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Céphalopode


Les céphalopodes sont des mollusques du plus haut rang. Empruntons les détails qui le concernent à l'excellent livre de M. Meunier : Les grandes pêches.
Figurez-vous un sac musculeux, épais, mollasse, visqueux, sphérique chez les uns, cylindrique ou en fuseau chez les autres, et de couleurs changeantes comme le caméléon. Renfermez-y des organes de respiration aquatiques, un appareil circulatoire, un tube digestif, y compris un estomac comparable au gésier des oiseaux.
Surmontez ce sac d'une tête ronde, munie de deux gros yeux situés latéralement, entre lesquels débouchera un petit tube représentant non pas un nez, mais l'anus au milieu du visage !.
Sur le sommet et au milieu de cette tête, placez une bouche formée d'une lèvre circulaire, armée de deux mâchoires verticales cornées un véritable bec de perroquet et garnie à l'intérieur d'une langue hérissée de pointes. Enfin, tout autour de cette bouche, implantez une couronne d'appendices charnus, souples, vigoureux, rétractiles, quelquefois beaucoup plus longs que le corps, et le plus souvent armés à leur face externe de deux rangs de ventouses.
Vous avez une idée approximative des céphalopodes, ainsi nommés depuis Cuvier, parce qu'ils ont les pieds sur la tête, car les appendices que nous venons de décrire sont des pieds ou des bras, comme on voudra, vu qu'ils servent indifféremment à la préhension et à la locomotion.
Ces céphalopodes comptent parmi les plus anciens habitants de la mer ; les masses nerveuses groupées autour du tube digestif dans leur tête percée verticalement tendent à se réunir en une seule masse, ce qui est un trait de ressemblance avec les animaux vertébrés ; leur infime cerveau est protégé par un cartilage, rudiment de squelette sur lequel s'insèrent les principaux muscles ; la circulation a du rapport avec celle des poissons ; chez quelques- uns les yeux sont presque des yeux de vertébrés. Ces caractères leur assignent le premier rang parmi les mollusques, et la noblesse d'une antique origine ne leur manque pas davantage, ils datent des temps antédiluviens. Tous sont marins et carnassiers, les uns habitent la haute mer, les autres ne s'écartent point des côtes ; celles de la Méditerranée, celles de la Grèce surtout en sont infestées ; ils font un grand massacre de crustacés et de poissons ; leur domicile se reconnaît aux débris d'êtres vivants qui en jonchent les approches ; ils nuisent doublement aux pêcheurs, d'abord en leur faisant concurrence, ensuite en faisant fuir les animaux pour qui leur voisinage est malsain. Les pêcheurs se vengent d'eux en les mangeant, vengeance en général d'assez mauvais goût, culinairement parlant. Voulez-vous vous représenter les céphalopodes, rampant, nageant ou saisissant leur proie, renversez l'image qu'a offerte à votre esprit la description qui précède ; la bouche redressée verticalement, la tête en bas, les bras étendus, vous donnent le poulpe les calmars et les seiches se tiennent horizontalement. Tous rampent en appliquant sur le sol leurs bras armés de ventouses ; c'est de la même façon qu'ils saisissent leur proie, leur étreinte est irrésistible ; la victime, enlacée et comme aspirée, a bientôt senti la morsure du redoutable bec de perroquet dont ces longs appendices sont les pourvoyeurs. Il y a des exemples d'hommes morts de ce supplice.
L'abondance des poulpes sur certains points du littoral de la Grèce en rend la fréquentation dangereuse pour les baigneurs ; dans les îles de la Polynésie, ils sont l'effroi des plongeurs. C'est que leur taille est souvent très grande ; le poulpe commun de la Méditerranée est long d'environ 0,64 m et il en existe une espèce trois fois aussi grande dans l'océan Pacifique.
Aristote parle d'un calmar long de 5 coudées 2,71m. Pline va plus loin et décrit un poulpe dont les bras avaient 30 pieds de long. Un auteur moderne renchérit et raconte le cas d'un céphalopode qui, s'étant jeté sur un navire, manqua de le faire sombrer. A partir de ce moment, le poulpe géant fut mis par les naturalistes de niveau avec le serpent de mer.
