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Chapitre CLVI


Comment les choses s'étaient passées avec le sacristain. – La pièce de quatre. – Bard canonnier. – Le commandant de place. – Le lieutenant Tuya. – M. de Lenferna. – M. Bonvilliers – Madame de Liniers – La révolte des nègres. – A quelles conditions le commandant de place signe l'ordre. – M. Moreau. – M. Quinette. – Le maire de Soissons. – Bard et les prunes vertes.

Bard était parfaitement calme : on eût dit, en le voyant sa carabine sur l'épaule, un chasseur qui vient de se faire la main en tirant à la cible.
- Eh bien, me demanda-t-il, comment vont les choses ici ?
- A merveille, mon cher ! tout est arrangé.
- Bon ! alors, vous avez la poudre ?
- Oh ! pas encore... Peste ! comme vous y allez ! Et votre drapeau ?
Il me montra du doigt le clocher.
- Vous voyez, dit-il ; n'est-ce pas qu'il fait bien dans le paysage ?
- Oui, mais comment cela s'est-il passé ?
- Oh ! en douceur. Le sacristain a d'abord fait quelques difficultés ; mais il a fini par se rendre aux raisons que lui a données M. Hutin.
- Et quelles raisons lui a-t-il données ?
- Je ne sais pas trop : je regardais la campagne... Savez-vous qu'elle est magnifique, votre vallée de l'Aisne, surtout du côté de Vauxbuin ?
- De sorte que vous n'avez rien entendu de ce qu'Hutin disait à votre homme d'Eglise ?
- Je crois qu'il lui a dit qu'il allait l'assommer s'il ne se tenait pas tranquille.
- Et où est-il dans ce moment-ci ?
- Qui ? M. Hutin ?
- Oui.
- Il doit être chez le docteur, comme il a promis.
- Alors, à merveille ! vous allez rester ici, vous.
- Bon ! qu'y ferai-je ?
- Attendez.
Bard me suivit des yeux dans le mouvement que j'exécutai.
- Ah ! le joli petit canon ! s'écria-t-il.
En effet, je me dirigeais vers une jolie petite pièce de quatre, et même, à ce que je crois, d'un modèle au-dessous, laquelle était remisée à l'abri d'une espèce de hangar.
- N'est-ce pas que c'est un charmant joujou ?
- Charmant !
- Alors, aidez-moi, cher ami.
- A quoi ?
- A mettre cette pièce en place. En cas de siège, il faut que je vous laisse de l'artillerie.
Nous nous attelâmes à la pièce, et je la mis en batterie à trente pas à peu près de la porte.
Puis je glissai la moitié du contenu de ma poire à poudre dans le canon ; je le bourrai avec mon mouchoir de poche ; sur cette première bourre, je glissai une vingtaine de balles ; puis, sur les balles, j'appuyai le mouchoir de poche de Bard et la pièce se trouva chargée.
Une fois chargée, je la pointai et l'amorçai.
- Là ! dis-je en respirant ; maintenant, voici ce que vous avez à faire.
- J'écoute les instructions.
- Combien de cigarettes pouvez-vous fumer de suite ?
- Oh ! tant que j'ai du tabac ou de l'argent pour en acheter !
- Eh bien, mon cher, fumez sans désemparer, afin d'avoir toujours une cigarette allumée ; si l'on veut entrer malgré vous et forcer la porte, invitez trois fois les gens qui voudront entrer à se retirer ; si, à la troisième invitation, ils persistent, placez-vous de côté afin que le recul de la pièce ne vous casse pas les jambes, puis approchez diagonalement votre cigarette de la lumière, et vous verrez l'effet de la mécanique.
- Bon ! dit Bard.
Bard ne faisait jamais une objection. Je crois que, si, tandis qu'il était sur la galerie de la tour, je lui eusse dit : « Bard, sautez en bas ! » il eût sauté.
- Ah çà ! lui dis-je, à présent que vous avez une carabine et un canon, mes pistolets deviennent du luxe ; rendez-moi donc mes pistolets.
- Ah ! c'est vrai, dit Bard, les voici.
Il les tira de sa poche, et me les rendit.
Je les examinai de nouveau : ils étaient en bon état.
