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Chapitre XXI


Nous nous réfugions, ma mère et moi, chez mon grand-père. – La maison de madame Darcourt. – Mes premières lectures et mes premières terreurs. – Le parc de Villers-Cotterêts – M. Deviolaine et sa famille. – L'essaim d'abeilles. – Le vieux cloître.

Nous allâmes tous demeurer chez mon grand-père et ma grand-mère, qui vivaient encore. On élargit le foyer, et nous nous y assîmes, ma mère, ma soeur et moi.
Mon grand-père s'était réservé un logement à l'hôtel de l'Epée, où était mort mon père. Nous prîmes cette chambre du mort, et nous vécûmes en face de tout ce qui lui avait appartenu.
Maintenant, au milieu de cette obscurité dans laquelle, pareilles à des rêves à moitié effacés, flottent les premières années de ma vie, se détache, avec une grande précision, le souvenir des trois principales maisons dans lesquelles s'écoula mon enfance.
Ces trois maisons sont celles de madame Darcourt, de M. Deviolaine et de M. Collard. On se rappelle que j'ai déjà eu l'occasion de prononcer les noms de madame Darcourt, de MM. Deviolaine et Collard.
Qu'on me permette, ne fût-ce que pour payer une dette de reconnaissance, de parler un peu de ces trois familles. D'ailleurs, les tableaux du genre de ceux que je vais essayer de tracer n'ont de valeur que par les détails.
Madame Darcourt était notre voisine ; elle demeurait au rez-de-chaussée de la maison attenante à celle où mon père était mort. C'était la veuve d'un chirurgien militaire assez distingué. Elle avait deux enfants, un fils et une fille. Le fils pouvait avoir vingt-huit ans, et s'appelait Antoine ; la fille pouvait en avoir vingt-quatre ou vingt-cinq, et s'appelait Eléonore.
Quant à la mère, Dieu lui a donné une longue et heureuse vie : elle vient de mourir à l'âge de quatre-vingts ans.
J'ai peu connu Antoine, mais j'ai presque été élevé par Eléonore.
Ce qui m'attirait surtout dans la maison, outre l'amitié qu'on m'y témoignait, c'était une magnifique édition de Buffon avec gravures coloriées.
Tous les soirs, tandis que ma mère, après avoir fait sa visite au cimetière – promenade pieuse, à laquelle elle ne manqua jamais un seul jour – ; tous les soirs, tandis que ma mère s'ensevelissait avec sa douleur dans un coin de la cheminée, tandis que madame Darcourt et sa fille travaillaient à des ouvrages d'aiguille, on me mettait un volume de Buffon entre les mains, et l'on était débarrassé de moi pour toute la soirée.
Il en résulte que j'appris à lire, je ne sais trop comment, mais je puis dire pourquoi : c'était pour connaître l'histoire, les moeurs, les instincts des animaux dont je voyais les portraits. Il résulta de cette curiosité pour les batraciens et pour les ophidiens surtout, qu'à l'âge où les enfants épellent encore, j'avais déjà lu tous les livres qui forment la bibliothèque du Jeune âge.
Ce fut chez madame Darcourt que j'éprouvai pour la première fois le sentiment de la peur, qui était resté complètement inconnu à ma première jeunesse.
Ma manie de lecture s'étendait à tout, même aux journaux, que j'ai si peu lus depuis.
Je tombai un jour sur le Journal de l'Empire, et j'y lus, dans un entrefilet, qu'un prisonnier, enfermé dans les cachots d'Amiens, y avait été dévoré par un serpent.
Jusque-là, j'avais regardé le serpent comme un monstre, sinon mythologique, du moins appartenant à une autre partie du monde que la nôtre.
Dans Buffon, ou plutôt dans Daudin, son continuateur, il avait été pour moi un objet de continuelle curiosité ; dans le Journal de l'Empire, il devint pour moi un objet de profonde terreur.
Le même soir où j'avais lu le fatal entrefilet, je parus m'absorber dans la lecture de Robinson Crusoé, et je demandai à n'aller me coucher que le plus tard possible, c'est-à-dire quand ma mère allait se coucher elle-même.