Des découvertes récentes les ont cependant convaincus qu'il existe des céphalopodes dont la taille dépasse de beaucoup celle que les traités de zoologie assignent aux animaux de cette classe. Ainsi Péron a rencontré dans les parages de la Tasmanie un calmar dont les bras avaient 6 à 8 pouces de diamètre et 6 à 7 pieds de long. MM. Quoy et Gaymard ont recueilli dans l'océan Atlantique, près de l'équateur, les débris d'un mollusque de la même famille dont ils évaluent le poids à plus de 100 kilogrammes. Dans les mêmes eaux, Rang en a rencontré un de couleur rouge qui était de la grosseur d'un tonneau. M. Streenstrup de Copenhague a publié d'intéressantes observations sur un céphalopode auquel il a donné le nom d'Architeuthis dux et qui fut rejeté en 1853 sur le rivage du Jutland ; le corps, dépecé par les pêcheurs pour servir d'amorce à leurs lignes, fournit la charge de plusieurs brouettes ; le pharynx, qui a été conservé, a le volume d'une tête d'enfant, un tronçon de bras montré à M. Duméril a la grosseur de la cuisse. Enfin, en 1860, M. Harting a décrit et figuré plusieurs parties d'un animal gigantesque du même genre qui se trouvent dans le musée d'Utrecht. Mais toutes ces observations le cèdent de beaucoup en intérêt à celle qui a été communiquée à l'Académie des sciences à la fin de l'année 1861 et que nous allons rapporter.
Le 30 novembre de l'année susdite, à deux heures de l'après-midi, l'aviso à vapeur l'Alecton, commandé par M. Bouyer, lieutenant de vaisseau, se trouvant entre Madère et Ténériffe, à 40 lieues dans le nord-est de cette dernière île, fit la rencontre d'un poulpe monstrueux qui nageait à la surface de l'eau.
Cet animal mesurait de 5 à 6 mètres, sans compter huit bras formidables, longs de 1,80 m environ et couverts de ventouses, qui couronnaient sa tête. Sa couleur était d'un rouge brique, ses yeux à fleur de tête avaient un développement prodigieux et une excellente fixité. Sa bouche pouvait offrir 0,50 m. Son corps fusiforme et très renflé vers le centre présentait une masse dont le poids a été estimé à plus de 2 000 kilogrammes. Ses nageoires, situées à l'extrémité postérieure, étaient arrondies en deux lobes charnus et d'un très grand volume.
« Me trouvant, écrit M. Bouyer, en présence d'un de ces êtres bizarres que l'océan extrait parfois de ses profondeurs, comme pour porter défi à la science, je résolus de l'étudier de plus près et de chercher à m'en emparer. »
Aussitôt, il ordonna de stopper. En toute hâte, les fusils furent chargés, un noeud coulant disposé, les harpons préparés. Malheureusement une forte houle qui imprimait à l'Alecton, dès qu'elle le prenait en travers, des roulis désordonnés, gênait les évolutions, en même temps que l'animal, presque toujours à fleur de l'eau, se déplaçait avec une sorte d'intelligence et semblait vouloir éviter le navire ; mais celui-ci le suivait toujours. Aux premières balles qu'on lui envoya, le monstre plongea, passa sous le navire et ne tarda pas à reparaître à l'autre bord, en agitant ses grands bras ; on le frappa d'une dizaine de balles, plusieurs le traversèrent inutilement. L'une d'elles produisit plus d'effet, car il vomit aussitôt une grande quantité d'écume et de sang mêlé à des matières gluantes qui répandirent une forte odeur de musc.
Ce fut alors qu'on parvint à l'accoster d'assez près pour lui lancer un harpon avec un noeud coulant, mais la corde glissa le long du corps élastique du mollusque, et ne s'arrêta que vers l'extrémité à l'endroit des deux nageoires. On tenta de le hisser à bord ; déjà la plus grande partie du corps se trouvait hors de l'eau, quand l'énorme poids de cette masse fit pénétrer le noeud coulant dans les chairs et sépara la partie postérieure qui, amenée à bord, pesait une vingtaine de kilogrammes.
« Officiers et matelots me demandaient, dit le commandant de l'Alecton, à faire amener un canot, à aller garrotter l'animal et à l'amener le long du bord. Ils y seraient peut-être parvenus, mais je craignais que, dans cette rencontre corps à corps, le monstre ne lançât ses longs bras garnis de ventouses sur les bords du canot ne le fît chavirer et n'étouffât peut-être quelques matelots dans ses fouets redoutables.
« Je ne crus pas devoir exposer la vie de ces hommes pour satisfaire à un sentiment de curiosité cette curiosité eût-elle la science pour base, et, malgré la fièvre ardente qui accompagne une pareille chasse, je dus abandonner l'animal mutilé qui, par une sorte d'instinct, semblait fuir avec soin le navire, plongeait et passait d'un bord à l'autre quand nous l'abordions de nouveau.
« Cette chasse n'a pas duré moins de trois heures ».