Je les glissai dans les deux basques de ma veste.
Puis je me dirigeai vers la maison du commandant de place.
Une sentinelle était dans la rue.
Je m'informai près d'elle où était le cabinet de M. de Liniers.
Elle me l'indiqua. C'était au premier étage ou à l'entresol.
Je montai l'escalier, et laissai mon fusil à la porte du cabinet.
Le commandant de place était seul avec un officier que je ne connaissais pas.
Il venait de se lever sur l'annonce qui lui avait été faite que le drapeau tricolore flottait au haut de la cathédrale.
Probablement ignorait-il encore mon arrivée ; car, au moment même où j'entrais, il demandait à l'officier des détails sur cet étrange événement.
- Pardon, monsieur le vicomte, lui dis-je : mais, si ce sont tout simplement des détails que vous désirez, je puis vous donner ces détails, et j'ajouterai même que personne ne peut vous les donner mieux que moi.
- Soit ; mais, d'abord, qui êtes-vous, monsieur ? me demanda le commandant de place en me regardant avec étonnement.
J'ai dit ma tenue : ma cravate en corde à puits, ma chemise de quatre jours, ma veste veuve de la moitié de ses boutons.
Il n'y avait donc rien d'étonnant à la question de M. le commandant de place.
Je déclinai mes nom, prénoms et qualités. J'exposai en deux mots la situation de Paris ainsi que l'objet de ma mission, et je présentai au commandant de place l'ordre du général Gérard.
Le commandant de place ou le lieutenant de roi, comme on disait alors indifféremment, lut l'ordre avec attention, et, me le remettant :
- Monsieur, dit-il, vous comprenez que je ne reconnais aucunement la suzeraineté du gouvernement provisoire. D'ailleurs, la signature du général Gérard ne présente aucun caractère d'authenticité : elle n'est point légalisée ; elle n'a pas même de cachet.
- Monsieur, répondis-je, il y a une chose qui remplacera, j'en suis sûr, d'une façon triomphante la légalisation et le cachet ; je vous donne ma parole d'honneur que la signature est bien celle du général Gérard.
Un sourire qui ne manquait pas d'une certaine ironie passa sur les lèvres de M. le commandant de place.
- Je vous crois, monsieur, dit-il ; mais je vais vous annoncer une nouvelle qui rendra toute discussion inutile : il ne doit pas y avoir en ce moment au magasin à poudre plus de deux cents cartouches.
Le sourire de M. de Liniers m'avait légèrement vexé.
- Monsieur, lui répondis-je avec la même politesse, comme vous ne savez pas au juste le nombre de cartouches qu'il y a au magasin à poudre, je vais m'en informer près des trois militaires qui sont mes prisonniers sur parole.
- Comment ! vos prisonniers sur parole ?
- Oui monsieur le vicomte ; M. le lieutenant-colonel d'Orcourt, M. le capitaine Mollard et M. le sergent Ragon sont mes prisonniers sur parole... Je vais donc, comme j'avais l'honneur de vous le dire, m'informer auprès d'eux de la quantité de poudre qu'il y a dans le magasin, et je reviens vous en instruire.
Et je saluai et je sortis.
En sortant, je jetai les yeux sur le shako du factionnaire.
Il portait le chiffre du 53è...
Je jouais de bonheur. Comme on voit, la garnison de Soissons était composée du dépôt du 53è, et le 53è, on se le rappelle, avait tourné du côté du peuple au moment même où on s'emparait du Louvre.
Dans la rue, je rencontrai un officier.
- Vous êtes M. Dumas ? me dit-il.
- Oui, monsieur.
- C'est vous qui venez de mettre le drapeau tricolore sur la cathédrale ?
- Oui, monsieur.
- Marchez et ne craignez rien de nous ; les soldats se sont distribués hier des cocardes tricolores.
- Puis-je compter sur eux ?
- Vous pouvez compter qu'ils resteront dans la caserne.
- Votre nom ?
- Le lieutenant Tuya.
- Merci !
Je pris le nom du lieutenant Tuya sur mon portefeuille.
- Que faites-vous ? me demanda-t-il.
- Qui sait ? répondis-je ; si, en rentrant à l'hôtel de ville, je trouvais une seconde épaulette, vous ne m'en voudriez pas de vous l'envoyer ?