Cette faveur me fut facilement accordée.
Mais, les mêmes prétentions s'étant renouvelées le lendemain, le surlendemain et les jours suivants, force me fut de donner une explication.
Je racontai l'histoire du prisonnier d'Amiens, et j'avouai que, si j'allais me coucher avant les autres, j'aurais peur d'être dévoré par un serpent.
L'aveu surprit fort ma mère. J'avais été assez brave jusque-là. Elle fit tout ce qu'elle put pour combattre cette terreur par le raisonnement ; mais le raisonnement échoua devant l'instinct, et le temps seul parvint, je ne dirai pas à effacer, mais à atténuer chez moi l'effet de ce terrible souvenir.
Après la maison de madame Darcourt, à laquelle je ne dis point un éternel adieu, les deux maisons qui furent les plus hospitalières à notre malheur, je le répète, furent les maisons de M. Deviolaine et de M. Collard.
M. Deviolaine était notre cousin par alliance ; il avait épousé une nièce de mon grand-père qui avait été élevée chez nous, à côté de ma mère, étant orpheline ; de plus, il avait été fort lié avec mon père.
M. Deviolaine était inspecteur de la forêt de Villers-Cotterêts ; ce qui lui donnait une des premières positions dans notre petite ville, et c'est tout simple, puisque notre petite ville n'avait que deux mille quatre cents âmes, tandis que notre forêt avait cinquante mille arpents.
M. Deviolaine était à mes yeux une grande puissance, non point par le motif que je viens de déduire, mais parce que, en vertu de sa position, c'était lui qui donnait la permission de chasser dans la forêt, et que chasser un jour librement dans cette forêt était une des ambitions de mon enfance.
Cette ambition, comme quelques-unes de mes autres ambitions, s'est réalisée depuis ; et, je dois le dire, c'est une de celles où j'ai trouvé le moins de désappointement.
Relativement au petit appartement auquel nous étions restreints depuis la mort de mon père, la maison de M. Deviolaine était un palais très apprécié par moi, pauvre enfant, qui, élevé aux châteaux des Fossés et d'Antilly, courant sans cesse par les chemins et les pelouses, semblait nourri d'air et de soleil. Cette maison de M. Deviolaine se composait d'abord d'un corps de logis assez considérable, d'écuries et de remises, de basses-cours et d'un charmant jardin, moitié anglais, moitié français, c'est-à-dire moitié pittoresque, moitié fruitier. Le jardin anglais avait des cascades, des bassins, des saules pleureurs ; le jardin fruitier avait force poires, pêches, reines- claude, artichauts et melons ; ensuite, il donnait sur un magnifique parc : pour la vue, par une grille ; pour la promenade, par une porte.
Ce parc, planté par François Ier, fut abattu par Louis-Philippe.
Beaux arbres ! à l'ombre desquels s'étaient couchés François Ier et madame d'Etampes, Henri II et Diane de Poitiers, Henri IV et Gabrielle, vous aviez le droit de croire qu'un Bourbon vous respecterait ; que vous vivriez votre longue vie de hêtres et de chênes ; que les oiseaux chanteraient sur vos branches mortes et dépouillées, comme ils chantaient sur vos branches vertes et feuillues ! Mais, outre ce prix inestimable de poésie et de souvenirs, vous aviez malheureusement un prix matériel, beaux hêtres à l'enveloppe polie et argentée, beaux chênes à l'écorce sombre et rugueuse ! Vous valiez cent mille écus ! Le roi de France, qui était trop pauvre pour vous conserver avec ses six millions de revenus particuliers, le roi de France vous a vendus ! Je n'eusse eu que vous pour toute fortune, que je vous aurais gardés, moi ; car, poète que je suis, il y a une chose que je préférerais à tout l'or de la terre, c'est le murmure du vent dans vos feuilles ; c'est l'ombre que vous faisiez trembler sous mes pieds ; ce sont les douces visions, les charmants fantômes qui, le soir, entre le jour et la nuit, à l'heure douteuse du crépuscule, glissaient entre vos troncs séculaires, comme glissent les ombres des antiques Abencérages entre les mille colonnes de la mosquée royale de Cordoue !
