Titre
La femme au collier
de velours. In Les
mille et un fantômes.
Année de publication
1851
Genre
Nouvelle
Collaborateur(s)
-
Epoque du récit
1793
Résumé
Le livre commence par un premier chapitre consacré à une
longue évocation de Charles Nodier, écrivain et ami proche
de Dumas, qui l'accueillit à Paris à ses débuts et
l'introduisit dans la vie intellectuelle de la capitale. A la fin de ce
chapitre autobiographique, Dumas affirme que Nodier lui a raconté
une histoire, qu'il retranscrit ensuite.
Le
récit proprement dit se déroule en 1793, sous la Terreur.
La guillotine ensanglante les rues de Paris. Mais Paris reste Paris :
à l'odeur du sang se mêle le parfum de l'or et des femmes
; au son du couperet celui des théâtres et de l'ivresse.
C'est dans cette comédie macabre qu'entrent Hoffmann, le «vrai»
E.T.A. Hoffmann (écrivain et compositeur allemand, 1776–1822,
auteur de nombreux contes fantastiques) mis en scène ici par Dumas,
et ses idéaux. Le jeune homme a quitté son Allemagne natale
et sa douce fiancée, Antonia - à qui il a fait le serment
de ne pas jouer et surtout de lui rester fidèle, sans quoi elle
mourrait - pour découvrir ce Paris mythique et palpitant.
Dans la capitale, c'est le spectacle de la mort et de la sensualité
qu'il va découvrir : sa première vision sera celle
de la du Barry que l'on va guillotiner, la seconde celle d'Arsène,
danseuse et maîtresse de Danton, qui porte à son cou un collier
de velours dont le fermoir est une guillotine en argent. Subjugué
par la jeune femme et porté par un désir ardent et enivrant,
la seule obsession de Hoffmann est de la posséder, quitte à
sacrifier Antonia et à trahir ses promesses. Et la seule façon
d'avoir cette femme, c'est de l'acheter : il décide alors
de jouer pour couvrir Arsène d'or. Emporté par une fièvre
démoniaque et hallucinée, il joue et gagne.
Fou de joie et gonflé de désir il se précipite chez
Arsène qui est absente : Danton vient d'être arrêté
et guillotiné, elle s'est enfuie pour ne pas connaître le
même sort. Hagard, Hoffmann erre alors dans Paris où il retrouve
Arsène, recroquevillée près de la guillotine. Attirée
par l'or, la jeune femme part avec lui et l'emmène dans un hôtel
où ils passent la nuit ensemble. Mais le lendemain, c'est un cadavre
que découvre Hoffmann à ses côtés. Et alors
que le médecin détache le collier de velours, la tête
d'Arsène, guillotinée en fait la veille, roule aux pieds
de l'amant.
Essayant de retrouver ses esprits, il retourne à la maison de jeu
pour récupérer un médaillon confié par Antonia
qu'il avait mis en gage. Mais la mort là encore l'attend :
Hoffmann apprend que sa fiancée est morte.
Analyse
Tout en se plaçant dans la tradition littéraire de la «morte
amoureuse», Dumas choisit d'orienter son récit sur la dualité
entre hallucination et réalité, amour pur et amour sensuel,
Eros et Thanatos.
Dernier soubresaut du romantisme noir - nous sommes déjà
en 1850 - la mort et le sang se mêlent à la chair et au plaisir :
l'amour sensuel ne semble pouvoir se découvrir qu'à travers
la mort. En cela, Arsène, personnage quasiment muet, figure de
prostituée, est une initiatrice : c'est par elle que Hoffmann
découvre le désir sexuel, alors jusqu'ici endormi et dominé
par un amour pur envers Antonia. Elle est l'initiatrice, involontaire,
qui, une fois le désir appris, disparaît et n'est plus qu'un
cadavre ; la maîtresse qui incarne la fusion infernale d'Eros
et Thanatos.
On pourrait également interpréter le trio formé par
le médecin de l'Opéra, Arsène et Hoffmann d'un point
de vue méta-romanesque : le médecin représenterait
l'auteur, à la fois dominant et dominé par son oeuvre -
symbolisée ici par Arsène, beauté insaisissable et
fascinante - et qui se plaît à ôter les illusions de
Hoffmann, image du lecteur, possédé par la Création
et qui se perd dans l'attirance irrésistible qu'elle exerce.
En ce sens, le premier chapitre est très important : Dumas
nous introduit chez Charles Nodier et dans son cercle d'amis à
l'Arsenal et nous présente l'écrivain comme un conteur talentueux,
un homme de génie chez qui se confondent réel et imaginaire.
C'est lui, nous dit Dumas, qui, avant de mourir, lui aurait raconté
l'histoire de la femme au collier de velours afin que Dumas l'écrive.
Ainsi, l'origine du roman est née dans la mort, c'est l'histoire
d'une fascination transmise d'un créateur à un autre.
Mais cette anecdote peut aussi être une pure mystification de la
part de Dumas qui joue avec son lecteur comme il le fait pendant son roman.
En effet, celui-ci repose sur une ambiguïté fondamentale :
Arsène est-elle une hallucination, un fantasme ou bien a-t-elle
vraiment existé ? Dès lors, les codes de la narration
et de la réception du texte changent : quelle crédibilité
accorder à cette écriture qui brouille les frontières
entre réel et imaginaire et qui crée un suspense à
la fois puissant et fragile ?
Mais Dumas n'a de cesse de jouer : il s'amuse également du
genre fantastique et son écriture se fait alors ironie, ne serait-ce
que dans le fait de placer son texte sous l'égide d'un des maîtres
du fantastique en France, Nodier, ou de faire de Hoffmann, auteur lui-même
de contes fantastiques, le protagoniste halluciné de son récit.
Il réduit ainsi au maximum le personnage d'Arsène, ne faisant
plus d'elle que l'ombre d'une héroïne fantastique, ou crée
un personnage qui pourrait être le diable mais qui se révèle
n'être qu'un médecin doté d'un grand sens pratique.
Hommage et pastiche, réflexion sur un genre et jeu incessant avec
le lecteur, La Femme au collier de velours
fascine toujours, comme une tête prête à tomber...
Audrey Gilles
|