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Pain


Dans la plupart des pays civilisés, la nourriture de l'homme se compose en grande partie de pain que l'on prépare suivant les productions du pays, soit avec du froment, ou avec du seigle, du maïs, etc.
Pour que la farine puisse fournir un pain convenable, il faut qu'elle contienne une assez grande proportion de gluten, et plus elle en contiendra, plus le pain sera supérieur. Lorsque la pâte de farine, convenablement préparée, est abandonnée à elle-même dans des circonstances convenables, il s'y développe une fermentation alcoolique qui donne lieu au dégagement d'une quantité de gaz acide carbonique ; le gluten que renferme cette pâte formant un réseau extensible, retient en grande partie le gaz carbonique qui soulève ainsi la masse et la rend légère et poreuse ; quand ensuite la cuisson la solidifie, cette pâte reste avec les mêmes caractères et fournit un bon pain. Le gluten, réparti dans la farine, s'imbibe d'eau et forme une espèce de membrane qui donne à la pâte du froment l'élasticité qui la caractérise ; c'est elle également qui retient le gaz que produit la fermentation.
On dit communément que le pain, pour être bon à manger, doit avoir un jour ; que la farine, pour faire la pâte, doit avoir un mois ; et que le grain doit avoir un an avant de le faire moudre ; mais pour tout le monde, le pain est généralement bon lorsqu'il est tendre et tout à fait refroidi. Il n'y a guère que le pain de millet qui soit bon chaud. Quoique la panification systématique ne soit pas du ressort de la cuisine, nous croyons devoir donner quelques notions précises et succinctes sur la théorie du boulanger. On trouve partout du blé, de la levure et de la farine de froment ; mais il y a des pays où le pain fabriqué par les nationaux n'est pas mangeable, et un de nos amis, M. Drouet, sculpteur, qui a beaucoup voyagé dans quelques-uns de ces pays, nous disait un jour qu'il avait été obligé pendant très longtemps de manger des pommes terre au lieu de pain, ce dernier étant détestable.
La qualité du pain, comme nous l'avons déjà dit plus haut, dépend de sa levure et de sa cuisson, mais principalement de sa levure ; c'est à elle qu'on doit toujours attribuer son plus ou moins de bonté. L'opération de la levure consiste à garder un peu de pâte jusqu'à ce que par une sorte de fermentation spiritueuse qui lui est particulière, elle se soit gonflée, raréfiée et ait acquis une odeur et une saveur qui ont quelque chose de vif, de piquant et de spiritueux mêlé d'aigre. On pétrit exactement cette pâte fermentée avec la pâte nouvelle, et ce mélange détermine promptement cette dernière pâte à éprouver elle-même une pareille fermentation, mais moins avancée et moins complète que celle de la première. L'effet de cette fermentation est de diviser, d'atténuer la pâte nouvelle, d'y développer beaucoup de gaz qui, ne pouvant se dégager entièrement à cause de la ténacité et de la consistance de la pâte, y forment de petites cavités, la soulèvent, la dilatent et la gonflent, ce qui s'appelle la faire lever, et c'est par cette raison qu'on a donné le nom de levain à la pâte ancienne qui détermine tous ces effets.
Lorsque la pâte est ainsi levée, elle est en état d'être mise au four où, en se cuisant, elle se dilate davantage par la raréfaction des gaz ; et puis elle forme un pain léger, complètement différent de ces masses lourdes, compactes, visqueuses et indigestes que donnent la cuisson de la pâte qui n'est pas bien levée.
L'invention d'appliquer à la fermentation de la pâte la levure de bière ou le résidu des vins de grains, a procuré encore une nouvelle matière très propre à améliorer le pain ; c'est l'écume qui se forme à la surface de ces liqueurs pendant la fermentation dont on use en guise de levain ; cette écume introduite et délayée dans la pâte de farine la fait lever encore mieux et plus promptement que le levain ordinaire ; elle se nomme levure de bière ou simplement levure, et nous en avons parlé à son article. C'est par son moyen qu'on fait le pain le plus délicat qui se nomme pain mollet. Il arrive souvent que le gros pain qui a été fait avec du levain de pâte a une saveur tirant sur l'aigre, ce qui est très désagréable ; cela peut tenir à ce que l'on a mis dans le pain une trop grande quantité de levain ou de ce que la fermentation du même levain était trop avancée. On ne remarque jamais cet inconvénient dans le pain fait avec la levure, ce qui vient apparemment de ce que la fermentation de la levure est moins avancée que celle du levain, ou qu'on met plus de sollicitude à la fabrication du pain mollet qu'à celui du pain de ménage. Le pain bien levé et cuit à propos diffère donc absolument d'un pain mal fabriqué, non seulement parce qu'il est beaucoup moins compact et d'une saveur plus agréable, mais encore parce qu'il se trempe aisément et qu'il ne fait pas, quand on l'imbibe, une colle visqueuse, ce qui est d'un avantage infini pour la digestion.
Quant au sel que l'on ajoute à la pâte, il ne sert pas seulement à donner du goût au pain, mais il exerce encore une action en déterminant une plus grande absorption d'eau par la farine, et quelques autres sels offrent cette action à un plus haut degré, mais dans de très petites proportions seulement ; au-delà de certaines limites, ces sels empêchent la pâte de lever aussi bien.
Le levain et le sel offrent donc de grands avantages dans la panification ; ces deux ingrédients consomment tout ce qu'il y a d'impur, donnent à la farine une espèce de cuisson anticipée et à la masse une consistance plus ferme.
Le peuple français est, comme on le sait, celui qui consomme le plus de pain, et c'est sans doute pour cela qu'il y règne moins de maladies ; avantage que plus d'un médecin attribue à l'usage que nous avons de manger beaucoup de pain à nos repas.
Il n'en est pas de même chez les Anglais et les Allemands dont la principale nourriture est la viande ou les pommes de terre ; cela ne veut pas dire que ce régime alimentaire est constamment mauvais, mais il est souvent la cause de maladies putrides.
Un Parisien se trouvant un jour dans une ville d'Allemagne se trouva invité à dîner par un de ses amis.
A six heures, il était chez son ami ; il vit une table somptueusement servie pour une douzaine de personnes à peu près, mais ce qui le frappa le plus, ce fut la petitesse des morceaux de pain qui se trouvaient sous chaque serviette.
Au bout d'un quart d'heure d'attente, ne voyant arriver aucun convive et sentant la faim le presser vivement il se dit :
- Ma foi, je suis chez un ami, je n'ai pas beaucoup à me gêner avec lui, je vais manger ce petit morceau de pain, cela me permettra d'attendre les convives qui ne peuvent tarder à arriver.
Il prit donc un morceau de pain et le mangea.
Un autre quart d'heure se passa, il fit la même réflexion que la première fois, et mangea deux morceaux de pain, n'ayant rien autre chose à manger.
Enfin, son ami et ses invités n'arrivant encore pas, il finit par manger, toujours en attendant, tout le pain qui se trouvait sur la table, de sorte que lorsque les convives arrivèrent, ils n'en trouvèrent plus ; et le Parisien leur ayant raconté que c'était lui qui avait tout mangé, ils rirent beaucoup et lui demandèrent comment il avait pu faire pour en avaler autant.
Quant à eux, ils s'en passèrent parfaitement, cela ne les gênant pas, et les douze morceaux de pain avalés par lui n'empêchèrent pas non plus notre compatriote de faire honneur au dîner de son ami.
L'arrivée tardive des convives fut expliquée alors ; on soupe en Allemagne à huit heures, et le Parisien, ayant l'habitude de dîner à six, était venu à son heure habituelle sans s'inquiéter si c'était bien l'heure du repas.

