dans lequel je l'accompagnai cette fois –, nous nous acheminâmes vers l'hôtel de la Boule d'or, où devait me prendre, en passant, la voiture qui m'emmenait à Paris.
A neuf heures et demie, nous entendîmes le bruit des roues ; nous avions encore une demi-heure à rester ensemble, ma mère et moi. Nous nous retirâmes dans une chambre où nous étions seuls, et nous pleurâmes, mais des larmes bien différentes.
Ma mère pleurait dans le doute ; moi, je pleurais dans l'espérance.
Ni l'un ni l'autre de nous ne voyait Dieu ; mais bien certainement, Dieu était là, et Dieu souriait.

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1998-2010
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