Mes Mémoires Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre CXL


La soirée du 31 mai 1830 au Palais-Royal – Le roi de Naples. Question d'étiquette. – Comment
il faut parler au roi de France. Ce qu'était Charles X. – M. de Salvandy – Les premières
flammes du volcan. – Le duc de Chartres m'envoie aux renseignements. Alphonse Signol – Je
l'arrache des mains d'un garde royal – Son exaspération et ses menaces – Le volcan n'était qu'un feu de paille.

Ce fut sur ces entrefaites qu'eut lieu le bal dont j'ai parlé au commencement de l'autre chapitre.
Ce bal, nous l'avons dit, était donné par le duc d'Orléans à son beau-frère le roi de Naples.
Le roi de Naples était cet ignoble François, fils de Ferdinand et de Caroline, qui, choisi,.en 1820, par les patriotes pour les représenter, avait trahi les patriotes ; qui, donné pour tuteur à la révolution, avait étouffé la révolution. Maître de sa bourgeoisie, décimée en 1798, proscrite en 1820 ; sûr de ses lazzaroni – la véritable force sur laquelle s'appuie le trône des Deux-Siciles –, il venait visiter la France, et passer quelques jours en famille.
Les voyageurs couronnés – la reine était du voyage – avaient été parfaitement reçus à la cour, et, cependant, telle était la répulsion que Paris avait manifestée pour ce trahisseur, que le préfet de la Seine, quelque désir qu'il en eût, n'avait point osé lui donner une fête, de peur que le peuple ne cassât ses carreaux.
Soutenu par l'excuse de la parenté, comptant sur sa popularité toujours croissante, le duc d'Orléans osa ce que n'avait point osé le préfet de la Seine.
Seulement, restait à vider une grande question, ou plutôt à obtenir une grande faveur : c'était que le roi Charles X assistât à cette fête.
Je me rappelle tout le mouvement qui se fit, à cette époque, au Palais-Royal. Le duc d'Orléans, qui savait son cérémonial aussi bien qu'aucun homme du royaume, n'ignorait pas qu'un roi de France donne des fêtes, mais n'en accepte pas. Il y avait bien un précédent à cette dérogation : une centaine d'années auparavant, Louis XV, en revenant de je ne sais quel voyage ou quelle fête, avait passé trois jours chez M. le prince de Condé ; mais c'était à la campagne, à Chantilly, ce qui était sans conséquence. Il est vrai aussi qu'en allant chez le duc d'Orléans on allait chez la duchesse, et que la duchesse était fille d'un roi et d'un vrai Bourbon, comme disait madame la duchesse d'Angoulême, ce qui n'était pas gracieux pour les d'Orléans, lesquels, alors, se trouvaient faux Bourbons ; mais c'était si beau de recevoir le roi chez soi ! un si grand honneur devait en rejaillir sur le lambel d'or de la famille, que le duc d'Orléans ferma les yeux pour ne pas voir la grimace que faisait madame la dauphine, ferma les oreilles pour ne pas entendre les paroles que disait madame la duchesse d'Angoulême et, poursuivant sa demande, insista si respectueusement, que Charles X se laissa fléchir, à la condition qu'une compagnie de ses gardes occuperait le Palais-Royal une heure avant son arrivée.
C'était une bien misérable question que cette question d'étiquette, comparée à celle qui se débattait à cette heure entre le peuple et la monarchie.
Une fois la promesse royale obtenue, toute la maison ne songea plus qu'au bal.
On résolut de montrer au roi de Naples toutes les illustrations littéraires et artistiques de la France. Le roi Charles X, qui les connaissait peu ou point, les verrait en même temps ; on ferait ainsi d'une pierre deux coups.
Il paraît que j'étais une fausse illustration, comme les d'Orléans, étaient de faux Bourbons ; car j'avais été, sinon oublié, du moins omis sur la liste.
Le duc de Chartres réclama, et l'excellent jeune homme eut la joie de m'envoyer un billet d'entrée.
J'hésitais à aller à la fête. Cet homme que je devais y voir, c'était le fils de ce roi et de cette reine qui avaient empoisonné mon père. Mais ne pas répondre à l'invitation, c'eût été faire, et par mon absence un chagrin, et par la cause de cette absence une douleur au duc de Chartres. Je pris le parti d'accepter.
Les invitations portaient : Huit heures et demie ; le roi Charles X arrivait à neuf heures.
En m'apercevant, le duc d'Orléans vint à moi ; j'étais tout étonné de cette marque d'attention.
Il s'agissait, non pas d'une faveur à me faire, mais d'un conseil à me donner. Son Altesse royale me supposait assez peu ferré sur l'étiquette, et voulait me chausser d'un fer neuf, afin que je ne glissasse point sur le parquet du Palais Royal.
- Monsieur Dumas, me dit le duc, si, par hasard, le roi vous faisait l'honneur de vous adresser la parole, vous savez qu'en lui répondant vous ne devez dire ni sire ni majesté, mais simplement le roi ?
- Oui, monseigneur, répondis-je, je sais cela.
- Comment, vous savez cela ?
