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Chapitre CCXLVIII


Rescrit qui débaptise le roi de Rome. – Anecdotes sur l'enfance du duc de Reichstadt. – Lettre de sir Hudson Lowe annonçant la mort de Napoléon.

C'est à Schnbrunn, dans ce même palais habité par l'empereur en 1805, après Austerlitz, et en 1809, après Wagram, que Marie-Louise et son fils furent reçus par la famille impériale d'Autriche.
De même que le premier soin de l'Angleterre avait été de dépouiller Napoléon de son titre d'empereur, le premier soin de François II fut d'enlever à son petit-fils le nom de Napoléon.
Le 22 juillet 1818, l'empereur d'Autriche publia le rescrit suivant :

« Nous, François II, par la grâce de Dieu, empereur d'Autriche ; roi de Jérusalem, de Hongrie, de Bohême, de Lombardie et de Venise, de Dalmatie, de Croatie, d'Esclavonie, de Galicie, de Lodomérie et d'Illyrie ; archiduc d'Autriche ; duc de Lorraine, de Salzbourg, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de la haute et basse Silésie ; grand prince de Transylvanie ; margrave de Moravie ; comte princier de Habsbourg et du Tyrol, etc., etc. ; savoir faisons que :
Comme nous nous trouvons, par suite de l'acte du congrès de Vienne et des négociations qui, depuis, ont eu lieu à Paris avec nos hauts alliés, pour son exécution, dans le cas de déterminer le titre, les armes, le rang et les rapports personnels du prince François-Joseph-Charles, fils de notre bien- aimée fille Marie-Louise, archiduchesse d'Autriche, duchesse de Parme, de Plaisance et de Guastalla, nous avons résolu, à cet égard, ce qui suit :
1° Nous donnons au prince François-Joseph-Charles, fils de notre bien- aimée fille l'archiduchesse Marie-Louise, le titre de duc de Reichstadt, et nous ordonnons, en même temps, qu'à l'avenir toutes nos autorités, et chacun en particulier, lui donnent, en lui adressant la parole, soit de vive voix, soit par écrit, au commencement du discours et au haut de la lettre, le titre de duc sérénissime, et, dans le texte, celui d'altesse sérénissime.
2° Nous lui permettons d'avoir et de se servir d'armoiries particulières, savoir : de gueules à la fasce d'or, à deux lions passant dos tournés à droite, l'un en chef et l'autre en pointe, l'un ovale et posé sur un manteau ducal et timbré d'une couronne de duc ; pour support, deux griffons de sable armés, becquetés et couronnés d'or, tenant des bannières sur lesquelles seront répétées les armes ducales.
3° Le prince François-Joseph-Charles, duc de Reichstadt, prendra rang, tant dans la cour que dans toute l'étendue de notre empire, immédiatement après les princes de notre famille, et les archiducs d'Autriche.
Il a été expédié deux exemplaires parfaitement semblables, et signés par nous, de la présente déclaration et ordonnance, qui doit servir d'information à chacun, afin qu'il ait à s'y conformer. L'un des exemplaires a été déposé dans nos archives privées de famille, de cour et d'Etat.
Donné dans notre capitale et résidence de Vienne, le 22 juillet de l'an 1818, de notre règne le vingt-septième. »
                    « François. »