Il était loin de se douter de cela, cet autre poète qu'on appelait Demoustier, lorsqu'il écrivait, sur l'écorce de l'un de vous, ces vers disparus avec vous, et que moi seul sais peut-être aujourd'hui :

          Ce bois fut l'asile chéri
          De l'amour toutefois fidèle ;
          Tout l'y rappelle encore, et le coeur attendri
          Soupire en se disant : « C'est ici que Henri
          Soupirait près de Gabrielle. »

Et c'est pourtant cela qui l'a renversé, cet homme, qui se croyait plus solidement enraciné au trône que vous ne l'étiez à la terre : c'est qu'il ne comprenait rien de ce qui était grand ; c'est que chaque chose, dépouillée de ce prestige que lui prête l'imagination, n'avait à ses yeux que sa valeur matérielle ; c'est qu'il se disait : « Tout homme se peut acheter, comme tout arbre se peut vendre. J'ai d'immenses forêts, je vendrai des arbres, et j'achèterai des hommes. »
Sire, vous vous trompiez. Il y a autre chose dans la vie que l'algèbre et que l'arithmétique : il y a la croyance, il y a la foi ; vous n'avez pas cru aux autres, et les autres n'ont pas cru en vous ; vous avez soufflé sur le passé, et le passé a soufflé sur vous. Oh ! que nous voilà loin de cette maison de M. Deviolaine qui me semblait un palais !
Beaux arbres ! c'est que vous étiez non seulement un palais, mais un temple ; un temple où le Seigneur se manifestait à moi, quand, couché à vos pieds, et tout ignorant encore de leurs noms, j'essayais de contempler, à travers la voûte mobile de votre feuillage, les étoiles de vos belles nuits d'été. Combien de fois, quand l'enfant rieur et turbulent commençait de faire place au jeune homme rêveur ; combien de fois, caressé par l'herbe que la brise courbait sur moi, j'ai tendu deux bras vers une étoile plus brillante que les autres ou essayé de saisir un rayon de la lune qui se jouait sur mon visage, en disant : « Seigneur, vous êtes là-haut ! Seigneur, vous êtes ici ! Seigneur, vous êtes partout ! Seigneur, prenez-moi dans votre main puissante, et faites de moi un instrument qui puisse vous glorifier et vous bénir, une harpe qui vous chante, une lyre qui vous loue, une voix qui vous prie ! Grandissez-moi, Seigneur, pour me rapprocher de vous ! et plus vous me grandirez, plus je confesserai humblement votre nom, votre splendeur, votre majesté !... C'est vous, mon Dieu ! qui faites pousser les forêts que les rois vendent ; c'est vous qui envoyez les petits oiseaux qui chantent dans leurs branches ; c'est vous qui les caressez avec la brise, qui est votre sourire, qui les réchauffez avec le soleil, qui est votre regard, qui les déracinez avec l'ouragan, qui est votre colère ! Seigneur, vous seul êtes grand, vous seul êtes éternel ! »
Revenons à M. Deviolaine et à sa maison.
Tout ce logement qu'elle contenait était loin, au reste, d'être du superflu. M. Deviolaine avait une véritable famille de patriarche : un fils et deux filles d'un premier mariage, un fils et deux autres filles d'un second.
C'étaient ces derniers qui, nés de notre cousine, étaient nos parents.
Comme le nom de M. Deviolaine et celui de ses enfants se mêlent à toute la première partie de ma vie, je m'arrêterai un instant sur toute cette riche famille.
Les trois enfants du premier lit se nommaient, le garçon, Victor, et les deux filles, Léontine et Léonore.
Les trois enfants du second lit se nommaient, le garçon, Félix, et les deux filles, Cécile et Augustine.
Une troisième fille survint, mais sept ou huit ans plus tard. Nous dirons un mot de sa naissance lorsque le moment en sera venu.