- Oui monseigneur ; et même je sais pour quel motif on doit parler ainsi. Les mots sire et majesté ont été profanés du moment qu'ils ont été donnés à l'usurpateur, et les vrais courtisans ont pensé, avec beaucoup de sagacité, qu'ils ne pouvaient plus être donnés à un roi légitime.
- Très bien ! dit le duc en tournant sur ses talons, et en indiquant visiblement par l'accent de sa voix qu'il eût autant aimé que j'eusse été un peu moins instruit des choses de cour.
Dix minutes après, on entendit battre aux champs.
Le duc d'Orléans prit la duchesse par le bras, fit signe à madame Adélaïde et au duc de Chartres de le suivre, et s'avança avec tant de rapidité au-devant du royal visiteur, qu'il perdit sa femme dans la chambre des gardes, comme avait fait, trois mille ans auparavant, Enée en sortant de Troie, et comme devait faire, dix-huit ans plus tard, le duc de Montpensier en sortant des Tuileries.
Le duc se trouva dans le grand vestibule du Palais-Royal au moment où Charles X, descendant de voiture, mettait le pied sur le premier degré de l'escalier qui y conduisait.
On s'était précipité derrière les illustres hôtes, que l'on vit reparaître, à travers une double haie de gardes, dans l'ordre suivant :
Le roi Charles X marchait le premier, donnant le bras à madame la duchesse d'Orléans.
M. le dauphin venait ensuite, donnant le bras à madame Adélaïde ;
Puis, le duc d'Orléans, donnant le bras à madame la dauphine ;
Et, enfin, M. le duc de Chartres, donnant le bras à madame la duchesse de Berry.
Au-devant d'eux, et pour les recevoir à la porte du premier salon, s'avancèrent le roi et la reine de Naples.
Il y a déjà vingt-deux ans que le roi Charles X est allé mourir dans l'exil ; les hommes de notre génération l'ont vu ; mais les hommes de trente ans et les jeunes gens de vingt ne l'ont pas vu : c'est pour eux que nous écrivons les lignes suivantes.
Charles X était, alors, un vieillard de soixante et seize ans, grand, mince, portant d'habitude un peu inclinée sa tête, garnie de beaux cheveux blancs. il avait l'oeil encore vif et souriant, le nez bourbonien, la bouche disgracieuse, à cause de la lèvre inférieure qui retombait sur le menton ; du reste, plein de grâce, de courtoisie, de foi et de loyauté ; fidèle à ses amitiés, fidèle à ses serments ; il avait tout d'un roi, excepté l'enthousiasme. Il avait dans les manières quelque chose de grand et de royal qu'il tenait de sa race. Si l'article 14 n'eût pas été dans la Charte, il n'eût certes pas songé à faire un coup d'Etat ; car, pour faire un coup d'Etat, il eût fallu manquer à son serment, forfaiture après laquelle – il le disait lui-même – il n'eût osé regarder ni le portrait de François Ier, ni la statue du roi Jean. Au surplus, désirant l'absolutisme par paresse, la tyrannie par défaut d'activité, il avait coutume de dire, à propos de tyrannie et d'absolutisme : « Vous pétririez tous les princes de la maison de Bourbon dans le même mortier que vous n'en tireriez pas un grain de despotisme ! » et Louis Blanc l'a admirablement peint dans ces lignes : « Aussi humain que médiocre, s'il voulait que son pouvoir fût absolu, c'était pour se dispenser de le rendre violent, car il n'y avait en lui rien d'énergique, pas même son fanatisme ; rien de grand, pas même son orgueil. »
Au reste, la précaution qu'avait prise le duc d'Orléans à mon endroit était exagérée.
Le roi ne regarda même pas de mon côté. il est vrai que je ne cherchai pas le moins du monde à me trouver dans la direction du regard du roi.
J'avais une véritable antipathie pour les Bourbons de la branche aînée et il a fallu aux morts l'histoire, aux vivants l'exil, pour que je leur rendisse plus tard la justice qui leur est due.
Le roi, le dauphin, la dauphine et la duchesse de Berry arrivés, la fête commença.
M. de Salvandy a raconté, à propos de cette fête, toute sa conversation avec le duc d'Orléans, conversation commençant par ces mots, qui firent la fortune politique de l'auteur d'Alonzo :
- Monseigneur, c'est une vraie fête napolitaine, car nous dansons sur un volcan...
Et, en effet, le volcan ne tarda point à jeter ses premières flammes.
Elles partirent du Palais-Royal, cratère de 1789, que l'on croyait éteint depuis trente-cinq ans, et qui n'était qu'endormi.
J'étais là, je le vis jaillir, je puis raconter l'éruption. elle se fit sous mes yeux.
J'avais cherché l'air sur la terrasse. je rêvais à cette étrange coïncidence du hasard qui me faisait, moi, déjà républicain à cette époque, témoin presque obligé de cette fête, donnée par ces Bourbons de France, contre lesquels mon père avait combattu, à ces Bourbons de Naples, qui l'avaient empoisonné, quand, tout à coup, de grands cris retentirent et de grandes lueurs apparurent dans le jardin du Palais-Royal.
