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Hareng


Tout le monde connaît le hareng ; je dirai même qu'il y a peu de personnes qui ne l'aiment pas ; vivant, il est vert sur le dos, blanc sur les côtés et le ventre ; mort, le vert du dos se change en bleu ; c'est le fils du pôle ; depuis le lieu de sa naissance jusqu'au quarante-cinquième degré de latitude, on le trouve dans toutes les mers, formant, à partir du vingt-cinq juin où l'on commence à apercevoir en Hollande ce qu'on appelle l'éclair du hareng, des bancs longs et larges de plusieurs lieues, si épais que les poissons qui les forment s'étouffent les uns les autres par milliers sur les bas-fonds ; parfois les filets qu'ils remplissent, trop faibles pour soulever un tel poids, se déchirent et laissent retomber la proie déjà moitié prise ; comme la colonne de feu et de fumée des Hébreux, on peut suivre le jour et la nuit leur émigration : la nuit par l'éclat phosphorescent qu'ils répandent, le jour par les bandes d'oiseaux ichthyophages qui les suivent, plongeant de temps en temps et remontant avec un éclair d'argent au bec ; des baleines, des requins, des marsouins, des bonites, des dorades les suivent, mordent à même du banc, et en font une immense consommation.
Bloch a assuré, dit Victor Meunier, que dans une seule localité de la Suède on en pêche annuellement plus de sept millions ; mais la fécondité de ce poisson compense toutes les causes de destruction qui s'attachent à lui. On a compté dans une seule femelle soixante-six mille six cent six oeufs. Ajoutons que l'on compte sept femelles pour deux mâles.
La pêche du hareng est la plus importante de toutes, tandis que la pêche de la morue baisse ; et que le Havre qui a envoyé jusqu'à quarante bateaux à la pêche de la morue, n'en avait envoyé cette année qu'un seul. On compte huit cent mille personnes que cette branche d'industrie fait vivre ; elle rapporte à l'Europe près de quatre millions de francs.
C'est un nommé Bruckalz qui a inventé l'art de fumer les harengs.
La plus belle et la meilleure espèce de harengs frais qu'on mange à Paris est celle qui nous arrive des côtes de Normandie ; nous dirons plus loin de quelle manière on peut les apprêter.
Le hareng pec et nouvellement salé doit toujours venir de Rotterdam, de Leawarde ou d'Enkhuisen, en Hollande ; on le coupe par rouelles et on le mange tout cru, sans lui faire subir aucun autre apprêt que celui d'une salade. Les plus beaux harengs saurs, les plus grands, les plus charnus, les plus dorés, les mieux fumés au genièvre sont les saurets de Germuth, en Irlande.
Presque jamais les harengs salés ne paraissent sur la table des maîtres ; mais ils sont, dans les pays où ils abondent, d'une grande utilité pour les ouvriers et les pauvres. On en fait alors dans certaines provinces une fricassée très appétissante et confortable, en les faisant frire, en petits morceaux, sans être dessalés, dans du saindoux avec un amas de poireaux crus et hachés, que l'on mélange avec des pommes de terre de la grosse espèce farineuse que l'on a fait cuire à l'eau bien salée, avec quelques tiges de romarin.
Le hareng frais est un excellent poisson dont on ferait le plus grand cas, s'il était cher et s'il était rare ; il faut le choisir avec des ouïes rouges, des écailles brillantes, rebondi du côté du ventre, car alors il est plein, mais ce n'est guère qu'à la fin d'août ou à la mi-septembre qu'on le mange dans toute sa saveur.
Il subsistait encore au XVIe siècle un usage assez bizarre parmi les chanoines de la cathédrale de Reims. Le mercredi saint, après les ténèbres, ils allaient processionnellement à l'église de Saint-Rémi, rangés sur deux files, chacun d'eux traînant derrière soi un hareng attaché à une corde. Chaque chanoine était occupé à marcher sur le hareng de celui qui le précédait et à sauver le sien des surprises du suivant. Cet usage extravagant ne put être supprimé qu'avec la procession.
La pêche du hareng est, comme on le sait, une des branches de commerce les plus productives pour l'Angleterre qui en exporte surtout beaucoup en Italie pour la semaine sainte. Dans le temps que le pape Pie VII fut obligé de quitter Rome conquise par les Français en révolution, le comité de la chambre des communes, à Londres, s'occupant de la pêche des harengs, un membre fit observer que le pape étant chassé de Rome, l'Italie allait vraisemblablement se faire protestante : – « Dieu nous en préserve ! s'écria un autre membre. – Comment, reprit le premier, seriez-vous fâché de voir s'accroître le nombre des bons protestants ? – Non, répondit l'autre, ce n'est pas cela mais s'il n'y a plus de catholiques, que ferons-nous de nos harengs ?... »
Un gascon disait que, s'il était gouverneur d'une ville ou d'une place assiégée, il tiendrait bon malgré la plus cruelle famine. – « Je ne suis plus surpris, monsieur, lui dit son valet, si vous tenez si longtemps table quand vous n'avez à manger qu'un hareng saur. »