Il était mpossible, comme on le voit, de mieux déguiser ce pauvre intrus dont on avait honte dans la famille.
De son titre de Français, de son nom de Napoléon, il n'en est pas plus question que s'il n'y avait point de France, et que s'il n'y avait jamais eu d'Empire. Il n'aura plus de nom de famille : il aura un nom de duché ; il ne sera ni majesté ni sire : il sera altesse sérénissime.
De l'aigle française, de cette aigle qui, en 1804, volait des Pyramides à Vienne ; qui, en 1814, volait, de clocher en clocher, jusque sur les tours de Notre-Dame, il n'en est pas plus question que du nom et de la nationalité : le duc de Reichstadt aura deux lions d'or passant sur gueules, comme un comte du saint-empire. – Pas même l'étoile des Bonaparte ; pas même les abeilles de l'île d'Elbe.
Il prendra rang à la cour à la suite des princes de la famille impériale : ainsi, lui, fils de la fille de l'empereur, il n'est pas seulement, par sa mère, prince de la famille impériale ! – Quant à son père, silence ! Il n'a pas de père, il n'en a jamais eu ; d'ailleurs, celui qu'il pourrait avoir ne s'appelle-t-il pas tout simplement, ou n'est-il pas tout simplement appelé par sir Hudson Lowe le général Bonaparte.
Il est vrai qu'il lui reste un avenir, au pauvre déshérité, dans l'amour de son grand-père, qui l'adore : il sera, s'il se conduit bien, colonel d'un régiment autrichien ou hongrois ! – Il y a aussi l'avenir de Marcellus, et c'est celui que la Providence lui garde dans les profondeurs de sa miséricorde !
Et, cependant, il se souvenait, le pauvre enfant ; et c'était là son martyre. Un jour – il avait six ans à peine – il s'approcha de l'empereur, s'appuya sur ses genoux, et lui dit :
- Bon papa, n'est-il pas vrai que, quand j'étais à Paris, j'avais des pages ?
- Oui, répondit l'empereur, je crois que vous en aviez.
- N'est-il pas vrai aussi qu'on m'appelait le roi de Rome ?
- Oui, on vous appelait le roi de Rome.
- Eh bien, grand-papa, qu'est-ce donc qu'être roi de Rome ?
- Il est inutile de vous expliquer cela, puisque vous ne l'êtes plus.
- Mais pourquoi ne le suis-je plus ?
- Mon enfant, répondit l'empereur, quand vous serez devenu homme, il me sera facile de vous édifier à cet égard. Pour le moment, je me contenterai de vous dire qu'à mon titre d'empereur d'Autriche, je joins celui de roi de Jérusalem, sans avoir aucune sorte de pouvoir sur cette ville. Eh bien, vous êtes roi de Rome comme je suis roi de Jérusalem.
Une autre fois, le jeune prince jouait avec des soldats de plomb, parmi lesquels se trouvaient bon nombre de Cosaques irréguliers. Un peintre qui faisait son portrait, M. Hummel, s'approcha de lui.
- Avez-vous jamais vu des Cosaques, monseigneur ? demanda-t-il.
- Oui, certainement, j'en ai vu, répondit l'enfant : ce sont les Cosaques qui nous ont escortés quand nous sommes sortis de France.
Le portrait du prince achevé, le peintre demanda à M. Dietrichstein, son précepteur :
- De quel ordre dois-je décorer Son Altesse, monsieur le comte ?
- De l'ordre de Saint-Etienne, que Sa Majesté l'empereur d'Autriche lui a envoyé au berceau.
- Mais, monsieur le comte, dit l'enfant, outre celui-là, j'en avais encore beaucoup d'autres !
- Oui, monseigneur ; mais vous ne les portez plus.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils ont été abolis.
Pauvre enfant ! Ce n'étaient point les ordres qui étaient abolis : c'était sa fortune qui était tombée.
A cet âge, le duc de Reichstadt était parfaitement beau, avec ses grands yeux d'azur, avec son teint qui semblait fait de feuilles de rose, avec ses longs cheveux blonds bouclés, tombant sur ses épaules. Chacun de ses mouvements était plein de grâce et de gentillesse ; il parlait le français avec l'accent particulier aux Parisiens.
Il fallut lui apprendre l'allemand ; ce fut une grande affaire, une lutte de tous les jours, un combat de tous les moments.
- Si je parle allemand, disait-il, je ne serai plus du tout français !
Cependant, le duc de Reichstadt dut se résigner à apprendre la langue de M. de Metternich ; et ce fut, lorsqu'il la sut, celle qu'il parla constamment avec les princes de la famille impériale.
Un jour, un courrier de M. de Rothschild arriva à Vienne ; il apportait une grande nouvelle, une de ces nouvelles qu'annonçaient autrefois les comètes et les tremblements de terre : Napoléon était mort le 5 mai 1821 !
La nouvelle arrivait à Vienne le 22 juillet ; le jour où, trois ans auparavant, le duc de Reichstadt avait perdu son nom ; le jour où, onze ans plus tard, il devait perdre la vie.
Le comte de Dietrichstein était absent ; l'empereur chargea M. Foresti d'apprendre la fatale nouvelle au jeune duc, qui venait d'achever sa dixième année.
M. Foresti adorait le prince : il était près de lui depuis 1815. Il lui annonça cette nouvelle avec toute sorte de ménagements ; mais, au premier mot qu'il prononça :
- Mon père est mort, n'est-ce pas ? dit le prince.
- Monseigneur...
- Il est mort ?
- Eh bien, oui !
- Comment voulait-on qu'il vécût... là-bas ! s'écria l'enfant.
Et il fondit en larmes.
Le jeune duc, contre les habitudes de l'étiquette impériale, porta le deuil un an ; il insista lorsqu'on voulut le lui faire quitter. On en référa à l'empereur, qui répondit :
- Laissez faire au coeur de l'enfant.
Veut-on savoir de quelle façon la nouvelle fut officiellement annoncée à la cour de Vienne ? Voici la lettre originale de Sir Hudson Lowe à M. le baron de Sturmer :