Il se mit à rire, me fit un signe de tête, et s'éloigna rapidement. En ce moment, plus rapidement encore, je vis passer près de moi l'officier que j'avais trouvé chez le commandant de place.
Il n'y avait pas de temps à perdre : sans doute, il allait porter des ordres.
J'allongeai le pas, de mon côté ; en un instant, je fus à la poudrière. Je frappai à la porte en me nommant.
- C'est vous ? me dit Bard.
- Oui.
- Bon ! je vais vous ouvrir.
- Ce n'est pas la peine... Demandez à ces messieurs combien il y a de poudre d'artillerie dans le magasin.
- J'y vais.
J'attendis. A travers le trou de la serrure, je voyais Bard se hâtant vers la maison.
Il disparut, puis reparut quelques secondes après.
- Deux cents livres ! me cria-t-il.
- A merveille ! c'est toujours cela... Maintenant, jetez-moi la clef par- dessus la porte, ou glissez-la-moi par-dessous, que je puisse rentrer sans vous déranger.
- La voici.
- Bon ! Ne quittez pas votre poste surtout !
- Soyez donc tranquille.
Et, sur cette assurance, je repris, du même pas dont j'étais venu, le chemin de la maison de M. le lieutenant de roi.
Je retrouvai la même sentinelle à la porte de la rue ; seulement, il y avait un second factionnaire à la porte du cabinet.
Je m'attendais à me voir barrer le passage ; je me trompais.
Comme la première fais, je déposai mon fusil à la porte, et j'entrai.
La société s'était augmentée de deux personnes : outre le commandant de place et l'officier inconnu, il y avait maintenant, dans le cabinet assez étroit où je venais de faire ma rentrée, M. le marquis de Lenferna, lieutenant de gendarmerie, et M. Bonvilliers, lieutenant-colonel du génie.
Ces messieurs étaient chacun dans l'uniforme de son grade, et avaient, par conséquent, les uns le sabre, les autres l'épée au côté.
J'entrai et je refermai la porte derrière moi.
A peine me trouvai-je en face des quatre officiers, que j'eus quelque regret d'avoir laissé mon fusil dehors, car je compris qu'il allait se passer là, entre eux et moi, quelque chose de grave.
J'allongeai les mains le long des basques de ma veste de chasse pour tâter si mes pistolets étaient bien dans mes poches.
Ils y étaient bien.
- Monsieur, me dit le commandant de place d'un ton assez goguenard, en votre absence, j'ai fait appeler M. le marquis de Lenferna et M. Bonvilliers, qui sont, avec moi, les autorités militaires de la ville, afin que vous puissiez exposer devant eux, comme vous l'avez fait devant moi tout à l'heure, l'objet de votre mission.
Je vis qu'il fallait prendre la conversation sur le ton où la mettait M. de Liniers.
- Mon Dieu, monsieur, lui répondis-je, l'objet de ma mission est bien simple : il s'agit tout bonnement pour moi de prendre la poudre que je trouverai dans le magasin, et de transporter cette poudre à Paris, où l'on en manque... Et, à ce propos, j'aurai l'honneur de vous dire que vous étiez mal renseigné, monsieur le lieutenant du roi : ce n'est pas deux cents cartouches qu'il y a au magasin, c'est deux cents livres de poudre.
- Deux cents livres de poudre ou deux cents cartouches, la question n'est pas là, monsieur ; la question est que vous venez prendre la poudre d'une ville de guerre ayant huit cents hommes de garnison.
- En effet, monsieur, répondis-je, vous replacez la question sur son véritable terrain : je viens prendre la poudre d'une ville de guerre ayant huit cents hommes de garnison, et voici mon ordre.
Je présentai l'ordre du général Gérard au lieutenant de roi, qui, sans doute parce qu'il le connaissait déjà, le prit du bout des doigts, le regarda négligemment, et le passa à son voisin, lequel, après l'avoir lu, le rendit à M. de Liniers avec un léger signe de tête.
- Et, probablement, pour mettre cet ordre à exécution, en supposant que nous nous refusions à y obtempérer, vous avez une armée ?