Moyen de faire la levure avec des pommes de terre.
Faites cuire des pommes de terre farineuses jusqu'à ce qu'elles soient bien molles ; pressez, écrasez-les et versez-y assez d'eau chaude pour leur donner la consistance de la levure de bière ordinaire, ajoutez pour une livre de pommes de terre deux onces de mélasse, et quand le tout est chaud, ajoutez-y pour chaque livre de pommes de terre deux grandes cuillerées à soupe de bière. Gardez le tout chaudement jusqu'à ce qu'il ait cessé de fermenter ; et en vingt-quatre heures il sera prêt à être mis en usage. Une livre de pommes de terre produit environ une pinte de levure, et elle se conserve trois mois. Cette levure remplit si bien le but qu'on ne peut distinguer le pain qui en contient de celui qui est fait avec de la levure de bière. Edlin.
« Je crois rendre service à mon état, dit M. Carême, en donnant la méthode de faire le pain d'après les procédés de M. Edlin.
« Les hommes de bouche qui voyagent avec des maîtres amateurs de bonne chère pourront désormais, à l'aide de cette méthode, se procurer du pain frais tous les jours. Cependant nous pourrons en user ainsi toutes les fois que notre service de cuisine n'en souffrira en aucune manière. Or, quand nous habiterons une campagne éloignée ou que les boulangers de province nous donneront du pain de mauvaise manipulation, c'est alors que nous serons heureux de pouvoir offrir à ceux que nous sommes spécialement chargés de bien faire vivre, du pain qui ne le céderait en rien à celui de nos boulangers de Paris. Cela serait fort aimable pour les maîtres, j'en conviens, mais peut-être fort déplaisant pour nous, car le même homme ne peut être à la fois cuisinier et boulanger, mais il doit en charger son aide et le surveiller dans l'opération, à moins que ce ne soit un aide-pâtissier ; alors celui-là doit être l'homme de la chose. »
Comme il y a encore dans les campagnes beaucoup de paysans qui font leur pain eux-mêmes, nous allons donner la méthode la plus simple de le faire.

