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Chapitre VII
La Figurine de César III

Vous devinez qu'en sortant de chez mon magistrat j'étais piqué d'honneur, je voulais, coûte que coûte, avoir mes renseignements sur les compagnons de Jéhu.
Je m'en pris à Milliet et le mis au pied du mur.
- Ecoutez, me dit-il, j'ai un beau-frère avocat.
- Voilà mon homme ! Allons chez le beau-frère.
- C'est qu'à cette heure il est au Palais.
- Allons au Palais.
- Votre apparition fera rumeur, je vous en préviens.
- Alors, allez-y tout seul ; dites-lui de quoi il est question ; qu'il fasse ses recherches. Moi, je vais aller voir les environs de la ville pour établir mon travail sur les localités ; nous nous retrouverons à quatre heures sur la place du Bastion, si vous le voulez bien.
- Parfaitement.
- Il me semble que j'ai vu une forêt en venant.
- La forêt de Seillon.
- Bravo !
- Vous avez besoin d'une forêt ?
- Elle m'est indispensable.
- Alors, permettez
- Quoi ?
- Je vais vous conduire chez un de mes ami,
M. Leduc, un poète, qui, dans ses moments perdus, est inspecteur.
- Inspecteur de quoi ?
- De la forêt.
- Il n'y a pas quelques ruines dans la forêt ?
- Il y a la Chartreuse, qui n'est pas dans la forêt, mais qui en est à cent pas.
- Et dans la forêt ?
- Il y a une espèce de fabrique que l'on appelle la Correrie, qui dépend de la Chartreuse, et qui communique avec elle par un passage souterrain.
- Bon !
- Maintenant ? si vous pouvez m'offrir une grotte, vous m'aurez comblé.
- Nous avons la grotte de Ceyzeriat, mais de l'autre côté de la Reissouse.
- Pou m'importe. Si la grotte ne vient pas à moi, je ferai comme Mahomet, j'irai à la grotte. En attendant, allons chez M. Leduc.
Cinq minutes après, nous étions chez M. Leduc, qui, sachant de quoi il était question, se mettait, lui, son cheval et sa voiture, à ma disposition.
J'acceptai le tout. Il y a des hommes qui s'offrent d'une certaine façon qui vous met du premier coup tout à l'aise.
Nous visitâmes d'abord la Chartreuse. Je l'eusse fait bâtir exprès, qu'elle n'eût pas été plus à ma convenance. Cloître désert, jardin dévasté, habitants presque sauvages. Merci, hasard !
De là, nous passâmes à la Correrie ; c'était le complément de la Chartreuse. Je ne savais pas encore ce que j'en ferais ; mais il était évident que cela pouvait m'être utile.
- Maintenant, monsieur, dis-je à mon obligeant conducteur, j'ai besoin d'un joli site, un peu sombre, sous de grands arbres, près d'un rivière. Tenez-vous cela dans le pays ?
- Pourquoi faire ?
- Pour y bâtir un château.
- Quel château ?
- Un château de cartes, parbleu ! J'ai une famille à loger, une mère modèle, une jeune fille mélancolique, un frère espiègle, un jardinier braconnier.
- Nous avons un endroit appelé les Noires-Fontaines.
- Voilà d'abord un nom charmant.
- Mais il n'y a pas de château.
- Tant mieux, car j'aurais été obligé de l'abattre.
- Allons aux Noires-Fontaines.
Nous partîmes ; un quart d'heure après, nous descendions à la maison des gardes.
- Prenons ce petit sentier, me dit M. Leduc, il nous conduira où vous voulez aller.
Il nous conduisit, en effet, à un endroit planté de grands arbres, lesquels ombrageaient trois ou quatre sources.
- Voilà ce qu'on appelle les Noires-Fontaines, me dit M. Leduc.
- C'est ici que demeureront madame de Montrevel, Amélie et le petit Edouard. Maintenant, quels sont les villages que je vois en face de moi ?
- Ici, tout près, Montagnac ; là-bas, dans la montagne, Ceyzeriat.
- Est-ce là qu'il y a une grotte ?
- Oui. Comment savez-vous qu'il y a une grotte à Ceyzeriat ?
- Allez toujours. Le nom de ces autres villages, s'il vous plaît ?
- Saint-Just, Tréconnas, Ramasse, Viellereversure.
- Très bien.
- Vous en avez assez ?
- Oui.
Je pris mon calepin, je fis le plan de la localité et j'inscrivis à peu près à leur place le nom des villages que M. Leduc venait de me faire passer en revue.
- C'est fait, lui dis-je.
- Où allons-nous ?
- L'église de Brou doit être sur notre chemin ?
- Justement
- Visitons l'église de Brou.
- En avez-vous aussi besoin dans votre roman ?
- Sans doute ; vous vous imaginez bien que je ne vais pas faire passer mon action dans un pays qui possède le chef-d'oeuvre de l'architecture du XVIe siècle sans utiliser ce chef-d'oeuvre.
- Allons à l'église de Brou.