- Non, monsieur ; mais j'ai une volonté fort arrêtée de prendre cette poudre, attendu que je me suis engagé devant le général La Fayette à la prendre ou à me faire tuer. C'est pour cela que je vous ai demandé l'autorisation de me faire ouvrir la pborte de la poudrière, et que je vous renouvelle cette demande.
- Et, seul comme vous êtes, monsieur Dumas... Je crois que vous m'avez dit que vous vous appeliez M. Dumas ?
- Oui, monsieur, je m'appelle M. Dumas.
- Et seul comme vous êtes, monsieur Dumas, vous avez la prétention de me forcer à signer cette autorisation ?... Vous remarquerez, n'est-ce pas ? que nous sommes quatre.
Ce que j'avais remarqué, depuis un instant, à l'accent de plus en plus railleur de M. le commandant de place, et à la forme de sa phrase, c'est que la situation s'échauffait ; je m'étais, en conséquence, reculé peu à peu, afin de rester maître de la porte, et, tout en reculant, j'avais introduit mes mains dans les poches de ma veste, et j'avais, sans bruit, armé la double batterie de mes pistolets.
Tout d'un coup, je les tirai de mes poches, et, dirigeant les canons sur le groupe que j'avais devant moi :
- Vous êtes quatre, messieurs, c'est vrai... mais, nous, nous sommes cinq !...
Et, faisant deux pas en avant :
- Messieurs, leur dis-je, je vous donne ma parole d'honneur que, si, dans cinq secondes, l'ordre n'est pas signé, je vous brûle la cervelle à tous les quatre ; et je commence par vous, monsieur le lieutenant du roi... A tout seigneur, tout honneur !
J'étais devenu très pâle ; mais probablement que, malgré sa pâleur, mon visage exprimait une immuable résolution.
Le double canon du pistolet que je tenais de la main droite n'était qu'à un pied et demi de la figure de M. de Liniers.
- Prenez garde, monsieur, lui dis-je, je vais compter les secondes.
Et, après une pause :
- Une, deux, trois...
En ce moment, une porte latérale s'ouvrit, et une femme au paroxysme de la terreur se précipita dans l'appartement.
- O mon ami, cède ! cède ! s'écria-t-elle ; c'est une seconde révolte des nègres !...
Et, en disant cela, elle me regardait d'un oeil effaré.
- Monsieur, fit le commandant de place, par respect pour ma femme...
- Monsieur, lui répondis-je, j'ai le plus grand respect pour madame ; mais, moi aussi, j'ai une mère et une soeur... J'espère donc que vous allez avoir la bonté de renvoyer madame, et que nous viderons la chose entre hommes.
- Mon ami, continuait de crier madame de Liniers, cède ! cède, je t'en supplie ! fais ce qu'on te demande, au nom du ciel !... Souviens-toi de mon père et de ma mère, massacrés à Saint-Domingue !
Je compris seulement alors ce que madame de Liniers avait entendu par ces mots : « C'est une seconde révolte des nègres ! »
A mes cheveux crépus, à mon teint bruni par trois jours de soleil, à mon accent légèrement créole – si toutefois, au milieu de l'enrouement dont j'étais atteint, il me restait un accent quelconque elle m'avait pris pour un nègre, et s'était laissée aller à une indicible terreur.
Cette terreur me fut, du reste, aisée à comprendre, lorsque je sus, depuis, que madame de Liniers était une demoiselle de Saint-Janvier.
M. et madame de Saint-Janvier, son père et sa mère, avaient été impitoyablement égorgés sous ses yeux dans la révolte du Cap.
La situation, comme on le comprend bien, était trop tendue ; elle ne pouvait se prolonger.
- Mais, monsieur, s'écria le lieutenant du roi désespéré, je ne puis pourtant pas céder devant un homme seul !
- Voulez-vous, monsieur, que je vous signe une attestation constatant que c'est le pistolet sous la gorge que vous m'avez donné l'ordre ?
- Oui, oui, monsieur ! s'écria madame de Liniers.
Puis, se retournant vers son mari, dont elle embrassait les genoux :
- Mon ami, mon ami, donne l'ordre ! répétait-elle, donne-le, je t'en supplie !