Harengs frais Sauce à la moutarde.
Prenez douze harengs, videz-les par les ouïes, écaillez-les, essuyez-les, mettez-les sur un plat de faïence ou de terre, versez un peu d'huile dessus, saupoudrez-les de sel fin, ajoutez quelques branches de persil, et retournez-les dans cet assaisonnement ; un quart d'heure avant de servir, mettez-les griller, retournez-les ; leur cuisson faite, dressez-les sur votre plat, et saucez-les d'une sauce blanche au beurre, sauce dans laquelle vous aurez mis et délayé une grande cuillerée à bouche de moutarde non bouillie ; vous pouvez servir vos harengs avec une sauce grasse, et si vous les servez froids, saucez-les avec une sauce à l'huile de telle nature que vous jugerez convenable.

Harengs frais au fenouil.
Fendez vos harengs par le dos, frottez-les de beurre tiède et de sel, avec une plume ou un pinceau ; enveloppez-les de fenouil, faites-les griller, puis servez- les avec une sauce rousse où vous ajouterez une poignée de fines tiges, et de feuilles de fenouil que vous aurez fait blanchir au vin blanc, et hachées fin.

Caisse de laitances de harengs.
Prenez les laitances d'une trentaine de harengs, faites-les blanchir, et égouttez- les ; mettez un morceau de beurre dans une casserole, avec champignons, persil, échalotes et ciboules hachés très fin ; sel, poivre et fines épices ; passez ces fines herbes légèrement sur le feu, ajoutez-y vos laitances ; faites-les mijoter un instant dans cet assaisonnement ; vous aurez fait une caisse ronde ou carrée, dans laquelle vous aurez étendu au fond un gratin, soit gras, soit maigre, de l'épaisseur d'un demi-travers de doigt ; huilez le dessus de votre caisse et le dehors, mettez-la sur le gril, posez ce gril sur une cendre chaude ; faites cuire ainsi ce gratin ; un instant avant de servir mettez vos laitances dans cette caisse, dégraissez-la, dressez-la, saucez-la d'une espagnole réduite, dans laquelle vous aurez exprimé le jus d'un citron et servez.


Harengs frais en matelote.
Mettez vos harengs dans une casserole avec un morceau de beurre, persil, champignons, ciboules, une pointe d'ail avec deux bons verres de vin de Bourgogne ou de Bordeaux, sel, poivre, poussez-les à grand feu, servez-les à courte sauce, et garnissez de croûtons frits.

Harengs pecs pour hors-d'oeuvre.
Lavez une douzaine de harengs, coupez-leur la tête, la queue et les nageoires, dépouillez-les, mettez-les dessaler dans mi-lait et mi-eau ; lorsqu'ils seront à leur point, égouttez-les, mettez-les sur une assiette avec des tranches d'oignons et de pommes de reinette crues ; servez-les enfin avec une marinade ou une vinaigrette bien battue, et mêlez de cresson alénois.

Harengs saurs.
Prenez cinq ou six de ces harengs, essuyez-les ; coupez-leur la tête et le bout de la queue, fendez-leur les vertèbres de la tête à la queue, ouvrez-leur le dos ; mettez-les sur un plat de faïence, arrosez-les d'huile, laissez-les y mariner un instant ; mettez-les sur le gril, retournez-les, laissez-les cinq minutes à peine sur le feu, dressez-les sur une assiette et servez-les.

Harengs saurs à la Sainte-Menehould.
Dessalez-les dans la crème, faites-les cuire vingt minutes dans une sainte- menehould que vous aurez composée ainsi : mettez dans une casserole 30 grammes de beurre manié de farine et de lait, du persil, de la ciboule, de l'ail, du thym, du laurier, du basilic, un peu de poivre ; faites bouillir et tournez toujours ; mettez-y les harengs, faites-les cuire, trempez-les dans du beurre fondu, passez-les et faites-leur prendre couleur sous un four de campagne, dressez-les sur une rémoulade à l'huile verte.

Préparation du hareng saur, pour en faire plus tard bon emploi
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Faites dessaler dans du lait, et faites ensuite griller de beaux harengs saurs d'Irlande ; laissez-les refroidir, et levez-en les filets dont vous vous servirez plus tard pour en faire des sandwiches ou tartines au beurre frais, pour en garnir des bateaux de hors-d'oeuvre en les assaisonnant avec de l'huile fine et du jus de bigarade, pour en couvrir des litières de nouilles ou de lazagnes au beurre ainsi que des purées de pommes de terre, de marrons, de patates d'Espagne, de haricots blancs à la crème ; pour en faire un gros hachis dont vous assaisonnerez des omelettes à l'huile ou des oeufs brouillés en y mêlant des olives picholines tournées, de la crème de Sotteville à demi-sel, et un peu de brou de noix ; il en résulte un plat d'entrée qui n'est dépourvu ni de sapidité ni de distinction.
Recette de l'auteur des Mémoires de la marquise de Créquy.

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1998-2010
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