« Saint-Hélène, 27 mai 1821.
Monsieur le baron,
Il n'existe plus ! Une maladie héréditaire, suivant l'opinion de sa famille, l'a conduit au tombeau, le 5 de ce mois : un squirre et cancer à l'estomac près du pylore. En ouvrant le corps, avec le consentement des personnes qui l'entouraient, on a découvert, près du pylore, un ulcère qui causait des adhésions au foie ; et, en ouvrant l'estomac, on a pu tracer les progrès de la maladie. L'intérieur de l'estomac, presque entier, était a mass of cancerous disease, or of scirrous portions advancing the cancer.
Son père est mort de cette maladie à l'âge de trente-six ans ; elle l'aurait frappé sur le trône de France, à l'heure fixée par le destin, pour suivre sa propre façon de penser à ce sujet.
Ce n'est que depuis le 17 mars qu'il a été confiné dans sa chambre ; mais on a remarqué un changement en lui depuis le mois de novembre passé : une pâleur plus qu'ordinaire et une manière de marcher. Il prenait, cependant, de l'exercice deux fois par jour, généralement dans une petite calèche ; mais sa pâleur et sa faiblesse paraissaient toujours rester.
On a offert le conseil des médecins anglais ; mais il n'a voulu recevoir d'eux aucune visite jusqu'au ler avril, le mois avant sa mort.
C'est le professeur Antomarchi qui l'a soigné avant cette époque, et qui a continué même après, jusqu'à son décès ; c'est ce professeur aussi qui a procédé à l'ouverture du corps, en présence de presque tous les médecins de l'île. Le docteur Arnott, du 20ème régiment, homme très sage et d'expérience, est celui qui a été appelé à le voir, au 1er avril, et qui lui a continué ses soins jusqu'au dernier moment. Il lui a marqué sa reconnaissance en lui léguant une tabatière d'or, la dernière dont il ait fait usage lui-même, et sur laquelle il a gravé de sa propre main la lettre N. Il lui a laissé aussi une somme d'argent cinq cents livres.
Le comte Montholon est devenu le principal dépositaire de ses dernières volontés ; le comte Bertrand ne vient qu'en second.
Il avait très fortement recommandé au comte Bertrand de faire tout son possible pour se concilier avec moi, sauf toujours son point d'honneur : on ne m'en a pas même averti. Il a fait des avances ; comme je n'ai pas de rancune dans ma disposition autant qu'une personne peut juger d'elle même, je ne l'ai pas repoussé.
Ce sont toujours, cependant, les prétentions du grand maréchal, et son amour-propre blessé, plutôt que celles de l'empereur, qui ont gâté les affaires originairement ici ; et les recommandations que l'on a reçues sont une preuve que l'autre a commencé à voir clair à la fin.
Il y avait un codicille de testament par lequel tous les effets, ici, ont été laissés aux comtes Bertrand et Montholon, et à Marchand. C'est Montholon qui est le principal exécuteur. On ne connaît rien, ou on dit ne rien connaître du testament.
Le temps que vous avez passé ici me fait croire que ce peu de détails aura quelque intérêt pour vous, et je ne fais pas des excuses, à cet égard, pour mon intrusion. Faites agréer mes compliments et ceux de milady Lowe à madame la baronne de Sturmer, et croyez-moi toujours.
« Votre très fidèle et obéissant serviteur          ,
                                        « H. Lowe M. P.
P. S. – Bonaparte avait deviné lui-même la cause de sa maladie. Quelque temps avant sa mort, il a désiré que son corps fût ouvert, afin, comme il a été dit par Bertrand et Montholon, de découvrir s'il y a quelque moyen de garantir son fils de la maladie.
Excusez mon griffonnage. »
                    H. L.

Remarquez-vous que nulle part, dans la lettre, le nom du mort n'est prononcé ? C'est seulement au post-scriptum qu'il sort de la plume de ce héraut de la mort.
Ne serait-ce pas que le geôlier aurait eu honte de prononcer le nom du captif, le bourreau, remords de prononcer le nom du patient ?
Napoléon mort, les regards du monde, qui se partageaient entre Schnbrunn et Sainte-Hélène, se tournèrent uniquement vers Schnbrunn.

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