- Ou bien préférez-vous, continuai-je, que j'aille chercher deux ou trois amis, afin que nous soyons de chaque côté en nombre égal ?
- Eh bien, oui, je préfère cela, monsieur.
- Prenez garde, monsieur le vicomte, je vais sortir m'en rapportant à votre parole d'honneur ; je vais sortir lorsque je vous tiens, lorsque je puis vous brûler la cervelle à tous quatre... Je vous réponds que ce serait bientôt fait... Vous retrouverai-je où vous êtes et comme vous êtes ?
- Oh ! oui, monsieur ! s'écria madame de Liniers.
Je m'inclinai avec politesse ; mais, sans céder d'une ligne :
- C'est la parole d'honneur de votre mari que je demande, madame.
- Eh bien, monsieur, dit le lieutenant du roi, je vous la donne.
- Je présume, repris-je, que cette parole engage ces messieurs en même temps que vous ?
Les officiers firent un signe de tête.
Je désarmai mes pistolets, et les remis dans mes poches.
Puis, m'adressant à madame de Liniers :
- Rassurez-vous, madame, lui dis-je, tout est fini. Dans cinq minutes, messieurs, je suis ici.
Et je sortis, prenant en passant mon fusil, que je retrouvai dans l'angle de la porte.
Je m'étais fort avancé ; je ne savais où aller chercher Hutin, et Bard gardait un poste important.
Le hasard me servit ; en mettant le pied dans la rue, je vis Hutin et l'un de ses amis qui, fidèles au rendez-vous, attendaient à dix pas de la maison : cet ami était un jeune homme de Soissons, chaud patriote, nommé Moreau.
Chacun d'eux avait un fusil à deux coups.
Je leur fis signe de venir et d'entrer dans la cour.
Ils vinrent et entrèrent, sans trop savoir de quoi il était question.
Je remontai. La parole était rigoureusement tenue : aucun de ces messieurs n'avait quitté sa place.
J'allai à la fenêtre, et je l'ouvris.
- Messieurs, dis-je à Hutin et à Moreau, ayez la bonté de dire à M. le lieutenant de roi que vous êtes prêts à faire feu non seulement sur lui, mais encore sur les autres personnes que je désignerai, s'il ne signe pas à l'instant même l'autorisation de prendre la poudre.
Pour toute réponse, Hutin et Moreau armèrent leurs fusils.
Madame de Liniers suivait tous mes mouvements et ceux de son mari avec des yeux hagards.
- Cela suffit, monsieur, me dit le lieutenant de roi, je suis prêt à signer.
Et, prenant un papier sur son bureau, il écrivit ces lignes :

« J'autorise M. Alexandre Dumas à se faire livrer toutes les poudres appartenant à l'artillerie qui se trouveront dans la poudrière Saint-Jean.
                    Le lieutenant de roi commandant la place,
                    Vicomte de Liniers.

« Soissons, ce 31 juillet 1830. »

Je pris le papier que me tendait le comte ; je saluai madame de Liniers, en lui présentant mes excuses pour la terreur involontaire que je venais de lui causer, et je sortis.
Dans la rue, nous rencontrâmes le second ami dont Hutin m'avait parlé, M. Quinette. Il venait se joindre à nous.
C'était un peu tard, comme on voit ; il est vrai qu'il devait nous quitter bientôt.
Son avis fut qu'il fallait procéder légalement, et que, pour procéder légalement, j'avais besoin d'être assisté du maire.
Je n'avais rien à dire contre la proposition. Je tenais mon ordre. J'allai chercher le maire.
J'ai oublié le nom de cet honorable magistrat. Tout ce dont je me souviens, c'est qu'il ne fit aucune difficulté de me suivre.
Cinq minutes après, accompagné du maire, d'Hutin, de Moreau et de Quinette, j'ouvrais avec précaution la porte du cloître Saint-Jean, non sans avoir prévenu Bard que c'était moi qui ouvrais la porte.
- Entrez ! entrez ! m'avait-il répondu.
J'entrai, et je vis la pièce en batterie ; mais, à mon grand étonnement, Bard avait complètement disparu.
Il était à vingt pas de son canon, perché sur un prunier. Il mangeait des prunes vertes !

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