Méthode pour faire le pain.
Vous mettez la quantité de farine que vous voulez, suivant ce qu'il vous faut de pain : faites une fontaine au milieu et vous mettez dans cette fontaine un demi-quarteron ou plus de levure, faites votre détrempe à l'eau tiède, et de sorte qu'elle soit de la consistance de la pâte à brioche, travaillez bien votre pâte en y joignant deux onces de sel fin délayé dans un peu d'eau tiède, couvrez-la et mettez-la chaudement afin qu'elle puisse fermenter et lever ; la bonté du pain, on ne saurait trop le répéter, dépend des soins donnés à cette partie de l'opération ; après avoir laissé la pâte en cet état une heure ou deux, selon la saison, on la pétrit de nouveau, on la recouvre et on la laisse encore reposer deux heures dans cet état ; puis chauffez le four, et lorsqu'il est bien nettoyé vous divisez la pâte en autant de parties que vous voulez et formez des pains de la forme qu'il vous plaira. Vous placerez ces pains dans le four le plus promptement possible, puis, lorsqu'ils sont cuits, vous frottez la croûte avec un peu de beurre, afin de lui donner une belle couleur jaune.

Pain français en rouleau.
Vous prenez de la farine tamisée suivant ce que vous voulez faire de pâte et vous la délayez avec du lait, du beurre tiède, environ une demi-livre de levure et du sel. Vous mêlez bien le tout et vous le pétrissez avec une suffisante quantité d'eau chaude ; travaillez bien la pâte, couvrez-la et laissez-la deux heures pour l'épreuve. Moulez-la ensuite en rouleau que vous placez sur des plaques ou plafonds étamés et laissez-les sur le four ou dans une étuve à chaleur molle, afin qu'ils puissent s'apprêter, placez-les une heure après dans un four très chaud pendant vingt minutes. Râpez-en le dessus lorsqu'ils sont cuits. Vous pouvez les mettre de préférence sur du papier beurré, ils n'en font que plus d'effet en cuisant et cela les rend infiniment plus légers.

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