Un quart d'heure après, le sacristain nous introduisait dans cet écrin de granit où sont renfermés les trois joyaux de marbre que l'on appelle les tombeaux de Marguerite d'Autriche, de Marguerite de Bourbon et de Philibert le Beau.
- Comment, demandai-je au sacristain, tous ces chefs-d'oeuvre n'ont-ils pas été mis en poussière à l'époque de la Révolution ?
- Ah ! monsieur, la municipalité avait eu une idée.
- Laquelle ?
- C'était de faire de l'église un magasin à fourrage.
- Oui, et le foin a sauvé le marbre ; vous avez raison mon ami, c'est une idée.
- L'idée de la municipalité vous en donne-t-elle une ? me demanda M. Leduc.
- Ma foi, oui, et j'aurai bien du malheur si je n'en fais pas quelque chose.
Je tirai ma montre.
- Trois heures ! allons à la prison ; j'ai rendez-vous à quatre heures place du Bastion, avec M. Milliet.
- Attendez... une dernière chose.
- Laquelle ?
- Avez-vous vu la devise de Marguerite d'Autriche ?
- Non ; – Où cela ?
- Tenez partout ; d'abord, au-dessus de son tombeau.
- Fortune, infortune, fort'une.
- Justement.
- Eh bien, que veut dire ce jeu de mots ?
- Les savants l'expliquent ainsi : Le sort persécute beaucoup une femme.
- Voyons un peu.
- Il faut d'abord supposer la devise latine, à sa source.
- Supposons, c'est probable.
- Eh bien : Fortuna infortunat...
- Oh ! oh ! infortunat.
- Dame...
- Cela ressemble fort à un barbarisme.
- Que voulez-vous !
- Je veux une explication.
- Donnez-la !
- La voici : Fortuna, infortuna, forti una. – Fortune et infortune sont égales pour le fort.
- Savez-vous que cela pourrait bien être la vraie traduction.
- Parbleu ! voilà ce que c'est que de ne pas être savant, mon cher monsieur ; on est sensé, et, avec du sens, on voit plus juste qu'avec de la science. – Vous n'avez pas autre chose à me dire ?
- Non.
- Allons à la prison, alors.
Nous remontâmes en voiture, rentrâmes dans la ville et ne nous arrêtâmes que devant la porte de la prison.
Je passai la tête par la portière.
- Oh ! fis-je, on me l'a gâtée.
- Comment ! on vous l'a gâtée ?
- Certainement, elle n'était pas comme cela du temps de mes prisonniers à moi. Pouvons-nous parler au geôlier ?
- Sans doute.
- Parlons-lui.
- Nous frappâmes à la porte. Un homme d'une quarantaine d'années vint nous ouvrir.
Il reconnut M. Leduc.
- Mon cher, lui dit M. Leduc, Voici un savant de mes amis...
- Eh ! là-bas, fis-je en l'interrompant, pas de mauvaises plaisanteries.
- Qui prétend, continua M. Leduc, que la prison n'est plus telle qu'au dernier siècle ?
- C'est vrai, monsieur Leduc, elle a été abattue et rebâtie en l816.
- Alors, la disposition intérieure n'est plus la même ?
- Oh ! non, monsieur, tout a été changé.
- Pourrait-on avoir un ancien plan ?
- Ah ! M. Martin l'architecte pourrait peut-être vous en retrouver un.
- Est-ce un parent de M. Martin l'avocat ?
- C'est son frère.
- Très bien, mon ami ; j'aurai mon plan.
- Alors, nous n'avons plus besoin ici ? demanda M. Leduc.
- Aucunement.
- Je puis rentrer chez moi ?
- Cela me fera de la peine de vous quitter, voilà tout.
- Vous n'avez pas besoin de moi pour trouver le bastion.
- C'est à deux pas.
- Que faites-vous de votre soirée ?
- Je la passe chez vous, si vous voulez.
- Très bien ! A neuf heures, une tasse de thé vous attendra.
- Je l'irai prendre.
Je remerciai M. Leduc. Nous échangeâmes une poignée de main, et nous nous quittâmes.
Je descendis par la rue des Lisses lisez : Lices, à cause d'un combat qui eut lieu sur la place où elle conduit, et, longeant le jardin Montburon, je me trouvai sur la place du bastion.
C'est un hémicycle où se tient aujourd'hui le marché de la ville. Au milieu de cet hémicycle s'élève la statue de Bichat, par David d'Angers. Bichat, en redingote, – pourquoi cette exagération de réalisme ? – pose la main sur le coeur d'un enfant de neuf à dix ans, parfaitement nu, – pourquoi cet excès d'idéalité ?
tandis qu'aux pieds de Bichat est étendu un cadavre C'est le livre de Bichat traduit en bronze : De la vie et de la mort !...
J'étais occupé à regarder cette statue, qui résume les défauts et les qualités de David d'Angers, lorsque je sentis que l'on me touchait l'épaule. Je me retournai :
c'était M. Milliet.
Il tenait un papier à la main.
- Eh bien ? lui demandai-je. Eh bien, victoire ! Qu'est-ce que cela ?
- Le procès-verbal d'exécution. De qui ? De vos hommes.
- De Guyon, de Leprêtre, d'Amiet...
- Et d'Hyvert.
- Mais donnez-moi donc cela.
Le voici.
Je pris et je lus.

                    Procès-verbal de mort et exécution
                                        de
Laurent Guyon, Etienne Hyvert, François Amiet et Antoine Leprêtre, condamnés le 20 thermidor an VIII, et exécutés le 23 vendémiaire an IX.

« Cejourd'hui, 23 vendémiaire an IX, le commissaire du gouvernement près le Tribunal, qui a reçu, dans la nuit et à onze heures du soir, le paquet du ministre de la justice contenant la procédure et le jugement qui condamne à mort Laurent Guyon, Etienne Hyvert, François Amiet et Antoine Leprêtre ; – le jugement du Tribunal de cassation du 6 du courant, qui rejette la requête en cassation contre le jugement du 21 thermidor an VIII, – a fait avertir, par lettre, entre sept et huit heures du matin, les quatre accusés que leur jugement à mort serait exécuté aujourd'hui à onze heures. Dans l'intervalle qui s'est écoulé jusqu'à onze heures, ces quatre accusés se sont tiré des coups de pistolet et donné des coups de poignard en prison. – Leprêtre et Guyon, selon le bruit public, étaient morts ; Hyvert blessé à mort et expirant ; Amiet blessé à mort, mais conservant sa connaissance. Tous quatre, en cet état, ont été conduits à la guillotine, et, morts ou vivants, ils ont été guillotinés ; à onze heures et demie, l'huissier Colin a remis le procès-verbal de leur supplice à la Municipalité pour les inscrire sur le livre des morts.
Le capitaine de gendarmerie a remis au juge de paix le procès-verbal de ce qui s'est passé en prison, où il a été présent ; pour moi qui n'y ai point assisté, je certifie ce que la voix publique m'a appris.

Bourg, 23 vendémiaire an IX.
                    Signé : Dubost, greffier.

Ah ! c'était donc le poète qui avait raison contre l'historien ! Le capitaine de gendarmerie qui avait remis au juge de paix le procès-verbal de ce qui s'était passé dans la prison, – où il était présent, – c'était l'oncle de Nodier. Ce procès-verbal remis au juge de paix, c'était le récit gravé dans la tête du jeune homme, récit qui, après quarante ans, s'était fait jour sans altération dans ce chef-d'oeuvre intitulé : Souvenirs de la Révolution.
Toute la procédure était aux archives du greffe. M. Martin me faisait offrir de la faire copier : interrogatoire, procès-verbaux, jugement.
J'avais dans ma poche les Souvenirs de la Révolution de Nodier. Je tenais à la main le procès-verbal d'exécution qui confirmait les faits avancés par lui.
- Allons chez notre magistrat, dis-je à M. Milliet.
- Allons chez notre magistrat, répéta-t-il.
Le magistrat fut atterré, et je le laissai convaincu que les poètes savaient aussi bien l'histoire que les historiens, – s'ils ne la savaient pas mieux.
Il va sans dire que je ne pris point congé de lui, sans jeter un dernier coup d'oeil de convoitise sur le petit César.

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