Victor, Léontine et Léonore étaient beaucoup plus âgés que moi, et se trouvaient être naturellement les compagnons de ma soeur, qui elle-même était mon aînée de neuf ans. Ils attiraient à eux Cécile, l'aînée des enfants du second lit, dont l'âge se rapprochait plus de leur âge que du mien. Puis ils me laissaient pour compagnons de jeux Augustine, plus âgée que moi d'un an, et Félix, moins âgé que moi de deux.
M. Deviolaine, le chef de la famille, était au fond un excellent homme ; je dis au fond, car, à la surface, la nature l'avait doué d'une écorce qui, en rugosité, pouvait le disputer aux plus rudes chênes de sa forêt.
C'était un homme de cinq pieds sept pouces, avec de petits yeux noirs ombragés d'énormes sourcils, des lèvres épaisses et allongées en moue, bâti en Hercule, vêtu comme un sanglier, et à peu près aussi sociable que l'animal auquel nous nous permettons de le comparer. Par ses bourrasques – et tous les jours étaient des jours d'avril pour lui –, par ses bourrasques, il était devenu la terreur de sa famille. Lorsqu'il descendait de son cabinet, isolé du reste de la maison, avec une figure pleine de giboulées, femmes, enfants et domestiques se sauvaient devant lui, effarés et la tête basse, comme berger, chiens et troupeaux se sauvent devant un ouragan.
Je ne l'ai jamais vu qu'une fois avec une figure gracieuse.
Je ne l'ai jamais entendu qu'une fois parler sans jurer.
Ce changement moral et physique avait été opéré en lui à propos d'un essaim de mouches à miel que l'on craignait de voir s'emporter, et qu'il avait tenté, lui, de recueillir.
C'était l'été – il était en chemise ouverte ; il avait secoué imprudemment l'arbre où l'essaim s'était groupé, et une moitié de l'essaim, c'est-à-dire deux mille mouches à miel, à peu prés, lui étaient tombées dans la poitrine.
L'événement était arrivé au bout du jardin : nous étions groupés sur le seuil de la cuisine, attendant le résultat de l'opération, quand tout à coup nous l'aperçûmes à l'extrémité d'une allée, revenant vers la maison à pas comptés, la figure souriante, écartant sa chemise de ses deux mains et disant de sa voix la plus douce :
- Allez, mes petites, allez...
Et nous le regardions ainsi de loin. et nous nous émerveillions de le voir marchant d'une allure inconnue, souriant d'un sourire inouï, parlant avec une douceur incompréhensible ; et chacun se demandait à qui M. Deviolaine pouvait parler et sourire ainsi.
M. Deviolaine parlait et souriait aux mouches à miel.
La voix de la douceur lui réussit. Toutes s'envolèrent, depuis la première jusqu'à la dernière, sans qu'une seule le piquât, mais, quand la dernière fut envolée, quand il leva les yeux, quand il aperçut sa femme, ses enfants, ses domestiques échelonnés sur l'escalier de la cuisine et le regardant, il y eut une éruption de mille tonnerres, et autres jurons, dont la maison fut huit jours à se remettre.
Quant à nous, la façon dont nous disparûmes tenait de la magie ; on eût dit que la terre s'était ouverte sous nos pieds, et que nous nous étions engloutis.
Et ce qu'il y avait de remarquable dans tout cela, c'est que les tempêtes n'avaient jamais d'autre résultat que force nuages et éclairs ; mais de grêle, mais de foudre, néant. Personne n'a mémoire que M. Deviolaine ait jamais allongé un coup de pied même à un chien, à moins que son chien ne fût hors de la portée de son pied. Outre cette maison, M. Deviolaine avait, au milieu d'une charmante petite plaine, entourée de tous côtés par la forêt, une autre propriété appelée Saint-Rémy. Oh ! Saint-Rémy mérite une description toute particulière ; car c'étaient les grands jours de fête que ceux où l'on allait à Saint-Rémy.