M. S. Berthelot rapporte qu'ayant interrogé de vieux pêcheurs canariens, ceux-ci lui ont déclaré avoir vu plusieurs fois vers la haute mer de grands calmars rougeâtres de 2 mètres et plus de long, dont ils n'avaient pas osé s'emparer.
Cependant malgré les dimensions respectables du poulpe rencontré par M. Bouyer, la réalité cède ici à la fable.
« Les pêcheurs norwégiens, raconte Pontoppidan, évêque de Berghem, affirment tous sans la moindre contradiction dans leurs récits que lorsqu'ils poussent au large à plusieurs milles, particulièrement pendant les jours les plus chauds de l'année, la mer semble tout à coup diminuer sous leurs barques, et s'ils jettent la sonde, au lieu de trouver 80 ou 100 brasses de profondeur, il arrive souvent qu'ils en trouvent à peine 30. C'est le Kraken qui s'interpose entre les bas-fonds et l'onde supérieure. Accoutumés à ce phénomène, les pêcheurs disposent leurs filets, certains que là abonde le poisson, surtout la morue et la lingue, et ils les retirent richement chargés, mais si la profondeur de l'eau va toujours diminuant, et si ce bas-fond accidentel et mobile remonte, les pêcheurs n'ont pas de temps à perdre, c'est le serpent qui se réveille, qui se meut, qui vient respirer l'air et étendre ses larges plis au soleil. Les pêcheurs font alors force de rames, et quand, à une distance raisonnable, ils peuvent enfin se reposer avec sécurité, ils voient en effet le monstre qui couvre un espace d'un mille et demi de la partie supérieure de son dos. Les poissons surpris par son ascension sautillent un moment dans les creux humides formés par les protubérances de son enveloppe extérieure, puis, de cette masse flottante sortent des espèces de pointes ou de cornes luisantes qui se déploient et se dressent, semblables à des mâts armés de leurs vergues. Ce sont les bras du Kraken, et quels bras ! Telle est leur vigueur, que s'ils saisissaient les cordages d'un vaisseau de ligne, ils le feraient infailliblement sombrer. Après être resté quelque temps sur les flots, le monstre redescend avec la même lenteur et le danger n'est guère moindre pour le navire qui serait à sa portée, car en s'affaissant, il déploie un tel volume d'eau qu'il occasionne des tourbillons et des courants aussi terribles que ceux de la fameuse rivière Male le Malstrom. »
Ellen nous montre ailleurs le poulpe donnant à son corps la couleur du rocher sur lequel il repose. Le fait du changement de couleur est réel ; c'est un des traits les plus curieux de l'histoire de ces animaux. Il a été observé à Nice avec soin par M. Vérant sur des individus du genre Elédone. Quand elle dort, l'élédone est d'un gris livide en dessus, vineux en dessous avec des taches blanches. Eveillée, mais tranquille, elle est jaunâtre, ses yeux sont largement ouverts, sa respiration est régulière. Lorsqu'elle marche elle est d'un gris perlé avec des taches lie de vin. Lorsqu'elle nage, elle est d'un jaune clair livide avec de très petits points rougeâtres et des taches claires. Enfin, si on l'irrite, et rien n'est plus aisé, il suffit de la toucher même légèrement, elle prend une belle couleur marron, se couvre de tubercules, contracte les yeux, lance par son entonnoir une colonne d'eau qui peut jaillir à un mètre de distance, en même temps sa respiration s'accélère ; elle devient saccadée, irrégulière Victor Meunier. Ce poisson que, selon les différents pays ou il apparaît sur le marché, on appelle poulpe, pieuvre ou calmar, est le régal des Napolitains. Il se pêche avec une ligne particulière qui s'appelle la palingolle. C'est un bout de ficelle auquel pendent de petits morceaux de drap rouge, ce drap rouge cache des hameçons ; on les fait danser devant les yeux du calmar, qui s'élance après eux et les saisit avec son bec de perroquet.
Il est probable que le nom calmar leur vient de l'italien et surtout de la liqueur noire qu'ils ont la faculté de répandre autour d'eux au moment d'être pris. En Italie on appelle Calamayo un encrier.
Cet affreux mollusque, si hideux à voir, se mange cependant, comme nous l'avons dit, et particulièrement à Naples ; on le fait cuire dans l'eau avec une sauce aux tomates, mais plus souvent encore, on le fait cuire d'abord et frire ensuite. Nous avons voulu manger nous-même du calmar pour nous rendre compte de cette chair qui ressemble énormément à de l'oreille de veau frite.
Diogène le Cynique mourut, dit-on, pour avoir voulu manger un calmar cru.

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