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Pain d'épices


Depuis les temps les plus reculés, le meilleur pain d'épice s'est fabriqué à Reims. A la fin du XVe siècle, sous Louis XII, il jouissait d'une grande réputation, et celui qu'on fabriquait à Paris n'était qu'au second rang.
Vers la fin du règne de Louis XIV et au commencement du règne de Louis XV, il était d'usage de faire présent de croquets et de nonnettes de Reims ; il n'y a plus guère aujourd'hui que les enfants qui en consomment, mais il ne s'en fait pas moins un commerce considérable.
Nous avons entendu raconter, dit M. de Courchamps, que le dernier maréchal de Mouchy venant de perdre un de ses beaux-frères, contre lequel il avait plaidé pendant de longues années, était solennellement assis dans le salon de son appartement au château de Versailles, où il écoutait des compliments de condoléances avec beaucoup de gravité.
Comme il était là depuis son retour de la messe du roi, et que le dîner approchait, le contrôleur du maréchal, car il avait accordé le titre de contrôleur à son maître d'hôtel, cet officier, disons-nous, osa prendre sur lui d'interrompre la cérémonie des compliments pour venir lui demander ses ordres :
- Hé ! mon Dieu, lui dit le maréchal avec un ton mêlé d'impatience et d'affliction, comment pouvez-vous et comment osez-vous me faire une question pareille ? Qu'est-ce que vous pourriez me présenter convenablement, sinon les deux plats d'ancienne étiquette ? Apprenez donc, monsieur, qu'un jour comme aujourd'hui, vous ne pouvez servir devant moi que des pigeons au gros sel et du pain d'épice. Comment se fait-il que mon contrôleur ne sache pas cela ?
On fait le pain d'épice avec la fleur de farine de seigle, de l'écume de sucre ou du miel jaune et des épiceries ; on fait cuire le tout, que l'on divise en pains de la forme que l'on veut. Il excite l'appétit, relève et soutient les forces digestives ; mais on ne doit en manger que modérément. Les marins se trouvent bien d'en faire usage.
Son invention remonte à une date fort ancienne ; il n'y a pas de doute qu'elle n'ait suivi immédiatement celle du pain. Encouragés par le succès de l'opération qui avait procuré le pain, les hommes essayèrent de combiner la farine des différents grains avec toutes les substances qui pouvaient en rendre la saveur plus agréable, tels que le beurre, les oeufs, le lait, le miel, afin de voir ce qu'il en résulterait. Ce furent sans doute ces expériences qui donnèrent naissance à toutes les pâtisseries dont se régalaient les anciens, et dont nos pères, au temps des Croisades, rapportèrent les recettes d'Egypte et d'Asie, ce qui a servi à former l'art du pâtissier et du confiseur.
Les Romains avaient leur pain d'épice ; c'était l'offrande que le pauvre faisait aux dieux immortels. Far cum melle. Les Grecs le mangeaient au dessert. Nos ancêtres l'estimaient fort et en faisaient même des présents. Dans les repas de cour, il figurait au premier rang. Agnès Sorel, la jolie maîtresse de Charles VII, appelée Dame de Beauté à cause du château de Beauté qu'elle possédait sur les bords de la Marne, et qui était un cadeau de son royal amant, ne pouvait se lasser de cette friandise, et plusieurs auteurs du dernier siècle ont prétendu même qu'elle avait été empoisonnée avec du pain d'épice par le dauphin, depuis Louis XI, qui ne l'aimait point parce que son père l'aimait trop ; mais c'est une conjecture qui ne repose que sur le caractère cruel et vindicatif de ce prince. Marguerite de Valois, soeur de François Ier, en faisait aussi ses délices. Mais sous Henri II, on s'en dégoûta tout à coup, parce que le bruit courut que les Italiens y mettaient du poison, et il ne revint en faveur qu'à la fin du règne de Louis XIV, comme nous l'avons dit plus haut.
La farine de seigle rend ce pain un peu pesant ; cependant, quand il est bien confectionné et bien cuit, les aromates qu'on y emploie le rendent plus digestif. Le bon pain d'épice, fait avec du bon miel de choix, peu aromatisé, est laxatif, calme la soif et favorise l'expectoration. Pour qu'il puisse se garder sans se ramollir par l'humidité et s'altérer en vieillissant, il faut lui donner un degré de cuisson convenable et l'exposer de temps en temps à la chaleur du feu ou du soleil.

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