Saint-Rémy était un ancien couvent de femmes ; à quel ordre appartenait- il ? Je n'en sais plus rien. Je me rappelle seulement le portrait de l'abbesse, dans un cadre au-dessus de la cheminée de la grande salle : c'était une belle femme, toute vêtue de noir, avec un cordon bleu soutenant une croix ; ronde et potelée, grasse de cette graisse qui n'appartient qu'aux embonpoints séraphiques ; elle avait un nom de noblesse que l'on savait là-bas, et que j'ai oublié.
Ce couvent avait été peuplé jusqu'en 1791 ou 1792 ; puis était venue la loi qui abolissait les voeux ; toutes les colombes du Seigneur avaient alors pris leur volée, et M. Deviolaine avait, je crois, acheté le couvent comme bien ecclésiastique.
De ce couvent restait un cloître immense, moins grand peut-être cependant que je ne le vois en souvenir ; les yeux des enfants ont, sous ce rapport, d'étranges mirages : l'espace, c'est pour eux l'infini. Outre ce cloître, de grands escaliers à rampes de fer, qui conduisaient aux anciens appartements de l'abbesse, dont on n'avait meublé qu'une partie ; – le reste était la propriété des rats et des chats, qui paraissaient avoir fait trêve et vivre en assez bonne intelligence.
Douze arpents de prairie, de petits bois et de jardins fermés de murs, enveloppaient ce vieux cloître tout ombragé d'arbres aussi vieux que lui.
Aujourd'hui, arbres et cloître sont abattus ; rien ne tient réellement à la surface de la terre ; tout s'élève pour disparaître : la vie des monuments, des arbres, des hommes, tout cela est une question de durée ; la pierre et le bois ont leur néant, de même que la chair et les os.
Mais alors, comme les espérances de notre jeune vie, tout était debout ; le cloître ignorait les bandes noires, les arbres ignoraient les spéculateurs. Tout cela fut vendu en bloc, abattage et démolition, et, des débris de l'immense bâtiment et de l'ébranchement des chênes, il resta de quoi bâtir une gentille petite maisonnette comme celles qu'on bâtit à présent, avec un salon de quatre mètres carrés et de petites chambres de douze pieds de long sur huit de large ; véritables maisons de Socrate, vides, si petites qu'elles soient, faute d'amis pour les remplir ! Oh ! le grand cloître, comme le dimanche il était plein de courses folles et de cris joyeux ! comme tout ce monde d'enfants que le hasard de la vie allait éparpiller hors de la ville natale, loin de la double maternité de la famille et du pays, comme tout ce monde était heureux et reconnaissant envers le fondateur inconnu de cet immense nid, si triste autrefois, et aujourd'hui si peuplé d'oiseaux gais et chanteurs ! comme ce bruit venant de la vie devait faire étrangement tressaillir dans leurs tombes ces ombres noires qui avaient été des femmes, ces corps qui avaient eu une âme, ces cadavres qui avaient eu un coeur, et qui étaient venus éteindre dans l'obscurité du cloître, dans la nuit de la pénitence, dans les mystères de l'ascétisme, la flamme de leur coeur, les espérances de leur âme, la beauté de leur visage.
Nous riions là où peut-être avaient coulé bien des larmes, nous bondissions d'un pied joyeux dans la vie là où peut-être avaient marché vers la mort bien des pas lents, mornes et désespérés.
Mais que nous importait à nous, enfants nés d'hier ? Est-ce qu'il y avait un passé pour nous ? A peine se rappelait-on le dernier automne avec ses feuilles jaunes ; à peine se souvenait-on du dernier printemps avec ses feuilles verdissantes. Toute notre mémoire datait du soleil d'hier, toute notre espérance était dans le soleil de demain ; vingt-quatre heures, c'était l'avenir ; un mois, c'était l'éternité.
Que de souvenirs d'enfance oubliés par moi dans les chemins et dans les prairies de cet enclos, et que j'y retrouverais à chaque pas, si j'y retournais aujourd'hui, comme ces fleurs de diamants de rubis et de saphirs, cueillies des parterres des Mille et Une Nuits, et qui ne se fanent jamais !

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1998-2010
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