Une flamme immense, pareille à celle d'un bûcher, s'élevait du carré de gazon d'un des parterres, et semblait jaillir du piédestal de la statue d'Apollon.
Voici ce qui était arrivé. Les nombreux spectateurs de la fête princière, entassés dans le jardin du Palais-Royal, avaient voulu avoir leur part de plaisir : au mépris des sentinelles qui gardaient les carrés de gazon, une douzaine de jeunes gens avaient enjambé les balustrades, et, se tenant par la main en chantant le vieux Ca ira révolutionnaire, ils avaient commencé une ronde.
Pendant ce temps, d'autres jeunes gens s'étaient amusés à établir une pyramide de chaises, et à illuminer cette pyramide en plaçant dans les interstices des chaises des lampions pris à droite et à gauche.
Le principal architecte de ce tremblant édifice, le principal acteur de cette ronde révolutionnaire, était un jeune homme à qui sa mort a donné quelque célébrité.
Il s'intitulait homme de lettres, et s'appelait Alphonse Signol.
Trois jours auparavant, il était venu m'apporter ; en me priant de le lire, un drame ayant pour titre : le Chiffonnier.
Certes, le drame n'était pas sans mérite – et l'on verra plus tard ce qu'il devint –, mais c'était si loin de la littérature que je faisais, et que, par conséquent, je comprenais, qu'il m'eût été impossible de l'aider en rien, même d'un conseil.
Tant que Signol n'avait fait que poser les lampions sur les chaises, tout avait bien été ; mais il s'avisa de poser les chaises sur les lampions, et tout alla mal.
La flamme d'un lampion gagna la paille d'une chaise, et le bûcher s'alluma.
De là les cris, de là les lueurs, de là les femmes fuyant à travers les arbres du jardin et sous les arcades des galeries de pierre.
Ce tumulte attira vite l'attention des hôtes de M. le duc d'Orléans. Des cris et un incendie dans ce jardin du Palais-Royal tandis que Charles X se trouvait dans les appartements, c'était grave !
Je vis le duc d'Orléans qui gesticulait vivement à une fenêtre, et, comme je commençais à me préoccuper bien plus de ce qui se passait dedans que de ce qui s'accomplissait dehors, je sentis qu'on me touchait doucement l'épaule.
Je me retournai. C'était M. le duc de Chartres, qui, après avoir inutilement essayé de distinguer quelque chose au milieu de ce désordre et de cette fumée, désirait savoir si j'avais été plus heureux que lui.
Je répondis négativement ; mais, en même temps, j'offris d'aller m'informer par moi-même de la cause et du résultat de ce tumulte.
Comme le duc de Chartres repoussait cette offre seulement de manière à me faire voir qu'il ne la repoussait que par discrétion, en cinq secondes je fus dans le vestibule, et en cinq autres secondes dans le jardin.
J'arrivai tout juste pour être témoin d'une lutte entre un jeune homme et un soldat, lutte dans laquelle le jeune homme allait avoir le dessous, quand, croyant le reconnaître, je m'élançai.
Vigoureux comme je le suis, j'eus bientôt séparé les deux adversaires.
Je ne m'étais pas trompé : le jeune homme, c'était Signol.
Le soldat était un caporal ou un sergent appartenant au 3e régiment de la garde.
Signol avait été assez maltraité dans la lutte ; aussi était-il furieux. Tout séparé qu'il était du soldat, il le menaçait encore.
- Ah ! misérable, lui disait-il en lui montrant le poing, je ne veux pas avoir affaire à toi... mais le premier officier de ton régiment que je rencontre, j'engage ici ma parole d'honneur que je lui enverrai un soumet.
J'essayai de le calmer.
- Non, non, non, dit-il ; c'est promis, ce sera tenu, et vous serez mon témoin, vous... N'est-ce pas que vous serez mon témoin ?
Je lui répondis : « oui », pour le calmer, et je l'entraînai dans la rue de Valois.
Là, sous prétexte de connaître les motifs de sa querelle, je lui demandai comment les choses s'étaient passées, et il me raconta ce que je viens de rapporter moi-même.
Au milieu de son récit, il trouva moyen de me demander si j'avais lu son drame.
Je lui répondis affirmativement.
- Eh bien, dit-il, j'irai en causer demain avec vous.
Et, comme s'il eût craint que le tumulte ne se calmât en son absence il s'élança de nouveau dans le jardin du Palais-Royal.
Je ne le retins pas, je savais ce que je voulais savoir : il n'y avait rien de prémédité dans l'accident ; c'était une gaminerie, voilà tout.
Je remontai et rendis compte de mon expédition à M. le duc de Chartres.
La narration était si précise et si nette, que, transmise par le jeune prince aux illustres hôtes de son père, elle calma aussitôt les craintes qu'un moment ils avaient semblé éprouver.
D'ailleurs, pour plus grande sécurité, on força la foule d'évacuer le jardin, et la fête continua sans interruption jusqu'au matin.
A minuit, le roi et la famille royale s'étaient retirés.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente