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Titre Georges

Année de publication 1843

Genre Roman

Collaborateur(s) Félicien Maleville

Epoque du récit 1810-1825

Résumé 1810, à l'Ile de France (actuelle Maurice). Pierre Munier, intègre et prospère planteur métis, se distingue dans la défense de l'île menacée par les Anglais, après avoir été refusé en raison de sa couleur de peau dans la garde nationale par M. de Malmédie, riche colon. Georges et Jacques, enfants de Munier, se défendent contre une provocation d'Henri, fils de Malmédie. Leur père, "ce héros qui lève la tête devant la mitraille et plie les genoux devant un préjugé", décide d'éloigner les deux frères, qui partent pour la France. Jacques se fait bientôt matelot et disparaît ; quant à Georges, il reçoit à Paris la meilleure éducation et devient vite un jeune homme brillant, doué d'un sang-froid hors norme et d'une grande élévation morale.

Quatorze années passent. Georges décide de regagner son île natale, avec un objectif : y vaincre le "préjugé de couleur" (on ne dit pas encore racisme) attaché à sa condition de mulâtre. Sur le navire qui l'embarque, il se lie d'amitié avec un autre homme d'élite, lord Williams Murrey, nouveau gouverneur envoyé par Londres dans la colonie, passée à l'Angleterre en 1810. Retrouvailles poignantes entre le fils et son père à Maurice, suivies de l'arrivée aussi inopinée que brève de Jacques : celui-ci s'est fait pirate... et négrier.

Le retour de Georges est vite placé sous le double signe de l'amour et de la haine. Amour pour Sara, délicieuse jeune femme qu'il sauve en abattant un requin prêt à la dévorer alors qu'elle se baigne dans une crique ; haine pour les Malmédie, qui lui refusent, outrés par l'audace du mulâtre, la main de Sara : celle-ci n'est autre que la nièce orpheline et richissime de M. de Malmédie, promise malgré elle à son fils Henri. La tension culmine lors des fêtes mahométanes du Yamsé : Georges gagne la course de chevaux contre Henri et lui inflige publiquement un coup de cravache, avant de fuir.

Ses idéaux se brisant contre l'épreuve des faits, Georges se radicalise et accepte la proposition de l'esclave Laïza : prendre la tête d'une révolte des nègres visant à abolir l'esclavage et instaurer l'indépendance, à l'image d'une autre île, Saint-Domingue, qui "à cette heure s'appelle Haïti". Lord Murrey, gouverneur éclairé, tenant de la concorde entre les communautés, en est informé et tente une vaine conciliation auprès de Georges, qu'il voudrait faire l'instrument de sa politique, avant de l'arrêter.

La révolte est cependant lancée, mais bien vite étouffée. Le gouverneur a fait placer des tonneaux de rhum partout en ville : l'ivresse des révoltés a tôt fait d'anéantir le soulèvement, ainsi que l'ambition du mulâtre, qui s'évade entre temps et tente une cavale désespérée. D'ultimes péripéties le feront prisonnier, condamné à mort, marié in extremis à celle qui l'aimait, avant un dernier coup de théâtre qu'orchestre son négrier de frère...

Analyse Roman de jeunesse, roman personnel, Georges reprend en les adaptant maints éléments de l'histoire familiale de Dumas. Saint-Domingue fait place à l'Ile de France, colonie exotique dont la prospérité repose sur l'esclavage. Georges est de sang mêlé, comme Dumas et son père. Son nom et son séjour brillant à Paris rappellent évidemment le chevalier de Saint-Georges, avec qui le général Dumas combattit dans la légion des Américains et du Midi (lointain écho de la troupe noire conduite par Pierre Munier). Quant à la révolte des nègres, Dumas établit lui-même la comparaison avec le soulèvement de Saint-Domingue et l'indépendance d'Haïti, thème qui garda par la suite une certaine actualité (Bug-Jargal de Victor Hugo en 1826, Toussaint Louverture de Lamartine en 1840, "bons d'Haïti" dans Le Comte de Monte-Cristo).

L'identification va bien sûr jusqu'à l'auteur : métis, il fut l'objet de sarcasmes ("Grattez l'écorce de M. Dumas et vous trouverez le sauvage", Eugène de Mirecourt). Cet unique roman consacré aux "frères de sang et amis de couleur", double manifeste contre le racisme et la condition servile, s'insurge contre l'absurdité du préjugé dont est victime un homme d'une exceptionnelle valeur (Georges), l'exploitation de l'homme par l'homme (les esclaves des Malmédie), et la détresse du déracinement (exprimée avec beaucoup de force dans le personnage de Nazim).

Mais Dumas suggère aussi l'ambiguïté du métis : Pierre Munier est lui-même propriétaires d'esclaves, Jacques, malgré un caractère paillard et sympathique, donne dans la traite, quant à Georges, sa hauteur de vue le place dans une situation intenable face aux esclaves, ivres morts avant même d'avoir commencé à livrer combat. Solidarité avec les opprimés donc (thèmes de la justice et de la vengeance, omniprésents chez Dumas), mais aussi détachement et fierté du mulâtre et de l'affranchi. Au reste, les quelques portraits de Noirs postérieurs à Georges les relèguent dans des positions insignifiantes (les négrillons Zamore et Alexis dans Joseph Balsamo et Histoire de mes bêtes), voire sauvages (Africains subsahariens dans Le Véloce).

A l'arrière-plan du destin de Georges, quelques personnages secondaires offrent de l'intérêt. Ainsi Laïza, esclave téméraire, soldat de la liberté, qui combat avec les siens malgré l'abandon du plus grand nombre, est sans doute le personnage le plus inspiré à Dumas par le soulèvement d'Haïti. Très émouvante, la douleur de son frère Nazim, apprenant par le chant d'un rossignol la mort de sa mère dans son Anjouan natal d'où il fut déraciné (Dumas pensa-t-il à sa grand-mère Césette en écrivant ces lignes ?). Antonio le Malais évoque la vie des cases (scène de la "berloque"), et il est plaisant d'imaginer, derrière ses talents de griots, une hérédité africaine de conteur chez Dumas.

Quant à Jacques, on retiendra son caractère gaulois et surtout ses aventures de pirate, qui rappellent celles des Mémoires d'un gentilhomme corsaire d'Edward John Trelawney, que Dumas adora et édita en son temps. Enfin, le colporteur chinois Miko-Miko, adjuvant de Georges dans son approche de Sara, complète une galerie de personnages hauts en couleurs, qui témoignent d'un multiculturalisme de l'Ile Maurice aujourd'hui moins chaotique, celui précisément que Lord Murrey poursuivait, un peu trop tôt... Que tout cela se déroule dans une nature tropicale peinte avec lyrisme, et voici un roman complet, avec un grand sujet.

Noël Lebeaupin

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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